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Date : 20220602


Dossier : IMM-6102-21

Référence : 2022 CF 811

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ABIMBOLA MERCY AJE

BOLARINWA ADEWALE AJE

OLOLADE ADEKUNLE AJE

OLANREWAJU ADEGORIOLA AJE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Après le rejet de leur demande d’asile, les demandeurs ont sollicité la résidence permanente sur le fondement d’une politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente pour certains demandeurs d’asile qui travaillent dans le secteur de la santé durant la pandémie de COVID-19 au Canada. Ils contestent la décision d’un agent d’immigration, qui a conclu que la demanderesse principale n’était pas admissible dans le cadre de la politique.

[2] Comme je l’expliquerai plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée, car la décision de l’agent n’était ni inéquitable sur le plan procédural ni déraisonnable.

II. Contexte

[3] La demanderesse principale, Abimbola Mercy Aje, a présenté une demande de résidence permanente pour les membres de sa famille (les autres demandeurs) et elle au titre d’une politique d’intérêt public temporaire offrant une voie d’accès à la résidence permanente aux demandeurs d’asile qui ont travaillé un nombre d’heures minimal dans le secteur de la santé pendant la pandémie de COVID-19 [le programme offrant une voie d’accès]. Avant de solliciter la résidence permanente, la demanderesse principale avait présenté une demande d’asile au Canada, mais cette dernière avait été rejetée, tout comme l’appel subséquent.

[4] La demanderesse principale a joint à sa demande une lettre de Home Instead Senior Care [Home Instead], un fournisseur de soins à domicile pour les personnes âgées, qui confirmait qu’elle avait effectué 140 heures de formation et avait acquis une expérience pratique en tant qu’aide-soignante professionnelle entre le 1er juin et le 10 juillet 2020. Cette formation n’était pas rémunérée et, une fois celle-ci terminée, la demanderesse principale a reçu un certificat d’achèvement de Home Instead. La lettre confirmait également qu’à partir d’août 2020, la demanderesse principale avait continué à être employée sur appel chez Home Instead après avoir terminé sa formation, et qu’elle y avait effectué 101 heures additionnelles de travail rémunéré.

[5] En plus de son travail chez Home Instead, la demanderesse principale a occupé un poste à temps partiel en tant que travailleuse de soutien direct chez Community Living, où elle a travaillé 667 heures entre décembre 2020 et mai 2021. Dans le cadre de ces deux emplois, elle a fourni des soins personnels directs aux patients; elle a notamment fourni des soins personnels quotidiens ou donné des bains, aidé pour la toilette, administré des médicaments et fait des rappels à ce sujet, préparé des repas et tenu compagnie aux patients.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] Dans une lettre datée du 25 août 2021, un agent principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs. Il a indiqué que la demanderesse principale n’était pas admissible à la résidence permanente dans le cadre de la nouvelle politique publique pour les motifs suivants :

[traduction]
Vous n’avez pas exercé au Canada une ou plusieurs professions désignées consistant à offrir des soins directs aux patients dans un hôpital, un établissement de soins de longue durée ou un foyer avec services public ou privé, ou encore pour un organisme offrant des services de soins de santé aux aînés à domicile ou en établissement ou aux personnes handicapées dans des résidences privées :

  • § pendant au moins 120 heures (équivalant à 4 semaines à temps plein) entre le 13 mars 2020 et le 14 août 2020;

  • § pendant au moins 6 mois à temps plein (30 heures par semaine) ou accumulé 750 heures (s’il s’agissait d’un emploi à temps partiel) d’expérience au total (acquise au plus tard le 31 août 2021)

[7] Le 26 août 2021, la demanderesse principale a présenté une demande de réexamen. Dans une lettre datée du 27 août 2021, l’agent a de nouveau rejeté la demande. Les motifs de la décision joints à la lettre faisaient référence à l’expérience professionnelle de la demanderesse principale et aux documents à l’appui, et ils indiquaient ce qui suit :

[traduction]
Pour être comptabilisées dans le cadre de la politique d’intérêt public, les périodes de travail dans une profession désignée doivent être payées sauf si le demandeur effectuait un stage considéré comme une partie essentielle d’un programme de niveau postsecondaire ou d’une formation professionnelle dans le cadre d’un emploi dans une des professions désignées ou si le demandeur a effectué un stage dans une des professions désignées requis par un ordre professionnel. Je ne suis pas convaincu que la formation suivie par la demanderesse principale du 1er juin 2020 au 10 juillet 2020 respecte les critères de la politique publique et j’estime que la preuve ne suffit pas à démontrer que la demanderesse principale a travaillé dans une profession désignée pendant 120 heures entre le 13 mars 2020 et le 14 août 2020.

