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Date : 20220531


Dossier : IMM-1978-21

Référence : 2022 CF 785

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 31 mai 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

AKEEM ADEWALE ADEYEMO

FAREEDAH ABIMBOLA ADEYEMO

ADEJUMOKE OLATOKUNBO ADEYEMO

FAISAL AYOMIDE OLUWAPELUMI ADEYEMO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR], datée du 3 mars 2021, par laquelle le rejet de leurs demandes d’asile a été confirmé. La SAR était d’accord avec la Section de la protection des réfugiés [la SPR] pour conclure que les demandeurs disposent de possibilités de refuge intérieur [PRI] à Port Harcourt et à Abuja, au Nigéria.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

I. Contexte

[3] Les demandeurs sont une famille de ressortissants nigérians. M. Akeem Adewale Adeyemo [le demandeur principal] est le mari de Mme Adejumoke Olatokunbo Adeyemo [la demanderesse associée] et le père de leurs deux enfants mineurs [les demandeurs mineurs]. Les demandeurs craignent de retourner au Nigéria en raison des exigences de la famille élargie du demandeur principal d’infliger une mutilation génitale féminine [MGF] à la demanderesse mineure et des menaces de mort présumées pour ne pas s’être pliés à cette exigence.

[4] La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs parce qu’elle a conclu qu’ils avaient des possibilités de refuge intérieur à Port Harcourt et à Abuja, au Nigéria. Concernant le premier volet du critère relatif à la PRI, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré comment l’agent de persécution pourrait les retrouver s’ils se réinstallaient dans les endroits proposés comme PRI. Pour ce qui est du deuxième volet du critère, la SPR a conclu qu’il n’était pas déraisonnable d’exiger des demandeurs qu’ils déménagent. La SPR a conclu que, compte tenu de leur éducation, de leur expérience professionnelle et de leur expérience de vie, le demandeur principal et la demanderesse associée seraient en mesure, selon la prépondérance des probabilités, de trouver un emploi, un logement et une école pour leurs enfants, de sorte qu’ils puissent mener une vie normale.

[5] Les demandeurs ont fait appel de la décision de la SPR devant la SAR en faisant valoir que la SPR avait commis une erreur concernant les deux volets du critère relatif à la PRI. La SAR a accepté quatre articles nouvellement déposés par les demandeurs comme nouveaux éléments de preuve dans l’instance. Après un examen indépendant des éléments de preuve, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution s’ils se réinstallaient à Abuja ou à Port Harcourt. Concernant le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR a examiné, entre autres, l’argument des demandeurs au sujet de l’accessibilité des soins de santé mentale pour la demanderesse associée, au vu du rapport d’un psychothérapeute [le rapport] soulignant qu’elle présente des symptômes de trouble de stress post-traumatique [TSPT], d’anxiété généralisée et de dépression majeure. La SAR a conclu, compte tenu des éléments de preuve objectifs, que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que des soins ne seraient pas raisonnablement accessibles pour la demanderesse associée. En outre, la SAR a examiné l’argument selon lequel la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’elle a apprécié le caractère raisonnable de la PRI pour les demandeurs mineurs. Après sa propre évaluation indépendante, la SAR a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer que les demandeurs mineurs ne seraient pas en mesure d’obtenir une éducation, des soins de santé et d’autres services sociaux. Elle n’a pas pu relever de conséquences pour les demandeurs mineurs qui laisseraient penser qu’un déménagement dans l’un des endroits proposés comme PRI serait déraisonnable ou excessivement difficile.

II. Question en litige et norme de contrôle

[6] La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si la SAR a commis une erreur dans son analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI.

[7] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Les décisions de la SAR concernant l’existence d’une PRI sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 145 au para 25. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption voulant que les décisions administratives soient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne se présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 SCS 65 [Vavilov] aux para 9-10, 16-17.

[8] Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31.

[9] Les motifs doivent répondre aux observations des parties et « s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés » : Vavilov, aux para 127-128; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CAF 156 [Mason] au para 34. Toutefois, les motifs « ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection »; la cour de révision doit plutôt être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » : Vavilov, aux para 91, 104; Mason, au para 40.

[10] Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle est justifiée, transparente et intelligible : Vavilov, aux para 85, 91-95, 99-100.

