Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220615


Dossier : IMM‑1708‑21

Référence : 2022 CF 903

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

IFEOLUWA OLAYEMI AJIBUA

IREMIDE PRAISE JOHNSON (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE,

IFEOLUWA OLAYEMI AJIBUA)

IYANUOLUWA CHAMPION JOHNSON (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE,

IFEOLUWA OLAYEMI AJIBUA)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Vue d’ensemble

[1] Ifeoluwa Olayemi Ajibua est une citoyenne du Nigéria. En mai 2015, elle s’est rendue aux États‑Unis pour assister à un congrès géologique. En septembre 2015, elle est devenue enceinte de son premier enfant, Iremide Praise Johnson, né en juin 2016. Son deuxième enfant, Iyanuoluwa Champion Johnson, est né en mars 2018. Ses deux enfants mineurs sont citoyens des États‑Unis et ils ont droit à la citoyenneté nigériane. Les demandeurs sont entrés au Canada pour demander l’asile le 28 novembre 2018.

[2] Madame Ajibua affirme que parce qu’elle est devenue enceinte hors des liens du mariage en 2015, elle craint d’être persécutée et de subir un préjudice de la part de son père et de membres d’une société occulte secrète, la société Iyale Age, dont les membres ont des [TRADUCTION] « contacts partout », y compris des [TRADUCTION] « avocats, policiers, juges et hommes d’affaires ».

[3] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé en appel la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. La question déterminante pour la SPR et pour la SAR portait sur la crédibilité. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR rendue le 17 février 2021.

[4] Les demandeurs soutiennent que la SAR a mal évalué la crédibilité de Mme Ajibua. Le défendeur n’est pas de cet avis. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, suivant le critère énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[5] Il incombe aux demandeurs de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov, au para 100). Pour que la cour de révision puisse intervenir, la partie qui conteste la décision doit convaincre la cour que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que les lacunes et les insuffisances reprochées « ne [sont] pas simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[6] Après avoir examiné le dossier présenté à la Cour – dont les observations écrites et verbales des parties, de même que le droit applicable –, j’estime que les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision de la SAR était déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Analyse

[7] Les demandeurs soutiennent que la SAR a mal évalué la crédibilité de Mme Ajibua parce qu’elle s’est déraisonnablement limitée aux motivations de Mme Ajibua de rester aux États‑Unis et au fait qu’elle n’avait pas mis à jour son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA]. Les demandeurs affirment également que la SAR a commis une erreur parce que son évaluation de la crédibilité de Mme Ajibua a entaché son évaluation de la preuve documentaire.

[8] Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et elles commandent un degré élevé de retenue à l’étape du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). De telles conclusions tirées par la SAR et la SPR requièrent un degré élevé de retenue judiciaire et il n’y a lieu de les infirmer que dans « les cas les plus [patents] » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12). La Cour a jugé que les conclusions relatives à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, […] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22, citant Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[9] Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, j’estime que la SAR ne s’est pas indûment limitée aux incohérences dans le témoignage de Mme Ajibua concernant les projets qu’elle avait au moment où elle est venue aux États‑Unis, ni à ses motivations pour y rester. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, d’après le dossier, il était loisible à la SAR de conclure que les projets de Mme Ajibua concernant son voyage étaient importants pour évaluer sa principale allégation selon laquelle sa décision imprévue de ne pas retourner au Nigéria découlait d’événements inattendus. Madame Ajibua soutient qu’elle n’a été mise au courant de la société occulte secrète qu’après avoir informé ses parents de sa grossesse, plusieurs mois après son arrivée aux États‑Unis. Cet événement l’aurait amenée à modifier ses projets de retour au Nigéria parce qu’elle craignait d’être blessée, tuée ou forcée de subir une purification spirituelle.

[10] La SAR a droit à une très grande déférence. Gardant ce principe à l’esprit, j’estime que la SAR a conclu à raison que des incohérences importantes dans le témoignage de Mme Ajibua au sujet de ses projets et motivations ont miné sa crédibilité, de façon générale et par rapport aux allégations sur lesquelles la demande d’asile repose essentiellement. La SAR a justifié ses conclusions par des motifs transparents et intelligibles. Je ne vois aucune raison d’intervenir.

