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Date : 20220511


Dossier : IMM-2458-21

Référence : 2022 CF 699

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 mai 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

NASER AFSHARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience tenue par vidéoconférence

à Toronto (Ontario), le 10 mai 2022)

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel visant le rejet de sa demande de titre de voyage pour résident permanent (le titre de voyage) par un agent d’immigration. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision était raisonnable et la présente demande sera rejetée.

[2] Le demandeur, un citoyen iranien de 58 ans, est devenu résident permanent du Canada en 2006. En 2014, il s’est rendu en Iran pour prendre soin de sa mère âgée. Lors de son voyage en Iran, il a perdu son portefeuille, qui contenait sa carte de résident permanent, sa carte d’assurance sociale et sa carte d’assurance maladie. Par conséquent, il a demandé un titre de voyage de remplacement.

[3] Le 30 novembre 2017, sa demande a été rejetée en application de l’alinéa 28(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 pour non-respect de son obligation de résidence, à savoir être présent au Canada pendant au moins 730 jours au cours de la période quinquennale pertinente. Le demandeur a été informé qu’il avait 60 jours pour interjeter appel de la décision auprès de la SAI et que s’il ne le faisait pas, la décision concernant le non-respect de ses obligations à titre de résident permanent deviendrait définitive. Le 18 novembre 2020, le demandeur a sollicité auprès de la SAI une prorogation du délai pour présenter un avis d’appel visant la décision du 30 novembre 2017.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[4] Dans sa décision du 10 mars 2021, la SAI a rejeté la demande et a fourni des motifs écrits en réponse. La SAI a d’abord cité la jurisprudence à l’appui du principe selon lequel les délais imposés pour contester une décision administrative ne sont pas affaire de caprice et doivent être respectés afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif (Canada (Développement des Ressources Humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41 au para 24; Cornejo Arteaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 868 au para 13). La SAI a également cité l’alinéa 58d) de ses propres Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, en plus de l’arrêt de principe de la Cour d’appel fédérale énonçant les critères pour l’obtention d’une prorogation de délai, Canada (Procureur général) c Hennelly, [1999] ACF no 846 (CAF) [Hennelly], à savoir qu’il y a une intention constante de poursuivre l’appel, que l’appel est bien fondé, qu’il n’y a aucun préjudice pour le défendeur et que le délai est raisonnablement justifié. La SAI a également fait remarquer que le principe qui sous-tend l’appréciation de ces quatre facteurs est que justice soit rendue et qu’il n’est pas nécessaire que l’ensemble des quatre facteurs soient respectés pour qu’une prorogation soit accordée.

[5] La SAI a ensuite appliqué les critères aux faits et a reconnu que le demandeur a été soigné pour des problèmes cardiaques de février 2017 à mai 2018 et qu’il a subi une chirurgie cardiaque le 19 décembre 2017, soit dix jours après avoir reçu la décision de l’ambassade canadienne concernant son titre de voyage. La SAI a également fait remarquer que le demandeur avait consulté un psychologue pour un trouble d’anxiété général et existentiel de mai 2015 à février 2018. Compte tenu de ce qui précède, la SAI a reconnu que le rejet de la demande de titre de voyage a aggravé le stress du demandeur et a probablement contribué à ses problèmes cardiaques.

[6] La SAI a également souligné que le demandeur a attendu à septembre 2018 avant de retenir les services d’un consultant en immigration, et qu’au lieu de présenter un avis d’appel à ce moment, il a plutôt présenté une nouvelle demande de titre de voyage, qui a été reçue et rejetée le même jour d’octobre 2019. La SAI a fait remarquer que si le demandeur avait sollicité une prorogation pour présenter son avis d’appel en septembre 2018, au moment où il a retenu les services du consultant, sa demande de prorogation aurait très probablement été accueillie.

[7] Cependant, la SAI a souligné que la demande de prorogation n’a été présentée qu’en novembre 2020, soit près de trois ans après la réception de la décision relative au titre de voyage. La SAI a tenu compte de ce retard, en plus des problèmes de santé du demandeur et du fait qu’il était conscient des délais impartis; elle a jugé qu’il n’avait pas démontré une intention constante de poursuivre l’appel et a rejeté sa demande de prorogation (voir l’annexe A pour la partie de la lettre de refus indiquant le délai d’appel).

III. Analyse

[8] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAI était raisonnable. Le tribunal qui procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable examine la décision du décideur à la recherche des caractéristiques d’une décision raisonnable – la justification, la transparence et l’intelligibilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]).

[9] Le demandeur fait valoir que son défaut de présenter un avis d’appel dans les délais est entièrement attribuable à la négligence professionnelle de son consultant en immigration qui, au lieu de présenter un avis d’appel, a présenté une nouvelle demande de titre de voyage en son nom en 2019. Il fait valoir qu’il n’avait aucun contrôle sur le manque de professionnalisme du consultant et que la SAI a commis une erreur en le tenant responsable de la faute de ce dernier, qui n’a pas agi selon ses instructions.

[10] Le demandeur fait en outre valoir que la SAI n’a pas appliqué correctement les facteurs établis dans la décision Hennelly et que si elle l’avait fait, elle aurait tenu compte des efforts qu’il a déployés à la suite de ses problèmes de santé, et il ajoute que son intention constante de poursuivre l’appel a été clairement démontrée.

