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Date : 20220608


Dossier : IMM-6495-20

Référence : 2022 CF 856

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

JUNAID AKHTAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Akhtar, un citoyen du Pakistan, vit au Canada depuis près de 20 ans. Il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire) dont les principales sont les suivantes : ses préoccupations liées à sa santé physique et mentale, son établissement au Canada, la discrimination dont il ferait l’objet au Pakistan à titre de musulman chiite, et l’intérêt supérieur de ses enfants, qui sont résidents permanents au Canada. Le 1er décembre 2020, la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de M. Akhtar a été rejetée par un agent principal d’immigration (l’agent). M. Akhtar conteste ce rejet dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[2] M. Akhtar a fait valoir un certain nombre d’arguments à l’encontre de la décision. À mon avis, l’appréciation que l’agent a faite de la maladie mentale de M. Akhtar constitue la question déterminante en l’espèce. J’estime que l’approche qu’il a adoptée à l’égard de la documentation médicale détaillée de M. Akhtar était exagérément axée sur la recherche de lacunes dans les rapports présentés, alors que l’objectif aurait dû être d’apprécier la preuve dans son ensemble. L’agent n’a pas non plus évalué la preuve objective concernant les conditions dans le pays qui a été présentée relativement au traitement des personnes ayant des problèmes de santé mentale au Pakistan. Enfin, contrairement aux directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], l’agent a axé son attention sur l’absence d’éléments de preuve établissant que M. Akhtar n’aurait pas accès à un traitement au Pakistan et n’a pas tenu compte de la preuve indiquant que l’expulsion elle-même aurait des répercussions importantes sur sa santé mentale.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte factuel

[4] M. Akhtar est citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada en 2002 avec son épouse d’alors et leurs trois enfants. La famille a présenté une demande d’asile, laquelle a été rejetée en 2005. L’année suivante, après la naissance de leur quatrième enfant au Canada, la famille a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande a été approuvée en principe, mais a ensuite été rejetée à la deuxième étape du traitement en raison de préoccupations relatives à une interdiction de territoire pour motifs sanitaires liée à la maladie rénale dont souffrait M. Akhtar à l’époque.

[5] En 2012, la famille a présenté une seconde demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Des allégations portant que M. Akhtar aurait fait subir de la violence physique et psychologique à son épouse d’alors ont été formulées. L’épouse de M. Akthar s’est séparée de lui en août 2015 et a écrit à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour demander que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit dissociée de celle de son époux. Les demandes ont été dissociées. Les autres membres de la famille ont finalement obtenu le statut de résident permanent sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire, mais la demande de M. Akhtar a été rejetée. Il l’a appris en mars 2018 et a contesté ce rejet. Le juge Diner a fait droit à la demande de contrôle judiciaire sur le fondement d’un manquement à l’équité procédurale et a renvoyé l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision (Akhtar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 123).

[6] La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de M. Akhtar a été examinée de nouveau, puis rejetée une seconde fois le 1er décembre 2020. Le présent contrôle judiciaire porte sur ce second rejet.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[7] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la question déterminante dans le cadre du présent contrôle judiciaire est l’évaluation que l’agent a faite de la santé mentale de M. Akhtar. J’ai examiné la décision de l’agent selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond est celle de la décision raisonnable. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait que l’on s’écarte de cette présomption.

[8] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme un type de contrôle empreint de déférence, mais néanmoins « rigoureux », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au para 103).

[9] Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les décideurs administratifs, dans l’exercice du pouvoir public, doivent veiller à ce que leurs décisions soient « justifié[es], intelligible[s] et transparent[es] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

[10] La décision sous-jacente concerne la question de savoir si M. Akhtar, qui a passé les 20 dernières années au Canada, peut continuer à vivre ici de façon permanente. Les intérêts en jeu pour M. Akhtar sont considérables (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 31 [Baker]). La Cour suprême du Canada a expliqué que les répercussions d’une décision sur une personne constituent une considération contextuelle pertinente dans l’évaluation du caractère raisonnable des motifs d’un décideur : « Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (Vavilov, au para 133).