III. Analyse

[11] Il n’est pas contesté que le critère en deux volets relatif à la PRI a été correctement énoncé par la SAR. Le critère prévoit que la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités 1) que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI; et que 2) la situation qui existe dans cette partie du pays est telle que, compte tenu de toutes les circonstances, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CA) aux para 6, 9-10; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 (QL) (CAF) [Thirunavukkarasu].

[12] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis trois erreurs dans son analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI. Premièrement, ils affirment que la SAR a commis une erreur en omettant de tenir compte de leur état d’esprit. Deuxièmement, ils soutiennent que la SAR a commis une erreur en concluant que des soins de santé mentale seraient accessibles dans les endroits désignés comme PRI. Troisièmement, ils soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte des conséquences psychologiques sur les demandeurs mineurs lorsqu’elle s’est penchée sur la question de l’intérêt supérieur des enfants.

A. Prise en compte des préjudices psychologiques

[13] Les demandeurs soutiennent que le deuxième volet du critère relatif à la PRI comporte un élément subjectif. Ils affirment que la SAR n’a pas tenu compte de la perception du risque ou du préjudice pour les demandeurs lors de l’examen du deuxième volet du critère relatif à la PRI, bien qu’elle ait conclu que la crainte des demandeurs de retourner au Nigéria était crédible. Les demandeurs citent la décision Karim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 279 [Karim] à l’appui de leur argument. Dans cette décision, le juge de Montigny, alors juge de la Cour, a déclaré ce qui suit au paragraphe 26 :

La conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas déraisonnable que le demandeur vive à Islamabad est également problématique parce qu’elle ne tient pas compte du témoignage du demandeur au sujet de son état émotif. La Commission a reconnu que les demandeurs, en tant que chrétiens, risquaient de subir de la discrimination et de vivre des tensions avec d’autres membres de la communauté religieuse pakistanaise, et qu’il se pourrait également qu’ils doivent « modifier » leur façon de vivre à Islamabad, mais la Commission ne semble pas avoir tenu compte des problèmes que le demandeur a éprouvés ni de sa [traduction] « crainte permanente » pour lui‐même et sa famille. Après tout, la Commission croyait que le demandeur avait été ciblé aussi bien à cause de son entreprise qu’à cause de sa foi chrétienne à l’époque où il travaillait à Rawalpindi, de 2005 à 2011, et elle admettait également les éléments de preuve documentaire indiquant que les membres de groupes religieux minoritaires qui sont propriétaires d’entreprises sont ciblés par la majorité musulmane. La Commission a également admis que le demandeur avait été enlevé en décembre 2012 par des individus armés qui avaient menacé de le tuer à moins qu’il leur procure des laissez‐passer leur permettant d’accéder aux missions diplomatiques auxquelles Ram Dev fournissait des systèmes de sécurité. Dans ces circonstances, la crainte des demandeurs ne dépassait pas les limites et n’était pas clairement irrationnelle, et elle aurait dû être appréciée dans le cadre de l’analyse du deuxième volet du critère relatif à une PRI pour déterminer s’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs s’installent à Islamabad. Or, la Commission ne mentionne ce témoignage nulle part dans son analyse relative à l’existence d’une PRI. Bien que l’état d’esprit du demandeur n’ait peut‐être pas joué un rôle déterminant dans la conclusion de la Commission, il est problématique que la Commission n’ait pas du tout mentionné ces éléments de preuve nulle part dans son analyse.

[14] Les commentaires du juge de Montigny doivent cependant être pris dans leur contexte. Dans la décision Karim, la Cour a souligné (aux paragraphes 24 et 25) qu’il était illogique qu’Islamabad soit désigné comme PRI, étant donné qu’il s’agissait de l’endroit précis de l’un des enlèvements subis par le demandeur. La Cour a reproché à la SPR de ne pas avoir tenu compte de la discrimination et des tensions auxquelles les demandeurs seraient confrontés en tant que chrétiens à Islamabad, et de la crainte de persécution associée au fait de renvoyer le demandeur au lieu même de l’enlèvement et dans un endroit où la police avait précédemment informé le demandeur qu’elle ne pouvait pas le protéger. La Cour a conclu qu’il existait un risque objectif et une possibilité sérieuse de persécution suffisants pour satisfaire au premier volet du critère relatif à la PRI. C’est sur la base de ces conclusions que la Cour a examiné le deuxième volet du critère.

