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Date : 20220603


Dossier : IMM‑1322‑21

Référence : 2022 CF 812

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2022

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

MORAD FATHY ABDELHAFIZ ABDALLA

SAMAH EZZAT MOHAMED SAADAWY

LAMAR MOURAD FATHY ABDELHAFIZ ABDALLA

LUJAIN MOURAD FATHY ABDELHAFEZ ABDALLA

LAMIS MOURAD FATHY ABDELHAFEZ ABDALLA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé que les demandeurs ne sont pas des réfugiés ou des personnes à protéger, car, tel que l’a conclu la Section de la protection des réfugiés [la SPR], ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] viable à Alexandrie, en Égypte.

[2] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et le motif principal est le refus injustifié, de la SAR, de tenir compte de nouveaux éléments de preuve. La disposition pertinente en matière de nouveaux éléments de preuve est le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

II. Contexte

[3] Les demandeurs sont des citoyens égyptiens et sont les membres d’une famille composée de cinq personnes. Leur demande d’asile était fondée sur le fait qu’ils étaient ciblés et menacés par des membres de la famille Al‑Shaiba dans le contexte de meurtres motivés par une vendetta et de meurtres motivés par l’honneur.

[4] Le demandeur principal est devenu une cible de la vendetta après la mort de son père en 2008. Par conséquent, les demandeurs se sont réinstallés 13 fois, dont 12 au Caire et une fois en Alexandrie, où ils ont vécu cachés.

[5] La SPR a rejeté la demande des demandeurs sur le fondement de l’existence d’une PRI à Alexandrie. Elle a fait remarquer que les demandeurs avaient vécu à Alexandrie auparavant et n’avaient reçu aucune menace et n’avaient été impliqués dans aucun incident causant préjudice.

[6] La SPR n’a pas tenu compte de l’incidence des menaces antérieures qu’avaient reçues les demandeurs au Caire en raison du caractère insuffisant de la preuve selon laquelle la famille Al‑Shaiba en était l’auteur, et des longues périodes qui s’étaient écoulées entre les appels menaçants, ce qui témoignait d’une absence de motivation pour causer un préjudice.

[7] Quant aux conditions défavorables dans le pays d’origine, la SPR a également conclu qu’il n’était pas objectivement déraisonnable que les demandeurs s’installent dans la ville proposée comme PRI, surtout compte tenu de leurs études postsecondaires et de leurs diverses expériences de travail.

[8] Lors de l’instance devant la SAR, les demandeurs ont présenté de nouveaux éléments de preuve relatifs aux attaques contre la sœur du demandeur principal et à la tentative d’enlèvement de son neveu. Ces éléments de preuve comprenaient un rapport de police lié à l’incident impliquant la sœur, des rapports médicaux ayant trait à la sœur et au neveu, un rapport de police relatif à l’incident impliquant le neveu, ainsi que deux déclarations faites par les sœurs du demandeur principal au sujet des événements et de la divulgation aux demandeurs.

[9] La SAR a reconnu l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas pu informer la SPR au sujet des attaques, même si ces attaques perpétrées contre la sœur et le neveu du demandeur principal sont survenues avant le rejet de la demande présentée à la SPR : soit les demandeurs n’en avaient pas eu connaissance, soit les incidents ne leur avaient pas été signalés par leur famille avant le rejet de la demande. Pourtant, la SAR a rejeté cette explication.

[10] La SAR a rejeté la demande au motif que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuve quant au moment où les membres de la famille leur ont fait part de ces incidents ou quant à la manière dont ils l’ont fait, et au motif qu’elle n’a pas trouvé crédible certains documents ou une certaine vidéo. La conclusion en matière de crédibilité était fondée sur le moment et la nature des éléments de preuve et sur le fait que les documents semblaient être de fabrication artisanale.

[11] La SAR a fait remarquer que les rapports de police et les rapports médicaux relatifs à l’enlèvement avaient été rédigés à la main et que les rapports médicaux semblaient être des lettres types. La vidéo était apparemment sombre et son contenu difficile à discerner.

