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Date: 20030521

Dossier : IMM-1089-02

Référence neutre : 2003 CFPI 636

ENTRE :

                                                           Sheko ZEFI et Fabiola ZEFI

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX :

A)         INTRODUCTION ET CONTEXTE

[1]                 Sheko Zefi, une veuve âgée de quarante-six ans, et sa fille unique, Fabiola, qui était âgée de dix-huit ans au moment de l'audience (les demanderesses), sont toutes deux citoyennes albanaises. Par la présente demande de contrôle judiciaire, elles contestent la décision rendue par la Section du statut de réfugié (le tribunal), le 11 février 2002, rejetant leur revendication de statut de réfugié.

[2]                 Elles disent craindre avec raison d'être persécutées du fait de leur appartenance à un groupe social : la famille ou le clan impliqué dans une vendetta. Fabiola est arrivée au Canada le 17 juillet 2000, et sa mère est venue la rejoindre le 27 octobre 2000.

[3]                 Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), Sheko Zefi a relaté qu'après son mariage avec Gjeto Zefi au mois de juillet 1979, le couple est allé vivre dans le village du mari, Velipoje, situé dans le nord de l'Albanie.

[4]                 Madame Zefi a affirmé que son mari a été assassiné le 14 mars 1997 par des membres de la famille Frani, qui vivaient également à Velipoje, et que ce meurtre a été perpétré en application du Kanun - un code coutumier - dans le cadre d'une vendetta opposant les deux familles depuis quatre-vingt ans, qui avait été mise en veilleuse durant le régime communiste mais qui s'était réactualisée en 1997, à la faveur de l'affaiblissement de l'ordre public.

[5]                 Madame Zefi a écrit qu'elle pensait que son mari a été tué parce qu'il était l'homme le plus âgé de la famille Zefi ou parce qu'il n'avait pas de fils pour le venger. Selon le Kanun, sa fille et elle devraient venger sa mort en tuant un membre de la famille Frani. Elle a déclaré avoir subi des pressions de la part de la famille Zefi pour agir de la sorte, mais elle a refusé.

[6]                 Étrangement, il semble, selon Mme Zefi, que si la mort de son mari n'est pas vengée, les membres de la famille Frani pourront, suivant le Kanum, tuer un autre membre de la famille Zefi parce qu'il est déshonorant pour une famille de ne pas tirer vengeance d'un meurtre.

[7]                 Toujours suivant le Kanun, Fabiola serait la nouvelle victime de la famille Frani si la famille Zefi n'exerce pas vengeance.

[8]                 Sa mère l'a envoyée vivre avec une tante à Berat vers la fin du printemps ou le début de l'été 1997. Elle y est restée environ deux ans. Les membres de la famille Frani ayant découvert où elle se trouvait, elle est allée chez sa grand-mère à Tirana, d'où elle s'est enfuie au Canada.

[9]                 Dans son FRP, Fabiola Zefi a écrit qu'au mois de juin 1999 elle a vu deux hommes qui l'observaient près de l'école qu'elle fréquentait à Berat et qu'elle a su, par les vêtements qu'ils portaient, qu'ils étaient du nord. Quelques jours plus tard, les mêmes hommes, dont l'un avait un fusil, ont tenté de la faire monter de force dans une voiture, mais elle a réussi à s'enfuir quand des passants ont commencé à crier et ont effrayé les assaillants.

[10]            Après avoir terminé ses études, elle est allée vivre chez sa grand-mère à Tirana, la capitale. Sa mère lui a rendu visite et l'a emmenée trois fois consulter un psychologue en Macédoine.

[11]            Fabiola a déclaré qu'elle ne se sentait pas en sûreté à Tirana, parce que, a-t-elle dit, beaucoup d'Albanais du nord y vivent et que sa mère et elle craignaient que la famille Frani apprenne qu'elle y résidait et la tue. Elle a écrit :

[Traduction] Nous n'avons pas demandé protection aux autorités parce que nous étions au courant d'autres cas comme le nôtre et que nous savions que les autorités n'interviennent pas (dossier des demanderesses, p. 41) .

