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Date : 20220506


Dossier : IMM-2383-20

Référence : 2022 CF 666

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

MANJIT SINGH DHALIWAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Dhaliwal, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 16 janvier 2020, par laquelle un agent des visas [l’agent] a, au titre de l’article 200 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], rejeté sa demande de permis de travail présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I. Le contexte

[3] M. Dhaliwal, un citoyen de l’Inde, a présenté une demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires et du Programme des travailleurs qualifiés intermédiaires du Programme pilote d’immigration au Canada atlantique [le PICA] en vue de travailler comme conducteur de camion sur long parcours au Canada.

[4] M. Dhaliwal avait reçu une offre d’emploi de la part de la société White Rock Freight Services, de Moncton, au Nouveau-Brunswick.

II. La décision de l’agent

[5] Dans une lettre datée du 16 janvier 2020, l’agent a rejeté la demande de M. Dhaliwal parce que celui-ci n’avait pu démontrer qu’il serait capable d’exercer l’emploi pour lequel il avait demandé le permis de travail. Les notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] et la lettre constituent les motifs de la décision.

[6] Selon les notes du SMGC, l’agent doutait que M. Dhaliwal connaisse suffisamment l’anglais pour exercer l’emploi de conducteur de camion sur long parcours tel qu’il est décrit dans la Classification nationale des professions [la CNP]. L’agent a tenu compte des résultats de M. Dhaliwal à l’examen de l’International English Language Testing System [l’IELTS], soit une note globale de 5 et une note de 3,5 en lecture, ce qu’il a jugé faible. L’agent a souligné que, selon le British Council, une note de 3 ou de 4 indique que [traduction] « les capacités de l’utilisateur sont extrêmement limitées et que la personne ne communique et ne comprend que le sens général dans des situations familières. Les ruptures de communication sont fréquentes. »

[7] En raison des doutes que les résultats ont suscités, l’agent a interrogé M. Dhaliwal. Les questions que l’agent a posées en anglais et les réponses de M. Dhaliwal sont reproduites dans les notes du SMGC. M. Dhaliwal a mal compris plusieurs des questions et a été incapable de répondre à certaines d’entre elles. Par exemple, il n’a rien pu dire au sujet de son emploi précédent et il n’a pas compris les questions sur le numéro à composer pour obtenir de l’aide en cas d’urgence, c’est-à-dire le 911, ou n’a pas pu y répondre. L’agent a alors poursuivi l’entrevue en pendjabi.

[8] L’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

J’ai dit au demandeur que je n’étais pas convaincu qu’il connaît suffisamment l’anglais pour converser avec le grand public ou pour gérer seul une situation d’urgence qui pourrait survenir dans l’exercice de ses fonctions. Le demandeur a affirmé qu’il pourrait se faire aider par un interprète. Je l’ai informé qu’il pourrait ne pas avoir accès aux services d’un interprète en tout temps et que, par conséquent, je n’étais pas convaincu qu’il serait capable d’exercer ses fonctions au Canada. La demande est rejetée au titre de l’alinéa 200(3)a) du RIPR.

III. La norme de contrôle

[9] La décision d’un agent à l’égard d’une demande de permis de travail temporaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627 au para 5 [Grewal]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16 [Vavilov].

[10] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105-107). La cour ne juge pas les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91). Une décision ne devrait être infirmée que si elle souffre de « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

IV. Les observations du demandeur

[11] M. Dhaliwal soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’a pas démontré qu’il connaissait suffisamment l’anglais est déraisonnable pour plusieurs motifs :

  • L’agent n’a pas suivi les lignes directrices opérationnelles d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], a imposé des exigences linguistiques plus rigoureuses que celles qui sont énoncées dans le PICA, la CNP et l’offre d’emploi, et s’est écarté des exigences linguistiques établies par le PICA;
  • L’agent a fondé sa décision sur de présumées difficultés linguistiques dans la collectivité, qui sont sans lien avec les exigences du poste, contrevenant ainsi aux lignes directrices opérationnelles d’IRCC;
  • L’agent a mené l’entrevue d’une manière déraisonnable sans tenir compte des exigences linguistiques de l’emploi ou des compétences linguistiques de M. Dhaliwal (c’est-à-dire le niveau 4 des Niveaux de compétence linguistique canadiens [les NCLC]); il a employé des termes et des structures grammaticales complexes et inusités, et il parlait rapidement.