[11] Le défendeur fait valoir qu’en dépit de ses arguments, le demandeur n’a fourni aucun des éléments de preuve nécessaires pour étayer une allégation de négligence professionnelle devant notre Cour, et il s’appuie sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, où la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit au paragraphe 67 :

À cet égard, je note que la jurisprudence de la Cour fédérale en matière d’immigration est constante à l’effet que l’on ne peut faire droit à une allégation de manquement professionnel à l’égard d’un avocat en l’absence de toute preuve démontrant qu’une plainte a été soumise aux autorités compétentes du barreau dont l’avocat relève ou d’une explication émanant personnellement du professionnel visé : voir, à titre d’illustrations, Odafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1429 au para 8, [2011] ACF no 1762; Teganya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 336 aux para 26‑37, [2011] ACF no 430; Parast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 660 au para 11, [2006] ACF no 844; Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 269 aux para 17‑28, [2008] ACF no 344. De fait, la Cour fédérale a adopté un protocole en mars 2014 prescrivant la démarche à suivre lorsqu’une partie désire évoquer devant elle ce type d’allégation, et prévoit notamment l’obligation d’envoyer un avis écrit à l’avocat faisant état des reproches que l’on entend soulever à son endroit et l’invitant à fournir une réponse dont la Cour pourra éventuellement prendre connaissance (Protocole procédural concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (7 mars 2014), en ligne : Cour fédérale du Canada <http://www.fct-cf.gc.ca>).

[12] Toutefois, même si j’étais prêt à accepter sans réserve les allégations de négligence professionnelle en l’absence de toute preuve nécessaire pour étayer une telle affirmation, cette explication ne servirait qu’à justifier le fait qu’il a attendu à octobre 2019 pour présenter sa deuxième demande de titre de voyage. Cependant, le dossier montre que le demandeur a été informé le jour même où il a présenté une nouvelle demande de titre de voyage que sa demande avait été rejetée parce qu’il n’avait pas interjeté appel du premier refus.

[13] Malgré cela, le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il lui a fallu 13 mois supplémentaires, d’octobre 2019 à novembre 2020, pour présenter sa demande de prorogation afin de déposer un avis d’appel auprès de la SAI. Je dois mentionner qu’il est impossible de dire avec certitude si les allégations de faute professionnelle ont bel et bien été soulevées devant la SAI, mais dans tous les cas, elles sont loin de suffire pour décharger le demandeur du fardeau de prouver qu’il avait une intention constante de poursuivre l’appel, et elles permettent encore moins de contester la décision de la SAI au motif qu’elle serait déraisonnable.

[14] Au contraire, je suis entièrement d’accord avec le défendeur pour dire que la SAI a examiné les éléments de preuve fournis, a appliqué le critère juridique approprié de manière transparente et a fourni des motifs raisonnables expliquant pourquoi une prorogation n’était pas justifiée dans les circonstances. Malgré les observations répétées du demandeur à l’audience voulant que la demande était fondée, qu’il avait l’intention de la poursuivre, mais qu’il n’a pu le faire pour des raisons indépendantes de sa volonté, à savoir qu’il a été conseillé de manière négligente, la SAI a examiné tous les arguments dont elle a été saisie et elle les a jugés d’une manière intelligible, transparente et justifiée.

[15] Il n’appartient pas à notre Cour, comme le soutient le demandeur, de corriger un simple [traduction] « vice de procédure ». Au contraire, comme il a été dit lors de l’audience, le rôle de notre Cour est d’examiner le caractère raisonnable de la décision de la SAI (Farooqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 560 aux para 6‑7). Je conviens avec le défendeur que la Cour doit également se préoccuper du caractère définitif des décisions administratives (Sanchez Rebaza c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 509 au para 17).

[16] En fin de compte, la SAI n’était pas convaincue que le demandeur avait fourni des éléments de preuve démontrant une intention constante de poursuivre l’affaire pendant la période de 33 mois entre la date limite pour déposer son avis d’appel visant le rejet de sa demande de titre de voyage de 2017 et sa demande de prorogation de décembre 2020.

IV. Conclusion

[17] La décision de la SAI était intelligible, transparente et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles. Par conséquent, je conclus qu’elle est raisonnable et je rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2458-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question à certifier n’a été proposée et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


ANNEXE A

Si vous n’avez pas séjourné au Canada au moins une fois durant les 365 derniers jours, vous devez demander à la Section d’appel de l’immigration l’autorisation de comparaître à l’audition de votre appel au Canada. Pour obtenir cette autorisation, vous devez d’abord interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration au plus tard SOIXANTE (60) JOURS suivant la date de réception de cette lettre.

Votre demande de comparaître peut être présentée sur le formulaire d’avis d’appel joint à la présente lettre. Quelle que soit la façon dont vous demandez de comparaître, votre demande doit être soumise au plus tard SOIXANTE (60) JOURS après avoir présenté votre avis d’appel. Si la Section d’appel de l’immigration est convaincue que votre comparution est nécessaire, on vous émettra un titre de voyage vous permettant de revenir au Canada. On vous demandera de présenter votre passeport et les documents d’appel à notre bureau avant de délivrer le titre de voyage.

Si vous choisissez de ne pas interjeter appel de la décision devant la Section d’appel de l’immigration au Canada, la présente décision concernant votre non-conformité avec l’obligation de résidence en vertu de l’article 28 de la Loi constituera la décision finale concernant votre statut de résident. Vous serez interdit au Canada comme résident permanent pour ne pas vous être conformé(e) à l’article 28. Vous serez réputé(e) avoir perdu votre statut de résident permanent du Canada conformément à l’alinéa 46(1)b) Vous ne serez pas autorisé à entrer au Canada à titre de résident permanent, conformément au paragraphe 19(2).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2458-21

 

INTITULÉ :

NASER AFSHARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Andrew Maloney

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Angela Marinos

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pilkington Law firm

Avocats

Guelph (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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