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Date : 20220603

Dossier : IMM-739-21

Référence : 2022 CF 816

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 juin 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

JUAN GERMAN MARTINEZ MENDEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision d’un agent principal rendue le 28 janvier 2021 au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’agent a rejeté la demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur.

[2] Le demandeur est citoyen du Mexique. Il a environ 42 ans et habite actuellement à Calgary. Il a quatre enfants issus de relations antérieures, dont deux sont citoyens canadiens et résident au Canada. Il n’a aucun contact avec sa fille canadienne, mais il est proche de son fils canadien, Sebastian, né en 2012 et aujourd’hui âgé de 9 ans.

[3] En mai 2017, il a présenté sa première demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée, mais la décision a été annulée sur consentement et l’affaire a été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La demande a de nouveau été rejetée.

[4] En décembre 2019, le demandeur a présenté une deuxième demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il a présenté des éléments de preuve et des observations écrites sur les difficultés auxquelles il serait confronté s’il devait retourner au Mexique, sur l’intérêt supérieur de l’enfant et sur son établissement au Canada.

[5] Dans une décision motivée du 28 janvier 2021, l’agent a rejeté la deuxième demande de résidence permanente du demandeur. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[6] Le demandeur a soulevé plusieurs questions à l’appui de sa position selon laquelle la décision de l’agent était déraisonnable compte tenu des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[7] À mon avis, la question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si l’agent a évalué correctement l’intérêt supérieur du fils du demandeur, Sebastian.

I. L’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’agent

[8] Dans les motifs de sa décision, l’agent a reconnu que le demandeur était très proche de Sebastian et que son renvoi du Canada consternerait son fils. L’agent s’est appuyé sur un affidavit souscrit le 20 février 2019 par la mère de Sebastian, Anita, pour affirmer que le demandeur et Sebastian ont une [traduction] « relation profondément affectueuse » et que le demandeur emmène souvent Sebastian [traduction] « au centre commercial, au cinéma, à des événements sportifs, à la piscine, au soccer, chez Chuck E. Cheese et à tout autre endroit où [il] souhaite aller ». L’agent a également souligné que le demandeur est bien connu à l’école de Sebastian, qu’il aide son fils avec ses travaux scolaires et qu’il est la personne-ressource en cas d’urgence dans les dossiers de l’école et du service de garde.

[9] Cependant, l’agent a conclu que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne comprenait [traduction] « aucun autre élément de preuve attestant la relation entre le demandeur et Sebastian, comme des photos ou d’autres lettres d’appui portant sur leur relation ». L’agent a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait au moins une photo de Sebastian et à ce que la demande soit accompagnée d’une lettre d’appui d’une personne autre que la mère de Sebastian, par exemple un enseignant, portant sur la relation entre le demandeur et Sebastian. L’agent a fait remarquer que le demandeur avait déposé de nombreuses lettres d’appui provenant d’autres personnes. Bien que l’agent ait pris connaissance de l’affidavit d’Anita, il a conclu que [traduction] « l’absence totale d’autres éléments de preuve à [l’égard de la relation entre le demandeur et Sebastian] fait en sorte qu’il est impossible d’avoir une idée satisfaisante de l’étendue et de la nature de la relation entre le demandeur et Sebastian ».

[10] L’agent a reconnu la position du demandeur selon laquelle il subvient financièrement aux besoins de Sebastian, ce qu’il ne pourrait pas continuer de faire adéquatement depuis le Mexique. L’agent a mentionné que, dans son affidavit, Anita avait indiqué que le demandeur payait et avait toujours payé à temps et sans faute une pension alimentaire pour enfants, et que ces paiements étaient normalement en espèces. L’agent a mentionné que le dossier contenait des reçus de pension alimentaire payée en espèces, dont des notes manuscrites et plusieurs reçus de chèque. L’agent a jugé ces éléments de preuve insatisfaisants, particulièrement parce que les reçus de chèque étaient difficiles à lire. L’agent a conclu qu’il n’y avait [traduction] « pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants montrant que le demandeur subvient financièrement aux besoins de son fils à l’heure actuelle » et que, subsidiairement, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants permettant d’établir que le demandeur aurait du mal à trouver un emploi au Mexique ou à subvenir adéquatement à ses propres besoins.

[11] Dans sa conclusion sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a reconnu que le demandeur [traduction] « pass[ait] peut-être du temps avec son fils et en pren[ait] soin », mais il a conclu qu’il n’y avait [traduction] « pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir la nature de leur relation actuelle, particulièrement parce que le dossier de la demande ne comprend aucun élément de preuve, comme des photos d’eux ensemble ou des lettres d’appui de personnes autres que la mère de Sebastian, décrivant leur relation d’une façon un tant soit peu détaillée ».