V. Les observations du défendeur

[12] Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu que la capacité de M. Dhaliwal à communiquer en anglais était très limitée et qu’il était donc incapable d’exercer l’emploi pour lequel il avait demandé le permis de travail temporaire. Il fait observer que les camionneurs doivent communiquer en anglais (ou en français) avec les répartiteurs et d’autres camionneurs, tenir des carnets de route, noter de l’information, comprendre des procédures de sécurité et pouvoir intervenir en cas d’urgence. Ces exigences sont énoncées dans la CNP, et l’agent n’a pas commis d’erreur en évaluant les compétences linguistiques de M. Dhaliwal dans ce contexte.

[13] En outre, le défendeur soutient que l’évaluation de l’agent ne reposait pas sur des considérations non pertinentes ou sur des exigences trop rigoureuses. L’évaluation est conforme aux lignes directrices opérationnelles d’IRCC, bien que ce ne soient que des lignes directrices qui ne restreignent pas le pouvoir discrétionnaire de l’agent.

[14] Le défendeur ajoute que les résultats à l’examen de l’IELTS justifiaient à eux seuls la décision de l’agent, et que l’entrevue a confirmé que M. Dhaliwal avait de très faibles compétences en anglais.

VI. La décision est raisonnable

[15] L’agent a raisonnablement conclu que M. Dhaliwal n’avait pas démontré qu’il était capable d’exercer adéquatement l’emploi de conducteur de camion sur long parcours en raison de ses compétences insuffisantes en anglais. L’évaluation et la décision de l’agent sont exemptes d’erreur. Les notes du SMGC témoignent du caractère intrinsèquement cohérent de l’analyse de l’agent : tout simplement, pour satisfaire aux exigences pertinentes de son emploi, un conducteur de camion sur long parcours doit avoir des compétences suffisantes en anglais, et M. Dhaliwal n’a pas démontré qu’il les avait à la satisfaction de l’agent.

[16] M. Dhaliwal a tenté de disséquer la décision de l’agent en vue de laisser entendre que celui-ci aurait dû s’appuyer uniquement sur les exigences énoncées dans le PICA et les résultats à l’examen de l’IELTS ou le niveau des NCLC, et délivrer le permis de travail, et ce, en dépit du fait que le rôle de l’agent est de déterminer si un permis de travail devrait être délivré et en dépit du fait que ses piètres compétences en anglais nuiraient à sa capacité d’exercer l’emploi de conducteur de camion sur long parcours.

[17] Le principal argument de M. Dhaliwal est que l’agent n’a pas suivi les lignes directrices d’IRCC et qu’il a imposé des exigences linguistiques plus rigoureuses que celles énoncées dans le PICA et l’offre d’emploi.

[18] M. Dhaliwal soutient que, conformément aux lignes directrices opérationnelles d’IRCC, l’agent devrait évaluer les compétences linguistiques des demandeurs en fonction de la CNP et des exigences précises de l’emploi, y compris celles qui sont énoncées dans l’étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT], le cas échéant, et que toutes les autres considérations ne sont pas pertinentes. Il souligne que, selon le PICA, les conducteurs de camion sur long parcours sont des « travailleurs qualifiés intermédiaires » qui n’ont besoin que du niveau NCLC 4, ou de « compétences de base ». Il souligne également qu’aucune des tâches d’un conducteur de camion sur long parcours indiquées dans la CNP n’exige un niveau de compétence supérieur. Il ajoute que ses notes à l’examen de l’IELTS, une fois converties en niveau des NCLC, atteignaient ou dépassaient le niveau NCLC 4.

