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Date : 20220608


Dossier : IMM-6507-20

Référence : 2022 CF 854

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

FERNANDO MANUEL DE FARIA PENICHE

MARIA ANTONIETA FERNANDES ALVES PENICHE

MARGARIDA ALVES PENICHE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Fernando Manuel de Faria Peniche, sa femme et leur fille mineure, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté leur demande de résidence permanente présentée depuis le Canada pour des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs, des citoyens du Portugal, sont entrés au Canada en 2013 munis d’un permis de travail de six mois qui avait été délivré à M. Peniche. Leur demande de prorogation de ce permis de travail a été rejetée en février 2014. Les demandeurs ont obtenu des visas de visiteur leur permettant de rester au Canada jusqu’à la fin de 2014; depuis, ils y sont sans statut.

[3] Les demandeurs ont déposé une première demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en octobre 2018. Cette demande a été rejetée en septembre 2019. Ils ont déposé une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en novembre 2019. La décision en cause dans la présente instance porte sur le rejet de la deuxième demande.

[4] Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent est déraisonnable. Ils font valoir qu’il a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans son analyse de leur établissement au Canada et des conditions défavorables au Portugal. Ils soutiennent aussi que l’agent a commis une erreur en imposant un seuil de difficultés importantes, notamment en évaluant l’intérêt supérieur de la fille mineure sous l’angle des difficultés importantes sans être suffisamment réceptif, attentif et sensible à cette question.

[5] Pour les motifs suivants, les demandeurs n’ont pas établi que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle rendant sa décision déraisonnable lorsqu’il s’est demandé si les considérations d’ordre humanitaire qu’ils avaient soulevées justifiaient l’octroi d’une dispense au titre de l’article 25. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question en litige et norme de contrôle

[6] La question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable compte tenu des erreurs alléguées suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’établissement des demandeurs au Canada?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse des conditions défavorables au Portugal?

  3. L’agent a-t-il commis une erreur en imposant un seuil de difficultés importantes et en ne tenant pas dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[7] La Cour suprême du Canada a énoncé les principes directeurs applicables au contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

A. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de l’établissement des demandeurs au Canada?

[8] Les demandeurs soutiennent que l’évaluation réalisée par l’agent quant à leur établissement au Canada était déraisonnable au point de justifier l’annulation de la décision, puisque l’établissement était un élément important de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Selon eux, l’agent a conclu qu’ils n’avaient pas démontré qu’ils étaient [traduction] « solidement établis au Canada » sans leur expliquer ce que cela signifiait, ou pourquoi leur degré d’établissement ne militait pas en faveur de l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR : Stuurman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 194 aux para 21-24; Ndlovu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 878 au para 15 [Ndlovu]; Kachi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 871 aux para 12-16. Les demandeurs soutiennent que leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire démontrait qu’ils étaient établis au Canada au moyen d’éléments de preuve relatifs à l’emploi et au revenu (y compris la preuve selon laquelle ils sont autonomes financièrement), à l’éducation, aux réussites scolaires, ainsi que de lettres de soutien communautaire. Ils soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que leur revenu n’était pas substantiel, puisqu’il ne s’agit pas d’une exigence aux termes de l’article 25 de la LIPR.

[9] De plus, les demandeurs soutiennent que l’agent a déraisonnablement écarté la question de leur établissement au Canada parce qu’ils y vivaient et y travaillaient sans autorisation. Selon les demandeurs, l’agent s’est attardé sur la question de leur non-conformité et a écarté des facteurs favorables pour ce motif de manière à aller à l’encontre de l’objet de l’article 25 de la LIPR : Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 227 aux para 17, 19 [Samuel]; Kobita c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1479 aux para 28-30, 35-36 [Kobita]. Ils soutiennent que l’agent n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], lesquels exigent que leur situation soit évaluée avec empathie et compassion conformément au fondement équitable de l’article 25 de la LIPR.

[10] Le défendeur soutient que l’arrêt Kanthasamy ne modifie pas la nature de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Les dispenses pour considérations d’ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire, et il appartient à l’agent d’apprécier chaque facteur pertinent ainsi que de déterminer le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’entre eux selon les circonstances de l’affaire : Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 aux para 11, 15. En l’espèce, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour justifier l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR et, selon le défendeur, les demandeurs demandent indûment à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[11] Le défendeur soutient que l’agent a examiné cinq facteurs dans son analyse de l’établissement des demandeurs : le temps passé au Canada, les antécédents professionnels, l’autonomie financière, les relations familiales et les liens avec la communauté. L’agent a reconnu un certain degré d’établissement et a expliqué pourquoi il était d’avis que les demandeurs n’étaient pas solidement établis. Le défendeur fait valoir que l’agent a raisonnablement examiné l’incompatibilité entre le revenu déclaré par les demandeurs et les besoins d’une famille moyenne au Canada pour conclure qu’ils n’avaient pas établi qu’ils étaient autonomes financièrement. Il n’est pas déraisonnable pour un agent de conclure qu’un degré ordinaire d’établissement au Canada est insuffisant pour justifier l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire : De Sousa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 818 au para 28 [De Sousa].