[12] Par conséquent, l’agent n’a accordé [traduction] « qu’un poids modérément favorable » au facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[13] Dans sa conclusion globale, l’agent a indiqué que, dans le contexte de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur, il avait [traduction] « accordé un poids un peu plus favorable » au facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant qu’aux facteurs des difficultés au Mexique et de l’établissement, mais que le poids favorable accordé à l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas considérable et reposait en grande partie sur l’affidavit de la mère de Sebastian, compte tenu du fait que les éléments de preuve permettant d’établir la nature de la relation entre le demandeur et son fils étaient très limités.

II. Les principes juridiques

[14] La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 au para 44.

[15] La norme de la décision raisonnable a été décrite dans l’arrêt Vavilov. Le contrôle fondé sur le caractère raisonnable consiste en une analyse faisant appel à la déférence, mais rigoureuse, et consistant à vérifier si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12‑13 et 15. La cour de révision examine d’abord les motifs du décideur, qui sont interprétés de façon globale et contextuelle à la lumière du dossier dont le décideur était saisi : Vavilov, aux para 84, 91‑96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 28‑33.

[16] Le contrôle de la Cour doit s’intéresser au raisonnement suivi et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 85, 99, 101, 105‑106 et 194, en particulier.

[17] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser un étranger des exigences habituelles de la loi et de lui accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Le pouvoir discrétionnaire à cet égard prévu au paragraphe 25(1) représente une exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR et vise à en mitiger la sévérité selon le cas : Kanthasamy, au para 19.

[18] Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) doit être exercé de manière raisonnable. L’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74‑75; Kanthasamy, aux para 25 et 33.

[19] Il est bien établi que, dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent doit toujours être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Cet intérêt doit être bien identifié et défini, puis examiné avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve. Voir Kanthasamy, aux para 35 et 38‑40; Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555 aux para 5 et 10; Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358 aux para 12‑13 et 31; Baker, au para 75. L’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur important auquel on doit accorder un poids considérable dans l’analyse des considérations d’ordre humanitaire, mais il ne revêt pas nécessairement un caractère déterminant quant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Kanthasamy, au para 41; Hawthorne, au para 2.

[20] Le demandeur a le fardeau d’établir que la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est justifiée : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 aux para 35, 45 et 61. C’est à ses risques et périls qu’il omet de présenter des éléments de preuve ou de produire des renseignements pertinents à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 aux para 5 et 8.

III. Analyse

[21] L’argument du demandeur au sujet du caractère déraisonnable de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant repose sur le défaut de l’agent de tenir compte de la preuve et sur les erreurs qui en ont découlé. L’une de ses principales préoccupations concerne la conclusion de l’agent selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir la nature de la relation actuelle entre le demandeur et son fils.

[22] Le demandeur soutient que les conclusions tirées par l’agent au sujet de la preuve qu’il a présentée pour démontrer sa relation avec Sebastian sont manifestement erronées. Il fait valoir que l’affidavit d’Anita contient de nombreux renseignements précis montrant en quoi Sebastian dépend de lui. De plus, il souligne que le dossier dont disposait l’agent contenait neuf lettres d’appui ainsi qu’un rapport présentenciel concernant le demandeur qui mentionnent sa relation avec Sebastian. Selon le demandeur, ces éléments de preuve réfutent l’affirmation de l’agent selon laquelle il ne disposait d’aucun autre élément de preuve pour comprendre la relation entre le demandeur et son fils.

[23] De plus, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la majeure partie de l’affidavit d’Anita, pas plus qu’il n’a pris en considération les neuf lettres d’appui et le rapport présentenciel.

[24] Le demandeur affirme aussi que l’agent n’a pas raisonnablement pris en compte les répercussions financières de son renvoi au Mexique sur Sebastian et sa mère. Il souligne qu’Anita a confirmé qu’il lui remet régulièrement de l’argent pour subvenir aux besoins de Sebastian et qu’il lui achète de la nourriture, des vêtements et d’autres articles (par exemple, il lui a acheté une tablette). L’agent aurait mis en doute le soutien financier fourni par le demandeur et fait abstraction de la déclaration faite par Anita dans son affidavit selon laquelle le demandeur assure un soutien financier. Qui plus est, dans les observations qu’il a formulées à l’intention de l’agent, le demandeur a fait valoir que s’il est renvoyé au Mexique, il ne sera pas en mesure de trouver un emploi, ou un emploi comparable, qui lui permettrait de continuer de subvenir financièrement aux besoins de Sebastian. Le demandeur prétend que l’agent a mal interprété les éléments de preuve concernant ses perspectives de revenus au Mexique.

