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Date : 20220506


Dossier : IMM-706-21

Référence : 2022 CF 649

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

ADEWOLE PETER ADIGUN

JUMOKE FLORENCE ADIGUN

AYODEJI OMOBOYE ADIGUN

EWAOLUWA OLAJUMOKE ADIGUN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Le demandeur principal, M. Adewole Peter Adigun, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 6 janvier 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que le demandeur principal et sa famille [les demandeurs] ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Le demandeur principal a soutenu avoir été persécuté par ses rivaux politiques. Selon la SAR, la question déterminante était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI].

[2] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[3] En l’espèce, les demandeurs sont le demandeur principal, sa femme et leurs deux enfants. Ils sont tous des citoyens du Nigéria. Le demandeur principal administrait des écoles privées au Nigéria. Il s’est engagé en politique à l’échelle locale dans sa ville natale d’Ibadan et, en 2004, il a été élu à l’assemblée législative locale en tant que candidat du Parti démocratique populaire [le PDP]. Il est ensuite devenu le leader et le président de l’assemblée. La position du demandeur principal au sein du PDP est devenue précaire, car ce dernier était en faveur d’un processus décisionnel démocratique au sein du parti et de la destitution du président du parti, qui était corrompu.

[4] En 2005, le demandeur principal a été [traduction] « piégé » en raison d’une motion de destitution présentée à l’assemblée. Ses partisans l’ont emmené en lieu sûr après que des actes de violence ont été posés. Le demandeur principal s’est caché pendant deux mois. Par la suite, une trêve a été conclue avec la direction du PDP. Le demandeur principal a pu revenir en toute sécurité et a agi pour le reste de son mandat à titre de membre régulier de l’assemblée. Il est resté discret et évitait les questions politiques litigieuses. Son mandat a pris fin en 2007, et il a quitté la vie politique locale.

[5] En 2014, un nouveau parti appelé le Parti de l’accord [le PA] a été fondé, une ramification du PDP. Des dirigeants du PA ont invité le demandeur principal à se présenter comme candidat à la primaire du PA en vue de siéger à l’assemblée législative d’une autre région. Le demandeur a accepté, car il croyait que le danger auquel il avait été exposé était entièrement attribuable aux politiques internes du PDP. En mars 2014, le PA a tenu une rencontre chez lui réunissant quinze de ses partisans politiques. Pendant la rencontre, des coups de feu ont retenti dans la rue, ce qui a provoqué une ruée pour quitter le bâtiment. Pendant cette ruée vers l’extérieur, la fille de 10 ans du demandeur principal a subi des blessures qui ont entraîné sa mort.

[6] Le demandeur principal a envoyé sa famille vivre avec des proches dans une autre ville. Il est resté à Ibadan avec son beau-frère pour travailler pour le PA et gérer ses affaires. Il a aidé plusieurs candidats du PA, mais a refusé d’aider la candidate du PA contre qui il s’était présenté à la primaire, Mme Shakirat Adewoyin. Il croyait que cette dernière était responsable de l’incident de mars 2014. À l’élection de mars 2015, Mme Adewoyin n’a pas remporté son siège. Par la suite, plusieurs partisans du PA ont dit au demandeur principal que, selon eux, il était responsable de cette défaite. Une personne, que le demandeur principal a ensuite identifiée comme étant M. Oyebisi Ilaka, l’a menacé. En mai 2015, un autobus scolaire à l’une des écoles du demandeur principal a été incendié. Il a signalé l’incident à la police, qui ne lui a jamais donné de nouvelles. Après cet incident, il s’est enfui pour rejoindre sa famille et est secrètement retourné à Ibadan chaque mois pour s’assurer que ses affaires étaient en ordre.

[7] En avril 2016, trois hommes ont attaqué le demandeur à un arrêt d’autobus. Après cet incident, il a envoyé sa famille vivre chez son frère, dans une nouvelle ville. En juillet 2016, les demandeurs ont déposé des demandes de visas pour les États-Unis (É.-U.) en vue de rendre visite à la sœur du demandeur principal au Maryland. Ils ont quitté le Nigéria en septembre 2016 et sont restés aux É.-U. jusqu’à ce qu’ils traversent la frontière pour entrer au Canada en juin 2019. Ils n’ont présenté aucune demande aux É.-U., car ils craignaient les politiques d’immigration des É.-U. à l’époque. À la fin du mois de novembre 2016, pendant leur séjour aux É.-U., la femme du demandeur principal est retournée à Ibadan pour voir s’il leur serait sécuritaire de revenir y vivre. Elle s’est rendue dans les écoles du demandeur principal et a rendu visite aux proches contacts de ce dernier. Elle est restée chez son frère. En janvier 2017, trois hommes se sont présentés chez son frère pour savoir où se trouvait le demandeur principal. Peu après, la femme du demandeur principal est retournée aux É.-U.