[8] Sous le titre « Addenda du 27 août 2021 : demande de réexamen », les motifs indiquaient en outre :

[traduction]
Le 16 août 2021, la demanderesse a sollicité le réexamen de la décision défavorable. Elle affirme que son stage consistait en « des heures de formation professionnelle, qui ont mené à un emploi chez Home Instead Care à l’issue de sa formation ». La demanderesse n’a pas présenté d’autres observations. Dans les observations présentées à l’appui de la demande, la lettre de « Home Instead Care » datée du 6 juin 2020 indique que la demanderesse a suivi une formation et acquis une expérience pratique en tant qu’aide-soignante professionnelle du 1er juin 2020 au 10 juillet 2020 et qu’elle a été « employée après avoir terminé sa formation d’aide-soignante en août 2020 » (non souligné dans l’original.) Je conclus que les éléments de preuve fournis indiquent que la demanderesse a suivi une formation et travaillé pour un employeur sans être payée et j’estime que la preuve ne suffit pas à démontrer que la demanderesse a effectué un stage dans le cadre d’un programme de formation professionnelle agréé. Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve fournis démontrent que la demanderesse a effectué un stage non rémunéré dans le cadre d’un programme de formation professionnelle, d’un programme de niveau postsecondaire ou conformément à l’exigence d’un ordre professionnel. La présente demande est rejetée.

[9] Le 30 août 2021, la demanderesse principale a présenté une deuxième demande de réexamen. Dans une lettre datée du 3 septembre 2021, l’agent a de nouveau rejeté la demande; il a réitéré les faits mentionnés dans les lettres précédentes et affirmé ce qui suit :

[traduction]
Je conclus que la preuve démontre que vous avez effectué un stage non rémunéré pour un employeur qui ne faisait pas partie d’un programme de formation professionnelle agréé. Je ne suis pas convaincu que votre stage faisait partie d’un programme de niveau postsecondaire, d’un programme de formation professionnelle dans une des professions désignées ou d’un stage exigé par un ordre professionnel dans une des professions désignées.

[10] L’agent s’est fondé sur ce raisonnement pour conclure qu’un deuxième réexamen n’était pas justifié. La décision de rejeter la deuxième demande de réexamen fait l’objet du présent contrôle.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Les demandeurs soumettent les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. L’agent a-t-il omis de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale ou a-t-il autrement outrepassé ou refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire?

  2. L’agent a-t-il omis de tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés?

  3. La décision de l’agent était-elle fondée sur des conclusions de fait erronées tirées de manière abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont il disposait?

[12] La première question concernant l’équité procédurale est évaluée selon la norme de la décision correcte. La norme de contrôle applicable aux deuxième et troisième questions est celle du caractère raisonnable.

V. Analyse

A. Politique d’intérêt public temporaire

[13] Le programme offrant une voie d’accès résulte d’une politique d’intérêt public temporaire qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a mise en place pour faciliter l’octroi de la résidence permanente pour certains demandeurs d’asile qui ont travaillé dans le secteur de la santé au Canada et qui ont fourni des soins directs aux patients durant la pandémie de COVID-19.

[14] Le document soumis à la Cour qui semble le mieux documenter la politique d’intérêt public temporaire sous-jacente au programme offrant une voie d’accès est un document du gouvernement du Canada intitulé « Politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente pour certains demandeurs d’asile qui travaillent dans le secteur de la santé durant la pandémie de COVID-19 » [le document de politique]. Ce document comprend ce qui semble être un énoncé ministériel établissant qu’en vertu de l’article 25.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], certaines considérations d’intérêt public peuvent justifier l’octroi du statut de résident permanent ou la levée de certains critères du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, pour les étrangers qui remplissent les conditions (critères d’admissibilité) énoncées dans le document de politique.

[15] Aux fins de l’examen des questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire, il n’est pas nécessaire d’énoncer l’ensemble des conditions énumérées dans le document de politique. Aucune des parties ne conteste qu’un demandeur doit avoir exercé une ou plusieurs professions désignées pendant une période minimale pour être admissible au programme offrant une voie d’accès. La condition en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire porte sur les circonstances dans lesquelles un demandeur peut être admissible sur le fondement d’un emploi non rémunéré. Cette condition est la suivante :

4. c. pour plus de précision, les périodes de travail dans une profession désignée doivent être payées sauf si le demandeur effectuait un stage considéré comme une partie essentielle d’un programme de niveau postsecondaire ou d’une formation professionnelle dans le cadre d’un emploi dans une des professions désignées ou si le demandeur a effectué un stage dans une des professions désignées requis par un ordre professionnel.

