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Date : 20220527


Dossier : IMM-2440-20

Référence : 2022 CF 778

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SHAHIL ALIMAHAMAD VAHORA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Vahora, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision prise le 16 avril 2020 par un agent des visas du haut-commissariat du Canada à New Delhi [l’agent principal]. L’agent principal a rejeté la demande de permis de travail temporaire de M. Vahora, au motif que ce dernier n’avait pas répondu de façon véridique à toutes les questions qui lui avaient été posées. Plus précisément, l’agent principal a conclu que M. Vahora avait omis de divulguer, dans son formulaire de demande, qu’on lui avait déjà refusé des visas aux États-Unis. L’agent principal a également conclu que ses préoccupations quant à cette omission n’étaient pas dissipées par l’explication donnée par le demandeur. L’agent principal a ensuite déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] Les motifs de l’agent principal sont brefs, comme c’est habituellement le cas pour les demandes de permis de travail, et comportent un libellé standard utilisé dans d’autres décisions semblables. Toutefois, comme il est expliqué ci-après, les motifs de l’agent principal indiquent que les éléments de preuve ont été pris en compte et que la décision est suffisamment transparente, intelligible et justifiée.

I. Contexte

[3] M. Vahora est citoyen de l’Inde. Le 2 novembre 2019, il a présenté une demande de permis de travail temporaire afin de venir au Canada à titre de propriétaire et d’exploitant de sa propre entreprise, Match-Tech Structural Consultant Ltd., établie à Surrey, en Colombie-Britannique.

[4] Dans son formulaire de demande, M. Vahora a répondu « non » à la question suivante : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » Comme le montrent les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], un agent chargé d’examiner la demande de M. Vahora a conclu que cette réponse était fausse et que M. Vahora avait omis de mentionner que les États-Unis lui avaient déjà refusé deux visas.

[5] Le 2 janvier 2020, l’agent a envoyé une lettre d’équité procédurale à M. Vahora, soulignant que ce dernier n’avait pas dit la vérité au sujet de ses visas refusés dans le passé. Dans cette même lettre, l’agent a demandé à M. Vahora [TRADUCTION] « [d’e]xpliquer pourquoi ces renseignements n’avaient pas été fournis et [de] transmettre des copies des documents [qu’il détenait] à l’appui de [sa] réponse, ce qui peut comprendre des copies des lettres de refus ou d’autres communications ».

[6] M. Vahora a répondu au moyen d’une lettre, dans laquelle il présente ses excuses et déclare que l’omission de l’information découlait d’une [TRADUCTION] « erreur humaine commise de bonne foi ». Il a ensuite révélé qu’il s’était vu refuser un visa d’étudiant au Royaume-Uni en 2004, qu’il avait par la suite obtenu un visa d’étudiant du Royaume-Uni en 2006 et que les États-Unis avaient rejeté ses deux demandes de visas de visiteur pour affaires en 2015 et en 2016. M. Vahora a transmis des lettres indiquant que les visas américains avaient été refusés au motif qu’il n’avait pas démontré, à la satisfaction des autorités américaines de l’immigration, qu’il entretenait des liens suffisants en Inde pour l’inciter à y retourner après son voyage. M. Vahora a également déposé une lettre de son avocat, mentionnant que c’était de bonne foi et sans intention de tromper qu’il avait omis ces renseignements, puisqu’il demandait la [TRADUCTION] « clémence ».


 

II. La décision

[7] La lettre datée du 16 avril 2020 et les notes du SMGC fournissent les motifs de la décision. La lettre informe M. Vahora que sa demande de permis de travail temporaire est rejetée. Elle mentionne par ailleurs que l’agent n’est pas convaincu que M. Vahora a répondu véridiquement à toutes les questions posées. La lettre avise M. Vahora qu’il est interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, et qu’il demeurera interdit de territoire pendant cinq ans, en application de l’alinéa 40(2)a) de la Loi.