III. Décision

[8] La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Selon la SAR, la question déterminante était l’existence d’une PRI à Abuja, au Nigéria.

[9] Le demandeur principal a déposé deux nouveaux éléments de preuve avec son dossier d’appel devant la SAR. Tous deux sont antérieurs à la décision de la SPR. Le premier élément de preuve est un affidavit de M. Boladale Ismail Oduntan daté du 23 juillet 2020 dans lequel ce dernier déclare qu’un des membres du PA qui est en colère contre le demandeur principal est M. Ilaka, qui est devenu le chef du personnel auprès du gouverneur du PDP de l’État d’Oyo. Le deuxième élément de preuve est un article de presse qui est daté du 29 mai 2019 et qui confirme la nomination de M. Ilaka à titre de chef du personnel. Le demandeur principal n’a pris connaissance de la nomination de M. Ilaka qu’après la décision défavorable de la SPR, alors qu’il essayait de déterminer s’il serait sécuritaire de retourner au Nigéria.

[10] La commissaire de la SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve au motif que les renseignements étaient antérieurs à la décision de la SPR et accessibles au public, ce qui signifie qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences liées aux nouveaux éléments de preuve énoncées au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[11] En application de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, la SAR a également rejeté d’autres éléments de preuve au motif qu’ils n’avaient pas été transmis avec le dossier d’appel. Il s’agissait notamment de 41 articles de presse concernant l’agitation sociale et le mouvement #endSARS et de 19 articles de presse au sujet de Port Harcourt en tant que PRI. La SAR a expliqué que, pour que de nouveaux éléments de preuve soient admis après la mise en état du dossier d’appel, les demandeurs doivent répondre aux exigences prévues à l’article 29 et expliquer dans leurs observations pourquoi les éléments de preuve satisfont aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a souligné qu’elle « doit prendre en considération tout élément pertinent, notamment : la pertinence et la valeur probante du document, toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel et la possibilité qu’aurait eue l’appelant, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document avec le dossier de l’appelant ». Elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté des observations suffisamment détaillées pour satisfaire à cette norme, et ce, pour aucun des éléments de preuve présentés au titre de l’article 29.

[12] Les demandeurs n’ont pas sollicité la tenue d’une audience, et la SAR a refusé d’en tenir une au motif que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles.

[13] La SAR a jugé que la SPR avait eu raison de conclure à l’existence d’une PRI. En ce qui concerne le premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils étaient susceptibles d’être persécutés par Mme Adewoyin ou ses partisans dans la ville proposée comme PRI. Elle a également conclu que la SPR avait examiné de façon raisonnable les moyens et la motivation de Mme Adewoyin et de ses partisans. Bien que la SPR ait conclu à juste titre qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de déménager à Abuja, elle n’a pas analysé le deuxième volet du critère. La SAR a également fait remarquer que, dans leurs observations présentées à la SAR, les demandeurs n’ont soulevé aucune préoccupation quant au deuxième volet du critère.

IV. Questions en litige

[14] Après avoir examiné les observations des parties, j’estime qu’il convient de formuler les questions en litige comme suit :

  1. Le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve était-il raisonnable?

  2. La SAR a-t-elle fait une analyse raisonnable de la PRI?

[15] Les demandeurs ont soulevé une troisième question, soit celle de savoir si la SAR avait eu tort de ne pas effectuer sa propre analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI. Selon moi, il convient de répondre à cette question dans le cadre de la deuxième.

V. Norme de contrôle

[16] Je suis d’accord avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. En l’espèce, comme aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne s’applique, il y a présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 23-25, 53).

[17] Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision. La cour de révision doit examiner à la fois le résultat de la décision et le raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). Cependant, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85‑86).

