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Date : 20220527


Dossier : T-1686-21

Référence : 2022 CF 776

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 mai 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

CHRISTOPHER JOHNSON

demandeur

et

CANADIAN TENNIS ASSOCIATION,

MILOS RAONIC,

GENIE BOUCHARD,

DENIS SHAPOVALOV,

ET

FELIX AUGER-ALIASSIME

 

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 [les Règles] à l’encontre de l’ordonnance du 5 avril 2022 (la décision) par laquelle la protonotaire a accordé au demandeur une prorogation de 90 jours pour signifier sa déclaration à la défenderesse, Genie Bouchard, et a rejeté sa requête en signification substitutive. Après avoir examiné le dossier de requête du demandeur relatif au présent appel, les observations écrites des autres défendeurs à l’action, les passages pertinents des lettres en réponse du demandeur qui n’ont pas été déposées, ainsi que les documents déposés auprès de la protonotaire dans la requête initiale en signification substitutive, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai donc la présente requête et adjugerai des dépens aux autres défendeurs.

I. Contexte

[2] L’action sous‐jacente au présent appel concerne des allégations formulées par le demandeur en matière de violation du droit d’auteur et d’utilisation non autorisée de son portfolio d’œuvres photographiques originales. Dans sa déclaration, le demandeur sollicite une série de jugements déclaratoires et d’injonctions ainsi que des dommages‐intérêts compensatoires et punitifs contre l’Association canadienne de tennis (Tennis Canada), Milos Raonic, Denis Shapovalov, Felix Auger-Aliassime et Genie Bouchard (collectivement, les défendeurs). Le demandeur agit pour son propre compte.

[3] Le 23 février 2022, la juge en chef adjointe Gagné a rejeté la requête ex parte par laquelle le demandeur sollicitait un jugement par défaut contre Genie Bouchard (Mme Bouchard) en concluant qu’il n’avait pas établi que la déclaration avait été signifiée à cette dernière conformément à l’article 128 des Règles. Le demandeur avait sollicité la requête en jugement par défaut au motif que Mme Bouchard, contrairement aux autres défendeurs, n’avait pas déposé de défense ni répliqué directement par l’entremise d’avocats.

[4] Dans sa requête écrite du 21 mars 2022, le demandeur a sollicité une ordonnance de la Cour afin de i) proroger le délai qui lui est imparti pour signifier la déclaration à Mme Bouchard; ii) proroger le délai qui lui est imparti pour déposer un affidavit de signification conformément à l’article 8 des Règles; iii) l’autoriser à signifier la déclaration à Mme Bouchard de manière substitutive en la déposant au bureau du greffe à Calgary.

[5] Dans sa décision, la protonotaire a commencé par citer le double objectif de la signification à personne, c’est‐à‐dire le droit d’une partie d’être dûment avisée des poursuites judiciaires intentées contre elles et le fondement sur lequel repose la compétence du tribunal de rendre une ordonnance contre une partie au litige (Canada c Spelrem, [2001] ACF no 1477 [Spelrem]).

[6] La protonotaire a ensuite souligné qu’il n’existe pas de droit automatique à une signification substitutive quand on éprouve des difficultés à signifier à personne. La Cour doit d’abord être convaincue que le demandeur a pris des mesures raisonnables pour signifier à personne, sans succès, et que la signification substitutive constitue un moyen acceptable et raisonnable de porter l’instance à l’attention de la partie (Clipper Ship Supply Inc c Samatour Shipping Co., propriétaires du M/V Salem S et Salem N [Clipper] au para 7).

[7] La protonotaire a fait remarquer que le demandeur a tenté de signifier la déclaration à Mme Bouchard en lui envoyant une copie au siège social de Tennis Canada à Toronto par courrier recommandé, et qu’il a déclaré que c’est ainsi qu’il était parvenu à signifier la déclaration aux autres défendeurs désignés qui, contrairement à Mme Bouchard, ont tous retenu les services d’un avocat et déposé une défense.

[8] La protonotaire a ensuite signalé que la requête du demandeur comprenait une série de messages qu’il a envoyés pour tenter de joindre Mme Bouchard par l’entremise de plateformes de médias sociaux et de courriels destinés à de nombreuses autres personnes, mais que l’objectif de ces échanges était de prévenir Mme Bouchard à l’approche de la date limite fixée pour déposer une défense. En d’autres termes, ces échanges ne faisaient pas état d’une tentative de signifier la déclaration à Mme Bouchard.