[12]            Madame Zefi a déclaré, dans son FRP, qu'elle est demeurée à Velipoje avec la famille de son mari, après avoir envoyé sa fille à Berat, parce que le Kanun prescrit que l'épouse doit rester à l'endroit où son mari est enterré (dossier des demanderesses, p. 30). Après le meurtre de son mari, elle a laissé son emploi et, à toutes fins pratiques, elle est restée à la maison, sortant rarement et, lorsqu'elle sortait, toujours accompagnée. Elle a indiqué qu'elle avait l'autorisation de la famille Zefi de quitter le village pour emmener sa fille voir le psychologue en Macédoine mais qu'elle est toujours retournée au village parce que : [Traduction] « si elle n'était pas revenu, j'aurais déshonoré la famille. Mes beaux-frères auraient alors eu le droit de me tuer, suivant le droit coutumier » .

[13]            Selon ce qu'elle a affirmé dans son FRP, elle vit dans la crainte de la famille Zefi, qui la poussait à venger son mari, et elle craint également la famille Frani.


[14]            Aidée par des parents, elle a vendu sa maison au mois de mai 2000 pour pouvoir envoyer sa fille au Canada au mois de juillet 2000, mais elle a continué à vivre à Velipoje jusqu'à ce qu'elle soit capable [Traduction] « d'organiser moi-même mn voyage par l'intermédiaire d'un agent, et j'ai quitté le pays au mois d'octobre 2000 » .

[15]            Elle conclut sa relation des faits de la façon suivante au par. 10 de son FRP (dossier des demanderesses, p. 30) :

[Traduction] J'ai senti que je devais quitter l'Albanie parce que mon départ du village déshonorerait la famille de mon mari et qu'elle me chercherait partout pour me tuer. Je craignais également que la famille Frani me retrouve comme elle avait retrouvé ma fille. Je ne croyais pas que les autorités gouvernementales albanaises pouvaient me protéger efficacement.

B)         LA DÉCISION DU TRIBUNAL

[16]            Je conclus, à la lecture de la décision du tribunal, que deux raisons principales ont motivé son rejet de la revendication : la question du lien et l'invraisemblance de l'affirmation selon laquelle on attendait des revendicatrices qu'elles vengent la mort de Gjeto Zefi.

[17]            Le tribunal a relevé un aspect problématique dans le témoignage de Mme Zefi au sujet de l'itinéraire qu'elle avait suivi d'Albanie au Canada, mais il n'en a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité. Autrement dit, il n'a pas jugé Mme Zefi non crédible, et il a tiré la conclusion de fait que Gjeto Zefi avait été tué par des membres de la famille Frani dans le cadre d'une vendetta.

[18]            Le tribunal a jugé qu'il n'existait pas de lien entre la crainte de persécution et l'un des cinq motifs prévus par la Convention, c'est-à-dire la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social ou les opinions politiques.

[19]            Il s'est appuyé sur la décision rendue par le juge Heneghan dans l'affaire Bojaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1524, laquelle portait sur la revendication présentée par un Albanais de dix-neuf ans qui disait craindre avec raison d'être persécuté car il redoutait d'être tué dans une vendetta parce qu'il était le seul homme de la famille qui restait en Albanie. Le grand-père du revendicateur avait assassiné un membre de la famille Curri avant la Seconde Guerre mondiale.

[20]            Dans la présente affaire, le tribunal a formulé les conclusions suivantes :

... les revendicatrices sont l'épouse et la fille de la victime d'une vendetta. Je n'accepte pas que les victimes d'une vendetta (victimes de criminalité) aient un lien avec un motif énoncé dans la Convention

De plus, je constate qu'il est invraisemblable que les frères de Gjeto Zefi obligent les revendicatrices à venger la mort de Gjeto Zefi. Cet acte, s'il était plausible, serait aussi criminel et il n'est pas lié à un motif énoncé dans la Convention. [Non souligné dans l'original]

[21]            La conclusion du tribunal quant à l'absence de plausibilité découle de son analyse de la preuve documentaire, qui l'a amené à déterminer que le Kanun n'exigeait pas des revendicatrices qu'elles vengent la mort de Gjetp Zefi. Selon le Kanun, en effet, cette tâche appartient seulement au parent masculin le plus proche de la victime, c'est-à-dire, en l'espèce, aux frères de M. Zefi.

