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Date : 19990913


Dossier : T-2236-93


ENTRE :

     BROOKS WETSUITS LTD.

     DEMANDERESSE

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     DÉFENDEUR


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL


[1]      Le kayak est un sport pour ceux qui n'ont pas peur de se mouiller. Afin d'atténuer les inconvénients que l'eau peut entraîner, il y a des équipements spécialisés permettant de renforcer la sécurité de l'embarcation et d'assurer la protection des amateurs de ce sport. Parmi les équipements de cette nature conçus par la demanderesse (Brooks Wetsuits), se trouve une sorte de jupe en néoprène que le kayakiste se met autour de la taille lorsqu'il pilote le kayak et dont le principal avantage est de ne pas laisser l'eau pénétrer dans l'embarcation1.


[2]      La question posée dans le cadre du présent appel est celle de savoir si la toile de néoprène importée par Brooks Wetsuits entre 1988 et 1992, et utilisée par cette compagnie pour fabriquer des jupettes de kayak, peut être exemptée de droits de douane. La réponse repose sur l'exactitude de la définition que l'on donne de l'objet des jupettes en question et, par conséquent, de l'interprétation correcte et de l'application cohérente de la disposition exonératoire en vigueur à l'époque en cause, en l'occurrence le numéro tarifaire 43702 rédigé en ces termes:

[en anglais] Cellular chloroprene sheets, with a knitted nylon fabric laminated to one or both sides, of Tariff Item No. 4008.11.00 or 5906.91.20, for use in the manufacture of wet suits for diving or water sports, commercial diving dry suits, dry-type exposure suits or accessories therefor.
et
[en français] Feuilles de chloroprène cellulaire, recouvertes de tricot sur un ou deux côtés, des nos tarifaires 4008.11.00 ou 5906.91.20, devant servir à la fabrication de vêtements non étanches de plongée pour les sports de plongée ou aquatiques, de vêtements étanches de plongée commerciale, de vêtements genre de protection contre le froid ou d'accessoires de ce qui précède.

[3]      Après de longues négociations et des concessions de la part des deux parties concernant les 37 714,22 $ de droits de douane initialement réclamés, le défendeur (le ministre) a décidé que la toile de néoprène servant à la fabrication des jupettes de kayak vendues au Canada ne correspondait pas à l'usage prévu au numéro tarifaire 4370, n'étant ni un accessoire de vêtement non étanche de plongée ou de vêtement étanche de plongée, ni un " vêtement " soit, dans la version anglaise du numéro tarifaire 4370, un " garment ", mais, plus exactement, un accessoire de kayak, et donc un équipement de sport aquatique correspondant aux numéros tarifaires 4008.11.00 ou 5906.91.20, ou aux deux en même temps. N'étant pas d'accord, Brooks Wetsuits refusa de payer 3 933,56 $ de droits de douane, faisant valoir qu'une jupette de kayak est bien un accessoire de vêtement non étanche de plongée selon la version anglaise, ou un " vêtement " selon la version française du numéro tarifaire 4370.


[4]      Par accord des parties, les éléments de preuve ont été produits par affidavit, dans le cadre du présent appel, exception faite du fait que M. George Brooks, président-directeur général de Brooks Wetsuits à l'époque en cause, a témoigné à l'audience.


[5]      Dans le cadre d'un témoignage clair, concis et direct, M. Brooks a convenu que les jupettes de kayak ont pour principal objet d'empêcher l'eau de pénétrer dans l'embarcation, mais il a souligné que, pour les kayakistes, ces jupettes constituaient également un accessoire personnel des plus utiles lorsqu'ils pratiquaient ce sport dans les eaux du Nord canadien, c'est-à-dire dans des eaux froides. Insistant sur ce fait, M. Brooks a expliqué que, lorsqu'il pagayait, le kayakiste se retrouvait toujours avec de l'eau sur la jupette, mais que si celle-ci était faite, non pas de nylon, mais d'un néoprène isolant, il restait au chaud. En raison de ce témoignage, j'estime que les jupettes de kayak sont à double usage pour ceux qui font du kayak dans les eaux canadiennes; il s'agit à la fois d'un équipement de sécurité et d'un équipement de protection personnelle.


[6]      Il ressort d'éléments de preuve non contestés que, dans d'autres cas, le ministre a considéré comme " accessoire " d'un vêtement non étanche de plongée au sens du numéro tarifaire 4370 toute une gamme d'articles protecteurs portés par des kayakistes, y compris : des salopettes, des mini-combinaisons, des capuchons, des bottes, des chaussettes en néoprène, des gants, des mitaines, des shorts de pagayeur, des gilets et des protège-genoux3. J'estime que c'est l'interprétation qu'il faut donner à cette disposition.