[9] En ce qui concerne la requête en signification substitutive du demandeur, la protonotaire a souligné que rien dans son affidavit n’indiquait qu’il avait tenté de signifier la déclaration à personne conformément aux Règles. Même s’il a déclaré avoir mené une recherche approfondie et ne pas avoir trouvé l’adresse personnelle de Mme Bouchard, le demandeur n’a fourni aucune indication quant à la nature de cette recherche, la personne qui l’a effectuée et la question de savoir s’il a fait appel aux services d’un huissier ou s’il a envisagé d’autres moyens pour procéder à la signification hormis le fait d’envoyer la déclaration à l’Association canadienne de tennis par courrier recommandé.

[10] La protonotaire n’était pas disposée à accepter ou rejeter le point de vue personnel du demandeur selon lequel les athlètes célèbres sont inaccessibles au grand‐public, particulièrement en l’absence de preuve selon laquelle il a raisonnablement tenté de signifier la déclaration à Mme Bouchard. Par conséquent, la protonotaire a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour s’acquitter de son fardeau de démontrer qu’il est pratiquement impossible de signifier la déclaration à Mme Bouchard. En outre, elle a rejeté sans dépens sa requête en signification substitutive et l’a autorisé à présenter une nouvelle requête s’il est en mesure de démontrer qu’il a tenté d’effectuer la signification à personne. La protonotaire a également accordé au demandeur une prorogation de 90 jours à compter de la date de l’ordonnance pour signifier la déclaration à Mme Bouchard et déposer une preuve de signification.

II. Observations écrites des parties

[11] Le demandeur soutient que, dans sa décision, la protonotaire a mal interprété ou fait abstraction de faits importants qui, s’ils avaient été dûment pris en compte, auraient justifié que sa requête initiale en signification substitutive soit accueillie. À l’appui du présent appel, le demandeur a présenté un affidavit constitué de 104 paragraphes numérotés. Comme je l’expliquerai plus loin, aucune explication n’est fournie quant à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve en appel dont la protonotaire ne disposait pas dans le cadre de la requête initiale.

[12] Le demandeur s’est fondé sur l’affidavit présenté dans le cadre de son appel pour faire valoir qu’il a consulté des avocats et des huissiers avant de décider d’envoyer une mise en demeure à un agent inscrit sur les profils de médias sociaux de Mme Bouchard ainsi qu’à des avocats travaillant pour une firme new-yorkaise ayant représenté Mme Bouchard par le passé. Il soutient en outre qu’il a envoyé un courriel sollicitant le consentement de Mme Bouchard à la signification à une adresse courriel figurant dans ses profils de médias sociaux.

[13] Au paragraphe 58 de ses observations écrites, le demandeur affirme également qu’il serait pour ainsi dire futile de faire appel à un huissier pour effectuer la signification à personne :

[traduction]

En ce qui concerne l’avis de la Cour selon lequel « rien n’indique que le demandeur ait retenu les services d’un huissier ou envisagé d’autres moyens pour signifier la déclaration à Mme Bouchard », le demandeur soutient qu’il a communiqué avec plusieurs huissiers, qui étaient d’accord avec ses avocats pour dire qu’il serait coûteux, presque impossible et peut‐être même illégal de s’approcher physiquement de la défenderesse, Mme Bouchard, une célébrité qui vit et travaille à l’intérieur d’une bulle formée de personnel accrédité, lequel est lui‐même protégé par du personnel de sécurité et des gardes armés, y compris des policiers.

[14] Le demandeur poursuit en affirmant ce qui suit au paragraphe 60 de ses observations écrites :

[traduction]

Par conséquent, compte tenu de l’article 3 des Règles des Cours fédérales, le demandeur soutient respectueusement qu’il ne devrait pas être tenu d’investir 90 jours supplémentaires et des centaines, voire des milliers de dollars en frais de huissiers pour chercher en vain la défenderesse dans les Caraïbes, en Australie, en Europe ou en Asie et, d’une manière ou d’une autre, pénétrer son périmètre de sécurité alors que, dans les faits, la défenderesse demande aux gens de communiquer avec elle par l’entremise de ses médias sociaux, au sein desquels elle est active, ainsi que de ses représentants, qui répondent aux messages en son nom.