[15] La situation était semblable dans Gayrat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 666 [Gayrat], sur laquelle les demandeurs s’appuient également. Dans l’affaire Gayrat, les demandeurs avaient été soumis à des années de discrimination fondée sur leur appartenance ethnique et on leur a proposé de se réinstaller en Russie, et, selon la Cour, « les documents sur les conditions dans le pays comprenaient des éléments de preuve attestant un nationalisme radical et une violence raciale contre des minorités ethniques et des individus d’apparence non slave ». La Cour a donc conclu que la SPR avait commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi les éléments de preuve objectifs de discrimination, de harcèlement et de violence ne constituaient pas une preuve pertinente d’un risque objectif de persécution dans l’endroit proposé comme PRI. Cette conclusion a servi de base à l’analyse de la Cour sur le deuxième volet du critère relatif à la PRI, et à sa conclusion supplémentaire selon laquelle la SPR avait commis une erreur en ne prenant pas en compte les antécédents particuliers en matière de racisme des demandeurs et leur incidence sur la question de savoir s’il serait raisonnable de se réinstaller à l’endroit proposé comme PRI.

[16] À mon avis, la décision Karim n’établit pas qu’une composante subjective doit faire partie de l’analyse du deuxième volet du critère relatif à la PRI. Au contraire, tel que souligné dans Thirunavukkarasu, une approche souple doit être adoptée et chaque cas doit être examiné en fonction de ses propres faits.

[17] C’est d’ailleurs l’approche adoptée dans Achugbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 876 [Achugbe] où la Cour a examiné l’application de la décision Karim à des faits similaires à ceux en l’espèce. Dans l’affaire Achugbe, les demandeurs étaient des citoyens nigérians qui craignaient une menace de MGF de la part de la famille du père des enfants avec lequel ils n’avaient plus de contact. La SAR a pris en compte le risque encouru par les demandeurs, mais a conclu qu’ils disposaient d’une PRI à Port Harcourt. La juge Walker a conclu que la décision Karim ne s’appliquait pas en raison de l’absence d’éléments de preuve objectifs pour étayer la crainte subjective de la mère. Comme il est précisé aux paragraphes 24 et 25 de la décision Achugbe :

[24] Dans la décision Karim, la SPR a accepté le fait que les demandeurs puissent subir de la discrimination et vivre des tensions dans l’endroit proposé comme PRI, en raison de leurs croyances religieuses, ce qui a amené le juge de Montigny à conclure que la crainte subjective du demandeur principal « ne dépassait pas les limites et n’était pas clairement irrationnelle ». En l’espèce, la SAR a jugé, dans le cadre de son analyse du premier volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam, que les demandeurs ne risqueraient pas d’être persécutés ou ne seraient pas exposés à un risque de préjudice à Port Harcourt, parce que leurs agents de persécution ne les retrouveraient pas.

[25] Par conséquent, je conclus que la SAR n’était pas tenue d’apprécier la crainte subjective de Mme Achugbe de retourner au Nigéria, puisque sa croyance, bien que sincère, n’était pas étayée par une preuve objective démontrant que les incidents craints surviendraient ou pourraient survenir.

[18] Le même raisonnement s’applique ici. En l’espèce, la SAR a également conclu, dans son évaluation du premier volet du critère relatif à la PRI, que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité de persécution ou à un risque de préjudice à Port Harcourt ou à Abuja, parce que les agents de persécution ne seraient pas en mesure de les trouver. L’analyse de la SAR liée à cette conclusion n’est pas contestée dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Contrairement à la décision Karim (et comme dans Achugbe), il n’existe pas de fondement objectif aux craintes des demandeurs concernant la PRI pour justifier une prise en compte obligatoire des répercussions de ces craintes dans l’analyse du deuxième volet du critère.

[19] Les demandeurs soutiennent que le rapport du psychothérapeute qui pose un diagnostic de TSPT à l’égard de la demanderesse associée, et précise qu’elle présente des symptômes d’anxiété et de dépression, confirme l’importance de prendre en compte l’état d’esprit, au moins, de la demanderesse associée dans l’analyse du deuxième volet du critère. Cependant, à mon avis, le rapport n’impose pas un examen distinct des craintes subjectives de la demanderesse associée, en particulier compte tenu de l’examen déjà effectué quant à l’accessibilité pour elle à des soins de santé mentale dans les endroits proposés comme PRI, et des soutiens familiaux dont elle bénéficierait, comme expliqué plus loin. De mon point de vue, il n’y a pas d’omission déraisonnable dans l’analyse de la SAR.

