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Date : 20220518


Dossier : T‐277‐22

Référence : 2022 CF 732

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 mai 2022

En présence du juge responsable de la gestion de l’instance, Trent Horne

ENTRE :

JOHN TURMEL

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur conteste la constitutionnalité des mesures d’atténuation de la COVID‐19 prises par le gouvernement fédéral. Il s’agit de la deuxième action que le demandeur intente en ce sens. La déclaration qu’il avait présentée en lien avec sa première action a été radiée, sans autorisation de la modifier. L’appel de cette décision a été rejeté; un autre appel est en instance.

[2] La défenderesse a déposé une requête en radiation de la déclaration en lien avec la présente instance, au motif qu’elle constitue un abus de procédure et qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable. Pour les motifs exposés ci‐après, la requête sera accueillie.

II. Le contexte

[3] Le 19 janvier 2021, le demandeur a déposé une déclaration à laquelle le numéro de dossier T‐130‐21 a été attribué (la « première déclaration »). De façon générale, le demandeur affirmait, dans la première déclaration, que toutes les mesures d’atténuation de la COVID‐19 prises par le gouvernement du Canada sont arbitraires et déraisonnables et qu’elles portent atteinte aux droits que garantissent les articles 2, 6, 7, 8, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‐U), 1982, c 11 (« la Charte »).

[4] En plus de déposer sa propre déclaration, le demandeur a publié sur Internet une « trousse pour la préparation d’une déclaration » qu’il a mise à la disposition de quiconque souhaitait présenter sa propre déclaration. Environ 75 autres actions ont été intentées, toutes presque identiques à celle intentée dans le dossier T‐130‐21.

[5] La défenderesse a déposé une requête en radiation de la première déclaration et, à titre subsidiaire, une requête en cautionnement pour dépens. Conformément à une ordonnance rendue le 8 avril 2021, les actions inspirées de la « trousse pour la préparation d’une déclaration » ont été suspendues en attendant que l’action intentée dans le dossier T‐130-21 ainsi que tout appel soient tranchés en dernier ressort.

[6] La protonotaire Aylen (maintenant juge à la Cour fédérale) a radié la première déclaration, sans autorisation de la modifier. Dans une décision du 12 juillet 2021, non publiée, la protonotaire Aylen a minutieusement examiné la première déclaration et a conclu que le demandeur n’y avait pas exposé les faits substantiels nécessaires pour prouver les éléments essentiels des violations précises alléguées de la Charte et qu’il n’avait pas formulé d’allégations ou de précisions quant à la manière dont les droits que lui garantit la Charte avaient été violés (au para 25). La déclaration a été radiée parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action, plus particulièrement parce qu’elle contenait de simples affirmations au sujet de violations de la Charte et n’exposait pas de faits substantiels suffisants pour que soit respecté le critère applicable à chacun des droits garantis par la Charte qui auraient été violés (au para 28). La première déclaration a également été radiée au motif qu’elle constituait un abus de procédure, car elle ne contenait que de simples affirmations qui n’étaient pas étayées par les faits substantiels nécessaires, et la défenderesse ne pouvait pas savoir comment y répondre. La protonotaire Aylen a également conclu que la déclaration regorgeait de longues diatribes et présentait des allégations scandaleuses et extrêmes qui étaient sans fondement, notamment des allégations de dissimulations et de complots. Étant donné la nature de ces vices, et parce que le demandeur n’avait pas laissé entendre que sa déclaration pourrait être corrigée au moyen d’une modification, la déclaration a été radiée sans autorisation de la modifier (aux para 29‐30).

[7] La décision de la protonotaire Aylen a été confirmée en appel (Turmel c Canada, 2021 CF 1095). Le demandeur a interjeté un autre appel (dossier de la Cour d’appel fédérale no A‐286‐21) le 27 octobre 2021. Cet appel est toujours en instance. Une demande d’audience a été déposée; aucune date d’audience n’a été fixée.