[11] Avant l’audience devant la SPR en mars 2020, rien dans la preuve ne démontrait que Mme Ajibua et son père avaient eu des contacts après octobre 2015. Au début de l’audience, la SPR a demandé à Mme Ajibua si les renseignements fournis dans son formulaire FDA étaient complets, vrais et exacts, et Mme Ajibua lui a répondu par l’affirmative. Au cours de l’audience, à la question de savoir pourquoi elle croyait que quelqu’un voudrait lui nuire cinq ans plus tard, Mme Ajibua a répondu que son père avait toujours l’intention de lui nuire parce qu’il l’avait appelée en septembre 2019. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que : i) le fait pour Mme Ajibua de ne pas avoir mentionné l’appel téléphonique dans son formulaire FDA constituait une omission parce qu’il s’agissait d’un événement important qui était central à l’allégation de crainte prospective; ii) cette omission n’a pas été raisonnablement expliquée; et iii) l’omission a grandement miné la crédibilité du témoignage de Mme Ajibua selon lequel l’appel téléphonique avait eu lieu, et a appuyé les conclusions défavorables quant à sa crédibilité générale. La SAR a fait remarquer que les demandeurs étaient représentés par un conseil, tant à l’étape de la préparation du formulaire FDA que tout au long de l’instance devant la SPR.

[12] Les demandeurs font valoir que, contrairement aux conclusions tirées par la SAR, ils n’ont pas l’obligation de mettre à jour le formulaire FDA et que, en tout état de cause, l’explication donnée par Mme Ajibua pour ne pas l’avoir modifié était raisonnable. Le défendeur soutient que, d’après les faits de l’espèce, la SAR était en droit de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité étant donné que Mme Ajibua n’a pas mis à jour son formulaire FDA pour y ajouter l’appel téléphonique.

[13] Dans certaines circonstances, une inférence défavorable peut découler d’une omission dans le formulaire FDA, d’une modification qui lui est apportée ou du défaut de déclarer l’existence d’une telle omission ou modification au début de l’audience. L’appel téléphonique aurait eu lieu environ six mois avant l’audience devant la SPR. Il était important, car il constitue le seul élément qui démontre que le père de Mme Ajibua est toujours motivé à la retrouver et à lui causer un préjudice. J’estime qu’en l’espèce, la SAR n’a pas eu tort de conclure que le fait pour Mme Ajibua de ne pas avoir mentionné l’appel téléphonique dans son formulaire FDA minait sa crédibilité quant à l’existence même de cet appel et du risque prospectif allégué.

[14] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SAR a évalué la preuve documentaire de manière déraisonnable parce que son évaluation de la crédibilité du témoignage de Mme Ajibua a entaché son évaluation de la preuve documentaire. Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la documentation à l’appui présentait des d’incohérences et qu’elle n’était pas suffisante pour dissiper les doutes en matière de crédibilité relevés par la SAR.

[15] Je suis d’accord avec le défendeur. La SAR a fait une évaluation détaillée et indépendante de la documentation à l’appui, et a finalement conclu que celle‑ci ne permettait pas de dissiper ses doutes en matière de crédibilité découlant du témoignage de Mme Ajibua. La SAR pouvait raisonnablement tirer cette conclusion au vu du dossier, et elle l’a justifiée dans ses motifs. Il n’y a aucune raison, à mon avis, de la modifier.

III. Conclusion

[16] Pour les raisons qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la décision de la SAR est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[17] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier , et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le DOSSIER IMM‑1708‑21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1708‑21

INTITULÉ :

IFEOLUWA OLAYEMI AJIBUA ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 MARS 2022

JUDGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 15 JUIN 2021

COMPARUTIONS :

Arvin Afzali

POUR LES DEMANDEURS

Susan Gans

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER :

Auxilium Law

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.