[8] Selon les notes du SMGC, le premier agent qui a examiné la demande de M. Vahora et envoyé la lettre d’équité procédurale a tenu compte des observations que M. Vahora a communiquées dans sa lettre de réponse. Voici un extrait des notes du premier agent :

[traduction]
En réponse à la [lettre d’équité procédurale], le demandeur principal déclare qu’il a répondu non par erreur à la question [obligatoire]. Le demandeur principal affirme s’être fait refuser deux permis d’études au Royaume-Uni et deux visas pour affaires aux États-Unis. À la lumière des renseignements au dossier et de la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale, je suis d’avis que le demandeur principal a choisi de ne pas divulguer des renseignements concernant son refus et que la présentation erronée ou l’omission de ce fait important risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Je transmets cette demande à l’agent principal afin que soit mené un examen plus approfondi des fausses déclarations.

[9] Les notes du SMGC comprennent celles de l’agent principal (celui qui a mené l’examen plus approfondi de la demande). Il y est écrit que l’agent principal a [TRADUCTION] « examiné la demande, les documents à l’appui et les notes en lien avec la demande », qu’une lettre d’équité procédurale a été envoyée et qu’il y a eu réponse. Voici un extrait des notes de l’agent principal dans le SMGC :

[traduction]
Le demandeur a répondu à la lettre, mais il n’a pas réussi à dissiper mes doutes quant aux préoccupations soulevées. À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’a pas été honnête dans son formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États-Unis. Cette situation aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi et du Règlement puisqu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada. Je suis donc d’avis que le demandeur est interdit de territoire au Canada en application de l’article 40 de la Loi.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[10] La norme de contrôle applicable à la décision de refuser un permis de travail et à la conclusion d’interdiction de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) — une décision de fait — est celle de la décision raisonnable : Bains c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 57 au para 49; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16–17 [Vavilov]. En l’espèce, la Cour est appelée à se prononcer sur la seule question de savoir si la décision de l’agent principal était raisonnable.

[11] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105-07). La Cour n’évalue pas les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91). La cour de révision doit être convaincue que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[12] Dans le contexte des décisions relatives aux permis de travail et aux demandes semblables, compte tenu du volume de demandes et de la nécessité de traiter les demandes en temps opportun, il est entendu que les motifs sont nécessairement et habituellement brefs (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 aux para 15 et 17 [Patel]); néanmoins, les motifs doivent permettre à la Cour, d’une part, de comprendre pourquoi la demande a été rejetée et, d’autre part, d’établir si la conclusion fait partie des issues raisonnables.

IV. Les observations du demandeur

[13] M. Vahora soutient que l’agent principal qui a pris la décision s’est appuyé uniquement sur les notes du premier agent chargé d’examiner la demande. M. Vahora soutient également que l’agent principal n’a pas tenu compte de la réponse qu’il a fournie à la lettre d’équité procédurale. M. Vahora souligne que les notes de l’agent principal dans le SMGC ne parlent que de la demande, des documents à l’appui et des notes au dossier — sans mentionner sa réponse. M. Vahora soutient qu’on ne peut pas présumer que l’agent principal a tenu compte de sa réponse. M. Vahora ajoute que l’obligation d’équité procédurale comprend non seulement la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent principal, ce qu’il a fait, mais aussi que sa réponse soit prise en compte, ce que, selon lui, l’agent principal n’a pas fait.

[14] M. Vahora ajoute que l’agent principal n’a pas suivi les lignes directrices pertinentes en matière de politique, selon lesquelles il faut soigneusement évaluer les renseignements fournis en réponse à une lettre d’équité procédurale.

[15] M. Vahora soutient en outre que l’agent principal a tiré une conclusion sans analyse ni explication de la raison pour laquelle sa réponse — que son omission était attribuable à une erreur humaine — n’a pas dissipé les préoccupations soulevées. M. Vahora soutient que l’agent principal devait analyser la réponse à la lettre d’équité procédurale et les documents joints, par exemple, pour évaluer les raisons liées aux deux visas américains qui faisaient partie de l’explication qu’il avait fournie.

[16] M. Vahora soutient que les conséquences graves d’une conclusion de fausses déclarations imposent à l’agent principal une plus grande obligation de fournir des motifs adaptés.

[17] M. Vahora attire l’attention de la Cour sur l’emploi d’un libellé standard ou d’un modèle dans les notes du SMGC, libellé identique à celui utilisé dans d’autres décisions relatives aux visas. Il fait valoir que l’emploi de ce libellé démontre que l’agent principal a tiré des conclusions en ignorant son explication et que les motifs ne tiennent pas compte de tous les éléments pertinents. M. Vahora ajoute que les notes du SMGC ne sont pas tout à fait exactes, car le Royaume-Uni n’a refusé de lui délivrer un permis d’étude qu’une seule fois, et que ce même pays a accueilli une autre demande de permis qu’il avait présentée.