III. La deuxième déclaration

[8] Alors que l’appel qu’il avait interjeté devant la Cour d’appel fédérale était en instance, le demandeur a présenté la déclaration en l’espèce (la « deuxième déclaration »). La grande distinction entre la première déclaration et la deuxième réside dans le fait que, dans la deuxième déclaration, le demandeur conteste précisément la décision du 15 janvier 2022 par laquelle le ministre des Transports a pris l’Arrêté d’urgence no 52 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‐19 (« l’arrêté d’urgence no 52 »). Dans sa deuxième déclaration, le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que certaines dispositions de cet arrêté d’urgence portent atteinte aux droits que lui confère l’article 6 de la Charte, et que ces atteintes ne peuvent se justifier au regard de l’article premier de la Charte.

[9] Hormis cette distinction, la deuxième déclaration est essentiellement identique à la première, quoique plus longue (168 et 130 paragraphes, respectivement). Outre le fait que le demandeur précise qu’il sollicite un jugement déclaratoire à l’égard d’une décision en particulier, les paragraphes 1 à 124 de la deuxième déclaration sont essentiellement les mêmes que ceux de la première déclaration. La deuxième déclaration contient les mêmes longues diatribes et les mêmes allégations non fondées de dissimulations et de complots que celles formulées dans la première déclaration.

[10] Les paragraphes 125 à 168 de la deuxième déclaration sont nouveaux, mais ils sont rédigés de façon tout aussi décousue que le reste de cette déclaration et que la première déclaration. En plus d’affirmer également dans sa deuxième déclaration que les vaccins contre la COVID‐19 causent la formation de caillots sanguins, entraînent des problèmes cardiaques et sont par ailleurs inefficaces, le demandeur s’adonne à la poésie au paragraphe 157 :

[traduction]

Auriez‐vous accepté le vaccin si, à M. Trudeau, le procureur Wong avait dit

que le taux de mortalité due à la COVID avait été amplifié plus qu’au centuple?

Auriez‐vous accepté le vaccin si le juge Crampton nous avait dit

que des pommes avaient été comparées à des oranges pour amplifier le taux de mortalité au centuple?

Auriez‐vous accepté ce vaccin causant la formation de caillots sanguins si la juge Aylen avait dit :

Attention! Par rapport à l’IFR, le CFR a été amplifié au centuple!

Auriez‐vous accepté le vaccin si le juge Zinn nous avait tous dit

que le fait de comparer des pommes et des oranges avait amplifié la menace au centuple?

Auriez‐vous accepté le vaccin si Randy Hillier vous avait dit...

Auriez‐vous accepté ce vaccin causant la formation de caillots sanguins si Maxime Bernier vous avait dit...

Auriez‐vous accepté le vaccin si les députés provinciaux nous avaient tous dit...

Auriez‐vous accepté le vaccin si ceux qui savaient nous avaient dit...

IV. La deuxième déclaration constitue un abus de procédure

[11] La notion d’abus de procédure vise essentiellement à préserver l’intégrité de la fonction judiciaire. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63, il n’est pas permis d’attaquer un jugement en tentant de soulever de nouveau la question devant une autre instance (au para 46).

[12] Dans sa première déclaration, le demandeur contestait toutes les mesures d’atténuation de la COVID‐19 prises par le gouvernement fédéral, ce qui comprenait nécessairement les restrictions de voyage qu’il conteste dans sa deuxième déclaration. Tant dans sa première déclaration que dans sa deuxième déclaration, le demandeur allègue que les droits qui lui sont garantis par l’article 6 de la Charte ont été violés. Je suis donc d’accord avec la défenderesse qu’il est inapproprié et abusif de la part du demandeur de présenter une nouvelle déclaration alors qu’il a interjeté appel de la décision de radier sa première déclaration sans autorisation de la modifier. La deuxième déclaration devrait être radiée pour ce seul motif.

V. Le droit applicable aux requêtes en radiation

[13] Les principes juridiques qui s’appliquent aux requêtes en radiation sont bien connus. Pour radier un acte de procédure, il faut qu’il soit évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable. Il faut qu’il soit évident et manifeste qu’en raison d’un vice fondamental, l’action n’a aucune chance d’être accueillie (R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45 au para 17).

