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Date : 20220610

Dossier : T-1839-21

Référence : 2022 CF 871

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2022

En présence de monsieur le protonotaire Benoit M. Duchesne

ENTRE :

KARSON MACKIE

demandeur

et

VIA RAIL CANADA INC.

défenderesse

MOTIFS ET ORDONNANCE

[1] La Cour est saisie de deux requêtes écrites présentées par la défenderesse Via Rail Canada Inc. [VIA Rail], toutes deux signifiées et déposées le 3 mai 2022, ainsi que de deux requêtes incidentes en radiation et en rejet de celles-ci présentées par M. Mackie. Ces requêtes sont produites dans le contexte plus vaste d’une demande de contrôle judiciaire entamée par ce dernier visant une décision prononcée par la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP] relativement à une plainte qu’il a portée à l’encontre de VIA Rail.

[2] La première requête de VIA Rail est une requête écrite, présentée au titre de l’alinéa 312c) et de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], en autorisation de déposer un dossier complémentaire. Le dossier complémentaire doit inclure six (6) pièces, lesquelles avaient été déposées à titre d’annexes aux observations écrites du 24 mars 2020 déposées par VIA Rail auprès de la CCDP eu égard à la plainte de M. Mackie. La seconde requête de VIA Rail vise à obtenir une ordonnance de prorogation du délai de 30 jours au titre des articles 8 et 310 des Règles durant lequel elle peut faire signifier et déposer son dossier en réponse.

[3] M. Mackie a déposé une requête incidente en radiation et en rejet pour chacune des requêtes de VIA Rail, mais n’a pas autrement fait signifier ou déposer de dossiers en réponse pour celles-ci. VIA Rail n’a pas signifié ou déposé de dossiers en réponse aux requêtes de M. Mackie.

[4] La Cour fait d’abord remarquer que les parties n’avaient pas à déposer quatre (4) requêtes distinctes relativement au moyen de réparation recherché par VIA Rail. Celle-ci aurait dû s’en tenir à une seule requête visant à obtenir deux ordonnances complémentaires et interreliées. La scission des dossiers pour présenter deux requêtes distinctes lorsqu’une seule requête fondée sur la même preuve aurait suffi ne correspond pas à une manière d’agir proportionnelle, diligente ou appropriée.

[5] La manière habituelle et proportionnelle de s’opposer à une requête consiste à suivre les Règles et à faire signifier et déposer un dossier de requête en réponse qui sollicite son rejet. Une requête en radiation visant un avis de requête ou la totalité de celle-ci ne constitue généralement pas une manière appropriée de répondre à une requête. En règle générale, une requête en radiation couronnée de succès nécessite que le requérant satisfasse au critère très rigoureux de démontrer qu’il est évident que la requête dont il sollicite la radiation est, à première vue, dépourvue de chance d’être accueillie, tandis que répondre à une requête offre à la partie intimée l’occasion de plaider que, selon toute vraisemblance, le requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve et de persuasion relativement à la requête contestée. Bien que chaque requête se fonde sur sa propre trame factuelle, il est difficile de concevoir des situations où des requêtes procédurales comme celles en l’espèce peuvent être contestées d’une façon légitime et proportionnelle par des requêtes en radiation indépendantes plutôt que par un dossier en réponse.

[6] Vu l’absence de proportionnalité dans la manière dont les parties sont allées de l’avant quant à ces quatre requêtes, je vais traiter celles-ci comme une seule et unique requête contestée en appliquant les principes énoncés à l’article 3 des Règles. Prononcer quatre ordonnances distinctes comme le voudrait l’approche suivie par les parties dilapiderait les ressources de la Cour.

[7] Les requêtes de VIA Rail sont accueillies et les requêtes en radiation et en rejet de celles‑ci présentées par M. Mackie sont rejetées pour les motifs qui suivent.

I. CONTEXTE

[8] M. Mackie sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 29 octobre 2021 prononcée par la CCDP relativement à dans son dossier de plainte 20191605. La CCDP a décidé de ne pas se pencher sur sa plainte parce qu’elle a déterminé qu’un processus de règlement des griefs lui était normalement ouvert pour résoudre les questions soulevées par celle-ci.

[9] M. Mackie a entamé sa demande de contrôle judiciaire par un avis de demande produit le 3 décembre 2021.

