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Date : 20220607


Dossier : IMM-6233-21

Référence : 2022 CF 837

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 juin 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

NNAMDI SYLVESTER IWUANYANWU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Vue d’ensemble

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 18 août 2021 (la décision) rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a rejeté l’appel, interjeté par le demandeur, de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) rejetait sa demande d’asile. La SAR a estimé que la SPR avait conclu à raison que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Lagos, au Nigéria. Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la décision est raisonnable et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte

[2] Le demandeur est un citoyen du Nigéria âgé de 40 ans. Il a demandé l’asile au Canada en 2018 au motif qu’il craignait que sa belle-famille ne mette sa vie en danger. Il affirme que sa belle-famille veut s’en prendre à lui et le tuer parce qu’il a dénoncé son épouse aux autorités pour avoir voyagé au Canada avec leur fille – laquelle était munie d’un faux passeport – contre son gré. En février 2021, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger parce qu’il disposait d’une PRI valable à Lagos.

[3] En appel, la SAR a conclu que le demandeur était généralement crédible et que sa belle-famille était motivée à tenter de le retrouver à Lagos, au Nigéria. La SAR a toutefois estimé que le demandeur n’avait pas démontré que sa belle-famille avait les moyens de le faire. Elle était d’avis que la SPR avait eu raison de tenir compte de la taille et de la population de Lagos dans son évaluation du risque pour le demandeur, et qu’il était rationnel de s’attendre à ce qu’il prenne des mesures raisonnables et utilise avec prudence les médias sociaux pour éviter d’être repéré dans cette ville. La SAR a également conclu que le demandeur n’avait pas établi de quelle façon son beau-frère, J.O., – qui aurait menacé de le tuer s’il retournait au pays – aurait la perspicacité et les ressources nécessaires, ou l’accès à des réseaux au Nigéria pour le retrouver. Le demandeur conteste à présent la décision par voie de contrôle judiciaire, sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

III. Les questions en litige et l’analyse

[4] L’unique question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision était raisonnable. La cour qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) au para 99). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, et la cour de justice doit être convaincue qu’elles sont suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[5] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur parce qu’elle n’a pas justifié ses motifs et parce que son évaluation de la preuve était déraisonnable. Plus précisément, il conteste le fait qu’on s’attendait à ce qu’il prenne des mesures raisonnables pour éviter d’être repéré à Lagos, au motif qu’il ne devrait pas devoir vivre dans la clandestinité de façon permanente et que d’autres moyens que les médias sociaux pourraient permettre de le retrouver. Le demandeur soutient en outre qu’il était déraisonnable de conclure – après qu’il eut démontré que son épouse appartenait à une famille fortunée – que sa belle-famille n’aurait pas les moyens de le retrouver dans un pays corrompu comme le Nigéria, et de lui imposer un fardeau de preuve plus lourd exigeant qu’il prouve l’influence de sa belle-famille. Il conteste également la conclusion de la SAR quant à l’absence d’éléments pouvant démontrer l’influence exercée par son beau-frère, J.O., au motif que son affidavit aurait dû suffire à cet égard.

[6] Les arguments du demandeur ne me convainquent pas. La SAR a appliqué la norme de contrôle appropriée, a cité la jurisprudence pertinente pour étayer son analyse de la PRI et a fourni un raisonnement détaillé et transparent pour justifier ses conclusions. Le demandeur invite essentiellement la Cour à modifier la décision de la SAR concernant la PRI, qui appelle la retenue dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Castillo Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 347), de manière à lui substituer sa propre interprétation. Le demandeur peut être en désaccord avec la SAR, mais il doit démontrer que sa décision était déraisonnable pour la faire annuler. J’estime qu’il ne l’a pas fait.

[7] Il incombait au demandeur de prouver que Lagos ne constituait pas une PRI, et il était loisible à la SAR, compte tenu de la preuve dont elle disposait, de conclure qu’il n’avait pas démontré l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution de la part de sa belle-famille dans cette ville. La SAR a reconnu que les membres de sa belle-famille étaient motivés à le retrouver, mais n’a pas été convaincue qu’ils en avaient les moyens. La SAR a également conclu qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur se réinstalle à Lagos.