IV. Analyse

[11] L’étranger qui sollicite le statut de résident permanent au Canada peut demander au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire afin de le dispenser de satisfaire à tout ou partie des critères et obligations prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] pour des considérations d’ordre humanitaire (art 25(1)). Dans l’arrêt Kanthasamy, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338, la Cour suprême du Canada a confirmé que le pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire a pour objet d’« offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » (au para 21).

[12] Étant donné que l’objectif du pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire est de « mitiger la sévérité de la loi selon le cas », il n’existe pas d’ensemble déterminé de facteurs justifiant d’accorder une dispense (Kanthasamy, au para 19). Ces facteurs varient selon les circonstances, mais « l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids » (Kanthasamy, au para 25; Baker, aux para 74, 75).

[13] L’un des principaux facteurs pertinents soulevés par M. Akhtar dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est le fait qu’on lui a diagnostiqué une dépression grave, accompagnée d’un trouble grave d’anxiété généralisée et d’idées suicidaires récurrentes. M. Akhtar a demandé à l’agent de tenir compte des répercussions que son renvoi au Pakistan aurait sur sa santé mentale. J’estime que l’analyse que l’agent a faite de cette question comporte de nombreuses lacunes, notamment en ce qui concerne son appréciation de la preuve médicale et son évaluation de l’accessibilité des traitements au Pakistan.

A. Appréciation de la preuve médicale

[14] M. Akhtar a joint à sa demande un certain nombre de rapports médicaux et de lettres préparés par des professionnels de la santé, dont un psychiatre et le psychologue clinicien qui le suit depuis plusieurs années. L’agent a examiné chacun des documents et a déterminé que ces éléments de preuve comportaient diverses lacunes. L’avocate de M. Akhtar a fait valoir que l’approche que l’agent a adoptée à l’égard de cette preuve médicale l’a empêché de voir la situation dans son ensemble. À mon avis, non seulement l’agent n’a pas tenu compte de l’ensemble du tableau dépeint par les divers rapports médicaux, mais il a examiné chacun de ces rapports avec un zèle excessif dans le but d’y déceler des lacunes. Bien que l’agent ait formulé des observations détaillées relativement à chacun des rapports et à chacune des lettres de nature médicale, l’analyse et les conclusions générales de l’agent quant à l’état de santé de M. Akhtar sont inintelligibles, car elles n’indiquent pas clairement quels aspects, le cas échéant, de l’état de santé de M. Akhtar l’agent a admis.

[15] Les exemples du zèle excessif avec lequel l’agent s’est employé à relever des lacunes dans les documents médicaux sont nombreux. Entre autres exemples, l’agent a mentionné à plusieurs reprises que le psychiatre n’avait pas fourni de curriculum vitæ conjointement avec son rapport et qu’il n’y avait donc aucune information [Traduction] « indiquant où il a réalisé ses études et obtenu ses spécialisations ». Le rapport indique que M. Akhtar a été examiné et que le rapport a été préparé par un psychiatre en exercice au Canada; la signature de ce dernier indiquant qu’il est docteur en médecine (M.D.), membre du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (FRCPC), et psychiatre. On voit mal en quoi une preuve supplémentaire des titres de compétence du psychiatre, comme l’établissement où il a été formé, aurait pu influer sur l’analyse que l’agent a faite du rapport, d’autant plus que l’évaluation ne portait pas sur un domaine spécialisé de la psychiatrie, mais sur des troubles que les psychiatres sont régulièrement appelés à évaluer, à savoir la dépression, l’anxiété et les idées suicidaires.