[15] Le demandeur soutient en outre que la Cour dispose d’un fondement suffisant pour conclure que la déclaration a été portée à l’attention de Mme Bouchard et pour réexaminer combien il est difficile de signifier un document à une athlète célèbre par des moyens traditionnels lorsqu’il est clair que celle‐ci a jusqu’à présent évité les tentatives visant à la joindre, ce qu’elle continuera de faire sauf ordonnance contraire de la Cour.

[16] Le demandeur sollicite une ordonnance de la Cour pour lui accorder une prorogation de délai afin de signifier la déclaration à Mme Bouchard et déposer un affidavit de signification; lui donner la permission d’effectuer une signification substitutive; accorder à Mme Bouchard 30 jours supplémentaires pour déposer une défense; et, notamment, obliger les autres défendeurs à communiquer l’adresse postale et les coordonnées de Mme Bouchard.

[17] En d’autres termes, sous les auspices d’un appel fondé sur l’article 51 des Règles, le demandeur sollicite maintenant certaines réparations que la protonotaire lui a déjà accordées (la prorogation de délai), des réparations qui lui ont été refusées (la signification substitutive), ainsi que de nouvelles réparations qu’il n’avait pas demandées au départ (une ordonnance enjoignant aux autres défendeurs de communiquer les coordonnées de Mme Bouchard).

[18] Plusieurs des autres défendeurs à l’action, à savoir l’Association canadienne de tennis, Denis Shapovalov et Felix Auger-Aliassime (les défendeurs répondants), contestent la nouvelle réparation sollicitée par le demandeur et soutiennent qu’il s’agit d’un abus de procédure. À l’appui de leur argument, ils font valoir que la Cour n’est pas dûment saisie de la nouvelle réparation dans le contexte d’un appel fondé sur l’article 51 des Règles, particulièrement compte tenu du fait que le demandeur n’a pas précisé la réparation sollicitée ni les motifs à l’appui de cette dernière dans un avis de requête comme l’exige l’article 359 des Règles.

[19] Finalement, le 28 avril 2022, le demandeur a fait parvenir à la Cour une lettre de 19 pages en vue d’obtenir des directives. Cette lettre, qui n’a pas été dûment déposée ou assortie d’une preuve de signification aux autres parties, est censée répondre à différents documents judiciaires liés à la présente action, y compris le dossier de requête en réponse déposé par la défenderesse, l’Association canadienne de tennis.

[20] Le 6 mai 2022, la protonotaire Ring a émis une directive enjoignant au greffe de recevoir la lettre du 28 avril. Elle a indiqué que la lettre ne serait pas déposée ni considérée à titre de réplique au dossier de requête en réponse présenté par la défenderesse parce qu’elle n’a pas le format requis pour un tel document et que le demandeur n’a présenté aucune preuve de signification aux autres parties. La protonotaire Ring a signalé que le demandeur avait [traduction] « manqué de respect à l’égard du temps de la Cour en présentant une lettre omnibus aux fins de dépôt et en s’attendant à ce que la Cour déduise quels passages de la lettre visent à répondre à différents documents ayant été déposés précédemment ».

[21] Comme le demandeur agit pour son propre compte et dans le but de garantir une résolution équitable et rapide du présent appel, la Cour a tout de même examiné et pris en compte certains passages de la lettre, à savoir les pages 12 à 14, qui répondent au dossier de requête en réponse présenté par les défendeurs.

III. Norme de contrôle et analyse

[22] La décision discrétionnaire rendue par un protonotaire est assujettie à la norme de contrôle applicable en matière d’appel énoncée dans les arrêts Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux paragraphes 27-28, 65-66 et 79 [Hospira] et Canada (Attorney General) v. Iris Technologies Inc., 2021 FCA 244 [Iris] au paragraphe 33). Dans l’arrêt Hospira, la Cour d’appel fédérale a conclu que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, alors que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions de droit.

[23] L’appel du demandeur repose sur son argument selon lequel la protonotaire a mal interprété les faits présentés à l’appui de sa requête dans son ordonnance. Par conséquent, il incombe au demandeur de montrer qu’une erreur manifeste et dominante a été commise dans la décision. La Cour d’appel fédérale a expliqué que la norme de l’erreur manifeste et dominante commande une grande déférence et qu’« on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier » (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 au para 61).