[22]            À cause de cette conclusion, le tribunal a déterminé que les revendicatrices n'avaient pas de crainte objective d'être persécutées par les membres de la famille Frani parce que ce n'était pas elles qui présentaient une menace pour cette famille, mais les frères de M. Zefi, et que Mme Zefi n'avait pas à craindre la famille Zefi car ses membres n'attendaient pas d'elle qu'elle se charge de la vengeance.

C)        EXAMEN

[23]            L'avocat des revendicatrices invoque trois arguments :

(1)       la conclusion du tribunal selon laquelle le Kanun n'inclut pas l'épouse et la fille d'une victime de vendetta au nombre des personnes à qui il incombe de venger cette mort, a été tirée sans égard à la totalité de la preuve;

(2)       les familles impliquées dans des vendettas en Albanie devraient être reconnues comme un groupe social - l'un des cinq motifs énumérés dans la Convention;

(3)       le tribunal n'a pas tenu compte de la quatrième série de directives : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, qui portent sur les difficultés particulières que peuvent éprouver les femmes à établir que leur revendication est crédible et digne de foi.

[24]            Je suis d'avis qu'il faut rejeter ces arguments.

[25]            L'extrait suivant des motifs du juge Décary dans la décision Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) sont pertinents pour ce qui est de la conclusion d'absence de plausibilité tirée par le tribunal (paragraphe 4) :

¶ 4       Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à mon avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[26]            Les demanderesses soutiennent que le tribunal a tiré sa conclusion de non-plausibilité sans tenir compte de la totalité de la preuve et en ne prenant pas en considération, en particulier, la preuve documentaire indiquant que le Kanum, tel qu'il est appliqué actuellement en Albanie, est déformé et qu'il s'est écarté des prescriptions médiévales excluant les femmes et les enfants des vendettas, tant comme parties vengeresses que comme victimes. Selon les demanderesses, le tribunal n'a pas tenu compte de leur témoignage, dans lequel elles déclaraient que la famille de Gjeto Zefi leur avait signifié qu'elle s'attendait à ce qu'elles vengent sa mort.


[27]            À mon avis, cette conclusion du tribunal qui concerne le fondement objectif de la crainte des demanderesses n'a pas été tirée de façon déraisonnable. Il ne faut pas oublier que la crainte invoquée par les demanderesses est double : elles disent craindre la famille de M. Zefi, qui veut qu'elles vengent le meurtre de ce dernier, et la famille Frani, qui a le droit des les tuer parce qu'elles n'ont pas exercé de vengeance.

[28]            Le tribunal s'est reporté à des éléments de preuve documentaire prenant la forme de documentation au sujet du pays, dont des études de la CISR, indiquant que le Kanum prescrit que le parent masculin le plus proche de la victime doit venger le meurtre, créant un cycle de meurtres et de contre-meurtres qui peut forcer des hommes à se cacher pendant des années. Le tribunal a également mentionné d'autres éléments de preuve documentaire selon lesquels le Kanun exclut les femmes et les enfants des vendettas, tout en reconnaissant que plusieurs sources indiquaient que des femmes et des enfants avaient été tués ou menacés dans le cadre de vendettas.

[29]            Mon examen du dossier m'amène à conclure que le tribunal a pesé la preuve documentaire, a tenu compte du fait que le Kanun, dans sa forme actuelle, peut avoir été faussé en ce qui concerne les victimes de vendettas et a conclu que les vengeurs ne comprennent pas les femmes et les enfants. C'est une conclusion que le tribunal pouvait raisonnablement tirer.