[10] Le 1er mars 2022, M. Mackie a signifié et déposé par courriel ses affidavits et ses pièces documentaires en application de l’article 306 des Règles. Les documents déposés par les parties à l’appui de leurs positions sur ces requêtes démontrent que VIA Rail n’a pas signifié ni déposé d’affidavit ou de pièce documentaire, en application de l’article 307 des Règles, en réponse aux documents produits par M. Mackie au titre de l’article 306 des Règles.

[11] Le dossier de demande de M. Mackie a suivi et a été signifié à VIA Rail par courriel le 20 avril 2022. Ce dossier comprend un dossier certifié du tribunal [le DCT] visé à l’article 318 des Règles et transmis par la CCDP le 12 janvier 2022, comme le permet l’alinéa 309(2)e.1) des Règles.

[12] Le 21 avril 2022, VIA Rail a examiné le dossier de demande de M. Mackie ainsi que le DCT qu’il y avait joint. VIA Rail a fait observer à ce moment que ses observations écrites du 24 mars 2022 à la CCDP étaient comprises dans le DCT reproduit, mais que les six pièces qu’elle avait déposées initialement à l’appui de ses observations écrites, et intégrées dans celles‑ci, n’étaient pas jointes. Ces six pièces sont décrites en tant que pièces VIA-1 à VIA-6, inclusivement, lesquelles comprennent une convention collective, une entente de retour au travail, de la correspondance et un protocole d’entente daté du 20 mai 2004. La preuve de VIA Rail relative à ces requêtes montre que les six pièces omises du DCT étaient à la disposition de la CCDP lorsque celle-ci a rendu la décision dont M. Mackie sollicite le contrôle. Selon VIA Rail, les pièces devraient donc avoir été versées au dossier de la cour de révision.

[13] Le 3 mai 2022, VIA Rail a déposé les deux présentes requêtes, soit 13 jours après avoir reçu le dossier de demande de M. Mackie et dans le délai prévu pour la signification de son dossier en réponse.

[14] Par ses requêtes, VIA Rail vise essentiellement à obtenir des ordonnances lui permettant de verser dans son dossier en réponse les pièces oubliées qui auraient dû y figurer avec le reste des observations écrites transmises dans le DCT. Elle vise également à obtenir une ordonnance accessoire lui accordant un délai supplémentaire pour signifier et déposer son dossier en réponse une fois que l’affaire des pièces écartées du DCT sera tranchée par la Cour.

[15] L’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 (CanLII), [2016] 3 RCF 19 [Access Copyright] de la Cour d’appel fédérale nous éclaire sur la manière de trancher ces requêtes. Dans cet arrêt, la Cour était saisie de la question de savoir comment une partie peut produire devant la cour de révision les documents ayant été soumis au décideur administratif. Le juge Stratas a tenu les propos suivants :

[15] L’article 317 peut avoir une autre utilité qui est moins essentielle, mais qui demeure importante. Les parties qui étaient présentes devant le décideur administratif ont souvent en leur possession tous les documents que le décideur administratif a examinés pour rendre sa décision. Cependant, ce n’est pas toujours le cas. De plus, il arrive que les parties n’aient pas la certitude d’avoir tout en leur possession. Parfois, elles désirent confirmer exactement ce dont le décideur a effectivement tenu compte pour rendre sa décision. L’article 317 des Règles leur en donne le moyen.

[16] Pour répondre à une demande formulée en vertu de l’article 317, le décideur administratif suit l’article 318. Aux termes de cet article, il remet au demandeur les documents qu’il avait au moment où la décision en litige a été rendue (et que le demandeur n’a pas en sa possession). L’article 318 autorise également le décideur administratif à contester la communication des documents, par exemple en invoquant un privilège d’intérêt public ou le secret professionnel de l’avocat : voir la décision Slansky, précitée, aux paragraphes 277 à 283, au sujet de la façon de traiter une objection formulée conformément à l’article 318 dans le cas de documents confidentiels.

[17] Les documents transmis par le décideur administratif en réponse à une demande faite en vertu de l’article 317 peuvent être simplement versés dans le dossier du demandeur ou de l’intimé : voir les alinéas 319(2)e.1) et 310(2)c.1) des Règles. Lorsque cela est fait, les documents se trouvent alors dans le dossier de la preuve dont est saisie la cour de révision et ils peuvent être utilisés par les parties et par la cour. Aucun affidavit n’est nécessaire.