[14] Il incombe au demandeur de plaider les faits qui constituent le fondement de sa demande ainsi que la mesure sollicitée. Ces faits sont le fondement en fonction duquel la Cour va évaluer si une demande peut être accueillie. Le demandeur doit énoncer avec suffisamment de précision les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevés (Pelletier c Canada, 2016 CF 1356 aux para 8, 10).

[15] Pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit : a) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; b) indiquer la nature de l’action qui doit se fonder sur ces faits; c) préciser la mesure sollicitée qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit avoir la compétence d’accorder (Oleynik c Canada (Procureur général), 2014 CF 896 au para 5).

[16] Pour démontrer qu’il a une cause d’action valable, le demandeur doit soulever dans sa déclaration les faits substantiels qui satisfont à tous les éléments constitutifs des causes d’action alléguées. Le demandeur doit expliquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » sa responsabilité a été engagée (Al Omani c Canada, 2017 CF 786 au para 14 (« Al Omani »)).

[17] Dans une requête en radiation, les actes de procédure doivent être interprétés de manière aussi libérale que possible, et la Cour doit être encline à permettre l’instruction de toute demande inédite, mais défendable (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 au para 19).

VI. Les règles relatives aux actes de procédure

[18] L’article 174 des Règles exige que l’acte de procédure contienne un exposé concis des faits substantiels. Ainsi, l’acte de procédure doit satisfaire aux quatre exigences fondamentales suivantes :

  • a)exposer des faits et non pas simplement des conclusions de droit ou des arguments;

  • b)exposer avec suffisamment de précision des faits substantiels qui satisfont à chaque élément de la cause d’action;

  • c)exposer des faits, et non les éléments de preuve qui serviront à étayer ces faits;

  • d)énoncer les faits avec concision.

(Carten c Canada, 2009 CF 1233 au para 36)

[19] Les actes de procédure jouent un rôle important pour ce qui est d’aviser les intéressés et de définir les questions à trancher, et la Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action (Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‐être social), 2015 CAF 227 au para 16 (« Mancuso »)).

[20] Les actions fondées sur la Charte ne déclenchent pas l’application de règles spéciales à l’égard des requêtes en radiation; l’exigence prévoyant qu’un acte de procédure doit contenir des faits substantiels s’applique toujours. La Cour suprême du Canada a défini par sa jurisprudence l’essence de chaque droit garanti par la Charte, et le demandeur est tenu d’alléguer des faits substantiels suffisants pour répondre au critère applicable à la disposition en cause. Il ne s’agit pas d’une simple formalité, « au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte » (Mancuso, au para 21).

[21] L’article 6 de la Charte prévoit deux catégories de droits : la liberté de circulation et la liberté d’établissement. Le paragraphe 6(1) dispose que tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir, et les paragraphes 6(2) à 6(4) prévoient que tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent ont le droit de se déplacer, d’établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, sous réserve de certaines restrictions (Divito c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47 au para 17 (« Divito »)).

VII. Le contexte réglementaire

[22] L’arrêté d’urgence no 52 a été pris le 15 janvier 2022 en vertu du paragraphe 6.41(1) de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A‐2. Il a été abrogé et remplacé par un nouvel arrêté ministériel le 28 janvier 2022 (Arrêté d’urgence no 53 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‐19 (« l’arrêté d’urgence no 53 »)). Les dispositions de l’arrêté ministériel le plus récent – l’Arrêté d’urgence no 62 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID‐19 (« l’arrêté d’urgence no 62 ») – sont similaires à celles des arrêtés d’urgence nos 52 et 53.

[23] Le paragraphe 17.3(1) de l’arrêté d’urgence no 62 énonce les mêmes exigences de vaccination applicables aux voyageurs aériens au départ d’un aérodrome du Canada que celles formulées dans les arrêtés d’urgence nos 52 et 53 : Il est interdit à toute personne de monter à bord d’un aéronef pour un vol ou d’accéder à une zone réglementée sauf si elle est une personne entièrement vaccinée.