[25] Enfin, s’agissant de l’intérêt supérieur de l’enfant, le demandeur a invoqué la preuve objective dont disposait l’agent au sujet des répercussions sur un enfant de la séparation d’avec son père. Le demandeur soutient que Sebastian subirait manifestement un préjudice si sa relation avec son père, qui joue un rôle actif dans sa vie depuis sa naissance, était reléguée à des contacts virtuels ou téléphoniques. L’agent a conclu qu’une relation de ce genre était satisfaisante. Dans les motifs de sa décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a fait remarquer que le demandeur pourrait [traduction] « maintenir sa relation avec son fils à distance, grâce à diverses technologies comme Zoom/Skype, la messagerie texte, le courriel ou le téléphone, et à d’éventuelles visites ».

[26] Dans l’ensemble, le demandeur soutient que l’agent a omis de tirer une conclusion sur ce qui serait réellement dans l’intérêt supérieur de Sebastian. Il affirme qu’il est manifestement dans l’intérêt supérieur de Sebastian qu’il demeure au Canada à titre de résident permanent.

[27] La position du défendeur est que l’agent a examiné de façon raisonnable et détaillée les documents fournis par le demandeur. Le défendeur souligne qu’il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent a indiqué clairement qu’au final le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de renseignements au sujet de sa relation avec son fils. Le demandeur n’a pas souscrit lui-même un affidavit. Selon le défendeur, l’affidavit de la mère de Sebastian était un [traduction] « bon point de départ », mais l’agent s’attendait raisonnablement à ce que des éléments de preuve plus convaincants soient fournis à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[28] Le défendeur soutient que l’agent n’a pas fait abstraction des éléments de preuve contenus dans l’affidavit de la mère de Sebastian; plutôt, les motifs de l’agent montrent que l’agent a lu l’affidavit, de même que les lettres d’appui et les documents relatifs au soutien financier. Le défendeur souligne que, dans la plupart des lettres d’appui, seulement une ou deux phrases avaient trait à la relation entre le demandeur et Sebastian, d’où les réserves de l’agent au sujet du caractère suffisant de la preuve.

[29] Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la décision de l’agent doit être annulée.

[30] L’agent a tiré une conclusion cruciale (et probablement déterminante) selon laquelle les éléments de preuve versés au dossier concernant la relation entre le demandeur et son fils n’étaient pas suffisants aux fins de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Avant de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à cet égard, il incombait à l’agent de prendre en compte l’ensemble de la preuve substantielle figurant au dossier : Kanthasamy, aux para 25, 33, 35 et 38‑40; Baker, aux para 74‑75. En outre, si l’agent ne tient pas compte des éléments de preuve importants qui vont à l’encontre d’une ou de plusieurs conclusions importantes tirées dans la décision, la Cour peut conclure que l’agent a omis de respecter les contraintes factuelles imposées par le dossier : Vavilov, aux para 125‑126; Canada (Procureur général) c Best Buy Canada Ltd, 2021 CAF 161 aux para 122‑123; D Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1430 aux para 23‑24 et 30; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 24. Voir également l’analyse dans la décision Khir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 160 aux para 36‑50.

[31] L’agent a fait abstraction de la quasi-totalité des éléments de preuve de l’affidavit d’Anita qui traitaient de la relation entre le demandeur et son fils. Il n’a fait expressément référence qu’à trois des 31 paragraphes de fond de l’affidavit d’Anita. Comme le défendeur l’a reconnu à juste titre à l’audience, rien dans les motifs ne montre que l’agent a réellement examiné le reste de l’affidavit, qui était clairement pertinent quant à la question à l’égard de laquelle l’agent a jugé que la preuve était [traduction] « insuffisante ».

[32] Anita et le demandeur n’entretiennent pas une relation amoureuse et ne vivent pas ensemble. Dans ce contexte, l’affidavit d’Anita comprend les éléments de preuve suivants que l’agent n’a ni mentionnés ni pris en compte :

  • Le demandeur fait [traduction] « partie intégrante » de la vie de Sebastian et joue un rôle [traduction] « crucial » à son égard.

  • Le demandeur fournit un soutien financier pour Sebastian depuis sa naissance. Il assume les frais afférents aux activités parascolaires de Sebastian (une longue liste est fournie) et achète de la nourriture et des vêtements. Il a acheté une tablette à Sebastian, [traduction] « au moyen de laquelle il communique avec lui chaque jour ».