[18] Par souci d’exhaustivité, je dois signaler deux autres choses. Premièrement, des extraits de toute transcription des témoignages oraux recueillis par un tribunal peuvent également être versés dans le dossier du demandeur ou de l’intimé sans affidavit : voir les alinéas 309(2)f) et 310(2)d) des Règles. Deuxièmement, l’article 318 prévoit qu’en plus de transmettre les documents à la partie qui a présenté la demande en vertu de l’article 317, le décideur administratif doit également « transmettre » une copie certifiée conforme des documents à la cour de révision. Il faut souligner que les Règles utilisent le verbe « transmettre », et non « déposer ». Les documents ne sont pas présentés officiellement devant la cour de révision comme faisant partie du dossier de la preuve : Canada (Procureur général) c Lacey, 2008 CAF 242. Le greffe reçoit plutôt les documents afin de vérifier que les documents contenus dans un dossier de demande au titre des alinéas 309(2)e. 1) ou 310(2)c.1) sont bel et bien ceux qu’a fournis le décideur administratif : Canada (Procureur général) c Canadian North Inc., 2007 CAF 42, [2007] 2 R.C.F. F-18, au paragraphe 11.

[19] Je vais maintenant aborder la question des documents qu’une partie a en sa possession et dont le décideur administratif était saisi au moment où il a rendu sa décision. Ces documents peuvent être pertinents aux fins du contrôle judiciaire, mais ils ne sont pas transmis par un décideur en réponse à une demande faite en vertu de l’article 317. Les articles 309 et 310 ne permettent pas de verser ces documents dans le dossier du demandeur ou de l’intimé. Par conséquent, les parties doivent poser concrètement le geste de présenter ces éléments devant la cour de révision.

[20] Il convient d’examiner ici les articles 306 et 310. Cependant, il faut avant tout comprendre que ces articles vont de pair avec un principe général fondamental : les faits doivent être prouvés au moyen d’éléments de preuve admissibles. Il existe des exceptions à cette règle, comme la connaissance d’office, les dispositions légales traitant de la question ou un exposé conjoint des faits (y compris une entente selon laquelle certains documents sont admissibles). Sauf pour ces exceptions, des documents qui ne sont pas présentés avec un affidavit qui en certifie l’authenticité ne sont pas en soi des éléments de preuve admissibles. Les documents simplement versés dans un dossier de demande ne sont pas admissibles.

[21] Aux termes des articles 306 et 307, les demandeurs et les intimés peuvent signifier à l’autre partie un affidavit accompagné des documents. Soit dit en passant, par souci d’exhaustivité, je signale que des documents qui n’ont pas été présentés devant le décideur administratif peuvent être présentés à la cour de révision au moyen d’un affidavit. Cependant, il y a des restrictions et des exigences en matière d’admissibilité qu’il faut respecter et qui sont propres aux procédures de contrôle judiciaire : voir, par exemple, la décision Bernard c Agence du revenu du Canada, 2015 CAF 263, et les décisions qui y sont mentionnées.

[22] En vertu des articles 306 et 307, les parties ne sont pas tenues d’inclure tous les documents dont était saisi le décideur administratif. Pour réduire les frais et simplifier le dossier, elles n’ont à inclure que les documents nécessaires à la demande. Ainsi donc, un demandeur peut signifier, conformément à l’article 306, un affidavit accompagné seulement de quelques-uns des documents. Pour sa part, l’intimé peut estimer que d’autres documents sont nécessaires. Il peut alors invoquer l’article 307 pour signifier un affidavit ajoutant des documents supplémentaires. Voir de façon générale la décision Canadian North, précitée, aux paragraphes 3 à 5.

[23] L’article 308 permet d’effectuer des contre-interrogatoires relativement aux affidavits. Pourquoi des contre-interrogatoires? Il peut parfois y avoir un doute sur la question de savoir si certains documents joints aux affidavits étaient effectivement devant le décideur administratif au moment où il a rendu sa décision. Les parties sont en droit de vérifier les positions de l’autre partie à cet égard. Plus tard, la cour de révision pourrait avoir à déterminer le contenu du dossier de la preuve avant de continuer et, dans certains cas, elle pourrait se fonder sur les contre-interrogatoires.

[16] Aux paragraphes 25 et 26 de l’arrêt Access Copyright, précité, la Cour d’appel fédérale a ajouté que les documents qui, selon une partie, étaient devant l’instance administrative au moment où celle-ci a rendu sa décision, mais qui ne figuraient pas dans le DCT, ne pouvaient pas tout simplement être inclus au dossier d’une partie en application des articles 309 ou 310 des Règles. Les documents devaient être présentés par voie d’affidavit expliquant que l’instance administrative était saisie des documents en cause au moment de rendre la décision contestée.