VI. Positions des parties

A. Le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve était-il raisonnable?

(1) Position des demandeurs

[18] Les demandeurs soutiennent que les nouveaux éléments de preuve déposés avec le dossier d’appel satisfont aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Ils font valoir que les renseignements contenus dans les nouveaux éléments de preuve ne leur étaient pas normalement accessibles au moment de l’audience, car ceux-ci ne leur ont été communiqués par un tiers qu’après la décision de la SPR. Selon eux, la SAR a supposé que les nouveaux éléments de preuve étaient accessibles au public. Ils soutiennent qu’ils n’auraient pu avoir connaissance des renseignements concernant la nomination de M. Ilaka avant que M. Oduntan ne les communique au demandeur principal. Ce dernier avance qu’il n’a su que M. Ilaka l’avait menacé qu’après avoir lu l’affidavit de M. Oduntan.

[19] Selon les demandeurs, comme la SAR n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve, dans le cadre du premier volet du critère relatif à la PRI, elle ne s’est concentrée que sur Mme Adewoyin en tant qu’agente de persécution, plutôt que de s’intéresser à l’ensemble de son réseau politique, dont faisait partie M. Ilaka.

[20] Les demandeurs font valoir qu’ils ont le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve qui vont à l’encontre des conclusions de la SPR (Ismailov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 967 au para 53 [Ismailov]).

[21] Les demandeurs ajoutent que les nouveaux éléments de preuve satisfont aux critères de nouveauté, de crédibilité, de pertinente et de caractère substantiel (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 13 [Raza]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 aux para 38, 44, 46 [Singh]).

[22] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de refuser d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés après le dépôt de leur dossier d’appel. Ils font valoir que la SAR n’a pas pris en considération la pertinence, la crédibilité et la valeur probante des nouveaux éléments de preuve, ce qui a entraîné un manquement à l’équité procédurale (Cox c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1221 aux para 26-27 [Cox]). Dans la décision Cox, la Cour a reconnu que la pertinence et la valeur probante sont des facteurs importants pour déterminer l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, surtout lorsqu’il est question de vraisemblance.

(2) Position du défendeur

[23] Le défendeur soutient que la SAR a conclu de façon raisonnable que les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et aux facteurs établis dans les arrêts Raza et Singh. Il n’est pas d’accord que les nouveaux éléments de preuve auraient dû être admis parce que les demandeurs ne pouvaient pas prévoir les préoccupations de la SPR. Il fait valoir que les demandeurs ont l’obligation de se montrer sous leur meilleur jour et qu’ils ne peuvent pas présenter de nouveaux éléments de preuve chaque fois qu’ils sont surpris par une décision (Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 847 aux para 26-27).

B. La SAR a-t-elle fait une analyse raisonnable de la PRI?

(1) Position des demandeurs

[24] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son application du premier volet du critère relatif à la PRI en se concentrant indûment sur Mme Adewoyin en tant qu’agente de persécution. Ils font valoir que, ce faisant, la SAR ne s’est pas intéressée à l’ensemble de son réseau politique, dont faisait partie M. Ilaka.

[25] Les demandeurs allèguent également que la SAR a mal appliqué le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Ils affirment qu’elle n’a pas analysé la question de savoir s’il serait raisonnable pour eux de déménager à Abuja sans éprouver des difficultés excessives. Ils soutiennent que la SAR avait l’obligation de procéder à sa propre analyse indépendante (Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 506 aux para 51-52 [Gomes]). La SAR a plutôt brièvement examiné la question du guide jurisprudentiel sur le Nigéria maintenant révoqué.

(2) Position du défendeur

[26] Le défendeur soutient qu’il appartient aux demandeurs de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés dans tout le pays, y compris dans la ville proposée comme PRI (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589). La barre est très haute lorsqu’il s’agit de démontrer que l’endroit proposé comme PRI est déraisonnable (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 au para 15).

[27] Pour ce qui est du premier volet, la SAR a conclu de façon raisonnable que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés par Mme Adewoyin ou ses partisans dans la ville proposée comme PRI. Rien n’indiquait que Mme Adewoyin ou ses partisans avaient cherché le demandeur principal dans l’État d’Ekiti ou d’Ogun/de Lagos ni même que Mme Adewoyin avait une influence politique étendue du fait qu’elle est candidate du PA. Enfin, ni le demandeur principal ni aucun des auteurs des affidavits qu’il a déposés ne savaient où se trouvait Mme Adewoyin.