[24] Après avoir examiné l’ensemble des observations présentées dans le cadre de la présente demande et la preuve dont disposait la protonotaire, je ne puis convenir que des erreurs susceptibles de contrôle ont été commises. En effet, le demandeur aborde à peine la décision dans ses observations, qui sont détaillées et répétitives. Il se contente de défendre sa requête initiale et, dans certains cas, le bien‐fondé de son action, plutôt que de se concentrer sur l’erreur qu’aurait commise la protonotaire et qui justifierait que l’appel soit accueilli. Le demandeur n’a présenté aucune jurisprudence à l’appui de la nouvelle réparation qu’il sollicite.

[25] Comme je l’ai déjà souligné, la protonotaire a conclu que l’affidavit du demandeur ne contenait aucune indication selon laquelle il a déjà tenté de signifier la déclaration à personne conformément aux Règles.

[26] L’article 127 des Règles indique clairement que l’acte introductif d’instance, c’est‐à‐dire la déclaration dans la présente affaire, doit être signifié à personne. L’article 128 précise les moyens de signifier un document à une personne physique. L’article 146 énonce la manière dont la preuve de la signification d’un document est établie.

[27] À mon avis, la protonotaire avait raison de souligner que le demandeur ne s’est pas conformé aux formalités des Règles en ce qui concerne la signification à personne et qu’il n’a présenté aucune preuve selon laquelle il a tenté de signifier à personne conformément à l’article 128 des Règles.

[28] La signification électronique, dont il est question à l’article 141 des Règles, constitue une solution de rechange aux moyens habituels d’effectuer la signification à personne, mais uniquement lorsque le consentement de la personne est obtenu et qu’un avis de consentement est signifié et déposé auprès de la Cour ou, à titre subsidiaire, lorsque la Cour est convaincue que le destinataire a pris connaissance du document (article 147 des Règles). En l’absence d’indication à savoir que le consentement électronique a été obtenu, que la déclaration elle‐même a bien été communiquée à Mme Bouchard et reçue par cette dernière, ou que Mme Bouchard s’est soustraite à la signification, la protonotaire n’était pas tenue de considérer le courriel du demandeur comme une preuve de sa tentative de signifier à personne ou comme une raison suffisante à l’appui d’une ordonnance autorisant la signification substitutive.

[29] Le demandeur se fonde également sur la preuve relative à ses échanges avec des avocats new-yorkais qui, selon lui, ont agi pour le compte de Mme Bouchard dans le passé. Il est vrai que l’avocat de la partie peut consentir à la signification conformément à l’article 134 des Règles. Cependant, la protonotaire a souligné à juste titre que les échanges joints à la requête initiale du demandeur en tant que pièces consistaient principalement en des rappels relatifs au dépôt de la défense. Ces rappels ont été envoyés aux comptes de médias sociaux de Mme Bouchard, à des personnes associées à celle‐ci, ainsi qu’à son ancien avocat qui est basé à New York. Ils ne prouvent pas que le demandeur ait jamais envoyé la déclaration aux avocats et, dans les faits, les courriels en cause semblent considérer la signification de l’acte introductif d’instance comme un fait accompli.

[30] Le nouvel affidavit du demandeur dans lequel il soutient avoir consulté des avocats et des huissiers avec qui il a déterminé qu’il serait coûteux, presque impossible et peut‐être même illégal de signifier la déclaration à Mme Bouchard pose plusieurs problèmes.

[31] Premièrement, le fait d’admettre le nouvel affidavit du demandeur irait à l’encontre du principe selon lequel un appel relatif à une ordonnance rendue par un protonotaire doit être tranché sur le fondement des éléments qui lui ont été soumis et qu’il est uniquement possible d’admettre de nouveaux éléments dans des circonstances exceptionnelles (David Suzuki Foundation c Canada (Santé), 2018 CF 379 aux para 36‐38 [Suzuki]). De nouveaux éléments de preuve peuvent être admissibles à titre exceptionnel dans les cas suivants : i) ils n’auraient pas pu être disponibles auparavant, ii) ils serviront les intérêts de la justice, iii) ils aideront la Cour, iv) ils ne porteront pas sérieusement préjudice à la partie adverse. Aucune raison ni jurisprudence n’a été présentée pour expliquer le motif pour lequel le demandeur ne disposait pas de cette preuve à la date de sa requête initiale conformément au critère i), ou pour quel motif la Cour devrait accepter cette preuve maintenant aux termes des critères iii) et iv).