[17] Je mets en exergue sur ce point parce que la requête de VIA rail sollicite simplement l’autorisation de déposer dans un dossier complémentaire, sans plus, les six pièces dont elle a noté l’absence dans ses observations écrites versées au DCT. Le moyen de réparation recherché présuppose qu’aucune preuve à l’appui n’était nécessaire pour le dépôt des pièces oubliées. L’hypothèse sous-jacente à la requête de VIA Rail visant à obtenir une ordonnance en vertu de l’alinéa 312c) des Règles est erronée, ce que l’arrêt Access Copyright, précité, met en lumière. Comme le reflète le libellé des avis de requêtes, des affidavits et des observations écrites, l’autre hypothèse mise de l’avant par VIA Rail était que le DCT avait été « déposé » à la Cour, et que son contenu avait donc été versé au dossier de preuve de celle-ci. Le libellé limpide de l’article 318 des Règles et le fait que le DCT est « transmis » à la Cour plutôt que « déposé » auprès d’elle révèlent que ce qui lui est transmis ne fait pas partie de la preuve versée au dossier de la Cour, tant que le contenu du DCT n’est pas versé aux dossiers de demande des parties au titre des alinéas 309(2)e.1) ou 310(2)c.1), selon le cas (voir Access Copyright, précité, et, plus récemment, Rémillard c Canada (Revenu national), 2020 CF 1061, confirmé par 2022 CAF 63). VIA Rail aurait pu déposer ses requêtes au titre de l’alinéa 312a) des Règles ou elle aurait pu solliciter une prorogation du délai pour signifier l’affidavit et les pièces en réponse conformément aux articles 8 et 307 des Règles, démarche qui aurait peut‑être été plus appropriée compte tenu de l’absence apparente de signification et de dépôt en temps opportun d’un affidavit et de pièces en réponse produits conformément à l’article 307 des Règles. Néanmoins, la Cour se penchera sur la demande d’autorisation de VIA Rail au titre de l’article 312 des Règles.

[18] VIA rail doit remplir deux exigences préliminaires pour avoir gain de cause dans une requête en autorisation de déposer un dossier complémentaire ou des éléments de preuve supplémentaires fondée sur l’article 312 (Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 (CanLII), au para 4) :

(1) La preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire;

(2) L’élément de preuve doit être pertinent quant à une question que la cour de révision est appelée à trancher.

[19] Les deux exigences sont respectées. La preuve au dossier révèle que les six pièces en cause faisaient partie des documents dont était saisie la CCDP au moment de prononcer la décision contestée, mais qu’elles ont été omises du DCT préparé et transmis par cette dernière. Si elles sont régulièrement produites, les pièces seront donc jugées admissibles dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. L’inclusion dans les pièces en cause d’une convention collective et de documents connexes établit également que ces documents sont pertinents quant à la question de savoir si M. Mackie disposait d’un autre recours approprié par l’intermédiaire d’un processus de règlement des griefs, comme le donne à penser la décision de la CCDP fondée sur le paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6.

[20] L’affaire n’est toutefois pas résolue parce que les deux exigences recensées sont satisfaites. VIA Rail doit également convaincre la Cour qu’elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder l’autorisation visée à l’article 312 des Règles. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire sur la foi d’éléments de preuve dont elle dispose et en appliquant les principes pertinents (Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 (CanLII) au para 6). La considération primordiale dont elle tient compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire visé à l’article 312 des Règles est celle de savoir s’il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser VIA Rail à déposer les six pièces pour examen par la cour de révision. Généralement, il faudrait tenir compte des questions suivantes pour soupeser la manière dont le pouvoir discrétionnaire visé à l’article 312 des Règles devrait être exercé (Holy Alpha and Omega Church of Toronto c Canada (Procureur général), 2009 CAF 101 (CanLII) au para 2) :

1. La preuve que l’on demande de présenter était-elle disponible lorsque la partie a déposé ses affidavits en vertu de l’article 306 ou 308, selon le cas, ou la diligence raisonnable aurait-elle pu rendre cette preuve accessible?

2. La preuve aidera-t-elle la Cour par sa pertinence quant à une question devant faire l’objet d’une décision et sa valeur assez probante pour se répercuter sur le résultat?