[30]            Le témoignage des demanderesses me convainc qu'elles éprouvaient une crainte subjective des membres des familles Zefi et Frani, mais la conclusion tirée par le tribunal était que cette crainte subjective n'avait pas de fondement objectif valide.

[31]            Les demanderesses ont invoqué comme deuxième argument qu'elles appartenaient à un groupe social - celui d'une famille impliquée dans une vendetta.

[32]            Sans procéder à une analyse approfondie, le tribunal a décidé de cet argument en s'appuyant sur deux conclusions. Il a déterminé, premièrement, que si les demanderesses étaient considérées comme des vengeresses, leur action serait tenue pour criminelle, et il a refusé de voir un lien entre un tel acte et un motif prévu par la Convention. Si elles étaient considérées comme des victimes de vendettas - des victimes d'actes criminels - il n'y avait pas non plus de lien avec un motif prévu par la Convention.

[33]            Selon les demanderesses, un clan albanais soumis au Kanun, lequel prescrit la vengeance par le meurtre, satisfait au critère élaboré par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, relativement à l'appartenance à un groupe social. Elles ont également avancé un argument faisant intervenir les revendications connexes.

[34]            Au sujet de la signification à donner aux mots « groupe social » , le juge Ward a écrit de qui suit dans l'arrêt Ward (p. 739) :

¶ 70       Le sens donné à l'expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d'établir une bonne règle pratique en vue d'atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées:

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;


(2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d'être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l'orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d'intentions historiques, quoiqu'elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d'une personne constitue une partie immuable de sa vie. [Non souligné dans l'original]

[35]            Dans l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, où les juges majoritaires n'ont pas analysé cette question, le juge La Forest a, dans sa dissidence, traité longuement des motifs qu'il avait rendus dans l'arrêt Ward.

[36]            Il ressort des motifs du juge La Forest dans l'arrêt Chan, précité, tels que je les comprends, que la première étape de l'analyse relative à l'appartenance à un groupe social consiste à déterminer si des droits de la personne fondamentaux sont en cause, car ainsi que le juge l'a écrit à la p. 642 :

Les « thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination » doivent demeurer le facteur primordial en vue de la détermination de l'appartenance du demandeur à un groupe social.

[37]            Dans la décision Bojaj, précitée, le juge Heneghan s'est exprimée ainsi au paragraphe 17 :

¶ 17 La Commission a conclu que la crainte d'être persécuté qu'éprouvait le demandeur concernait un acte criminel et n'était pas fondée sur un des motifs prévus par la définition de réfugié. Compte tenu des éléments de preuve versés au dossier, cette conclusion paraît raisonnable.


[38]            Dans la décision Bojaj, précitée, le juge Heneghan a également examiné la question de savoir si la crainte du revendicateur se rapportait aux caractéristiques du groupe social auquel il appartenait, c'est-à-dire au fait qu'il était un membre de sexe masculin de la famille Bojaj impliquée dans une vendetta. Elle a tranché cette question en se fondant sur la jurisprudence en matière de revendication connexe. Voici ce qu'elle a écrit au paragraphe 16 de sa décision :

¶ 16       Il semble qu'en l'espèce, la victime principale de la persécution alléguée est le grand-père du demandeur. C'est le grand-père qui a commis un meurtre et non pas le demandeur. Aujourd'hui, le demandeur craint d'être assassiné pour que soient vengés les actes commis par son grand-père. Compte tenu des motifs de l'arrêt Klinko, précité, il semblerait que le demandeur ne peut aujourd'hui revendiquer le statut de réfugié en présentant une revendication connexe, même si « la famille » peut constituer un groupe social. Il n'est toutefois pas inévitable que « la famille » constitue toujours un groupe social, selon la définition de réfugié au sens de la Convention.