B. L’équité procédurale de la décision de l’agent

[16] À l’appui de leur affirmation selon laquelle la décision est inéquitable sur le plan procédural, les demandeurs soutiennent en premier lieu que l’agent n’a pas fourni de motifs adéquats pour rejeter la demande de la demanderesse principale. Cependant, comme le défendeur le fait valoir à juste titre, la Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] que l’insuffisance des motifs ne justifie pas à elle seule un contrôle initial (au para 304). L’examen des motifs d’un décideur ne représente qu’une partie du rôle de la Cour lors de l’évaluation du caractère raisonnable d’une décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire (voir Vavilov, aux para 99‐101). Je me pencherai plus loin sur les motifs de l’agent lorsque j’examinerai les arguments des demandeurs concernant le caractère raisonnable.

[17] Les demandeurs affirment également que la demanderesse principale a été privée de son droit à l’équité procédurale, car l’agent ne l’a pas informée des doutes pertinents qu’il entretenait et ne lui a pas donné l’occasion d’y répondre.

[18] J’estime que cet argument est dénué de fondement. L’addenda du 27 août 2021 des motifs de la décision et la lettre du 3 septembre 2021 indiquent clairement que le rejet des deux demandes de réexamen par l’agent reposait sur la conclusion que la demanderesse principale avait suivi une formation non rémunérée et travaillé pour un employeur sans être payée, et qu’elle n’avait pas suivi un stage réalisé dans le cadre d’un programme de formation professionnelle agréé, ce qui la rendait inadmissible au programme offrant une voie d’accès. Comme ce raisonnement a été formulé lors du rejet de la première demande de réexamen par l’agent, les demandeurs ne peuvent pas soutenir de manière crédible qu’ils ignoraient que l’agent entretenait des doutes, et que cela les a empêchés d’y répondre au moment de présenter la deuxième demande de réexamen. Comme je l’ai indiqué précédemment, la décision de rejeter la deuxième demande de réexamen fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[19] En outre, le raisonnement de l’agent reposait sur l’interprétation des critères d’admissibilité de la politique d’intérêt public temporaire, et non sur des doutes concernant la crédibilité ou l’authenticité des observations de la demanderesse principale. Par conséquent, rien ne permet à la Cour de conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale (voir, p. ex., Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24).

[20] Les demandeurs soulèvent également la possibilité que l’agent ait pu douter de l’authenticité des documents présentés par la demanderesse principale ou de la véracité de son témoignage. Bien que des doutes concernant l’authenticité ou la véracité puissent donner lieu à une obligation d’équité procédurale, j’estime que le dossier ne contient aucune indication que l’agent nourrissait ce genre de doutes. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, le rejet de la demande était plutôt fondé sur la conclusion de l’agent voulant que la demanderesse principale avait suivi une formation non payée pour un employeur plutôt qu’un stage dans le cadre d’un programme de formation professionnelle agréé; par conséquent, elle n’était donc pas admissible au programme offrant une voie d’accès.

C. Caractère raisonnable de la décision de l’agent

[21] Le reste des arguments soulevés par les demandeurs vise à contester le caractère raisonnable de la décision de l’agent. Les demandeurs allèguent notamment que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve présentés par la demanderesse principale et n’a pas fourni de motifs permettant aux demandeurs de comprendre pourquoi leur demande a été rejetée. Encore une fois, j’estime que cette observation n’a aucun fondement. Il est clair que l’agent a examiné les éléments de preuve et qu’il a conclu que la demanderesse principale n’était pas admissible parce qu’elle avait suivi une formation non rémunérée pour un employeur au lieu d’un programme de formation professionnelle agréé, ce que l’agent considérait comme une condition d’admissibilité dans le cadre de la politique d’intérêt public temporaire.

[22] La Cour doit également examiner s’il était raisonnable que l’agent interprète la politique d’intérêt public temporaire comme une exigence voulant que le travail non payé effectué dans le cadre d’une formation professionnelle fasse partie d’un programme agréé pour être comptabilisé dans le cadre du programme offrant une voie d’accès. Je fais remarquer que l’application de la norme du caractère raisonnable à l’interprétation des exigences de la politique d’intérêt public temporaire par un agent est appuyée par la décision Abraham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 449 [Abraham] au paragraphe 17, rendue par le juge LeBlanc.