[24] Bien qu’il existe une exigence générale selon laquelle une personne doit être vaccinée pour pouvoir monter à bord d’un aéronef, plusieurs exceptions à cette règle sont prévues au paragraphe 17.3(2) de l’arrêté d’urgence no 62. Ainsi, cette exigence ne s’applique pas aux personnes qui :

  • a)ne peuvent pas être vaccinées pour des raisons médicales;

  • b)s’opposent à la vaccination en raison d’une croyance religieuse sincère;

  • c)voyagent pour obtenir des services ou des traitements médicaux essentiels;

  • d)accompagnent une personne mineure à un rendez‐vous visant l’obtention de services ou de traitements médicaux essentiels, une personne handicapée ou une personne qui a besoin d’aide pour communiquer;

  • e)voyagent à des fins autres que de nature optionnelle ou discrétionnaire.

[25] Dans ces cas, les passagers qui se sont vu reconnaître le droit d’être exemptés de cette exigence générale doivent fournir une preuve d’un résultat valide à un test moléculaire de dépistage de la COVID‐19 pour être autorisés à monter à bord d’un aéronef (art 17.3(2)).

VIII. La deuxième déclaration

[26] Bien que la deuxième déclaration précise qu’une seule décision ou des arrêtés d’urgence précis sont contestés, elle comporte les mêmes vices fatals que la première déclaration. À l’instar de la déclaration qui l’a précédée, la deuxième déclaration contient de simples affirmations au sujet de violations de la Charte et n’expose pas des faits substantiels suffisants pour satisfaire au critère applicable à chacun des droits garantis par la Charte qui auraient été violés. Le demandeur ne soutient même pas qu’il a l’intention de prendre un vol en partance du Canada.

[27] Le demandeur a indiqué qu’il n’est pas visé par les exemptions prévues à l’article 17.3 de l’arrêté d’urgence no 52 (deuxième déclaration, au para 144). Toutefois, pour étayer cette affirmation, il n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir qu’il n’aurait pas le droit d’être exempté des exigences de cet arrêté d’urgence, que le fait de devoir demander une exemption pour des motifs précis porte atteinte aux droits que lui confère la Charte ou que les exemptions actuellement prévues sont inconstitutionnellement vagues ou limitées.

[28] La Cour a été appelée à examiner un cas semblable dans l’affaire Zbarsky c Canada, 2022 CF 195 (« Zbarsky »). Dans cette affaire, le demandeur a intenté une action dans laquelle il alléguait que les exigences de vaccination contre la COVID‐19 du gouvernement du Canada applicables aux passagers effectuant des voyages aériens internationaux portaient atteinte aux droits que lui garantit la Charte. Il sollicitait entre autres une ordonnance l’exemptant de ces exigences afin qu’il puisse continuer de prendre part à des travaux de développement au Guatemala et au Mexique.

[29] Dans la décision Zbarsky, le juge Norris a accueilli une requête en radiation de la déclaration, sans autorisation de la modifier. Après avoir examiné les vices fatals que contenait la déclaration, le juge Norris a déclaré ce qui suit :

[34] Les exigences actuellement en vigueur imposent une obligation générale selon laquelle les personnes qui montent à bord d’un aéronef doivent être vaccinées, mais elles prévoient aussi plusieurs exceptions qui s’appliquent notamment aux personnes qui voyagent pour obtenir des services ou des traitements médicaux essentiels, qui effectuent un voyage d’urgence, qui ne peuvent pas être vaccinées pour des raisons médicales et qui s’opposent à la vaccination en raison d’une croyance religieuse sincère : voir le paragraphe 17.3(2) de l’arrêté d’urgence no 54. Dans ces cas, les passagers qui se sont vu reconnaître le droit d’être exemptés de ces exigences doivent fournir une preuve d’un résultat valide à un test moléculaire de dépistage de la COVID‐19 pour être autorisés à monter à bord d’un aéronef.

[35] Compte tenu de ce qui précède, les exigences plus rigoureuses relatives à la vaccination actuellement en vigueur n’empêchent pas M. Zbarsky de prendre un vol international en partance du Canada simplement parce qu’il refuse de se faire vacciner. Tout au plus lui imposent‐elles une obligation conditionnelle : si M. Zbarsky souhaite prendre un vol international en partance du Canada et qu’il n’est pas visé par une exemption, alors seulement doit‐il être entièrement vacciné. Quoi qu’il en soit, aucune restriction de cette nature ne pèserait sur lui s’il décidait de revenir au Canada : voir les articles 11 à 17 de l’arrêté d’urgence no 54. M. Zbarsky n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir que les droits que lui garantit la Charte entrent même en jeu en l’espèce.