B. L’accessibilité des soins de santé mentale

[20] Selon les demandeurs, la SAR a procédé à un examen sélectif des éléments de preuve pour conclure que des soins de santé mentale adéquats étaient accessibles pour les demandeurs dans les endroits proposés comme PRI et a commis une erreur en ne fournissant pas de justification à cette conclusion.

[21] Dans sa décision, la SAR a expliqué comme suit sa préférence pour la preuve relative à la situation dans le pays par rapport aux éléments de preuve des demandeurs en ce qui concerne l’accessibilité des soins de santé mentale :

[37] Je remarque que la coordonnatrice du Riverdale Immigrant Women’s Centre affirme dans sa lettre que l’appelante associée n’aurait pas accès à de tels services – à savoir des services d’aide psychologique – au Nigéria, mais je ne sais pas sur quoi elle appuie une telle affirmation. En fait, les éléments de preuve sur les conditions dans le pays montrent que des soins de santé mentale sont accessibles au Nigéria et que le traitement de la maladie mentale est possible dans les hôpitaux publics; il y est indiqué qu’il [traduction] « n’y a aucune forme de maladie mentale pour laquelle aucun traitement n’est accessible au Nigéria ». Le même document souligne que les ressources humaines ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins du pays, mais précise clairement que les établissements de traitement sont situés dans des régions urbaines et que des traitements en établissement et en clinique externe par des psychologues, des psychiatres et des infirmières psychiatriques sont accessibles dans des établissements privés et publics, et que de nombreux médicaments en santé mentale sont offerts, sur recommandation des professionnels de ces établissements. Je souligne également que le psychothérapeute, dont les impressions cliniques de l’appelante associée découlaient d’une seule séance de 60 à 90 minutes, a recommandé à l’appelante associée un plan de soins médicaux et thérapeutiques [traduction] « comprenant des médicaments, de l’aide psychologique appropriée et des stratégies qui pourraient l’aider à surmonter la dépression, l’anxiété et le traumatisme qu’elle ressent actuellement », mais qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que l’appelante associée n’aurait pas normalement accès à de tels soins au Nigéria, compte tenu des éléments de preuve objectifs qui semblent indiquer que les soins médicaux et thérapeutiques en santé mentale sont accessibles, du moins dans les centres urbains, sinon dans la région plus éloignée du Nord-Est du pays.

[38] Les appelants s’appuient sur deux rapports selon lesquels des personnes ayant des problèmes de santé mentale réels ou perçus ont été [traduction] « placées dans des établissements sans leur consentement, habituellement par des membres de la famille », des établissements où de mauvais traitements ont été documentés. Cependant, d’après les éléments de preuve dont je dispose concernant l’évaluation clinique de l’appelante associée, il ne semble pas y avoir de signes que ses problèmes de santé mentale, pour lesquels elle a bénéficié de séances d’aide psychologique, d’un protocole relatif au sommeil et de techniques de gestion du stress, ne pourraient pas être traités adéquatement en clinique externe, tout comme rien ne donne à penser que son époux, l’appelant principal, ne l’appuierait pas dans ses efforts pour obtenir du soutien en santé mentale. À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, je préfère les éléments de preuve sur les conditions dans le pays selon lesquels des soins de santé mentale, y compris des services d’aide psychologique, sont offerts au Nigéria, surtout dans des centres urbains, comme les endroits désignés comme PRI. Je ne peux pas conclure que l’appelante associée n’aurait pas accès à des soins de santé mentale de la nature de ceux qui ont été recommandés ni que de tels soins ne lui seraient pas normalement accessibles, dans l’un ou l’autre des endroits désignés comme PRI. [Notes en bas de page omises.]

[22] Dans ses motifs, la SAR explique qu’elle n’a pas trouvé de fondement suffisant dans la lettre de la coordonnatrice du Riverdale Immigrant Women’s Centre pour affirmer que des services d’aide psychologique ne seraient pas offerts au Nigéria. La SAR a tenu compte des recommandations du psychothérapeute et de l’évaluation clinique de la demanderesse associée, ainsi que de son examen de la preuve relative à la situation dans le pays, et a conclu que cette preuve démontrait que les services nécessaires pour traiter la demanderesse associée lui seraient accessibles dans les endroits proposés comme PRI.