[16] Le fait que l’agent ait insisté sur les examens objectifs, alors même que le dossier contenait de nombreux éléments corroborant le diagnostic établi, constitue un autre exemple de l’excès de zèle dont il a fait preuve. L’agent a critiqué le rapport préparé par le psychologue clinicien que M. Akhtar voyait au moins une fois par mois depuis près de deux ans dans un établissement de soins de santé, au motif que ce rapport ne faisait mention d’aucun examen objectif pour expliquer comment le diagnostic de M. Akhtar avait été établi. Le psychologue clinicien a également mentionné que deux autres consultations avec des psychologues et psychiatres du même établissement de soins de santé avaient eu lieu dans le cadre du Programme de santé mentale et de toxicomanie du Service des troubles de l’humeur, et que ces derniers étaient parvenus au même diagnostic à l’égard de M. Akhtar. L’agent n’a pas commenté le diagnostic cohérent qui a été posé à l’égard de M. Akhtar par différents professionnels de la santé sur une période de plusieurs années; il a plutôt insisté sur le fait que la demande fondée sur des considérations humanitaires ne contenait aucun renseignement au sujet de ces autres consultations mentionnées par le psychologue clinicien. Il s’agit là d’un autre exemple de l'approche restrictive que l’agent a adoptée à l’égard de la preuve médicale; il a relevé des lacunes, mais n’a pas expliqué en quoi ces dernières influaient sur son appréciation globale, si bien qu’en définitive, il n’a pas évalué la preuve dont il disposait.

[17] Le dossier contenait également des éléments de preuve indiquant que des examens objectifs avaient été réalisés peu de temps avant et avaient mené à la même conclusion en ce qui concerne le diagnostic de M. Akhtar. L’agent a critiqué ces examens, dont le psychiatre a fait mention dans son rapport, au motif que ce dernier [Traduction] « n’a pas indiqué comment il est parvenu à ses conclusions au moyen d’une méthode scientifique reconnue ». Là encore, on voit mal en quoi des renseignements supplémentaires sur la méthode scientifique utilisée par le psychiatre dans le cadre des examens objectifs qu’il a réalisés pour dépister la dépression et l’anxiété auraient pu modifier l’analyse que l’agent a faite du rapport en question. L’agent mettait-il en doute le diagnostic cohérent que divers professionnels de la santé avaient posé à l’égard de M. Akhtar sur une période de plusieurs années?

[18] Le psychiatre a examiné les antécédents de maladie mentale de M. Akhtar ainsi que ses symptômes actuels, et a réalisé des examens afin de mesurer ses niveaux d’anxiété et de dépression. Il a confirmé le diagnostic posé à l’égard de M. Akhtar : trouble dépressif majeur persistant d’intensité sévère et trouble grave d’anxiété généralisée. M. Akhtar prenait des antidépresseurs à forte dose depuis environ un an et demi lorsque le psychiatre a rédigé son rapport. Le dossier contenait des éléments de preuve indiquant qu’il avait été admis au service psychiatrique d’un hôpital en 2018 et qu’une équipe mobile d’intervention en cas de crise s’était rendue à son domicile après qu’il eut tenté à deux reprises de s’enlever la vie. L’agent n’a mentionné aucune raison valable de mettre en doute ce diagnostic.

[19] L’agent a également affirmé que le rapport du psychiatre contenait des contradictions, alors que ce ne semble pas être le cas. L’agent a souligné que le psychiatre a déclaré au début de son rapport que M. Akhtar présentait un [Traduction] « risque faible de préjudice imminent », mais qu’il a affirmé plus loin qu’il présentait un [Traduction] « risque modérément élevé de suicide ». La deuxième estimation du risque était expressément liée à l’évaluation des répercussions qu’une expulsion au Pakistan aurait sur M. Akhtar, selon le psychiatre, alors que la première se rapportait clairement au moment présent et concernait uniquement le risque de préjudice imminent. La conclusion de l’agent selon laquelle les conclusions du psychiatre étaient contradictoires ne repose sur aucun élément de preuve.