[18] M. Vahora soutient également que l’agent principal a commis une erreur en omettant de se demander s’il avait fait une fausse déclaration ou bien s’il avait simplement omis, de bonne foi, de mentionner les deux visas refusés aux États-Unis, en précisant qu’il avait bien expliqué qu’il s’agissait d’une omission involontaire. Il soutient également que l’agent principal n’a pas expliqué pourquoi cette omission constituait une fausse déclaration importante et comment cela aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

V. Les observations du défendeur

[19] Le défendeur fait remarquer que les agents des visas ne sont pas tenus de donner des motifs détaillés pour les demandes de permis de travail.

[20] Le défendeur soutient que l’utilisation par l’agent principal d’un libellé standard en l’espèce ne rend pas la décision déraisonnable. Le défendeur soutient que les motifs de l’agent principal, lus dans leur contexte, expliquent suffisamment pourquoi la demande de permis de travail de M. Vahora a finalement été rejetée. Malgré l’emploi d’un libellé standard, les motifs de la décision sont transparents, justifiés et intelligibles.

[21] Le défendeur conteste l’affirmation de M. Vahora selon laquelle l’agent principal n’a pas tenu compte de sa réponse à la lettre d’équité procédurale, soulignant que les notes du SMGC font référence à la réponse.

[22] Le défendeur soutient que la réponse de M. Vahora ne constituait pas une explication de son omission. La brève conclusion de l’agent principal selon laquelle la réponse n’a pas dissipé ses préoccupations est suffisante, étant donné que M. Vahora a seulement déclaré qu’il s’agissait d’une erreur humaine.

[23] Le défendeur soutient en outre qu’il était raisonnable pour l’agent principal de conclure que l’omission de M. Vahora constituait une présentation erronée et qu’elle ne s’inscrivait pas dans la portée étroite de l’exception relative à l’erreur de bonne foi, étant donné que M. Vahora avait connaissance de ses visas refusés dans le passé, y compris les deux refus récents par les États-Unis; il détenait cette information et il ne l’a pas divulguée dans sa demande.

[24] Le défendeur fait remarquer que, selon la jurisprudence, le fait qu’une personne omet de mentionner que certaines de ses demandes de visa antérieures ont été rejetées est un fait important. Il soutient par ailleurs que les motifs de l’agent principal expliquent suffisamment en quoi les fausses déclarations étaient importantes. Le défendeur soutient que le lien entre un visa refusé aux États-Unis et la demande de permis de travail de M. Vahora est évident; une analyse de l’importance des fausses déclarations n’est pas requise.

VI. La décision est raisonnable

[25] Je comprends qu’une conclusion de fausses déclarations et d’interdiction de territoire au Canada entraînerait les conséquences graves pour M. Vahora, qui cherche à établir une entreprise au Canada. Toutefois, la période d’interdiction de territoire de cinq ans découle de l’application de la Loi. Il n’y a pas de degrés de fausses déclarations; une fois la fausse déclaration établie, les conséquences s’ensuivent et l’agent principal n’a aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard.


 

A. Les principes applicables

[26] L’article 40 de la Loi a pour objet de dissuader les gens de faire de fausses déclarations. Par ailleurs, la jurisprudence a souligné à moult occasions l’importance de la véracité des déclarations en tant qu’exigence légale et comme principe fondamental.

[27] L’article 40 vise à promouvoir l’intégrité du système d’immigration et les tribunaux en ont fait une interprétation large : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 15 [Wang]; He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 112 au para 15 [He]; Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au para 23; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 28 [Goburdhun]. Le demandeur a le devoir d’assurer l’intégralité et l’exactitude de sa demande : Wang, aux para 15 et 16.

[28] De plus, l’article 16 énonce l’obligation de répondre de façon véridique à toutes les questions dans toutes les demandes.

[29] Toutefois, compte tenu des conséquences, les conclusions de fausses déclarations doivent être appuyées par des éléments de preuve clairs et convaincants : Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 784 au para 16.