3. La preuve causera-t-elle un préjudice sensible ou grave à la partie adverse?

[21] M. Mackie cherche à s’opposer aux requêtes de VIA rail, ou à les faire radier, sur la foi, entre autres, du fait que VIA rail détenait les pièces en cause au moment où elle devait signifier son affidavit et ses pièces documentaires en application de l’article 307 des Règles, et ce, avant la signification et le dépôt de son dossier de demande. Il soutient qu’elle aurait dû prendre les mesures nécessaires pour déposer les pièces à ce moment plutôt que maintenant, après que le délai pour ce faire est échu. L’argument de M. Mackie témoigne de beaucoup de mérite et de bon sens. Sa thèse voulant que VIA Rail aurait dû faire preuve de plus de diligence en préparant ses pièces documentaires en réponse à la demande de contrôle judiciaire est séduisante, mais, à mon avis, elle n’est pas suffisante pour l’emporter sur la preuve au dossier de ces requêtes, laquelle étaye le fait que l’autorisation devrait être accordée pour le dépôt des six pièces. Sa thèse ne peut également l’emporter compte tenu du principe bien établi voulant que le dossier dont était saisie l’instance administrative doive être examiné par la cour de révision en vue d’établir comment et pourquoi la conclusion du décideur se tient ou non, compte tenu des faits et du droit (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47 aux para 36-38; Canada (Transports) c Syndicat canadien de la fonction publique, 2017 CAF 164 au para 32).

[22] Rien dans le dossier sur ces requêtes ne montre que VIA Rail connaissait la teneur du DCT jusqu’à ce qu’elle reçoive le dossier de demande de M. Mackie le 20 avril 2022. La preuve au dossier montre que VIA Rail a agi le 21 avril 2022 pour solliciter l’autorisation d’inclure les six pièces omises du DCT. Cette date semble être le premier jour où VIA Rail a pris connaissance du fait que le DCT reproduit dans le dossier de demande de M. Mackie était incomplet vu l’absence des six pièces.

[23] Les pièces omises du DCT étaient à la disposition de VIA Rail au moment de la signification de ses affidavits et de ses pièces documentaires au titre de l’article 307 des Règles. Les pièces auraient pu dès lors être produites à titre d’éléments de preuve compte tenu de leur importance dans le litige. Les pièces oubliées sont manifestement utiles à la résolution des questions soumises à la Cour puisqu’elles complètent les observations écrites du 24 mars 2020 dont disposait la CCDP lorsqu’elle a pris sa décision. Ces pièces comprennent la convention collective qui établirait la procédure de règlement des griefs invoquée par la CCDP. Elles devraient être à la disposition de la cour de révision lorsqu’elle se penchera sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire de M. Mackie. Celui-ci avait les pièces en main depuis le 24 mars 2020 et leur inclusion ne lui causera pas de préjudice plus grand que celui d’imposer un certain délai dans la constitution du dossier en réponse et dans le déroulement des prochaines étapes de la présente instance menant à l’instruction de la demande.

[24] À mon avis, il est dans l’intérêt de la justice que la Cour octroie l’autorisation prévue à l’article 312 des Règles en vue de permettre à VIA Rail de produire les six pièces jointes à ses observations du 24 mars 2020 soumises à la CCDP, mais qui ne figurent pas dans le DCT.

[25] En ce qui concerne la deuxième requête de VIA rail, à savoir celle visant une prorogation du délai de signification et de dépôt de son dossier en réponse, je conclus qu’une telle mesure est nécessaire en raison de l’octroi de l’autorisation visée par la requête fondée sur l’article 312 des Règles. Sans tenir compte de l’issue de cette dernière, les documents déposés à l’appui des requêtes de VIA Rail ont expliqué : a) sa volonté constante de répondre à la demande, b) que la réponse qu’elle entend faire est bien fondée parce que la CCDP s’est appuyée sur la procédure de règlement des griefs qui ne figure pas au DCT, mais qui faisait partie des observations dont elle disposait au moment de la décision, c) que M. Mackie ne subit aucun préjudice s’il y a prorogation du délai visant à permettre à VIA Rail de signifier son dossier en réponse, y compris les six pièces mises à l’écart du DCT, et d) les motifs de la prorogation du délai recherchée (Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF) au para 3).

[26] Par conséquent, le délai visant à permettre à VIA Rail de signifier son dossier en réponse visé à l’article 310 sera prorogé.