[23] À l’appui de sa thèse selon laquelle l’interprétation de la politique d’intérêt public temporaire par l’agent était raisonnable, le défendeur se fonde essentiellement sur l’affidavit de Céline Beauparlant, directrice adjointe de la Division des politiques et programmes sociaux et discrétionnaires de la Direction générale de l’immigration. En 2020 et 2021, Mme Beauparlant était analyste principale des politiques au sein de la même Division et Direction générale et elle a travaillé à l’élaboration de la politique d’intérêt public temporaire pour le programme offrant une voie d’accès. À mon avis, les paragraphes de l’affidavit de Mme Beauparlant les plus pertinents pour les observations du défendeur sont les suivants :

[traduction]
10. Suivant IRCC, pour être comptabilisé dans le cadre du programme de formation professionnelle, le travail non rémunéré doit être accompli dans le cadre d’une formation formelle; il ne peut se limiter à un travail de soignant non rémunéré pour une institution ne disposant pas de l’accréditation permettant d’offrir une telle formation. De nombreux éléments ont été examinés au moment de déterminer s’il fallait inclure ou non les stages dans le cadre de la politique publique. Premièrement, il a été décidé de ne pas inclure le travail non rémunéré ou bénévole pour un certain nombre de raisons : 1) Le fait d’accepter l’expérience à titre de bénévole comme expérience de travail pourrait avoir des conséquences négatives inattendues pour la politique d’immigration à venir et le marché du travail. Par exemple, une partie de la population canadienne et des résidents permanents pourraient être désavantagés par rapport aux personnes qui souhaitent et peuvent faire du bénévolat; cela remplacerait des emplois qui seraient normalement rémunérés et pourrait faire baisser les salaires; 2) Le travail non rémunéré peut créer une situation de vulnérabilité à l’exploitation des travailleurs pour les personnes dont le statut d’immigration est précaire, où les travailleurs ne sont pas indemnisés pour le travail effectué en plus d’être maintenus dans cette situation par crainte de ne pas satisfaire aux éventuelles exigences en matière d’immigration. 3) Le fait de reconnaître le bénévolat pourrait alourdir la charge de travail des organisations bénévoles compte tenu, notamment, des demandes faites auprès de ces organisations par les candidats souhaitant faire reconnaître leur expérience de travail (périodes de travail, types de tâches, etc.).

11. L’ajout éventuel de stages, rémunérés ou non, a également été pris en compte. Les stages rémunérés ne posaient aucun problème, mais il était important de s’assurer que les stages non rémunérés n’entraineraient pas les problèmes soulevés ci-dessus à l’égard du travail bénévole. En consultation avec des collègues de l’équipe chargée des étudiants au sein d’IRCC, une exigence a été ajoutée dans la politique publique (4.c) pour accepter les stages non rémunérés, mais en les encadrant d’une certaine manière, c’est-à-dire qu’il était important de circonscrire les types de stages non rémunérés qui seraient acceptés afin d’éviter les problèmes mentionnés ci-dessus et de garantir l’intégrité de la mesure spéciale. Cette politique publique a été élaborée et mise en œuvre dans une période de crise où les personnes âgées étaient particulièrement touchées et décédaient dans les hôpitaux, les maisons de soins de longue durée et les autres établissements, et où il y avait beaucoup d’incertitudes pour les personnes travaillant dans le système de santé au Canada. Dans ce contexte, il était important d’avoir des critères qui exigeaient que ces demandeurs, qui travaillaient auprès d’une population vulnérable, aient une formation reconnue qui ne repose pas sur le travail bénévole. Il était également important, d’un point de vue opérationnel, qu’il soit facile de vérifier si la formation avait été suivie afin que les agents puissent reconnaître efficacement les attestations de travail des demandeurs.

[...]

16. Lorsqu’une personne reçoit une formation non rémunérée qui n’est pas offerte par une école ou un établissement d’enseignement, IRCC ne peut en évaluer efficacement la qualité, car les formations qui ne forment pas une partie essentielle des programmes gérés par une école ou un établissement d’enseignement pourraient se dérouler dans une variété d’environnements non contrôlés, ce qui pourrait nuire à la crédibilité de la mesure et entrainer des conséquences imprévues sur la santé d’une population déjà vulnérable.

[24] Les demandeurs n’ont pas contesté la sagesse des considérations d’intérêt public auxquelles Mme Beauparlant a fait allusion dans son témoignage. Cependant, je comprends mal pourquoi le défendeur s’appuie sur ces éléments de preuve en l’absence d’indication dans le dossier que ces considérations d’intérêt public ont été documentées ou autrement communiquées de manière à les porter à l’attention de l’agent. La Cour doit examiner si l’interprétation donnée par l’agent à la politique d’intérêt public temporaire était raisonnable. À mon avis, l’examen de la Cour doit reposer sur les renseignements dont l’agent disposait pour interpréter la politique. J’accepte la possibilité que ces renseignements ne se limitent pas au document de politique mentionné précédemment. Cependant, j’estime que rien ne permet de conclure que ces informations comprennent les considérations politiques détaillées dont il est question dans l’affidavit de Mme Beauparlant.