[32] Deuxièmement, je comprends mal en quoi les « consultations » auprès d’avocats et de huissiers nouvellement soulevées par le demandeur et qui n’ont jamais été présentées à la protonotaire aident le demandeur à s’acquitter de son fardeau de démontrer que cette dernière a commis une erreur de fait manifeste et dominante. D’abord, la protonotaire ne pouvait pas savoir que le demandeur avait consulté des huissiers puisqu’il ne lui avait pas dit; il l’a seulement fait après coup dans le cadre du présent appel. Ensuite, le demandeur n’a pas montré comment cette nouvelle preuve aurait pu avoir une incidence sur la décision de la protonotaire (Suzuki, au para 38).

[33] Qui plus est, et en écartant l’affirmation non justifiée selon laquelle il serait illégal pour un huissier de signifier à personne un acte introductif d’instance, le fait que le demandeur ait finalement décidé de ne pas retenir les services d’un huissier ne fait que renforcer la conclusion de la protonotaire selon laquelle il n’a pas déployé d’efforts raisonnables pour effectuer la signification à personne. En ce sens, la nouvelle preuve est uniquement utile dans la mesure où elle aide la Cour à trancher le présent appel.

[34] Je suis entièrement d’accord avec la protonotaire pour dire que le demandeur était tenu de montrer qu’il avait déployé des efforts raisonnables pour signifier à personne conformément à l’article 128 avant qu’elle puisse rendre une ordonnance autorisant la signification substitutive. La jurisprudence appuie cet argument (Spelrem, aux para 5-6; Clipper, au para 7). Il s’agit d’un principe de base des Règles et, à moins qu’une modification soit apportée, le demandeur est tenu d’effectuer la signification à personne selon les modalités établies à l’article 128 s’il souhaite intenter une action. La protonotaire a conclu que la requête n’établissait pas que la tentative du demandeur de signifier à personne était satisfaisante. Elle a souligné ce qui suit au paragraphe 3 de sa décision :

[traduction]

Le problème que pose la thèse du demandeur quant à la présente requête en signification substitutive est que nulle part dans son affidavit il n’indique avoir tenté d’effectuer la signification à personne comme l’exigent les Règles. Au contraire, au paragraphe 34 de son affidavit, il déclare qu’une « recherche approfondie n’a pas permis de trouver l’adresse résidentielle de Genie Bouchard, la défenderesse ». Il n’y a aucune indication quant à la nature de cette recherche ou la personne qui l’a effectuée. On ne sait pas non plus si le demandeur a fait appel aux services d’un huissier ou s’il a envisagé d’autres moyens de signifier la déclaration à Mme Bouchard hormis le fait d’avoir signifié le document à Tennis Canada. Au paragraphe 36 de son affidavit, le demandeur signale plutôt que « les responsables de Tennis Canada, les joueurs ainsi que les avocats n’ont pas fourni l’adresse résidentielle ou les coordonnées de Mme Bouchard ou d’autres joueurs de Tennis Canada pour leur signifier directement les documents ».

[Non souligné dans l’original.]

[35] À ce jour, et malgré les autres méthodes employées en vain par le demandeur, j’estime que celui‐ci n’a pas démontré que la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance portée en appel.

[36] En l’absence de preuve claire selon laquelle le demandeur a raisonnablement essayé d’effectuer la signification à personne, par exemple en sollicitant les services d’un huissier et en présentant une preuve de ses tentatives pour signifier le document, je ne suis pas non plus convaincu que l’on puisse tenir pour acquis que la déclaration ait été portée à l’attention de Mme Bouchard.