  • Le demandeur passe chaque fin de semaine avec Sebastian, cette période pouvant s’allonger s’il ne travaille pas les jours précédant ou suivant la fin de semaine. Peu après qu’Anita a présenté une lettre datée du 29 août 2016, les parents ont convenu que Sebastian ne passerait pas une fin de semaine sur deux mais bien chaque fin de semaine avec son père, comme c’est le cas actuellement, puisque Sebastian souhaitait passer plus de temps avec son père.

  • C’est le demandeur qui vient chercher Sebastian chez Anita et qui l’y ramène.

  • Lorsqu’Anita est en vacances, c’est le demandeur qui s’occupe de Sebastian.

  • Le demandeur joue un rôle [traduction] « crucial dans le développement social et cognitif de Sebastian ». Il aide Sebastian à faire ses devoirs et à gérer les problèmes avec ses amis. Il l’aide également à apprendre l’espagnol étant donné que Sebastian fréquente une école bilingue (anglais-espagnol).

  • Le demandeur assiste à toutes les activités scolaires de Sebastian et l’aide à maintenir ses bons résultats scolaires.

  • Le demandeur est le seul modèle masculin de Sebastian. Il est un modèle positif pour Sebastian et ne ménage pas sa peine pour subvenir aux besoins de sa famille. Il a surmonté ses problèmes de toxicomanie et vit dans la sobriété depuis des années. Anita est d’avis que le demandeur est résolu de s’assurer que Sebastian ne connaîtra jamais de difficultés comme celles qu’il a lui-même subies dans son enfance.

  • Le demandeur enseigne à Sebastian des leçons de vie [traduction] « comme seul un père peut le faire », l’aidant à voir les choses sous un angle différent et à composer avec des enjeux comme l’intimidation, le sentiment d’accablement et le respect d’autrui, entre autres. [traduction] « Sebastian voit [le demandeur] comme une personne distincte [d’Anita] et sait qu’il peut aller lui parler ou le rejoindre lorsqu’il a un différend avec [Anita] ».

  • Le demandeur aide Sebastian à développer son estime de soi et sa confiance en soi, et il l’aime inconditionnellement.

  • Le demandeur apprend l’hygiène masculine à Sebastian.

  • Le demandeur apprend à Sebastian à respecter sa mère.

  • Le demandeur apprend à Sebastian la responsabilité et la discipline, et il lui impose des limites et fixe des attentes à son égard.

  • Il consacre tout son temps libre à Sebastian.

  • Il accompagne Sebastian à ses rendez-vous chez le médecin.

  • Le demandeur s’implique dans l’éducation religieuse de Sebastian. Il participe aux activités des églises des deux parents et aide Sebastian avec ses études bibliques.

  • Le demandeur paye et a toujours payé à temps et sans faute une pension alimentaire pour enfants à Anita. Les parents ont établi une entente de pension alimentaire en espèces au lieu d’obtenir une ordonnance du tribunal.

  • L’expulsion du demandeur causerait [traduction] « à [Sebastian] un préjudice irréparable qui le marquera à vie ». Le demandeur [traduction] « est un excellent père, et sa présence est des plus essentielle pour Sebastian ».

  • [traduction] « Étant mère monoparentale, je suis parfois dépassée par les événements, et le demandeur est toujours là pour me donner un coup de main avec Sebastian. Il a toujours été là lorsque j’ai eu besoin de lui. Il est la seule personne sur qui je peux compter en ce qui a trait à Sebastian. Je ne peux simplement commander ou faire apparaître une autre figure paternelle ou personne aimée de Sebastian. [Le demandeur] est irremplaçable dans la vie de Sebastian. »

[33] Non seulement ces éléments de preuve étaient importants en ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et les répercussions qu’aurait le renvoi du demandeur sur son fils, mais examinés avec soin, indépendamment et conjointement avec la preuve objective présentée par le demandeur (voir ci-dessous), ils étaient susceptibles d’influer grandement sur le poids global de l’intérêt de l’enfant dans l’évaluation plus large des considérations d’ordre humanitaire.

[34] L’agent n’a pas mentionné ni évalué les éléments de preuve objectifs figurant au dossier qui étaient directement liés à l’intérêt supérieur de l’enfant et aux répercussions du renvoi du demandeur sur son fils. Le demandeur a déposé six articles concernant les répercussions sur un enfant de la séparation d’avec son père ou une figure paternelle. Le demandeur a mentionné ces articles dans les observations écrites relatives aux considérations d’ordre humanitaire qu’il a présentées à l’agent et a indiqué que les articles confirmaient que [traduction] « le fait de séparer un père de son enfant porte gravement atteinte à son développement ».