[7]      Puisque je conclus que la protection personnelle compte parmi les principales utilisations des jupettes de kayak, et afin de rester cohérent dans la manière d'interpréter et d'appliquer le numéro tarifaire 4370, je conclus également que le ministre aurait dû accorder l'exonération qui lui était demandée. En ce qui concerne l'omission du ministre sur ce point, l'avocate du ministre fait valoir qu'on ne saurait y voir une erreur susceptible d'être corrigée en appel. Pour étayer sa thèse, elle invoque le jugement rendu par le juge Mackay dans l'affaire Mattu c. Canada (Ministre du Revenu national) (1992), 45 F.T.R. 190 aux pp. 197 et 198, affaire ayant trait, comme en l'espèce, à une disposition offrant la possibilité de faire appel :

L'article 135 de la Loi sur les douanes n'énonce pas de façon détaillée les exigences applicables à l'appel qu'il prévoit à l'encontre de la décision du ministre ni ne précise la nature de celui-ci, et ces questions n'ont fait l'objet d'aucun débat en l'instance. Selon l'interprétation que j'en fais, cette disposition prévoit la tenue d'un procès de novo, au sens où la Cour n'est pas obligée de s'en tenir à l'examen de la preuve dont disposait le ministre. Par contre, tout comme dans le cas d'appel d'autres décisions administratives ou de décisions rendues par des organismes quasi-judiciaires créés législativement, la Cour n'interviendra pas à la légère et devra être convaincue que le ministre ou ses mandataires n'ont pas observé un principe de justice naturelle ou qu'ils ont outrepassé les pouvoirs que leur confère la loi ou, encore, que leur décision repose sur une erreur de droit ou sur une conclusion de fait arbitraire, entachée de mauvaise foi ou tirée sans égard à la preuve présentée pour modifier la décision.

[8]      Je conviens avec le juge MacKay qu'il y a lieu, dans le cadre d'un appel tel que celui-ci, de faire preuve de retenue vis-à-vis la décision du ministre, mais j'estime qu'en l'espèce, des éléments, nouveaux d'après moi, ont démontré de façon claire et convaincante que la jupette de kayak servait d'équipement de protection personnelle, et que cela en constituait une utilisation importante. Par conséquent, puisque le ministre, appelé à se prononcer sur cet article, n'avait pas alors à sa disposition la preuve faite en l'espèce, j'estime qu'il est juste et équitable d'accueillir l'appel pour ce motif, de sorte que j'accueille le présent appel.

[9]      J'accorde également les dépens du présent appel à Brooks Wetsuits.


                             (signature) Douglas Campbell

                            

                                 Juge


Le 13 septembre 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)




Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      T-2236-93


INTITULÉ DE LA CAUSE :      BROOKS WETSUITS LTD.

     c.

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL


LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (C.-B.)


DATE DE L'AUDIENCE :      LE 9 SEPTEMBRE 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE CAMPBELL

DATE :      LE 13 SEPTEMBRE 1999



ONT COMPARU

M. JAMES L STRAITH      POUR LA DEMANDERESSE
Mme DEBRA CARLSON      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

LAKES STRAITH & BILINSKY

NORTH VANCOUVER (C.-B.)      POUR LA DEMANDERESSE

SWINTON & COMPANY

VANCOUVER (C.-B.)      POUR LE DÉFENDEUR
__________________

1      Les éléments de preuve produits en l'espèce pour démontrer l'utilité d'une telle jupette en tant qu'équipement de sécurité sont cohérents et correspondent à la description qu'en donne un livre éducatif " Sea Kayaking Basics " [Harrison, Hearst Marine Books, New York, 1993, affidavit de Candace Breakwell, pièce G] dans les termes suivants :      [traduction]      " Quelles que soient les dimensions de l'habitacle, il faut que la jupette soit bien ajustée au rebord de l'habitacle - mais pas serrée au point où elle ne se défait pas facilement en cas d'urgence - et qu'elle puisse être remontée jusqu'au niveau des aisselles afin de vous garder les jambes au sec. Ce type de jupette n'est pas un luxe mais une nécessité qui transforme une petite embarcation fragile sans vraiment de franc-bord en kayak capable de prendre le large. Il existe plusieurs styles, chacun ayant des avantages et des inconvénients. Les jupettes en nylon sont peu coûteuses et sèchent rapidement mais crépitent avec chaque mouvement de la pagaie et exigent d'être maintenues en place par des bretelles. Les jupes en néoprène vous tiennent bien le tronc, offrent une surface bien tendue, sont chaudes et peu bruyantes, mais sont toujours trempées. La solution intermédiaire consiste en une jupe faite d'un bas en néoprène et d'un haut en nylon. À l'exception des journées chaudes et ensoleillées sur des eaux tranquilles et entourées, porter toujours la jupette pare-vagues. Au minimum, cela empêche à l'eau déplacée alternativement par chaque mouvement de votre pagaie de se retrouver sur vos genoux. Ce n'est pas une vague sauvage haute de 20 pieds qui vous en convaincra mais le sillage d'une autre embarcation sur votre lac qui balaie tout d'un coup le tablier de votre embarcation et inonde l'habitacle ".

2      Tarif douanier, L.R.C. (1985), ch. 41 (3e suppl.).

3      Affidavit de la demanderesse, paragraphe 17.

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