[30] Dans la décision Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1004 aux paragraphes 10 et 11 [Malik], la juge Strickland a résumé les principes fondamentaux établis dans la jurisprudence concernant les fausses déclarations :

[10] Dans la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 [Wang], la Cour a déclaré ce qui suit :

[15] J’ai déjà résumé les principes généraux portant sur les fausses représentations dans l’affaire Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28. Aux fins de la présente demande, ces principes supposent une interprétation très large de l’article 40 afin d’en promouvoir l’objectif sous-jacent (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25 [Khan]), l’objectif étant de prévenir les fausses déclarations et préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour réaliser cet objectif, il incombe au demandeur de s’assurer que sa demande est complète et exacte (Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 23 [Oloumi]; Jiang, au paragraphe 35; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 et 56 [Wang]).

[16] En ce sens, le demandeur a une obligation de franchise et de fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point quand il présente une demande d’entrée au Canada (Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848, aux paragraphes 41 et 42 [Bodine]; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15 [Baro]; Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, au paragraphe 11 [Haque]). L’article 40 est intentionnellement formulé en termes généraux et appliqué de façon élargie, et englobe même les présentations erronées faites par une tierce partie, dont celles d’un consultant en immigration, sans que le demandeur soit mis au courant (Jiang, au paragraphe 35; Wang, aux paragraphes 55 et 56).

[17] L’exception à l’article 40 est restreinte et s’applique uniquement dans des circonstances véritablement extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important et qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte (Masoud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 422, aux paragraphes 33 à 37 [Masoud]; Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, au paragraphe 40 [Goudarzi]). C’est-à-dire que le demandeur ignorait subjectivement qu’il dissimulait des renseignements (Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345 (CAF) [Medel]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh Sidhu, 2018 CF 306, au paragraphe 55 [Singh Sidhu]).

[18] Pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‐entend (Oloumi, précité, au paragraphe 22). Il est nécessaire d’examiner les circonstances entourant chaque cas avant de décider si les renseignements dissimulés constituent une présentation erronée des faits (Baro , au paragraphe 17; Bodine , aux paragraphes 41 et 42; Singh Sidhu, aux paragraphes 59 à 61). De plus, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante; il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé (Oloumi, précité, au paragraphe 25)[.]

[19] [U]n demandeur ne peut non plus tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion de fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande (Haque, aux para 12 et 17; Khan, aux para 25, 27 et 29; Shahin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 423 au para 29 [Shahin]).

(Voir aussi Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 aux para 38‐39; Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 aux para 25‐28 [Tuiran]).

Fausses déclarations

[11] Pour que l’on puisse conclure qu’une personne est interdite de territoire aux termes du paragraphe 40(1), deux éléments doivent être présents : cette personne doit avoir donné de fausses déclarations et ces fausses déclarations doivent porter sur un fait important et entraîner ou risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. (Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452 au para 27 [Bellido]).

[31] En plus des principes mentionnés ci-dessus, une conclusion de fausse déclaration n’exige pas que le demandeur ait eu l’intention de tromper ou qu’il ait eu connaissance de la fausse déclaration : Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299 au para 15; Malik, au para 22; Muniz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 872 au para 8 [Muniz]. L’omission faite de bonne foi de fournir des renseignements importants constitue toujours une fausse déclaration (Malik, au para 27).

B. L’agent principal n’a pas omis d’examiner et d’évaluer l’explication de M. Vahora

[32] Comme l’a fait remarquer M. Vahora, au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’une décision doit non seulement être justifiable, mais aussi justifiée par les motifs invoqués. Dans l’arrêt Vavilov (au para 100), le plus haut tribunal du pays explique en outre qu’une décision ne devrait pas être infirmée, à moins qu’elle souffre de lacunes suffisamment graves. Le contexte de la décision demeure pertinent, et la jurisprudence a établi que les décisions relatives aux permis de travail et aux autres demandes de visa ne devraient pas fournir de motifs détaillés. Comme il est mentionné au paragraphe 17 de la décision Patel, « une justification simple et concise fera l’affaire ».

