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Date : 20220406


Dossier : IMM‐3198‐21

Référence : 2022 CF 483

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

MEHRNOOSH BESTAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 avril 2021 par un agent du Haut‐commissariat du Canada à Singapour [la décision]. L’agent a refusé la demande de permis d’études de la demanderesse et a conclu que sa demande ne répondait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], ni à celles du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‐227 [le Règlement].

II. Les faits

[2] La demanderesse est une citoyenne iranienne de 53 ans qui réside en Malaisie depuis 2007 à titre de résidente temporaire. Elle a obtenu sa maîtrise en administration des affaires (MBA) en 2010 et, depuis 2011, elle est responsable du département de marketing international de l’université HELP en Malaisie. En avril 2021, elle a demandé un permis d’études au Canada après avoir été admise au programme de baccalauréat de quatre ans en commerce, gestion des affaires numériques [GAN], du Humber College en Ontario, et à un programme de quatre mois d’anglais langue seconde (ALS) en ligne.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[3] En avril 2021, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour, compte tenu de 1) l’objet de sa visite, 2) ses actifs personnels et sa situation financière, 3) ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, et 4) son statut d’immigrante.

[4] Les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] contiennent la décision de l’agent dans son intégralité :

[traduction]
Femme célibataire de 52 ans; ressortissante iranienne en Malaisie; pour suivre des cours d’ALS pendant 4 mois au Humber College, suivis d’un baccalauréat en commerce débutant en septembre 2021. Elle a obtenu une MBA en 2009. Réside en Malaisie depuis 2007. Responsable du département de marketing international de l’université HELP depuis 2011. Déclare qu’elle doit améliorer ses compétences en raison de l’évolution de la nature de son travail et qu’elle retrouvera son poste actuel par la suite. Cette affirmation est fondée sur les changements technologiques, et la candidate veut suivre le programme de commerce en entier et obtenir un diplôme. Le lien entre ces éléments n’est pas tout à fait clair – elle déclare qu’elle doit apprendre le marketing numérique, mais l’obtention d’un baccalauréat de quatre ans (et plus, incluant le programme d’ALS), en sus du MBA qu’elle détient déjà, semble exagéré par rapport à l’objectif visé. Affirme qu’elle pourra revenir en Malaisie car son employeur parrainera son permis de travail par la suite, mais cela n’est pas acquis. On peut se demander si l’employeur peut raisonnablement s’engager à le faire quatre ans à l’avance (lettre de soutien de l’université HELP mentionnée). La preuve des fonds financiers montre une augmentation rapide du solde, ce qui inclut un certain nombre de dépôts en espèces sur le premier compte indiqué. Le compte bancaire le plus important consiste en un dépôt à terme de 327 000 MYR, qui ne comporte aucun historique de solde et aucune indication sur la durée du terme. Les documents relatifs à l’impôt sur le revenu font état d’un faible salaire, équivalent à environ 25 000 dollars canadiens par an. La candidate a apparemment aussi un prêt immobilier actif, selon les documents à l’appui. La candidate détient un statut temporaire en Malaisie et a quitté son pays de citoyenneté depuis de nombreuses années. Sa cote au IELTS de 6.0, ce qui est faible. La composante ALS des études est discutable, étant donné la disponibilité d’un programme semblable dans le pays de résidence à un coût bien moindre. /// Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu en ce qui concerne les fonds déclarés, ni du fait que la candidate serait véritablement une étudiante au Canada. /// Objet, actifs, liens, statut Imm.

IV. Les questions à trancher

[5] La demanderesse et le défendeur soutiennent tous deux que la seule question à trancher est de savoir si la décision est raisonnable. Cependant, la demanderesse présente de brèves observations à propos de conclusions déguisées sur la crédibilité, ce qui est une question d’équité procédurale. J’examinerai les questions suivantes :

  • a) La décision est‐elle raisonnable?

  • b) L’agent a‐t‐il violé le droit de la demanderesse à l’équité procédurale?