[23] Alors que la preuve relative à la situation dans le pays fait état de certaines limitations des services accessibles dans les régions du nord-est du Nigéria, comme l’a fait remarquer la SAR, ces limitations n’ont pas été constatées dans les centres urbains tels que les endroits proposés comme PRI. Je ne suis pas d’avis que les commentaires de la SAR sont sélectifs. Ils concordent plutôt avec les documents sur la situation dans le pays, notamment Country Policy and Information Note, Nigeria : Medical and healthcare issues, (janvier 2020) du ministère de l’Intérieur (Home Office) du Royaume-Uni, Medical and healthcare issues, (janvier 2020); DFAT Country Information Report Nigeria, (9 mars 2018) du Département des affaires étrangères et du commerce extérieur de l’Australie et Country of Origin Information Report : Nigeria, Key socio-economic indicators, (novembre 2018) du Bureau européen d’appui en matière d’asile.

[24] À mon avis, il était loisible à la SAR de conclure qu’elle préférait la preuve relative à la situation dans le pays à celle produite par les demandeurs. Les motifs de la SAR sont transparents et intelligibles, et justifient adéquatement le fondement de cette préférence. Les arguments des demandeurs reviennent à inviter la Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, aux para 99-100, 125).

C. L’intérêt supérieur des enfants

[25] Les demandeurs soutiennent, et j’en conviens, que l’intérêt supérieur des enfants doit être pris en compte dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI : Jones c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1172 au para 12. Toutefois, les demandeurs n’ont pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants par la SAR.

[26] La SAR a pris en compte un certain nombre de facteurs (éducation, soins de santé, services sociaux) qui pourraient avoir des répercussions sur les demandeurs mineurs s’ils venaient à déménager dans les endroits proposés comme PRI, mais a conclu que la présence de parents qui les soutiennent et qui possèdent une éducation et une expérience professionnelle solides atténuerait les difficultés auxquelles les demandeurs mineurs seraient confrontés.

[27] Selon les demandeurs, la SAR aurait dû prendre en compte les conséquences psychologiques sur la demanderesse mineure de la peur de MGF et du risque associé au fait de ne pas se soumettre aux rituels et traditions de la famille. Or, aucune preuve n’a été avancée sur ce point, et cet argument n’a pas été soulevé devant la SAR.

[28] De même, les demandeurs affirment que la SAR aurait dû tenir compte du préjudice psychologique que le déménagement pourrait causer aux demandeurs mineurs. Ils s’appuient sur une déclaration faite dans le rapport sur l’évaluation de la demanderesse associée selon laquelle les demandeurs mineurs [traduction] « subiraient probablement un stress et un traumatisme importants s’ils étaient forcés de retourner au Nigéria, ce qui les éloignerait essentiellement de la sécurité, de la stabilité, de la communauté et des sources de soutien dont ils disposent actuellement au Canada ». Encore une fois, cet argument n’a pas été soulevé devant la SAR, bien que le rapport fasse partie du dossier.

[29] En effet, cela a été expressément relevé par la SAR dans l’affirmation suivante : « Je reconnais que tout déménagement est intrinsèquement difficile pour des enfants, mais il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que, en soi, l’installation dans un nouvel endroit serait excessivement difficile dans leur cas; les appelants n’ont pas formulé un tel argument, et il ne semble pas découler des faits dont je dispose. » [Non souligné dans l’original.]

[30] Les demandeurs affirment qu’étant donné que la SAR a effectué sa propre appréciation de la preuve, cela ouvre la porte à un nouvel examen. Je ne suis pas de cet avis. Le défendeur soutient, et je souscris à cet argument, qu’il n’est pas approprié pour les demandeurs de contester la décision en se fondant sur une question qu’ils n’ont pas soulevée auparavant : Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 aux para 22-25; Owolabi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 2 aux para 50-53; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 736 aux para 35-39. À mon avis, rien ne permet d’affirmer qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise dans l’analyse de la SAR. Par conséquent, ce troisième argument doit également être rejeté.

IV. Conclusion

[31] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée.

[32] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1978-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1978-21

 

INTITULÉ :

AKEEM ADEWALE ADEYEMO, FAREEDAH ABIMBOLA ADEYEMO, ADEJUMOKE OLATOKUNBO ADEYEMO, FAISAL AYOMIDE OLUWAPELUMI ADEYEMO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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