[37] Premièrement, je souligne qu’à l’heure actuelle rien dans les volumineux documents présentés me permettrait de conclure qu’une telle tentative, couronnée de succès ou non, ait été réalisée. Là encore, les stratégies que le demandeur affirme avoir employées pour effectuer la signification électronique, notamment par l’entremise des médias sociaux de Mme Bouchard (Snapchat et Twitter) et des trois adresses courriel figurant sur ses comptes « vérifiés » de médias sociaux, ne constituent pas une signification à personne en vertu de l’article 128 en l’absence du consentement de la demanderesse à la signification électronique conformément à l’article 141 (ou si la Cour est convaincue que le destinataire a pris connaissance du document ou qu’il en aurait pris connaissance s’il ne s’était pas soustrait à la signification).

[38] Je souligne en outre que le demandeur a témoigné de ses efforts pour communiquer sa déclaration de façon électronique dans l’affidavit à l’appui du présent appel ainsi que dans l’affidavit à l’appui de la requête sous‐jacente dont la protonotaire est saisie. Cependant, il n’a présenté aucune preuve à l’égard de ces tentatives. Il a néanmoins annexé des reçus de Poste Canada attestant la livraison des cinq colis qu’il a envoyés à Tennis Canada, lesquels ont été dûment signés et reçus.

[39] Certes, il ne fait aucun doute que la signification a été effectuée auprès de Tennis Canada et des trois autres défendeurs désignés puisque ces derniers (messieurs Raonic, Auger-Alliasime, et Shapovalov) ont tous présenté des défenses en réponse. Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire que, comme le soutient le demandeur, la signification a également été portée à l’attention de Mme Bouchard ou que celle‐ci s’en est soustraite.

[40] En bref, dans le cadre du présent appel, le demandeur a repris exactement le même argument qu’il a présenté à la protonotaire, soit que Mme Bouchard demeure en contact étroit avec Tennis Canada et les trois défendeurs et que, par conséquent, elle doit être bien au fait du litige, que ce soit par l’entremise de ces derniers ou de ses représentants. Le demandeur se plaint du fait qu’il ne peut pas outrepasser la sécurité d’un tournoi de tennis pour lui signifier ce document en main propre. À cet égard, la protonotaire a conclu ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur semble être d’avis que les athlètes qui voyagent beaucoup comme Mme Bouchard ne peuvent pas se voir signifier de documents. Le demandeur confirme ce point de vue dans sa preuve lorsqu’il conclut que « les athlètes célèbres ne peuvent être joints en personne dans des hôtels ou lors de tournois parce qu’ils sont isolés dans une bulle protégée par du personnel de sécurité, qui empêche le public de communiquer avec les athlètes, les responsables de tournée et les autres invités ». Même si cela devait s’avérer être le cas en fin de compte, il ne s’agit que de simples conjectures à ce stade‐ci puisque le demandeur n’a pas tenté de signifier la déclaration à la défenderesse, Genie Bouchard. Il ne peut s’appuyer sur son point de vue personnel quant à l’impossibilité d’effectuer la signification à personne alors qu’il n’a déployé aucun effort raisonnable pour le faire.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Je conclus que la protonotaire n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle pour en arriver à ses conclusions. Compte tenu de l’absence de preuve selon laquelle le demandeur a déployé des efforts raisonnables pour signifier la déclaration à Mme Bouchard, la protonotaire avait raison d’affirmer que la partie sollicitant une ordonnance en signification substitutive doit démontrer i) qu’elle a pris des mesures raisonnables pour signifier à personne; ii) que ces efforts se sont avérés vains; iii) que la signification substitutive constitue un moyen acceptable et raisonnable de porter l’instance à l’attention de la partie. Le juge Dubé a conclu ce qui suit au paragraphe 7 de la décision Clipper :

La règle 310(1) prévoyant une signification substitutive est une exception à l’obligation générale de signifier à personne. Il n’existe pas de droit automatique à une signification substitutive quand on éprouve des difficultés à signifier à personne. Le requérant doit démontrer à la Cour qu’il a pris des mesures raisonnables pour signifier à personne, sans succès. Il doit aussi montrer que la signification substitutive est acceptable et raisonnable en se souvenant que la raison d’être de l’ordonnance de signification substitutive est d’appeler l’attention de la défenderesse sur l’instance.

[42] Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de déployer des efforts raisonnables pour effectuer la signification à personne. Par conséquent, la protonotaire n’a commis aucune erreur pour arriver à cette conclusion.