[36] En outre, même si les droits que lui garantit la Charte entraient en jeu, M. Zbarsky n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir que les exigences relatives à la vaccination portent atteinte à ces droits. Encore une fois, à supposer, aux fins de l’argumentation, que la déclaration puisse être modifiée pour faire référence aux exigences relatives à la vaccination actuellement en vigueur, M. Zbarsky n’a présenté aucun fait substantiel permettant d’établir qu’il n’aurait pas le droit d’être exempté de ces exigences, que le fait de devoir demander une exemption pour des motifs précis porte atteinte aux droits que lui confère la Charte ou que les exemptions actuellement prévues sont inconstitutionnellement vagues ou limitées. Les allégations de violation de la Charte soulevées par M. Zbarsky ne reposent que sur des suppositions. Toujours est‐il que M. Zbarsky n’a pas énoncé les éléments constitutifs des critères juridiques permettant de décider si les droits que lui garantit l’article 2, le paragraphe 6(1) ou l’article 7 de la Charte ont été violés et, si tel est le cas, de déterminer la réparation juridique à laquelle il a droit. En bref, il n’a pas énoncé, ne serait‐ce que sommairement, les éléments constitutifs des moyens de droit qu’il soulève. En raison de toutes ces lacunes, la défenderesse n’est pas en mesure de savoir comment répondre à la déclaration.

[En italique dans l’original.]

[30] La même analyse s’applique en l’espèce. Au mieux, la deuxième déclaration fait état de violations hypothétiques de droits garantis par la Charte. Elle n’expose pas les faits substantiels nécessaires pour prouver les éléments essentiels d’une demande fondée sur l’article 6 de la Charte. Dans la deuxième déclaration, le demandeur n’allègue pas qu’il a lui‐même été empêché d’entrer au Canada, d’y demeurer ou d’en sortir. Il n’affirme pas qu’il a l’intention de voyager à l’étranger ou au pays durant la période visée ni qu’il a l’intention de le faire dans un avenir rapproché.

[31] En outre, dans la deuxième déclaration, le demandeur ne soutient pas qu’il a lui‐même été empêché de se déplacer, d’établir sa résidence ou de gagner sa vie dans une autre province canadienne. Même si l’article 6 de la Charte lui confère le droit de voyager au Canada, le demandeur n’explique pas, dans sa deuxième déclaration, pourquoi il doit prendre l’avion et pourquoi il ne peut pas utiliser d’autres moyens de transport auxquels l’arrêté d’urgence contesté ne s’applique pas.

[32] Je conclus donc que, en plus de constituer un abus de procédure, la deuxième déclaration ne révèle aucune cause d’action valable. Elle doit être radiée.

[33] Le pouvoir de radier un acte de procédure sans autorisation de le modifier doit être exercé avec prudence. Si une déclaration fait état d’un semblant de cause d’action, elle ne sera pas radiée si elle peut être corrigée par une modification (Al Omani, aux para 32‐35).

[34] Le demandeur a présenté de longues observations en réponse à la requête, mais elles ne répondaient guère aux questions juridiques de fond soulevées par la défenderesse. Dans ses observations écrites, le demandeur met l’accent sur certaines des données et des statistiques fournies dans sa déclaration qui, selon lui, sont des faits pouvant être établis et non des allégations. Que ces faits puissent être établis ou non, ils ne sont pas suffisants pour compenser la lacune fondamentale que comporte la déclaration, à savoir que le demandeur n’a pas indiqué qu’il était personnellement visé par les mesures prévues dans l’arrêté d’urgence contesté et qu’il n’a pas établi que les droits que lui confère la Charte avaient été violés.