[39]            Je ne puis considérer qu'une famille régie par le code coutumier du Kanun en Albanie, impliquée dans une vendetta, constitue un groupe social, de telle sorte qu'elle puisse être visée par ce motif prévu dans la Convention. Selon moi, la reconnaissance en ce cas du statut de groupe social contreviendrait à deux règles fondamentales de l'interprétation élaborée par les tribunaux en matière de droit des réfugiés :

(1)       comme l'exigent les arrêts Ward et Chan, précités, la première étape de l'analyse de l'appartenance à un groupe social consiste à rechercher l'ancrage avec la défense des droits de la personne et la lutte contre la discrimination;


(2)       comme il en a été question dans l'arrêt Ward, précité, la Convention sur le statut de réfugié comporte des limites intrinsèques quant aux obligations des États signataires. L'une d'elles est que la crainte fondée de persécution doit être « du fait » d'un des cinq motifs énumérés, au nombre desquels figure l'appartenance à un groupe social, c'est-à-dire qu'un de ces motifs doit être la cause de la persécution.

[40]            Notre Cour et la Cour d'appel fédérale ont statué que les actes criminels et les actes de représailles ou de vengeance personnelles ne peuvent fonder une crainte justifiée de persécution du fait d'un motif prévu par la Convention, pour la simple raison que ce type de persécution ne se rapporte pas à un motif énoncé à la Convention, laquelle exige que la persécution soit fondée sur la race, l'origine ethnique, etc.

[41]            Le meurtre perpétré dans le cadre d'une vendetta n'a rien à voir avec la défense des droits de la personne. Il constitue, au contraire, une violation des droits de la personne. Les familles mêlées à ces vendettas ne forment pas un groupe social au sens de la Convention.    La reconnaissance de l'appartenance à un groupe social pour une raison pareille entraînerait la conséquence singulière d'accorder un statut à une activité criminelle ou d'accorder un statut en raison de ce que fait une personne plutôt que de ce qu'elle est (voir Ward, par. 69).

[42]            Quant au dernier argument invoqué par les demanderesses, celui du défaut du tribunal de prendre en considération la quatrième série de directives, il ne m'a pas convaincu de l'applicabilité de ces directives en l'espèce. La crainte des demanderesses n'a rien à voir avec leur sexe.


[43]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[44]            L'avocat des demanderesses a demandé la certification des deux questions suivantes :

1. Un clan albanais soumis au code traditionnel du Kanun de Lek (ou Canon de Lek (ou Leke)) constitue-t-il un groupe social de telle sorte que les membres du clan qui craignent d'être victimes d'une vendetta peuvent invoquer un lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention?

2. Une revendication reposant sur la crainte justifiée d'être persécuté du fait de l'appartenance à un groupe social constitué d'une famille peut-elle être accueillie si le membre de la famille qui est la principale cible de la persécution n'est pas persécuté pour un motif prévu par la Convention?

[45]            Je dois signaler que dans l'affaire Bojaj, précitée, le juge Heneghan a certifié la question suivante :

Les jeunes hommes, dont la mort a été décidée selon le Canon de Leke, forment-ils un groupe social selon la définition de réfugié au sens de la Convention?

[46]            Le défendeur s'oppose à la certification, avançant que ces questions ne sont pas déterminantes pour l'issue de la demande de contrôle judiciaire. Il soutient en outre que la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit que c'est devant le Ministre qu'il faut faire valoir les craintes causées par des risques personnels et ne reposant pas sur des motifs prévus par la Convention. Je partage l'opinion de l'avocat du Ministre sur ce point.

[47]            Je ne crois pas qu'il y ait lieu de certifier cette question. Il n'est pas question ici de revendication connexe, et il est établi en droit que les vendettas n'ont pas de lien avec un motif prévu par la Convention.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                                         

                                                                                                       J U G E                                   

OTTAWA (ONTARIO)

21 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                            

DOSSIER :                           IMM-1089-02

INTITULÉ :                           Sheko Zefi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :    Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :13 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :        21 mai 2003

COMPARUTIONS:

Brenda J. Wemp                   POUR LES DEMANDERESSES

Caroline Christiaens          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Brenda J. Wemp                   POUR LES DEMANDERESSES

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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