[20] L’agent a également souligné que, compte tenu de la gravité des troubles diagnostiqués, il lui semblait inconséquent que le psychiatre n’ait pas eu de rendez-vous de suivi avec M. Akhtar ou n’ait pas pris de dispositions pour que d’autres professionnels assurent un suivi. Là encore, il était déraisonnable de la part de l’agent de tirer une telle conclusion du rapport du psychiatre. M. Akhtar était déjà suivi par plusieurs professionnels, dont un médecin de famille, un néphrologue et un psychologue clinicien. Le psychiatre a demandé au médecin de famille de M. Akhtar d’augmenter la dose de son médicament et a suggéré de remplacer son médicament par d’autres dans l’éventualité où cette augmentation ne produirait pas les effets escomptés. Le plan de suivi recommandait également que M. Akhtar poursuive ses consultations avec son thérapeute afin d’éviter une aggravation de son état. Des ressources sur la gestion des risques, y compris des renseignements sur la ligne d’écoute téléphonique, lui ont en outre été fournies et on lui a conseillé de se rendre aux urgences en cas de crise. La conclusion de l’agent quant à l’absence d’un plan de suivi faisant intervenir d’autres professionnels ne repose sur aucun élément de preuve et trahit, là encore, une appréciation fondamentalement erronée de la preuve.

[21] Dans l’ensemble, les rapports médicaux présentés décrivent invariablement M. Akhtar comme une personne aux prises avec une dépression grave, un trouble anxieux grave et des idées suicidaires récurrentes. Ces diagnostics concordent avec la prise de médicaments par M. Akhtar, ses visites à l’hôpital en période de crise, ses tentatives de suicide antérieures et la description qu’il a donnée de ses symptômes. L’agent n’a fourni aucune raison valable de mettre en doute ces diagnostics.

[22] La conclusion de l’agent quant à la santé mentale de M. Akhtar est inintelligible. D’une part, l’agent a examiné la preuve médicale, a relevé de nombreuses lacunes et a indiqué que peu de poids devait être accordé à cette preuve; d’autre part, il a semblé admettre que M. Akhtar souffrait de troubles mentaux. L’avocat du défendeur a fait valoir que l’agent a admis que M. Akhtar souffrait de troubles mentaux, mais qu’il doutait de leur gravité. J’estime que l’agent n’a pas formulé sa conclusion aussi clairement; il n’a pas précisé quels aspects des divers rapports il a admis en ce qui concerne le diagnostic reçu par M. Akhtar. L’agent a indiqué ce qui suit :

[Traduction]
Les renseignements fournis par les professionnels de la santé mentale que le demandeur a consultés au Canada indiquent qu’il y a lieu de considérer le demandeur comme présentant un risque accru de donner suite à ses idées suicidaires s’il n’obtient pas de statut juridique au Canada. Je reconnais qu’il peut être difficile sur le plan émotionnel pour le demandeur de retourner au Pakistan compte tenu de son désir de demeurer au Canada. Cependant, bien qu’elle ne soit pas parfaite, la preuve objective démontre que des traitements en santé mentale sont accessibles au Pakistan pour les troubles qui ont été diagnostiqués au demandeur.

[23] La conclusion de l’agent selon laquelle il sera [Traduction] « difficile sur le plan émotionnel » pour M. Akhtar de se réinstaller au Pakistan minimise les problèmes de santé de ce dernier et témoigne d’une appréciation fondamentalement erronée de la preuve. La preuve dont disposait l’agent décrit un homme qui est aux prises avec des problèmes de santé mentale importants depuis un certain nombre d’années et qui, selon un psychiatre et le psychologue qui le suit depuis plusieurs années, risque de subir une détérioration grave de sa santé mentale et de se suicider s’il est renvoyé au Pakistan.