[27] Compte tenu de l’explication faite par le juge Stratas dans l’arrêt Copyright Access, précité, les six pièces oubliées ne peuvent pas être simplement ajoutées dans le dossier en réponse de VIA Rail, mais doivent être présentées au moyen d’un affidavit en bonne et due forme. M. Mackie devrait avoir le droit de contre-interroger l’auteur de cet affidavit en vertu de l’article 308 des Règles s’il le désire. Le dossier en réponse devrait être signifié après l’échéance du délai accordé pour le contre-interrogatoire.

[28] En ce qui concerne les deux requêtes de M. Mackie, elles sont de la nature de dossiers de réponse visés par le paragraphe 369(2) des Règles et ont été traitées de la sorte. Bien que les arguments de M. Mackie quant à la diligence de VIA Rail au regard de la production de sa preuve en l’espèce se tiennent, ils ne sont pas convaincants étant donné qu’il est dans l’intérêt de la justice d’aller de l’avant dans la présente instance. Dans la mesure où les deux requêtes de M. Mackie doivent être tenues pour des requêtes dans lesquelles il est la partie requérante, elles sont toutes les deux rejetées, sans dépens.

[29] La Cour aimerait formuler un commentaire sur les affidavits déposés par les parties relativement aux présentesrequêtes. Aucun de ces affidavits n’a respecté les exigences prévues aux articles 80 et 81 des Règles ni à la formule 80. J’ai considéré que les éléments de preuve produits par les parties avaient été correctement présentés et déposés parce que leur forme et leur contenu générique sont tirés des articles 105 et 106 du Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01 et de la pratique de la province de Québec quant aux déclarations sous serment, anciennement désignées comme « affidavits » dans les versions antérieures du Code de procédure civile. Les articles 105 et 106 ne sont pas incorporés dans les Règles par renvoi. Les parties devraient prendre le temps de revoir les Règles de la Cour et de les appliquer à l’avenir. Exiger d’elles qu’elles modifient leurs affidavits à l’appui des présentesrequêteslorsqu’elles n’ont pas soulevé les irrégularités des affidavits de leur adversaire en l’espèce n’est pas dans l’intérêt de la justice. Le temps file pour la demande de contrôle judiciaire de M. Mackie et impartir de nouveaux délais pour des irrégularités non contestées n’a pas lieu d’être.

LA COUR ORDONNE :

1. La requête en autorisation au titre de l’article 312 des Règles présentée par la défenderesse VIA Rail est accueillie afin de lui permettre de déposer un affidavit;

2. La requête en prorogation du délai pour la signification et le dépôt du dossier en réponse de la défenderesse VIA Rail est accueillie;

3. La défenderesse VIA Rail peut, dans les 10 jours suivant la présente ordonnance, faire signifier un affidavit accompagné des documents qui, selon elle, faisaient partie de ses observations écrites soumises à la CCDP, qui les avait à sa disposition au moment de rendre la décision contestée;

4. Le demandeur M. Mackie peut, conformément à l’article 308 des Règles, contre‑interroger l’auteur de l’affidavit, qui sera signifié par VIA Rail au titre de la présente ordonnance, dans les 20 jours suivant la date où l’affidavit lui aura été signifié;

5. Le demandeur M. Mackie peut, dans les 20 jours suivant la date du contre‑interrogatoire mentionné ci-dessus, ou de l’expiration du délai accordé pour sa tenue, signifier et déposer un dossier de demande complémentaire qui contient les documents énumérés à l’article 309 des Règles qui ne figurent pas dans son dossier de demande original et qui font suite à la présente ordonnance;

6. La défenderesse VIA Rail doit, dans les 30 jours suivant la réception du dossier de demande complémentaire, ou l’expiration du délai pour sa communication, signifier et déposer son dossier en réponse visé à l’article 310 des Règles;

7. Les délais courent maintenant conformément aux Règles;

8. Vu qu’aucune partie n’a réclamé de dépens, ceux-ci ne seront pas adjugés dans les présentes requêtes.

« Benoit M. Duchesne »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Frédérique Bertrand-Le Borgne


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1879-21

 

INTITULÉ :

KARSON MACKIE c VIA RAIL CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

SUR DOSSIER

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE PROTONOTAIRE B.M. DUCHESNE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2022

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karson Mackie

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Caroline-Ariane Bernier

McCarthy Tétrault

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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