[35] Dans ses observations écrites, le demandeur précise qu’il souhaite rendre visite à un membre de sa famille au Québec. Il reconnaît qu’il n’est pas nécessaire qu’il prenne l’avion pour se rendre de l’Ontario au Québec et qu’il peut utiliser d’autres moyens de transport (comme l’automobile). La préférence du demandeur de prendre l’avion (plutôt que l’automobile) pour un voyage d’agrément au Canada n’est pas un droit constitutionnellement protégé (Divito). Même si de tels voyages d’agrément constituaient un droit constitutionnel, l’expression d’un intérêt général à voyager d’une province à l’autre n’est pas un argument suffisant pour étayer l’existence d’une violation des droits garantis par l’article 6 de la Charte.

[36] Le demandeur fait également référence à des demandes de contrôle judiciaire présentées par d’autres parties qui visaient elles aussi à contester l’arrêté d’urgence no 52 (T‐168‐22 et T‐247‐22). Le fait que ces demandes aient été instruites par la Cour et qu’elles n’ont pas fait l’objet de requêtes en radiation n’est d’aucune utilité au demandeur. L’existence d’autres demandes qui sollicitent la même mesure ou une mesure similaire ne donne pas au demandeur le droit de présenter et d’étayer une demande qui n’engage pas le respect du critère applicable aux violations des droits garantis par la Charte et qui ne respecte par ailleurs pas les règles relatives aux actes de procédure. La protonotaire Aylen a dû trancher une question similaire lorsqu’elle a ordonné la radiation de la première déclaration. Dans sa première déclaration, le demandeur affirmait que les autres personnes qui s’étaient servies de sa « trousse pour la préparation d’une déclaration » pour intenter leur propre action avaient peut‐être énoncé des faits substantiels sur lesquels il pourrait s’appuyer pour intenter une action. Cet argument a été sommairement rejeté; le demandeur ne pouvait pas invoquer des faits se rapportant à d’autres demandeurs pour étayer ses propres allégations de violation de la Charte (au para 27). En l’espèce, le demandeur ne peut pas, pour compenser les nombreuses lacunes que comporte sa propre action, s’appuyer sur la manière dont d’autres parties ont articulé les actes de procédure qu’elles ont présentés dans des instances distinctes.

[37] Au vu des documents déposés en lien avec la requête, je suis convaincu que le demandeur n’est ni disposé à corriger les vices que comporte sa déclaration ni en mesure de le faire. Je m’abstiens donc d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’autoriser le demandeur à modifier sa déclaration.

IX. La requête en cautionnement pour dépens

[38] Puisque j’ai conclu que la déclaration devrait être radiée sans autorisation de la modifier, je n’ai pas à examiner la requête subsidiaire en cautionnement pour dépens qu’a déposée la défenderesse. S’il m’avait fallu examiner cette requête, j’aurais été enclin à rendre une ordonnance de cautionnement à tout le moins pour les dépens que demandait la défenderesse, étant donné que le demandeur n’a pas payé de nombreux autres dépens qui avaient été adjugés et qu’il n’a pas fait la preuve de son indigence.

X. Les dépens

[39] La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir (Règles des Cours fédérales, art 400(1)).

[40] La défenderesse a entièrement gain de cause et a droit aux dépens. Elle demande la somme de 2 000 $. Bien qu’elle n’ait pas été présentée de cette façon, la somme demandée correspond environ à la somme qui serait adjugée selon la fourchette supérieure de la colonne V du tarif pour les requêtes contestées. J’estime que cette somme est raisonnable dans les circonstances. Si la défenderesse avait demandé une somme plus élevée, elle lui aurait été adjugée.


JUGEMENT dans le dossier T‐277‐22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La déclaration est radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

2. La défenderesse a droit aux dépens de la requête et de l’action, fixés à 2 000 $ et payables immédiatement.

« Trent Horne »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Karyne St-Onge, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐277‐22

 

INTITULÉ :

JOHN TURMEL c SA MAJESTÉ LA REINE

 

AFFAIRE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO) SANS COMPARUTION DES PARTIES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RESPONSABLE DE LA GESTION DE L’INSTANCE, TRENT HORNE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

John Turmel

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Benjamin Wong

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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