[43] Finalement, en ce qui concerne la nouvelle mesure de réparation sollicitée par le demandeur enjoignant les défendeurs répondants à communiquer les coordonnés personnels de Mme Bouchard, je conviens avec ces derniers que la mesure de réparation n’a pas été dûment présentée à la Cour dans le cadre du présent appel. Compte tenu du fait qu’il n’a jamais sollicité cette réparation dans sa requête initiale et qu’il n’a présenté aucun avis de demande à cet égard ni aucune jurisprudence à l’appui du fondement juridique relatif à la capacité de la Cour de lui accorder la réparation, le demandeur n’a pas le droit d’essayer de caser une nouvelle mesure de réparation dans l’appel interjeté contre l’ordonnance rejetant sa requête en signification substitutive.

[44] Compte tenu du fait que le demandeur agit pour son propre compte et qu’il connait mal le processus judiciaire, je n’irai pas jusqu’à qualifier d’abus de procédure la manière dont il a tenté d’obtenir la réparation, comme l’a fait l’avocat de la défenderesse Tennis Canada. Cependant, cette demande n’est certainement pas appropriée et la présente action est de plus en plus congestionnée par les tentatives du demandeur d’obtenir une réparation ou de déposer des documents sans en aviser dûment les parties ou sans respecter les Règles.

[45] Il existe maintenant de multiples exemples pour démontrer que, même si la Cour peut, au nom de l’accès à la justice, faire preuve de souplesse à l’égard d’une partie qui agit pour son propre compte, cela n’équivaut pas à exempter cette dernière d’avoir à se conformer aux Règles (Brauer v Canada, 2021 FCA 198 au para 8; Fitzpatrick c District 12 du service régional de la GRC de Codiac, 2019 CF 1040 au para 19).

[46] Dans la poursuite de son action, le demandeur est fortement encouragé à consulter le site Web de la Cour fédérale, qui contient une quantité importante de renseignements à l’intention des parties qui se représentent elles‐mêmes quant à la façon de respecter les procédures de la Cour, y compris une explication à savoir ce que les agents du greffe peuvent et ne peuvent pas faire pour les parties (voir Ladouceur c Banque de Montréal, 2022 CF 440 aux para 31‐32). Il est également encouragé à faire preuve de diligence quant à la forme et au fond de ses dépôts à venir auprès de la Cour, et de s’assurer que ceux‐ci sont conformes aux Règles.

[47] La protonotaire a accordé au demandeur une prorogation de 90 jours pour signifier sa déclaration à Mme Bouchard et déposer une preuve de signification. Il aura la possibilité d’effectuer la signification à personne à partir de la date du présent jugement. Cependant, si cela s’avère impossible dans le sens où la signification ne peut être accomplie par un professionnel comme un huissier, le présent jugement n’empêchera pas le demandeur de revenir devant la Cour afin de présenter une preuve suffisante démontrant qu’il n’y est pas parvenu malgré une diligence raisonnable, des enquêtes adéquates et des tentatives raisonnables. Finalement, même si je suis conscient qu’embaucher un professionnel pour effectuer la signification à personne va générer des coûts supplémentaires pour le demandeur, celui‐ci pourra être remboursé s’il a gain de cause dans le cadre de son action.

IV. Dépens

[48] Les défendeurs sollicitent des dépens payables sans délai pour le présent appel. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris le fait que le demandeur agit pour son propre compte et qu’en sollicitant à tort une nouvelle réparation contre les autres défendeurs il ne leur a donné d’autres choix que de présenter des observations dans le cadre d’un appel qui ne les aurait pas autrement concernés, j’ordonnerai l’adjudication de dépens de 250 $ que le demandeur doit payer aux défendeurs.

V. Conclusion

[49] La protonotaire a correctement exposé le droit et n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son appréciation des faits et du droit. Par conséquent, le présent appel est rejeté avec dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T-1686-21

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Le demandeur doit payer des dépens d’un montant total de 250 $ aux défendeurs.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1686-21

 

INTITULÉ :

CHRISTOPHER JOHNSON c ASSOCIATION CANADIENNE DE TENNIS, MILOS RAONIC, GENIE BOUCHARD, DENIS SHAPOVALOV ET

FELIX AUGER-ALIASSIME

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Christopher Johnson

 

pour son propre compte

 

Blake P. Hafso

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

pour le demandeur

 

McLennan Ross LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour les défendeurs

 

 

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