[8] Je ne suis pas convaincu que les simples affirmations du demandeur portant que sa belle-famille est fortunée ou que son beau-frère est un homme d’affaires influent obligeaient la SAR à conclure que la preuve permettait de démontrer que sa belle-famille avait les moyens de le retrouver dans la plus grande ville du Nigéria, ni que cela signifiait que toute conclusion contraire était déraisonnable. Il était loisible à la SAR de tirer sa conclusion quant au caractère suffisant des éléments de preuve qui visaient à démontrer la portée des agents de persécution.

[9] Je conviens avec le défendeur que le demandeur n’a simplement pas fourni suffisamment d’éléments de preuve qui me permettraient de conclure que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables. Je constate que la principale agente de persécution – qui faisait également l’objet du rapport de police – était la belle-mère, qui est décédée depuis. Le demandeur a présenté très peu d’éléments de preuve concernant J.O., comme la SAR l’a clairement souligné dans sa décision. La SAR n’a pas retenu l’explication générale du demandeur selon laquelle il avait « oublié » de mentionner J.O. dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. La SAR a conclu que le demandeur était « généralement crédible », mais elle avait le droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité – parce qu’il avait omis ce fait important dans sa demande d’asile – et de s’attendre à ce qu’il présente des éléments de preuve corroborants pour cette raison (Occilus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 374 aux para 24-25; Cekim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 177 au para 14).

[10] S’agissant des conclusions de la SAR quant à l’utilisation des médias sociaux par le demandeur, la Cour a déjà confirmé que le fait de s’attendre à ce que le demandeur d’asile utilise avec prudence les médias sociaux ne constituait pas une erreur (Adeyig Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 659 au para 24). Je ne vois pas pourquoi une telle attente serait déraisonnable dans le présent contexte. Le demandeur a accordé beaucoup d’importance à la décision Zamora Huerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586, où le juge n’a jamais mentionné les médias sociaux et où il était particulièrement préoccupé par l’obligation pour une personne de dissimuler l’endroit où elle se trouve à sa famille et à ses amis. En l’espèce, par contre, la SAR a simplement mentionné que le demandeur devait utiliser avec prudence les médias sociaux, et non éviter de communiquer avec sa famille ou ses amis. Dans d’autres jugements, la Cour a confirmé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fasse preuve de discrétion sur les médias sociaux et qu’il utilise les paramètres de confidentialité, et qu’une telle attente ne s’apparentait pas à exiger de lui qu’il vive en isolement ou comme un fugitif. Il y a lieu d’établir une distinction entre ces jugements et la décision Zamora Huerta (voir, par exemple, Olusesi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1147 aux para 19-20).

[11] À l’audience, le demandeur a soulevé un nouvel argument selon lequel sa sœur, qui vit à Lagos, pourrait dévoiler par inadvertance l’endroit où il se trouve à ses agents de persécution. Toutefois, comme je l’ai fait remarquer à l’avocat du demandeur pendant l’audience, la SAR ne s’est pas exprimée sur ce point, ni d’ailleurs le demandeur dans le cadre de son mémoire. De plus, j’estime que cet argument est hypothétique et je refuse de l’examiner à cette étape-ci de l’instance sans qu’il ait été présenté dans les règles devant la Cour, ou même sans qu’il ait été soulevé dans les observations présentées à la SAR elle-même (Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 386 au para 34).

[12] Enfin, le demandeur n’a pas non plus justifié de manière convaincante pourquoi il estimait que la SAR n’avait pas tenu compte, lorsqu’elle a tiré sa conclusion sur sa capacité à se réinstaller, de certains facteurs religieux, culturels ou économiques. Au contraire, la SAR a expressément examiné la situation personnelle du demandeur en tant qu’Igbo de l’État d’Imo et a fait référence aux longs antécédents de Lagos en matière d’accommodement des allochtones, lesquels forment la majorité de sa population. La SAR a conclu que les conditions à Lagos, y compris la composition démographique et la disponibilité des services publics, permettraient au demandeur de s’y réinstaller et d’y vivre en toute sécurité. J’estime que les conclusions de la SAR concernant l’existence d’une PRI sont raisonnables.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6233-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6233-21

INTITULÉ :

NNAMDI SYLVESTER IWUANYANWU c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 7 juin 2022

COMPARUTIONS :

Matthew Tubie

POUR LE DEMANDEUR

Rachel Beaupré

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Nicholas, LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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