V. La norme de contrôle

A. Norme de la décision raisonnable

[6] À propos de la norme de la décision raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique les éléments requis pour qu’une décision soit raisonnable, de même que les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme du caractère raisonnable :

[31] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[7] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada fait remarquer qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‐ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique », et la Cour prescrit que la cour de révision doit décider à la lumière du dossier dont elle est saisie :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‐ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

[Non souligné dans l’original.]

[8] En outre, l’arrêt Vavilov exige de la cour de révision qu’elle examine si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire aborde de manière significative les questions essentielles :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‐il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

B. Principe d’équité procédurale

[9] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43. Cela dit, je fais remarquer que, dans l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 le juge Stratas indique, au nom de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 69, qu’il peut être opportun de procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte « en se montrant “respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c Conseil canadien de l’industrie du conditionnement physique, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87 au paragraphe 42 ». Voir toutefois Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada, 2018 CAF 69 [motifs du juge Rennie]. À cet égard, je souligne que la Cour d’appel fédérale a conclu dans un récent arrêt que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale est effectué selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motifs du juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc y ont souscrit] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte [...].

[10] Je comprends également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Vavilov, au paragraphe 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‐à‐d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[11] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, la Cour suprême explique ce qu’on attend d’une cour qui procède à une révision selon la norme de la décision correcte :

[50] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VI. Analyse

A. La décision est‐elle raisonnable?

[12] En résumé, il incombe à la personne qui demande un permis d’études de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle quittera le Canada après le séjour autorisé (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 570 [juge Mosley] au para 12). En outre, un demandeur a l’obligation fondamentale de fournir des éléments de preuve suffisants à l’appui d’une demande de permis d’études (De La Cruz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 784 [juge Roy] aux para 8‐12 [Garcia]).

[13] Il est bien établi que les agents des visas sont experts dans l’évaluation des demandes de permis d’études (Garcia, précité, au para 14), et qu’ils doivent bénéficier d’un large pouvoir discrétionnaire d’approuver ou de refuser les demandes de permis d’études (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 [le juge LeBlanc, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale] au para 12). En outre, on doit faire preuve d’une grande retenue face aux décisions des agents des visas, compte tenu de leur expertise particulière (Hakimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 657 [juge Fothergill] au para 20).

(1) Objectif du programme d’études

[14] La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans son examen de l’objectif déclaré de ses études au Canada. La demanderesse a fourni un plan d’étude, des documents justificatifs et les observations de son avocat à l’appui de sa demande. L’objectif de ces études était d’obtenir de nouvelles compétences sur l’environnement numérique, lesquelles n’avaient pas été acquises dans le cadre de son MBA, plus théorique. La demanderesse a également fourni une lettre de son employeur actuel, dans laquelle ce dernier déclare :

[traduction]

Ces dernières années, les nouvelles technologies ont entraîné d’énormes changements dans notre paysage concurrentiel en matière de publicité. Mehrnoosh a décidé de poursuivre des études en gestion des affaires numériques au Canada, ce qui lui permettra d’apprendre, en plus d’améliorer et d’élargir ses connaissances dans ce domaine.

Nous soutenons pleinement Mehrnoosh dans ses études et nous espérons sincèrement qu’elle continuera à travailler à l’Université HELP après l’obtention de son diplôme. Les compétences et les connaissances qu’elle acquerra grâce à ses études au Canada seront très précieuses dans notre lieu de travail, et nous sommes impatients de mettre en pratique à l’université HELP les nouvelles connaissances qu’elle aura obtenues grâce à ses études canadiennes.

[15] L’agent a estimé que son choix de programme n’était [traduction] « pas tout à fait clair », car un programme de quatre ans ajouté au diplôme de MBA qu’elle détient déjà semblait [traduction] « excessif par rapport à l’objectif visé ». Je note, et cela a été convenu lors de l’audience, que la lettre de son employeur n’est pas une offre contraignante de réembauche au retour de la demanderesse après plus de quatre ans hors de la Malaisie. Son employeur ne l’oblige pas non plus à suivre les cours d’ALS ou de GAN au Humber College.