[19] Contrairement à ce qu’a affirmé M. Dhaliwal dans ses observations, l’agent n’a pas omis de respecter la CNP ou les lignes directrices applicables. Les lignes directrices d’IRCC n’ont pas force de loi; elles guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent, mais ne le restreignent pas.

[20] Au paragraphe 10 de la décision Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 70, le juge Diner, traitant de l’argument selon lequel un agent ne s’est pas conformé aux lignes directrices d’IRCC, a écrit ce qui suit :

Je ne souscris pas à cet argument. Bien que l’agente ne soit pas assujettie aux lignes directrices mais doive plutôt respecter les exigences de la loi énoncées dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 et le Règlement, la décision de l’agente respectait néanmoins les points soulevés dans ces lignes directrices : dans sa décision, l’agente a renvoyé aux résultats du Système international de tests de la langue anglaise (IELTS), a évalué la compétence linguistique de M. Brar au cours de l’entrevue, a fait référence aux exigences mentionnées dans l’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] ainsi qu’aux exigences de l’emploi, et a tenu compte de la maîtrise de l’anglais de M. Brar dans le contexte du travail devant être exécuté. En fait, en prenant la décision de passer une entrevue avec M. Brar, l’agente a déclaré qu’elle doit [traduction] « passer une entrevue avec le demandeur afin d’évaluer son expérience professionnelle et de décider si sa connaissance de la langue anglaise lui permet de lire les consignes de sécurité, étant donné que le travail du demandeur comporte un risque élevé en matière de sécurité. » Les notes du SMGC, dont j’ai présenté un résumé au paragraphe 2 des présents motifs, indiquent en détail les secteurs où des lacunes au niveau des compétences linguistiques ont été constatées. L’agente a conclu, à la lumière de ces constatations, que M. Brar ne serait pas en mesure d’exercer convenablement l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé.

[21] Les agents des visas peuvent examiner de façon indépendante si un demandeur est capable d’exercer les fonctions de l’emploi visé, et exercer leur pouvoir discrétionnaire pour en décider; ils ne sont pas liés par la CNP ou l’EIMT (selon le cas) : Grewal, au para 17; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 28.

[22] Au paragraphe 9 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 80, le juge Pamel a fait observer ce qui suit :

Je reconnais que, depuis l’arrêt Vavilov, il faut justifier tout écart par rapport à la politique antérieure, mais M. Singh n’a pas démontré qu’il existait une politique selon laquelle la demande de permis de travail d’un demandeur doit être accueillie lorsque ce dernier satisfait aux exigences linguistiques énoncées dans la CNP ou l’EIMT. Au contraire, la politique actuelle – qui a été appliquée à M. Singh – confère aux agents des visas le pouvoir discrétionnaire de décider si un demandeur satisfait aux exigences linguistiques établies en utilisant les résultats obtenus par ce dernier à l’examen de l’IELTS ainsi que la CNP et l’EIMT comme des lignes directrices, et non comme des instruments contraignants. Quoi qu’il en soit, la CNP (code 7511) énonce un certain nombre de tâches qui doivent être accomplies par les conducteurs de camion sur long parcours – telles qu’obtenir les permis et les documents de transport requis et communiquer au moyen d’ordinateurs de bord – et qui exigent nécessairement un certain niveau de compétences en lecture. Le fait que l’agent a évalué les compétences en lecture d’un demandeur sans tenir compte de la note qu’il aurait obtenue à des tests d’évaluation linguistique ne me semble pas déraisonnable étant donné la nature du poste proposé.

[Non souligné dans l’original.]

[23] M. Dhaliwal s’appuie sur la décision Sarfraz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1578 [Sarfraz], pour soutenir que l’agent ne devrait pas s’écarter du PICA, selon lequel le niveau NCLC 4 est exigé.