[35] Si cette preuve objective avait été examinée, conjointement avec l’ensemble des éléments de preuve fournis par la mère de Sebastian, l’agent aurait pu évaluer pleinement, sur la foi du dossier, les répercussions qu’aurait le renvoi du demandeur sur l’intérêt supérieur de Sebastian. Malheureusement, l’agent n’a pas tenu compte de la preuve objective.

[36] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas non plus tenu compte des renvois à Sebastian dans les nombreuses lettres d’appui figurant au dossier, ne serait-ce que pour dire qu’il leur accordait un poids moindre en raison du contenu des lettres. C’est vrai, mais je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les conséquences de cette omission étaient négligeables étant donné que les lettres contenaient peu d’éléments de preuve au sujet de la relation entre le demandeur et son fils.

[37] À mon avis, le fait que l’agent n’ait mentionné qu’une infime partie de la preuve substantielle et qu’il ait omis de prendre en compte le reste des éléments de preuve relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant contenus dans l’affidavit d’Anita et la preuve objective connexe a rendu déraisonnable la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le décideur n’a pas respecté les normes juridiques applicables à l’évaluation légitime des considérations d’ordre humanitaire qui sont énoncées dans l’arrêt Kanthasamy. Il s’est fondamentalement mépris sur la preuve substantielle figurant au dossier, et n’en a pas tenu compte : Kanthasamy, aux para 45‑51; Vavilov, au para 126; Best Buy, aux para 122‑123; Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 18.1(4)d).

[38] D’autres réserves étayent la conclusion d’annuler la décision. Dans ses motifs, l’agent a visiblement employé des formules passe-partout pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent a indiqué que le demandeur pourrait [traduction] « maintenir sa relation avec son fils à distance, grâce à diverses technologies comme Zoom/Skype, la messagerie texte, le courriel ou le téléphone, et à d’éventuelles visites ». Cette déclaration contient des erreurs qui minent le caractère raisonnable de la décision de l’agent.

[39] La Cour a exprimé des réserves au sujet de telles déclarations, qui ne tiennent pas compte de la situation particulière des personnes visées : voir Lopez Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 130 au para 38; Chamas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1352 au para 43; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1236 au para 30. Les déclarations concernant le recours à la technologie pour maintenir une relation doivent tenir compte de la situation particulière des personnes visées. Par exemple, le recours à la technologie pour maintenir une relation d’amitié entre deux adultes est bien différent du recours à la technologie par un parent et son enfant pour maintenir une relation significative. Des réserves peuvent être soulevées si les motifs ne reflètent pas la situation particulière des personnes touchées, notamment l’intérêt supérieur d’un enfant. En l’espèce, le fait que l’agent s’est dit d’avis que la technologie pouvait compenser l’absence physique du demandeur auprès de son fils montre que l’agent n’était pas sensible à la relation entre le père et le fils. L’agent n’a pas non plus pris en considération la capacité de Sebastian, en tant que garçon de neuf ans et, bientôt, en tant que jeune homme, de maintenir sa relation avec son père à distance au moyen d’outils technologiques.

[40] L’agent a également affirmé que le demandeur pourrait maintenir une relation avec son fils grâce à [traduction] « d’éventuelles visites ». Cette affirmation est contredite par les éléments de preuve. Dans son affidavit daté du 6 décembre 2019, Anita a indiqué qu’elle [traduction] « n’a[vait] pas les moyens d’envoyer Sebastian au Mexique à une fréquence que l’on pourrait juger adéquate », ce qui est pleinement corroboré par sa situation financière et la situation financière du demandeur exposées dans le dossier (quoique minimisé).

[41] Ces autres lacunes dans le raisonnement renforcent la conclusion selon laquelle l’agent a omis de tenir compte des éléments de preuve au dossier traitant de l’intérêt supérieur de l’enfant.

IV. Conclusion

[42] Pour ces motifs, je conclus que la décision de l’agent concernant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit être annulée. Je n’ai pas besoin d’analyser le reste des observations des parties.

[43] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-739-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie. La décision du 28 janvier 2021 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Le demandeur sera autorisé à présenter des observations et des éléments de preuve additionnels et/ou à jour en vue de la nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en vue d’un appel.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-739-21

 

INTITULÉ :

JUAN GERMAN MARTINEZ MENDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Faraz Bawa

POUR LE DEMANDEUR

 

Judith Boer

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Faraz Bawa

Avocat

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

Judith Boer

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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