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Date : 20220225


Dossier : IMM‑2246‑21

Référence : 2022 CF 275

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

ROLAND WEYINMI IGBEDION

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada en date du 6 mars 2021, par laquelle l’agent a conclu que le demandeur ne répondait pas aux critères applicables à la délivrance d’un permis de travail au titre de la « Politique d’intérêt public visant la dispense de certaines exigences en matière d’immigration pour certains visiteurs au Canada : Nouveau coronavirus (COVID‑19) : Instructions sur l’exécution des programmes ».

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen britannique. La demande de permis de travail présentée par le demandeur au titre du Programme Expérience internationale Canada pour le Royaume‑Uni [Programme EIC] a été approuvée le 1er mars 2018. Un permis de travail a été délivré au demandeur le 15 mars 2018 lorsque celui‑ci est entré au Canada, et il était valide jusqu’au 14 mars 2020.

[4] Le demandeur a présenté au Canada une demande de prorogation de son permis de travail au titre du Programme EIC le 12 février 2020. Le Centre de traitement des demandes d’Edmonton a fait savoir au demandeur, par lettre datée du 28 février 2020, que la durée maximale de l’emploi dans la catégorie à laquelle il appartenait était de 24 mois et que. puisqu’il avait atteint le maximum, il n’était plus admissible à la prorogation du permis de travail dans cette catégorie au Canada. De plus, le demandeur a appris que son statut au Canada n’était valide que jusqu’au 14 mars 2020.

[5] Le demandeur n’a entrepris aucune démarche entre la réception de la lettre du 28 février 2020 et le 14 mars 2020 pour changer son statut au Canada en celui de visiteur.

[6] Un mois après l’expiration de son permis de travail, le 14 avril 2020, le demandeur a demandé un permis de travail avec le même employeur. La demande était étayée par des observations formulées par l’avocat du demandeur selon laquelle celui‑ci ne pouvait pas retourner au Royaume‑Uni en raison de la pandémie de COVID‑19, il ne voulait pas être réputé avoir dépassé la durée de séjour autorisée au Canada et il demandait, pour cette raison, la prorogation de son permis de résident et/ou de travail jusqu’au 30 novembre 2020.

[7] Le défendeur a affirmé qu’une lettre de décision datée du 3 juillet 2020 avait été envoyée à l’adresse de courriel de l’avocat du demandeur et indiquait que la demande du 14 avril 2020 était rejetée. La lettre mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Les dispositions législatives sur l’immigration prévoient que les ressortissants étrangers qui désirent rester plus longtemps au Canada soumettent une demande de prorogation de leur statut de résident temporaire au plus tard à la date d’expiration de la période autorisée. Votre statut de résident temporaire au Canada a expiré le 14 mars 2020, et vous avez présenté votre demande le 14 avril 2020.

[8] Le demandeur affirme ne pas avoir reçu la lettre. Il soutient plutôt que le défendeur a omis et a refusé de prendre une décision à l’égard de la demande du 14 avril 2020.

[9] Le 24 août 2020, le gouvernement du Canada a annoncé sa « Politique d’intérêt public visant la dispense de certaines exigences en matière d’immigration pour certains visiteurs au Canada : Nouveau coronavirus (COVID‑19) : Instructions sur l’exécution des programmes » [Politique d’intérêt public]. L’annonce était ainsi rédigée :

Les visiteurs qui se trouvent actuellement au Canada et qui ont une offre d’emploi valide pourront demander un permis de travail propre à leur employeur et, si la demande est approuvée, recevoir le permis sans avoir à quitter le pays grâce à une nouvelle politique publique annoncée aujourd’hui par l’honorable Marco E. L. Mendicino, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté.

Ce changement de politique temporaire entre en vigueur immédiatement et profitera aux employeurs du Canada qui ont encore de la difficulté à trouver les travailleurs dont ils ont besoin, ainsi qu’aux résidents temporaires qui souhaiteraient, par leur travail et leurs compétences, participer à la relance du Canada après la pandémie de COVID‑19.

Pendant la pandémie, on a encouragé les résidents temporaires qui sont restés au Canada à conserver un statut juridique valide. Comme les voyages par avion sont limités dans le monde, certains visiteurs au Canada n’ont pas pu partir, tandis que certains travailleurs étrangers ont dû changer leur statut à celui de visiteur parce que leur permis de travail arrivait à échéance et qu’ils n’avaient pas d’offre d’emploi pour pouvoir demander un nouveau permis de travail. Certains employeurs au Canada ont également été confrontés à des pénuries de main‑d’œuvre et de compétences tout au long de cette période, notamment ceux qui fournissent des biens et des services importants sur lesquels compte la population canadienne.

Pour être admissible, le demandeur qui cherche à bénéficier de cette politique publique temporaire doit :

Avoir un statut de visiteur valide au Canada le jour de la demande;

Avoir été au Canada le 24 août 2020 et être demeuré au Canada;

Avoir une offre d’emploi;

Présenter au plus tard le 31 mars 2021 une demande de permis de travail propre à un employeur qui est appuyée par une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) ou une offre d’emploi dispensée d’EIMT;

Satisfaire à tous les autres critères d’admissibilité.