[24] Au paragraphe 22 de la décision Sarfraz, la Cour a affirmé ce qui suit :

Bien qu’une décision provinciale ou territoriale de désignation appelle une certaine retenue quant à l’évaluation par le gouvernement des critères applicables, elle n’est pas contraignante pour les agents fédéraux : Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1072 [Chaudhry], au par. 28; Sran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 791 [Sran], au par. 13. Ces derniers doivent mener leur propre analyse de manière objective; mais pour que le processus soit cohérent [c.‐à‐d., équitable], le processus de substitution de l’appréciation ne devrait pas supplanter l’intention sous‐jacente du programme applicable : Roohi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1408, au par. 31. Par conséquent, toute contestation directe d’une conclusion provinciale ou territoriale tirée à l’issue du processus de désignation doit être justifiée, transparente et intelligible : Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au par. 47.

[25] La jurisprudence, y compris la décision Sarfraz, a constamment affirmé qu’une décision provinciale de désignation – en l’espèce, le PICA – n’est pas contraignante. Par exemple, dans la décision Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 162 [Begum], également invoquée par M. Dhaliwal, la Cour a affirmé de nouveau que, bien que les agents devraient faire preuve « d’une certaine déférence » à l’égard des désignations provinciales, celles-ci ne sont pas contraignantes (au para 26).

[26] En l’espèce, indépendamment de la question de savoir si le niveau NCLC 4 est celui qui est indiqué dans le PICA à propos des travailleurs qualifiés intermédiaires, l’agent n’était pas contraint de conclure que ce niveau suffisait. Les motifs pour lesquels il a conclu que le niveau de compétence en anglais de M. Dhaliwal était insuffisant pour l’emploi visé sont justifiés, transparents et intelligibles.

[27] M. Dhaliwal soutient que le niveau NCLC 4 indique que la personne doit faire [traduction] « beaucoup d’efforts » pour communiquer, mais, selon le résumé du PICA, une personne du niveau NCLC 4 a des [traduction] « compétences de base », c’est-à-dire qu’elle peut :

  • prendre part à des conversations quotidiennes courtes, qui portent sur des sujets courants;
  • comprendre des instructions, des questions et des directives simples;
  • utiliser la grammaire de base, y compris des structures et des temps simples;
  • démontrer qu’elle connaît suffisamment d’expressions et de mots courants pour répondre à des questions et s’exprimer.

[28] Les notes du SMGC étayent clairement la conclusion de l’agent selon laquelle M. Dhaliwal n’a pas démontré que son niveau de compétence en anglais est suffisant pour l’emploi visé – ni même qu’il a les compétences du niveau NCLC 4 indiquées ci-dessus.

[29] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent a imposé des exigences d’emploi plus rigoureuses en évaluant les compétences linguistiques de M. Dhaliwal en fonction du contexte où celui-ci aurait à gérer une situation d’urgence, ce qui, selon l’agent, serait abordé dans une séance d’orientation ou la formation offerte en cours d’emploi. Il est probable que de la formation sur les procédures d’urgence soit offerte, mais il est improbable qu’une formation professionnelle en cours d’emploi comprenne des cours de langue. En plus des fonctions énoncées dans la CNP, qui exigent entre autres de communiquer avec des répartiteurs et d’autres camionneurs, de noter de l’information et de comprendre les procédures de sécurité, le conducteur de camion sur long parcours doit pouvoir comprendre les panneaux de direction et de signalisation routière, qui peuvent signaler des dangers, des intempéries ou des détours. L’incapacité de communiquer et de comprendre ce qu’indiquent de tels panneaux pourrait avoir des conséquences plus graves que l’incapacité de composer le 911.

[30] M. Dhaliwal s’appuie sur le paragraphe 17 de la décision Randhawa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1294, où la Cour a conclu qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de refuser de considérer l’orientation dont bénéficierait le demandeur durant l’emploi, mais cette affaire n’est pas analogue à l’espèce. Dans la décision Randhawa, à propos d’un aide-cuisinier qui ne connaissait pas bien la réglementation municipale régissant la restauration, la Cour a conclu que l’orientation offerte pourrait remédier aux lacunes. Un niveau de compétence suffisant en anglais et ses effets sur l’exercice des fonctions d’un conducteur de camion sur long parcours sont une tout autre affaire.