[12] La SAR a refusé de tenir une audience et a conclu qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité procédurale dans la traduction et l’interprétation fournies par l’interprète lors de l’audience devant la SPR.

III. Analyse

[13] Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux.

[14] La SAR a droit à la déférence en ce qui concerne ses conclusions sur la question des nouveaux éléments de preuve, mais seulement si sa décision est justifiée, transparente et intelligible. Or, la décision ne porte pas ces caractéristiques.

A. Nouveaux éléments de preuve

[15] À mon avis, il était déraisonnable de la part de la SAR de ne pas justifier raisonnablement son rejet des nouveaux éléments de preuve. Par conséquent, cela remet en question le caractère raisonnable de la conclusion de l’existence d’une PRI viable.

[16] Les demandeurs n’avaient aucune raison de soupçonner qu’ils devaient étayer davantage les éléments de preuve qu’ils avaient présentés. Laisser entendre le contraire était inéquitable et déraisonnable de la part de la SAR.

[17] La conclusion de la SAR équivaut à laisser entendre que les demandeurs ou les membres de la famille ont contrefait les documents ou les ont obtenus frauduleusement afin de dépeindre la famille Al‑Shaiba comme étant l’agresseur.

[18] Bien qu’elle rejette la preuve comme étant indigne de foi, la SAR doit fournir un motif adéquat de le faire et un motif dont une partie sait qu’il pourrait être soulevé. En l’espèce, la SAR n’a pas fait part des motifs qu’elle avait de douter de l’authenticité des sceaux officiels, des papiers à correspondance officielle ou des signatures figurant sur les rapports de police et les rapports médicaux.

[19] La SAR a exprimé certaines réserves liées au fait que les rapports de police et les rapports médicaux étaient rédigés à la main, et ce, même s’ils avaient été rédigés sur du papier à correspondance officielle ou s’ils étaient dotés de sceaux officiels. La SAR n’a fourni aucun argument permettant de conclure que ces types de documents n’étaient pas authentiques en Égypte ni n’a donné aux demandeurs la possibilité d’aborder cette question.

[20] Compte tenu de l’importance des éléments de preuve, lesquels confirment les craintes des demandeurs, et des conséquences du rejet de ces éléments de preuve, la SAR avait à tout le moins l’obligation de fournir une analyse approfondie.

[21] La SAR a également omis de traiter des circonstances dans lesquelles elle pourrait prendre en considération de nouveaux éléments de preuve. Le critère énoncé au paragraphe 110(4) est disjonctif en raison de l’emploi de la conjonction « ou » : voir la décision Olowolaiyemo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 895, au para 19. Par conséquent, les demandeurs étaient en droit d’invoquer des éléments de preuve démontrant que les nouveaux éléments de preuve ne leur avaient pas été normalement accessibles lorsque la SPR a tranché la question.

B. Possibilité de refuge intérieur

[22] En rejetant les nouveaux éléments de preuve qui confirmait que la famille Al‑Shaiba était l’agresseur ayant toujours la motivation de trouver les demandeurs et de leur faire du mal, la SAR a commis une erreur quant au risque et à la viabilité de la PRI. Il faudrait que la PRI à Alexandrie soit examinée à nouveau dans ce contexte de risque continu. Le fait de s’être appuyé sur le séjour sans histoire passé à Alexandrie ne résisterait pas nécessairement à un examen approprié des facteurs de risque, étant donné surtout que le séjour des demandeurs à Alexandrie correspond à la période pendant laquelle ils se cachaient.

IV. Conclusion

[23] Par conséquent, la Cour conclut que la décision de la SAR est déraisonnable et doit être annulée. Le contrôle judiciaire sera accordé et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué.

[24] Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1322‑21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1322‑21

 

INTITULÉ :

MORAD FATHY ABDELHAFIZ ABDALLA, SAMAH EZZAT MOHAMED SAADAWY, LAMAR MOURAD FATHY ABDELHAFIZ ABDALLA, LUJAIN MOURAD FATHY ABDELHAFEZ ABDALLA, LAMIS MOURAD FATHY ABDELHAFEZ ABDALLA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Sherritt

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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