[33] Les observations de M. Vahora selon lesquelles la décision n’est pas justifiée découlent de son premier argument selon lequel l’agent principal a fait fi de sa réponse à la lettre d’équité procédurale. Les notes du SMGC ne vont pas dans le même sens. En effet, ces dernières indiquent que l’agent qui a envoyé la lettre d’équité procédurale et l’agent principal qui a passé en revue la conclusion du premier agent concernant les fausses déclarations ont bien examiné la lettre de M. Vahora. L’agent principal déclare expressément que [traduction] « [l]e demandeur a répondu à la lettre, mais qu’il n’a pas réussi à dissiper [s]es doutes quant aux préoccupations soulevées ». Lue dans son contexte, cette remarque explique que la réponse de M. Vahora n’a pas remédié aux préoccupations de l’agent principal, ce qui implique que ce dernier a bien lu sa lettre. De plus, le fait que l’agent principal emploie la formulation précise [traduction] « la demande, les documents à l’appui et les notes en lien avec la demande » ne signifie pas que l’agent principal n’a pas lu la lettre de M. Vahora. Les [traduction] « documents à l’appui » comprendraient la lettre de M. Vahora en réponse à la lettre d’équité procédurale, laquelle est également un document à l’appui de sa demande.

[34] Contrairement à l’argument de M. Vahora selon lequel l’omission de mentionner un élément de preuve important peut appuyer une inférence selon laquelle une conclusion de fait erronée a été tirée sans tenir compte de la preuve (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 au para 17, [1999] 1 CF 53 [Cepeda-Gutierrez]), l’agent principal n’a pas omis de mentionner la lettre et n’a tiré aucune conclusion de fait erronée. De plus, selon le principe énoncé dans la décision Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17, « quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait ». En l’espèce, les brèves notes du SMGC ne mentionnent pas d’autres éléments de preuve en détail, mais les regroupent dans des catégories plus vastes, comme il est mentionné ci-haut. De plus, la lettre de M. Vahora n’est pas une preuve contradictoire, car elle dit très peu de choses.

[35] Il incombe en tout temps au demandeur d’appuyer sa demande, ce qui comprend toute réponse à une lettre d’équité procédurale. La réponse de M. Vahora ne constituait rien de plus qu’une déclaration selon laquelle il avait commis une [traduction] « erreur humaine ». Bien que les lignes directrices applicables aux agents des visas reconnaissent que des erreurs se produisent immanquablement, une bonne explication nécessite plus qu’une simple déclaration selon laquelle une erreur est intervenue; il faut, par exemple, expliquer la raison ou la façon dont l’erreur s’est produite. En l’espèce, M. Vahora qualifie son erreur d’omission, mais il ne s’agit pas d’une situation où il a omis de répondre de façon exhaustive à une question; il a, en fait, fourni une réponse inexacte.

[36] Idéalement, l’agent principal aurait pu ajouter quelques mots ou une ligne pour préciser pourquoi l’explication de M. Vahora pour avoir répondu « non » plutôt que « oui » à la question de savoir si on lui avait déjà refusé un visa était insatisfaisante; toutefois, la conclusion de l’agent selon laquelle M. Vahora [traduction] « n’a pas réussi à dissiper [s]es doutes quant aux préoccupations soulevées », dit de façon concise que l’explication n’est pas suffisante. Comme le défendeur le souligne, la raison apparaît d’elle-même. M. Vahora n’a rien fourni de plus comme explication que [traduction] « l’erreur humaine », même si la question était clairement énoncée dans la demande et que les rejets de ses demandes de visa aux États-Unis remontaient à une époque relativement récente.

C. L’emploi d’un libellé standard n’est pas fatal

[37] Bien que la conclusion de l’agent principal énoncée dans le SMGC soit plus ou moins identique aux motifs invoqués par l’agent dans les affaires Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 [Gill], Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 828 et Bagga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 454 [Bagga], la question que doit trancher la Cour dans le cadre du contrôle judiciaire consiste à savoir si les motifs et le dossier appuient la conclusion de l’agent principal, autrement dit, si les motifs sont justifiés, transparents et intelligibles. Le caractère raisonnable de toute décision est évalué en fonction des faits particuliers de l’affaire.

[38] La jurisprudence a établi que l’utilisation d’un libellé standard n’est pas problématique en soi; toutefois, le libellé standard doit correspondre aux circonstances en ce sens qu’il démontre la justification et l’intelligibilité requises : Ekpenyong c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 aux para 22 et 23; Bagga, au para 20.