[31] M. Dhaliwal cite également le paragraphe 42 de la décision Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1079 [Tan], où la Cour a conclu que l’agente avait déraisonnablement imposé une exigence linguistique supplémentaire plus rigoureuse à un cuisinier, dont elle avait jugé qu’il ne serait pas en mesure de communiquer avec les autorités appropriées en cas d’accident dans la cuisine. M. Dhaliwal soutient que la décision Tan établit qu’un agent commet une erreur en imposant des exigences qui ne sont pas énoncées dans la CNP ou dans l’offre d’emploi. Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision Tan établit un tel principe, car il pourrait restreindre le pouvoir discrétionnaire de l’agent. Qui plus est, l’affaire Tan n’est pas analogue à l’espèce; M. Tan avait présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et sa demande a été évaluée en fonction d’un système de points. En l’espèce, la demande vise un permis de travail temporaire, et un pouvoir discrétionnaire considérable est conféré à l’agent qui tranche la question de savoir si les exigences, y compris les exigences linguistiques, sont remplies.

[32] M. Dhaliwal s’appuie également sur les paragraphes 23 à 28 de la décision Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 934 [Gill], dans laquelle, au paragraphe 25, la Cour a fait observer ce qui suit :

Bien que l’agent ne soit pas lié par les exigences linguistiques établies par la Colombie‐Britannique et le Canada pour la CNP 7511, il doit fournir des raisons intelligibles, transparentes et justifiées s’il doit s’écarter de cette exigence (Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 162 (Begum) aux para 26 et 27). En l’espèce, l’agent ne fournit aucune preuve à l’appui de la proposition selon laquelle une note de 4,5 à l’examen de l’IELTS en compréhension de l’écrit est insuffisante pour le travail recherché par le demandeur, et se fonde plutôt sur des conjectures selon lesquelles les compétences du demandeur sont insuffisantes, alors que la Colombie‐Britannique et le Canada disent le contraire.

[33] Contrairement à ce qui s’est passé dans plusieurs des affaires que M. Dhaliwal invoque à l’appui de ses observations selon lesquelles l’agent a commis une erreur en s’écartant du PICA, des NCLC et des résultats à l’examen de l’IELTS, y compris les affaires Gill, Begum et Bano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 568 (citée dans la décision Gill), en l’espèce, l’agent a interrogé M. Dhaliwal pour lui donner une autre occasion de démontrer ses compétences en anglais. Selon les notes du SMGC, M. Dhaliwal n’a pas démontré que ses compétences en anglais étaient suffisantes, et l’agent a expliqué pourquoi elles ne l’étaient pas à la lumière des exigences de la CNP pour un conducteur de camion sur long parcours.

[34] Contrairement à ce qu’a affirmé M. Dhaliwal dans ses observations, l’agent n’a pas évalué ses compétences linguistiques en fonction de considérations non pertinentes, telles que des problèmes de communication auxquels il serait confronté dans la collectivité. L’agent a écrit : [traduction] « je n’étais pas convaincu qu’il connaît suffisamment l’anglais pour converser avec le grand public ou pour gérer seul une situation d’urgence qui pourrait survenir dans l’exercice de ses fonctions ». Bien que son emploi n’exige pas de s’entretenir régulièrement avec le public, un conducteur de camion sur long parcours a des conversations de base avec le public dans l’exercice de ses fonctions au cours de ses trajets. En outre, l’agent a mis l’accent sur la question de savoir si M. Dhaliwal avait la capacité de communiquer requise pour remplir les fonctions énoncées dans la CNP, y compris s’il est confronté à une situation d’urgence dans l’exercice de ses fonctions, ce qui est essentiel pour répondre aux exigences de l’emploi de conducteur de camion sur long parcours.

[35] M. Dhaliwal soutient également que l’agent a déraisonnablement évalué ses compétences linguistiques parce qu’il a mené l’entrevue de façon à le faire échouer, c’est-à-dire en employant des formulations complexes et en parlant rapidement. Il fait valoir que l’agent aurait dû adapter les questions à ses compétences linguistiques de niveau NCLC 4.

[36] À mon avis, une telle approche aurait pu aller à l’encontre de l’objectif de l’entrevue, qui était d’évaluer les compétences linguistiques de M. Dhaliwal en fonction de l’emploi visé, de la CNP et de l’ensemble des considérations pertinentes.