B. Évaluation de l’accessibilité des traitements au Pakistan

[24] L’appréciation que l’agent a faite du facteur de la santé mentale pose également problème en raison de la façon dont celui-ci a évalué l’accessibilité des traitements en santé mentale au Pakistan. L’analyse de l’agent à cet égard est problématique pour deux raisons. Premièrement, l’agent n’a présenté ni évaluation ni observation en réponse aux arguments et aux éléments de preuve présentés par l’avocate de M. Akhtar en ce qui concerne le peu de traitements offerts aux personnes atteintes de troubles mentaux. Il ne fait nulle part mention de ces arguments ou de ces éléments de preuve. Cette omission contribue, elle aussi, à rendre l’analyse déraisonnable, car l’agent a négligé de valablement soupeser l’une des questions centrales soulevées ainsi que des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions (Vavilov, aux para 125-128; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53 au para 17. Martinez Mendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 816 au para 30).

[25] Deuxièmement, l’agent s’est fortement appuyé sur la prémisse voulant que des options de traitement soient accessibles au Pakistan pour conclure que la santé mentale de M. Akhtar ne lui causerait pas de difficultés. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, l’accessibilité des traitements n’est pas le seul facteur pertinent à évaluer. Comme dans Kanthasamy, il y avait en l’espèce des éléments de preuve indiquant qu’une expulsion entraînerait une détérioration de la santé mentale de M. Akhtar (Kanthasamy, au para 48). Le défendeur a fait valoir que le cas de M. Akhtar était différent parce que, contrairement à la situation dans Kanthasamy, l’agent en l’espèce n’a pas accepté le diagnostic. Comme je l’ai mentionné précédemment, à l’audience, l’avocat du défendeur a reconnu que l’agent semblait avoir admis que M. Akhtar souffrait de troubles mentaux, mais qu’il contestait leur gravité. Comme je l’ai également souligné, j’estime que les motifs de l’agent sur ce point essentiel ne sont pas transparents. J’ai également mentionné que les prétendues lacunes et contradictions que l’agent a relevées dans les rapports médicaux ne sont pas étayées par la preuve et témoignent d’un excès de zèle dans l’examen de la preuve et la recherche d’anomalies.

[26] Dans tous les cas, les critiques que l’agent a formulées relativement à l’opinion du psychologue clinicien et du psychiatre portant que l’état de M. Akhtar se détériorerait s’il devait être expulsé reposaient sur la croyance de l’agent selon laquelle ces médecins n’avaient pas évalué l’accessibilité des traitements au Pakistan. À mon avis, la question n’est pas là. Indépendamment de la question de savoir s’il y aurait des moyens d’atténuer la détérioration de la santé mentale de M. Akhtar, l’agent n’a pas reconnu que l’aggravation des troubles mentaux de M. Akhtar qui serait causée par l’expulsion elle-même constituait un facteur pertinent. La Cour suprême du Canada a statué qu’il était déraisonnable de ne pas tenir compte d’un tel facteur, car cela équivalait à appliquer à l’évaluation de la situation du demandeur une approche trop restrictive (Kanthasamy, aux para 45, 48; Natesan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 540 aux para 39, 40).

V. Conclusion

[27] L’analyse que l’agent a faite de la santé mentale de M. Akhtar « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Je conclus que cet élément essentiel de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par M. Akhtar n’a pas été adéquatement évalué et que, par conséquent, la décision ne peut être maintenue. Comme je l’ai indiqué d’entrée de jeu, j’ai déterminé qu’il n’était pas nécessaire que j’examine les autres motifs de contrôle soulevés par M. Akhtar, car j’estime que l’approche que l’agent a adoptée à l’égard de sa santé mentale est déterminante quant à l’issue du présent contrôle judiciaire.

[28] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Aucune des parties n’a demandé qu’une question de portée générale soit certifiée au titre de l’article 74d) de la LIPR et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6495-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision rendue le 1er décembre 2020 par l’agent principal d’immigration est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6495-20

 

INTITULÉ :

JUNAID AKHTAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Warda Shazadi Meighen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christopher Veeman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Landings LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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