[16] Je reconnais que la demanderesse souhaite suivre ces cours. Cela dit, je ne peux juger déraisonnable l’appréciation de l’agent que ces études supplémentaires sont excessives, en particulier compte tenu de la jurisprudence qui exige que cette Cour s’en remette à l’agent pour peser et évaluer les preuves, en tenant compte de son expérience en matière de demandes de visa.

[17] La question clé est de savoir si cette appréciation est liée à la conclusion de l’agent, à savoir qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. À mon avis, il s’agit d’une conclusion raisonnable et justifiée : le fardeau de la preuve incombe à la demanderesse, et l’agent n’était pas convaincu que l’objectif visé justifiait un programme d’études et un séjour d’une telle longueur au Canada. Je ne suis pas prêt à réévaluer ou à reconsidérer les preuves à cet égard.

(2) Preuves financières et liens à l’extérieur du Canada

[18] En ce qui concerne les preuves de la situation financière et les liens de la demanderesse à l’extérieur du Canada, l’agent déclare :

[traduction]

La preuve des fonds financiers montre une augmentation rapide du solde, ce qui inclut un certain nombre de dépôts en espèces sur le premier compte indiqué. Le compte bancaire le plus important consiste en un dépôt à terme de 327 000 MYR, qui ne comporte aucun historique de solde et aucune indication sur la durée du terme. Les documents relatifs à l’impôt sur le revenu font état d’un faible salaire, équivalent à environ 25 000 dollars canadiens par an. La candidate a un statut temporaire en Malaisie et a quitté son pays de citoyenneté depuis de nombreuses années.

[19] L’agent a émis des réserves concernant la situation financière de la demanderesse, qu’ici encore je ne juge pas déraisonnables. Le compte bancaire principal, qui est le plus important, contient l’équivalent d’environ 99 000 dollars canadiens. Toutefois, rien n’indique la provenance de cet argent, ni s’il s’agissait d’un quelconque prêt à court terme ou d’un quelconque don remboursable. Rien n’indique si ce montant a été recueilli dans le but de satisfaire aux exigences minimales (10 000 $ plus les frais de scolarité pendant 4 ans), ce qui est le cas, ou s’il s’agit d’un héritage. Encore une fois, il incombe à la demanderesse d’établir le bien‐fondé de sa demande. À mon avis, ces questions auraient dû être anticipées et traitées. L’agent a légitimement souligné une omission dans cette demande.

[20] Cela dit, une fois encore, la question clé est de savoir si l’appréciation raisonnable de la situation financière par l’agent est liée à sa conclusion, savoir qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. Il ne fait aucun doute, et les parties en conviennent, que la demanderesse avait l’obligation d’attester de fonds suffisants pour couvrir ses frais de scolarité pour chaque année qu’elle aurait passée ici, ce qui dépendait entièrement du compte bancaire principal. Compte tenu de l’absence de détails essentiels, la conclusion de l’agent me semble raisonnable, et je crois qu’elle l’est, car si la demanderesse venait à manquer d’argent plus tôt, la question de savoir si elle resterait ou partirait serait toujours ouverte. J’ajouterais que cette considération est également pertinente pour ce qui est apparemment une exigence distincte et supplémentaire, à savoir si la demanderesse possède les moyens financiers de payer ses frais de scolarité et de subsistance pendant toute la durée de son séjour.

(3) Statut d’immigrante en Malaisie

[21] La demanderesse a conservé un statut valide en Malaisie depuis 2007 et peut prétendre à un visa à long terme dans le cadre du programme « Malaysia My Second Home » (MM2H), programme qui était toutefois temporairement suspendu au moment où elle a présenté sa demande de permis d’études. La demanderesse n’a exprimé aucun désir de retourner en Iran; en fait, elle cherche à s’améliorer et à s’offrir un meilleur avenir, ce qui n’est pas possible dans son pays de nationalité. Il importe de noter que son statut en Malaisie est renouvelable, de sorte qu’au bout de quatre ans ou plus passés au Canada, elle pourrait ne plus avoir de statut en Malaisie et se voir obligée de retourner en Iran, où, semble‐t‐il, elle n’a aucun intérêt à revenir. Le défendeur soutient, et je suis de son avis, que l’agent a évalué le statut de la demanderesse en Malaisie comme étant temporaire parce que le programme MM2H était suspendu au moment de sa demande, ce qui rend cet aspect de la décision raisonnable. Compte tenu des déclarations de la demanderesse et de son absence de résidence en Iran depuis 15 ans, il n’y avait aucune raison pour l’agent d’évaluer la possibilité qu’elle retourne en Iran. Cette conclusion est, à mon avis, raisonnablement liée à la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de ses études.