[37] M. Dhaliwal fait remarquer que l’agent a employé certains termes, tels que [traduction] « se procurer », « profil d’emploi », « permis pour freins à air » et « situation hypothétique ». Bien que la compréhension de ces termes puisse exiger un niveau de compétence supérieur, M. Dhaliwal n’a pas non plus été en mesure de répondre à des questions simples à propos de l’emploi visé et de son emploi précédent, ou à des questions telles que : [traduction] « Connaissez-vous l’industrie canadienne du camionnage en général? » et « Connaissez-vous les relais routiers ou les stations-service au Canada? », qui sont toutes très pertinentes relativement à l’emploi visé. L’une des principales réserves de l’agent était que M. Dhaliwal ne savait pas ce qu’il faut faire en cas d’urgence. La question de l’agent [traduction] « Connaissez-vous le numéro à composer au Canada en cas d’urgence? » était également pertinente et formulée en termes simples, mais M. Dhaliwal n’a rien répondu. Si la demande de [traduction] « simuler » un appel au 911 pouvait confondre M. Dhaliwal, la première partie de la question était plus simple : [traduction] « Pourriez-vous essayer de dire quelques phrases en anglais...? », mais il n’a pas répondu.

[38] M. Dhaliwal s’appuie sur la décision Azam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 115 [Azam], pour soutenir que l’agent n’est pas un expert en évaluation des compétences linguistiques et qu’il a imposé des exigences linguistiques plus rigoureuses que celles qui étaient énoncées dans le PICA, dans la CNP et dans l’offre d’emploi. Dans l’affaire Azam, la Cour a relevé plusieurs erreurs dans la décision de l’agente, y compris dans l’évaluation des compétences linguistiques de la demanderesse. Elle a souligné que l’agente avait écarté les notes à l’examen de l’IELTS au motif qu’elle avait eu à répéter ses questions et à les expliquer lors de l’entrevue parce que la demanderesse ne les comprenait pas.

[39] Au paragraphe 61, la Cour a déclaré ce qui suit :

Bien des raisons peuvent expliquer la mauvaise compréhension des questions. Toutefois, en l’espèce, l’agente rejette les résultats à l’IELTS, qui est spécialement conçu pour évaluer les compétences linguistiques, au profit de sa propre évaluation fondée sur le fait qu’elle devait répéter certaines questions pendant l’entrevue. Comme l’agente n’explique pas précisément quelles questions ont été posées et ne fournit pas non plus de réponses, je n’ai aucun moyen de savoir si son évaluation équivaut à un type de test valable qui pourrait raisonnablement remplacer les résultats à l’IELTS. De plus, comme c’est le cas pour bon nombre des conclusions de l’agente, rien n’explique en quoi les compétences de la demanderesse en anglais ont un lien avec la question de savoir si elle va quitter le Canada à la fin de sa période de travail.

[40] En l’espèce, les notes du SMGC permettent de prendre connaissance des questions posées à M. Dhaliwal et de ses réponses, ou de son absence de réponse. Il est manifeste que M. Dhaliwal n’a pas compris plusieurs des questions, y compris des questions simples. Comme je l’ai mentionné plus haut, les notes du SMGC étayent la conclusion selon laquelle M. Dhaliwal n’a pas démontré ne serait-ce que les [traduction] « compétences de base » du niveau NCLC 4. En outre, l’exigence linguistique est pertinente pour trancher la question de savoir si M. Dhaliwal est capable d’exercer l’emploi pour lequel il a demandé le permis de travail, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Azam.

[41] En conclusion, l’agent a raisonnablement conclu que M. Dhaliwal serait incapable d’exercer adéquatement l’emploi de conducteur de camion sur long parcours en raison de ses compétences insuffisantes en anglais. Ses motifs sont transparents, intelligibles et justifiés au regard des faits et du droit.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2383-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2383-20

 

INTITULÉ :

MANJIT SINGH DHALIWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

David Orman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orman Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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