[28] En ce qui a trait au deuxième volet, la SAR a conclu de façon raisonnable que l’analyse de la SPR était exhaustive et juste. Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont déposé aucun affidavit remettant en question les conclusions de la SPR concernant leur situation personnelle et le caractère raisonnable du déménagement à Abuja. De plus, dans leurs observations présentées en appel, les demandeurs n’ont fait référence à aucune question liée au deuxième volet.

[29] Les observations des demandeurs invitent simplement la Cour à apprécier à nouveau la preuve soumise à la SAR, ce qui n’est pas l’objectif d’un contrôle judiciaire.

VII. Analyse

A. Le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve était-il raisonnable?

[30] La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve. Aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR ne peut que tenir compte des nouveaux éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande devant la SPR ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, que la personne n’aurait pas présentés au moment du rejet de la demande par la SPR. Elle a examiné les nouveaux éléments de preuve en fonction du paragraphe 110(4) et de l’arrêt Raza et, après avoir évalué les facteurs, a décidé de façon raisonnable de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve. La SAR a également fait remarquer que les documents au titre de l’article 29 ont été présentés accompagnés d’une lettre qui mentionnait qu’ils contenaient des « articles qui n’étaient pas accessibles au moment où le dossier a été déposé ». Il était raisonnable pour la SAR de conclure que cette explication était insuffisante.

[31] Il est bien établi en droit que le rôle de la SAR ne consiste pas à fournir au demandeur la possibilité de compléter une preuve déficiente. Au paragraphe 22 de la décision Hassan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 459, le juge Fothergill a affirmé ce qui suit :

Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, la Cour d’appel fédérale a statué que le paragraphe 110(4) de la LIPR devait être « interprété restrictivement » (au paragraphe 35) et que « [l]e rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR » (au paragraphe 54).

[32] L’affaire Ismailov est différente de l’espèce. Dans cette affaire, contrairement à l’espèce, les nouveaux éléments de preuve se rapportaient à la crédibilité. J’estime que les circonstances de l’espèce sont semblables à celles de l’affaire Marin. Être étonné ou surpris par une issue ne donne pas au demandeur le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve.

B. La SAR a-t-elle fait une analyse raisonnable de la PRI?

[33] Je conclus que la SAR a fait une analyse raisonnable de la PRI. En ce qui a trait au premier volet, elle a analysé les observations des demandeurs et a apprécié la preuve dont elle disposait. La SAR a fait remarquer que rien n’indiquait que Mme Adewoyin ou ses partisans avaient cherché le demandeur principal dans l’État d’Ekiti ou d’Ogun/de Lagos (où le demandeur principal a habité pendant plusieurs mois). Elle a ajouté que ni le demandeur principal ni ceux ayant fourni des lettres ou des éléments de preuve ne savent où se trouve Mme Adewoyin à l’heure actuelle. Selon la SAR, le fait que Mme Adewoyin soit candidate du PA ne signifie pas qu’elle a une influence étendue. Enfin, la SAR a fait remarquer que la seule fois où les agents de persécution ont interagi avec la famille du demandeur principal était lorsque trois hommes ont rendu visite à la femme du demandeur principal, chez son frère à Ibadan. Rien n’indique que des personnes ont cherché le demandeur principal ou ont interagi avec les membres de la famille des demandeurs après cet incident.

[34] La SAR a conclu que, dans ces circonstances, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de prouver que la PRI n’était pas viable. Plus particulièrement, ils n’ont pas établi qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés par Mme Adewoyin ou ses partisans dans la ville proposée comme PRI ou qu’ils sont exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, selon la prépondérance des probabilités. Il s’agit d’une décision raisonnable.