Cette politique publique temporaire permet également aux demandeurs qui répondent à ces critères et qui ont obtenu un permis de travail valide au cours des 12 derniers mois de commencer à travailler pour leur nouvel employeur avant que leur demande de permis de travail n’ait été entièrement approuvée. Pour ce faire, ils doivent suivre les instructions du processus décrit ici :

https://www.canada.ca/fr/immigration‑refugies‑citoyennete/services/travailler‑canada/permis/temporaire/apres‑avoir‑presenter‑demande‑etapes‑suivantes.html#visiteur

[10] Le 31 décembre 2020, le demandeur a présenté une autre demande de permis de travail au titre de la Politique d’intérêt public. Il n’a pas inclus d’EIMT favorable, puisqu’il estimait que son emploi visé de camionneur était dispensé de l’EIMT. C’est cette demande de permis de travail qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[11] Par lettre datée du 6 mars 2021, l’agent a rejeté la demande présentée par le demandeur. Voici un extrait de la lettre de décision :

[traduction]

Après avoir examiné attentivement tous les renseignements contenus dans votre demande et dans les documents d’accompagnement que vous avez fournis, j’estime que vous ne répondez pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de son règlement d’application. Par conséquent, votre demande, telle qu’elle a été présentée, est refusée.

Les dispositions législatives sur l’immigration prévoient que les ressortissants étrangers qui désirent prolonger leur séjour au Canada soumettent une demande de prorogation de leur statut de résident temporaire au plus tard à la date d’expiration de la période autorisée. Votre statut de résident temporaire au Canada a expiré le 14 mars 2020, et vous avez présenté votre demande le 31 décembre 2020.

Vous êtes au Canada sans statut juridique et à ce titre vous devez quitter le pays immédiatement. Si vous ne quittez pas le Canada de façon volontaire, des mesures d’application de la loi pourraient être prises contre vous.

[12] Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] font partie des motifs de la décision et elles apportent des éclaircissements sur l’analyse effectuée par l’agent des visas et sur les motifs de refus de la demande [voir Mohammadzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 75 au para 5). Les notes du SMGC indiquent ce qui suit :

[traduction]

Le client demande un PT fondé sur une EIMT. Il détenait auparavant un PVT ayant expiré le 14 mars 2020. La présente demande a été reçue le 31 décembre 2020. Le client n’a pas demandé de rétablissement ni acquitté les frais de rétablissement. Le client n’a pas fourni d’EIMT valide avec sa demande. La demande a été rejetée conformément à l’article 181 du Règlement, puisqu’il a présenté sa demande après l’expiration de son statut. Le client a été informé qu’il devait quitter le Canada.

III. Question en litige et norme de contrôle

[13] La présente demande soulève les questions qui suivent :

  1. L’agent a‑t‑il contrevenu aux droits du demandeur en matière d’équité procédurale;
  2. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[14] En ce qui concerne la première question, l’examen par la Cour des questions d’équité procédurale n’appelle aucune déférence à l’égard du décideur. La Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne :[voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46‑47].

[15] En ce qui concerne la seconde question, les parties soutiennent, et c’est aussi mon avis, que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée et aucune ne s’applique [voir Vavilov, précité, aux para 23, 25]. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (voir Vavilov, précité, au para 87). Une décision raisonnable est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles; elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et elle tient compte des observations des parties : Vavilov, précité, aux para 15, 85‑95, 127–128.

IV. Analyse

A. L’agent a‑t‑il contrevenu aux droits du demandeur en matière d’équité procédurale?

[16] Le demandeur avance deux arguments relatifs à l’équité procédurale. En premier lieu, il affirme que, si l’agent avait le moindre doute quant aux documents se rapportant à sa demande (comme l’absence d’une EIMT favorable, ou la nécessité d’obtenir le rétablissement de son statut), les dispositions législatives enjoignaient l’agent, en tant que fonctionnaire public investi de pouvoirs discrétionnaires, à ne pas rendre de décision à l’égard de la demande avant d’avoir informé le demandeur de ses doutes et de lui avoir donné une possibilité de les dissiper. Le demandeur ne cite toutefois aucune source à l’appui de son affirmation, ce qui n’est pas étonnant étant donné que la Cour a reconnu que les ressortissants étrangers avaient droit à un degré minimal d’équité procédurale. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des doutes que suscite sa demande ou des lacunes qu’elle comporte, ni de lui offrir une entrevue. Il n’incombe pas non plus à l’agent des visas de prendre des mesures additionnelles pour traiter des préoccupations non réglées [voir Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 aux para 9‑10; Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815 au para 5.

[17] En second lieu, le demandeur affirme que le défendeur a omis et refusé de rendre une décision ou de lui répondre en ce qui concerne sa demande du 14 avril 2020 et que l’agent a omis de prendre en compte la demande du 14 avril 2020 en instance quand il a rendu sa décision quant à la demande du 31 décembre 2020. Je rejette cet argument. Je suis convaincue que les éléments de preuve démontrent qu’une décision a bel et bien été rendue en ce qui concerne la demande du 14 avril 2020 et qu’une lettre de rejet a été envoyée à l’avocat du demandeur le 3 juillet 2020.