[25] Cela dit, Mme Beauparlant fait remarquer que le formulaire (IMM 1018) publié par IRCC à l’intention des demandeurs dans le cadre du programme offrant une voie d’accès comprend une section spécifique sur le stage (section E) qui exige des demandeurs qu’ils identifient l’« École/établissement d’enseignement où le programme a été dispensé » et le « Nom du programme de soins de santé ». Mme Beauparlant décrit cette partie du formulaire comme servant à faciliter la vérification du stage d’un demandeur. Le défendeur soutient qu’IRCC a inclus cette formulation dans le formulaire pour exprimer l’exigence selon laquelle le travail non rémunéré doit s’inscrire dans un programme d’enseignement ou de formation reconnu et que cela soutient l’interprétation donnée par l’agent à la politique d’intérêt public temporaire. Le défendeur fait remarquer qu’en remplissant cette partie de son formulaire de demande, la demanderesse principale a écrit [traduction] « formation en cours d’emploi et certificats de courte durée » dans le champ « École/établissement d’enseignement où le programme a été dispensé » et a laissé le champ « Nom du programme de soins de santé » en blanc.

[26] Je reconnais que cet argument soulevé par le défendeur milite en faveur du caractère raisonnable de l’interprétation de l’agent et de la décision qui en découle, à savoir que la nature de la formation de la demanderesse principale ne justifiait pas son admissibilité.

[27] J’ai également examiné l’argument du défendeur selon lequel l’interprétation donnée par l’agent au libellé du document de politique sur lequel la demanderesse principale s’est fondée pour présenter sa demande (un stage considéré comme une partie essentielle [...] d’une formation professionnelle dans le cadre d’un emploi dans une des professions désignées »), c’est‐à‐dire comme exigeant un programme de formation agréé, est conforme aux autres catégories de stages reconnues dans le document de politique. Ces autres catégories sont « un stage considéré comme une partie essentielle d’un programme de niveau postsecondaire » et « un stage dans une des professions désignées requis par un ordre professionnel ». Le défendeur fait valoir que les références à un programme de niveau postsecondaire et à l’exigence d’un ordre professionnel visent clairement des programmes officiellement reconnus et qu’il était donc raisonnable pour l’agent d’interpréter la référence à une formation professionnelle de la même façon.

[28] J’estime que cet argument est convaincant. Par cette conclusion, je reconnais que la Cour doit faire preuve de prudence lorsqu’elle effectue un examen du caractère raisonnable fondé sur une analyse qui n’est pas expressément reflétée dans les motifs de la décision. L’arrêt Vavilov prévoit que le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable concerne la justification fournie par un décideur, et non la justification qui aurait pu être fournie (voir Vavilov, au para 86). Cependant, l’arrêt Vavilov reconnaît également (dans le contexte de l’interprétation des lois) que les décideurs administratifs ne sont pas tenus dans tous les cas de procéder à une interprétation formaliste de la loi (au para 119), et je considérerais que ce principe s’applique à l’interprétation de la politique d’intérêt public temporaire qui sous-tend la décision en l’espèce.

[29] Je reviens sur le fait, confirmé dans la décision Abraham, que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation de la politique d’intérêt public temporaire par l’agent, ce qui signifie qu’une certaine déférence et une certaine latitude doivent lui être accordées. Comme la Cour l’a indiqué dans la décision Abraham, si le libellé d’une politique ministérielle ne laisse à l’agent aucune marge de manœuvre dans son interprétation, une décision contraire à ce libellé sera déraisonnable (au para 17). Cependant, j’estime que le libellé dont il est question en l’espèce ne prive pas l’agent de la marge de manœuvre nécessaire pour interpréter ce libellé de la manière exprimée dans la décision faisant l’objet du contrôle. En effet, comme je l’ai expliqué dans mon analyse ci-dessus, certains aspects de ce libellé soutiennent cette interprétation, et cela vaut également pour le dossier présenté à l’agent.

[30] Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6102-21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6102-21

INTITULÉ :

ABIMBOLA MERCY AJE

BOLARINWA ADEWALE AJE

OLOLADE ADEKUNLE AJE

OLANREWAJU ADEGORIOLA AJE

c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 2 juin 2022

COMPARUTIONS :

Adewale Martins

POUR LES DEMANDEURS

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Odeyemi Law

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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