[39] Je suis d’accord avec le juge McHaffie lorsqu’il déclare, dans la décision Gill, que « l’usage de modèles rédigés d’une manière identique pour exprimer non seulement le critère juridique ou le cadre pertinent, mais aussi le raisonnement applicable au dossier particulier d’un demandeur peut ébranler, au moins en partie, la présomption selon laquelle l’agent a examiné et décidé chaque cas individuel sur le fond » [non souligné dans l’original] (para 34). Toutefois, l’utilisation d’un libellé standard ne réfute pas la présomption et n’est pas fatale lorsque le libellé, lorsqu’il est pris en compte dans le contexte des notes du SMGC et de la lettre de refus dans son ensemble, correspond aux faits dont dispose l’agent principal.

[40] En l’espèce, l’utilisation d’un libellé standard, comme [traduction] « n’a pas réussi à dissiper mes doutes quant aux préoccupations soulevées », [traduction] « n’a pas été honnête dans son formulaire de demande et a négligé de divulguer qu’il avait des antécédents préjudiciables en matière d’immigration aux États-Unis » et [traduction] « [c]ette situation aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi », au vu du contexte de l’ensemble des notes du SMGC et de la lettre de M. Vahora, répond bien aux faits présentés à l’agent principal, est intelligible et justifiée dans les circonstances.

[41] Comme il a été mentionné, il serait préférable d’ajouter quelques mots, par exemple, pour indiquer plus clairement ce qui est apparent — que l’allégation d’une [traduction] « erreur humaine » ne suffit pas pour expliquer la réponse erronée à une question importante de la demande. Toutefois, en l’espèce, le dossier appuie le caractère raisonnable de la conclusion succincte de l’agent principal selon laquelle la réponse de M. Vahora n’a pas remédié aux préoccupations de l’agent principal ou ne les a pas [traduction] « dissipées ».

D. L’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi ne s’applique pas

[42] M. Vahora n’a pas maintenu son argument selon lequel l’agent principal a commis une erreur en omettant d’établir si l’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi s’appliquait. Toutefois, la Cour fait remarquer que cette exception a une portée restreinte et n’est pas établie par simple inadvertance, ce qui semble être le point de vue de M. Vahora : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 107 au para 30. De plus, il n’est pas nécessaire de vouloir tromper ou de cacher délibérément des renseignements pour conclure à une fausse déclaration.

E. L’omission est importante

[43] Contrairement à l’observation de M. Vahora, l’agent principal n’a pas commis l’erreur de ne pas expliquer pourquoi l’omission du demandeur (ou sa réponse inexacte) constituait une fausse déclaration importante susceptible d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[44] Pour être importante, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante — elle n’a qu’à produire une incidence sur le processus. De plus, la fausse déclaration ne doit pas forcément entraîner une erreur dans l’application de la Loi, il suffit qu’elle risque d’en entraîner une (Goburdhun, aux para 28 et 37; Muniz, au para 8). La correction d’une fausse déclaration après la réception d’une lettre relative à l’équité procédurale ou le fait que les agents d’immigration peuvent accéder par d’autres moyens aux renseignements non divulgués n’amoindrit pas l’importance de la fausse déclaration : Muniz, au para 8; Goburdhun, au para 44; Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328, aux para 21 à 23; Wang, au para 19.

[45] L’utilisation par l’agent principal d’un modèle ou d’un libellé standard pour déclarer que l’omission [TRADUCTION] « aurait pu entraîner une erreur dans l’administration de la Loi et du Règlement puisqu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi en ce qui a trait à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada » n’est pas problématique dans les circonstances. Les renseignements inexacts ou les omissions dans une demande entrent en ligne de compte dans l’analyse de l’agent, ce qui comprend la question de savoir si le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de travail. L’omission de mentionner des visas refusés aux États‑Unis était importante, en ce sens qu’elle empêchait l’agent de faire enquête au sujet des faits pertinents dans le cadre de la demande : se reporter, par exemple, aux décisions Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 au para 25, et Algohar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1364 au para 24.

[46] Bien que l’issue de la présente demande ait de lourdes conséquences pour M. Vahora, la Cour ne peut pas conclure que l’agent principal a commis une erreur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2440-20

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2440-20

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SHAHIL ALIMAHAMAD VAHORA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS:

LE 27 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah Eastman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Diane Gyimah

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats Eastman

Avocats

Oakville (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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