[18] En dépit du fait que le demandeur a soutenu à l’audience qu’il incombait au défendeur de fournir une copie du courriel transmettant la lettre de décision datée du 3 juillet 2020 à son avocat, il incombe plutôt au demandeur de démontrer que les affirmations qu’il a formulées dans sa demande – soit qu’aucune décision n’a jamais été rendue quant à la demande du 14 avril 2020 et que son avocat n’a pas reçu la lettre de décision datée du 3 juillet 2020. Il était loisible au demandeur de présenter à la Cour un affidavit de son avocat niant qu’il avait reçu la lettre de décision du 3 juillet 2020 et/ou de contre‑interroger le déposant du défendeur qui a témoigné sous serment que la lettre de décision du 3 juillet 2020 avait été envoyée à l’avocat du demandeur, mais ce dernier n’a fait ni l’un ni l’autre. De plus, la tentative de l’avocat du demandeur de témoigner à ce sujet à l’audience était déplacée, et, pour cette raison, je ne l’ai pas prise en compte.

[19] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré qu’il y a eu le moindre manquement à ses droits en matière d’équité procédurale dans la décision qui a été rendue à l’égard de sa demande du 31 décembre 2020.

B. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[20] Le demandeur affirme ce qui suit : a) L’agent a omis de prendre en compte l’objet de la Politique d’intérêt public, laquelle visait à délivrer des permis de travail aux personnes, comme le demandeur, qui ne pouvaient pas quitter le Canada en raison de la pandémie de COVID‑19; b) Selon les conditions d’admissibilité générale, le demandeur répondait à toutes les conditions requises pour la délivrance du permis de travail demandé, et l’agent a commis une erreur de droit et de fait en établissant que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions relatives à l’obtention d’un visa de résident temporaire au titre du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, puisque la demande était accompagnée des documents pertinents, que les frais de traitement avaient été acquittés et que des explications détaillées avaient été fournies. c) La Politique d’intérêt public n’exige pas que le demandeur demande le rétablissement ni qu’il acquitte les frais de rétablissement et, pour cette raison, le rejet de la demande par l’agent pour ces motifs était déraisonnable; d) L’agent n’a pas pris en compte la Politique d’intérêt public lorsqu’il a rendu sa décision; e) Lorsque le demandeur a présenté sa demande, il disposait d’une offre d’emploi valide et, pour cette raison, il n’avait pas besoin d’une EIMT pour que sa demande de prorogation soit prise en compte.

[21] Pour être admissible à un permis de travail au titre de la Politique d’intérêt public, le demandeur devait notamment démontrer qu’il répondait aux conditions qui suivent : a) disposer d’une EIMT favorable ou d’une offre d’emploi dispensée d’EIMT; b) avoir un statut de visiteur valide au Canada le jour de la demande (le 31 décembre 2020). Je suis convaincue que l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur ne répondait à aucune des exigences mentionnées précédemment.

[22] La demande du 31 décembre 2020 présentée par le demandeur n’était pas accompagnée d’une EIMT favorable. En dépit du fait que le demandeur affirme que son emploi de camionneur est dispensé d’une EIMT, et que seule une offre d’emploi était requise, je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que c’était le cas. Le demandeur n’a cité aucune source étayant son affirmation et n’a pas inscrit le code de dispense de l’EIMT qui s’appliquerait à la position qu’il avance. Pour ce seul motif, l’agent a eu raison de rejeter la demande du demandeur.

[23] De plus, le statut du demandeur au Canada a expiré le 14 mars 2020. Même si le demandeur n’était pas tenu par la Politique d’intérêt public de demander le rétablissement de son permis ou d’acquitter les frais de rétablissement, il n’en devait pas moins, aux termes de la Politique, avoir un statut valide au Canada au moment où il a présenté sa demande au titre de la Politique d’intérêt public. Le demandeur affirme qu’il avait toujours un statut présumé au Canada au moment où il a présenté sa demande au titre de la Politique d’intérêt public, étant donné que sa demande du 14 avril 2020 était toujours en instance. Je ne souscris pas à cette affirmation. Comme il est mentionné précédemment, une décision a été rendue le 3 juillet 2020 par laquelle la demande du 14 avril 2020 présentée par le demandeur était rejetée. C’est pourquoi le demandeur n’avait pas de statut au Canada le 31 décembre 2020 et, par conséquent, l’agent a eu raison de conclure que la demande présentée au titre de la Politique d’intérêt public devait être rejetée pour ce motif supplémentaire.

[24] À la lumière de mes conclusions qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[25] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2246‑21

LA COUR STATUE :

  1. 1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. 2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et aucune n’est soulevée.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2246‑21

INTITULÉ :

ROLAND WEYINMI IGBEDION c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2022

COMPARUTIONS :

Abdul Rahman Kadiri

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo & Associates

Avocats

North York (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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