[35] Les motifs de la SAR concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI se limitent à ce qui suit :

En outre, une raison principale pour laquelle le guide jurisprudentiel a été révoqué est en grande partie liée aux éléments de preuve dans le nouveau CND relativement à la capacité des femmes célibataires de se réinstaller dans une PRI au Nigéria, ce qui ne s’applique pas à la situation des appelants. Dans le cas des appelants, la SPR a utilisé l’ancien guide jurisprudentiel ou d’anciens motifs d’intérêt en ce qui concerne le second volet de l’analyse de la PRI et s’est fondée sur les documents sur le pays qui étaient valides. En particulier, la SPR a dûment pris en considération la religion, la langue, l’origine ethnique, l’emploi, le logement et l’éducation et a conclu que la réinstallation dans la PRI ne serait pas trop difficile. Les appelants ne soulèvent pas de préoccupations précises relativement aux conclusions particulières de la SPR à cet égard. D’après mon évaluation indépendante, j’estime également que la SPR, dans son évaluation du second volet de l’analyse de la PRI, n’a pas conclu qu’il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que les appelants se réinstallent dans la PRI d’Abuja.

[36] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas procédé à une analyse indépendante du deuxième volet. Après avoir examiné les observations des demandeurs à la SAR, je suis d’accord avec le défendeur qu’ils n’ont soulevé aucune question concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Des quatre questions soulevées par les demandeurs dans le mémoire qu’ils ont soumis à la SAR, deux d’entre elles étaient liées au premier volet du critère relatif à la PRI. Les deux autres étaient liées aux nouveaux éléments de preuve et à la révocation du guide jurisprudentiel. Dans les observations présentées par les demandeurs à la SAR, les facteurs liés au deuxième volet du critère relatif à la PRI n’étaient pas abordés.

[37] La décision Gomes n’est d’aucune utilité pour les demandeurs. Dans cette décision, le juge Pamel a affirmé qu’il est loisible à la SAR d’adopter le traitement long et réfléchi du dossier de la SPR, dans la mesure où la SAR examine également elle-même le dossier (aux para 35-36). Les demandeurs s’appuient sur des extraits de la décision Gomes, où la Cour traite du fait que les motifs de la SAR ne sont pas adaptés aux observations. Comme je l’ai déjà mentionné, en l’espèce, la SAR a bel et bien analysé les observations des demandeurs. Selon elle, il n’y avait aucune observation concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, et sa conclusion était adaptée aux observations des demandeurs.

[38] Cette situation est semblable à celle dans la décision Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Hamid]. Dans cette décision, le juge Pamel a traité d’arguments similaires et a déclaré ce qui suit :

[52] Je rejette les arguments du demandeur pour quatre raisons.

[53] Premièrement, l’argument du demandeur concernant [traduction] « l’éventail de questions » du deuxième volet n’a pas été soulevé devant la SAR. Le demandeur n’a pas soulevé de tels arguments dans son mémoire présenté à la SAR, malgré le fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer que la PRI proposée ne serait pas appropriée. En effet, le demandeur conteste simplement l’analyse de la SPR quant au niveau de protection de l’État à Islamabad, une considération qui se rapporte au premier volet du critère établi dans Rasaratnam‑Thironavukkarasu (c.‑à‑d. l’analyse relative à la crainte de persécution).

[54] Le mémoire du demandeur déposé devant la SAR ne mentionne pas les facteurs de transport et de déplacement, de langue, d’éducation, d’hébergement, de religion, de statut autochtone et d’accès aux soins de santé. Par conséquent, le demandeur tente de soulever de nouvelles questions juridiques qui auraient pu être soulevées avant le présent contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, par. 22 à 26; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), [2015] 4 RCF 75, 2014 CAF 245, par. 42 à 47; Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, par. 33).

[39] Enfin, je suis d’accord avec le défendeur que le guide jurisprudentiel sur le Nigéria a été révoqué en raison de nouveaux éléments de preuve concernant les femmes célibataires, ce qui n’est pas une considération pertinente en l’espèce.

[40] Je conclus que la décision est intelligible, transparente et justifiée. Elle permet à la Cour de comprendre pourquoi elle a été prise. Par conséquent, elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle est donc raisonnable (Vavilov, aux para 85-86).

VIII. Conclusion

[41] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a rejeté les nouveaux éléments de preuve et qu’elle a analysé la PRI.

[42] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-706-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-706-21

 

INTITULÉ :

ADEWOLE PETER ADIGUN, JUMOKE FLORENCE ADIGUN, AYODEJI OMOBOYE ADIGUN, EWAOLUWA OLAJUMOKE ADIGUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER NOVEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Vakkas Bilsin

POUR LES DEMANDEURS

 

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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