(4) Compétences linguistiques et programmes d’ALS au Canada

[22] La demanderesse soutient que l’agent [traduction] « semble être sceptique quant à l’objectif du programme d’études proposé pour l’ALS, étant donné que des programmes semblables sont disponibles dans le pays ». La demanderesse soutient que les avantages linguistiques qui l’ont incitée à choisir le programme du Humber College doivent être examinés par rapport 1) aux années passées en immersion dans une région anglophone du Canada, ce qui ne peut être substitué par un cours local d’ALS, et 2) au fait que les avantages linguistiques du programme sont étroitement liés à l’apprentissage du contenu principal du cours du programme de GAN, donné en anglais. L’agent a déclaré que [traduction] « [l]a composante ALS des études est discutable, étant donné la disponibilité d’un programme semblable dans le pays à bien moindre coût ».

[23] Le défendeur soutient, et je suis de son avis, qu’il était justifié qu’un agent tienne compte, lors de l’évaluation des demandes de permis d’études, de la disponibilité de programmes semblables; voir par exemple Cayanga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1046 [le juge Boswell]; Yue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 289 [le juge Phelan].

B. Est‐ce que l’agent a enfreint les droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale?

[24] Dans son mémoire, la demanderesse mentionne brièvement que si l’agent estimait que l’objectif déclaré n’était pas crédible, ou s’il se demandait si elle avait réellement présenté les raisons du programme sélectionné, il lui était loisible de le mentionner. Elle soutient que l’absence d’analyse de l’objectif qu’elle a déclaré et des documents à l’appui donne à penser que l’agent a tiré une conclusion déguisée sur la crédibilité, et que lorsqu’un agent a des doutes sur l’authenticité d’une demande de résidence temporaire fondée sur la crédibilité, il doit donner au demandeur l’occasion d’y répondre (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 [le juge Diner] au para 10).

[25] Sur ce point, le défendeur fait valoir que [traduction] « l’agent n’était pas tenu de questionner la demanderesse ou de lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées par l’insuffisance de la preuve dans sa demande » (Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068 [le juge Gascon] au para 35), et que l’agent [traduction] « a le droit de se fonder sur l’insuffisance de la preuve sans tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité » (Masasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 [la juge Walker]).

[26] Comme expliqué précédemment, les conclusions de l’agent sont raisonnables. Rien n’oblige à donner un compte rendu; il incombait à la demanderesse de fournir une demande correcte. L’agent entretenait des doutes raisonnables sur les quatre points mentionnés précédemment, en particulier sur l’adéquation des renseignements fournis concernant le compte bancaire principal, dont il a été question ci‐dessus.

[27] À mon avis, l’agent n’était pas tenu de donner à la demanderesse l’occasion de répondre, si on garde à l’esprit que l’équité procédurale due aux demandeurs de visa et de permis d’études se situe à l’extrémité inférieure du registre.

VII. Conclusion

[28] Bien humblement, je crois que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que la décision de l’agent n’était pas raisonnable. Selon moi, la décision est transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et du droit sur lesquels le décideur s’est fondé. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

VIII. Question à certifier

[29] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐3198‐21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Claude Leclerc]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐3198‐21

 

INTITULÉ :

MEHRNOOSH BESTAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

Le 6 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Rylee Raeburn‐Gibson

POUR LA DEMANDERESSE

Maria Burgos

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell

LLP

Migration Law Chambers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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