[12] Selon le défendeur, l’agent a dûment tenu compte de l’omission des demandeurs de se conformer à la LIPR dans son examen de la durée de leur séjour au Canada et de leurs antécédents professionnels au pays : Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1332 au para 28 [Santos]; Daniel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 248 au para 38. La non-conformité des demandeurs à la LIPR n’était pas le principal facteur invoqué par l’agent dans sa décision.

[13] À mon avis, l’agent n’a pas tiré de conclusion au sujet de l’établissement sans exposer de motifs suffisants, comme le soutiennent les demandeurs. Il a analysé l’établissement des demandeurs au Canada de façon raisonnable, en tenant compte de multiples facteurs. Il a présenté un raisonnement intelligible pour justifier la manière dont il a soupesé chacun des facteurs afin d’arriver à la conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient pas solidement établis. Je conviens avec le défendeur qu’il n’est pas déraisonnable pour un agent de conclure qu’un degré ordinaire d’établissement au Canada est insuffisant pour justifier l’octroi de la dispense prévue à l’article 25 de la LIPR : De Sousa, au para 28.

[14] Le non-respect des lois en matière d’immigration est un facteur qui peut être évalué dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Autrement, une personne qui habite et travaille illégalement au Canada pourrait se trouver avantagée par rapport à une autre qui le fait légalement : Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 27 aux para 32-33. L’article 25 fonctionne selon les paramètres établis dans la LIPR et ne constitue pas un régime d’immigration parallèle : ibid., au para 33. Lorsqu’un agent prend en considération l’absence de statut légal d’un demandeur (ce dont il est autorisé), il doit trouver l’équilibre entre la nécessité de respecter les dispositions législatives canadiennes en matière d’immigration et le fait que l’article 25 de la LIPR s’appliquera fréquemment à des demandeurs sans statut légal : Samuel, au para 17; Kobita, aux para 28-30. À mon avis, c’est ce que l’agent a fait en l’espèce.

[15] Il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’attribuer peu de poids à la durée du séjour des demandeurs au Canada ainsi qu’à leur emploi au pays puisqu’ils n’étaient pas autorisés à y habiter ni y travailler. L’agent d’immigration peut examiner si le séjour ou l’emploi non autorisé d’un demandeur au Canada est indépendant de sa volonté (Santos, au para 28). De plus, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent s’est attardé sur la question de leur non-conformité à la LIPR ou qu’il a déraisonnablement écarté les facteurs favorables liés à leur établissement pour ce motif. En outre, la durée du séjour au Canada et l’emploi au pays sont deux facteurs que l’agent a pris en compte dans son évaluation de l’établissement des demandeurs. Il a aussi examiné l’autonomie financière, les relations familiales et les liens des demandeurs avec la communauté.

[16] En ce qui concerne l’autonomie financière, je ne suis pas convaincue que l’agent exigeait un certain niveau de revenu. Au contraire, il a examiné le revenu censé subvenir aux besoins de la famille et a souligné que la preuve liée aux dépenses familiales et à l’aide financière apportée par les membres de la famille élargie des demandeurs était insuffisante. À la lumière de la preuve accessible, l’agent a raisonnablement accordé peu de poids à la question de l’autonomie financière à titre de composante de l’établissement. En ce qui a trait aux autres facteurs, l’agent a accordé un certain poids aux relations familiales des demandeurs et à leurs liens avec la communauté en tant que composantes de leur établissement au Canada.

[17] En résumé, les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de l’établissement effectuée par l’agent. Ils ne sont pas d’accord avec la façon dont l’agent a soupesé les facteurs relatifs à l’établissement. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour lors d’un contrôle judiciaire d’apprécier la preuve à nouveau : Vavilov, aux para 125-126.

B. L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse des conditions défavorables au Portugal?

[18] Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas dûment examiné les conséquences qu’aurait leur retour au Portugal à la lumière des conditions défavorables qui y règnent. Ils soutiennent que l’agent était tenu d’examiner les conditions défavorables dans ce pays, même en l’absence de preuve de difficultés réelles et personnelles, puisqu’ils étaient uniquement tenus de montrer qu’ils seraient probablement touchés par les conditions défavorables qui y règnent : Shrestha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1370 aux para 11, 13-15 [Shrestha]. L’existence de conditions défavorables était suffisante pour obliger l’agent à analyser les conséquences du retour des demandeurs au Portugal.

[19] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de l’agent selon laquelle ils seraient en mesure de se rétablir au Portugal était fondée sur des hypothèses, puisque rien ne démontrait que leurs compétences et expériences acquises au Canada augmenteraient leurs chances d’obtenir un emploi stable et bien rémunéré au Portugal. Ils se fondent sur les décisions Ndlovu, aux paragraphes 19 et 21, et Sosi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 FC 1300 au paragraphe 18 [Sosi]. Selon les demandeurs, l’agent a écarté de manière abusive la question de leur établissement au Canada tout en invoquant les mêmes éléments de preuve pour conclure qu’ils seraient en mesure de se rétablir au Portugal : Sosi, au para 18.

[20] Le défendeur soutient que ce sont les demandeurs qui se livraient à des conjectures en affirmant qu’ils auraient de la difficulté à trouver un emploi stable, et qu’il était loisible à l’agent de rejeter cette hypothèse. L’agent a raisonnablement souligné que les demandeurs sont des travailleurs qualifiés qui connaissent bien la langue parlée au Portugal et ses coutumes. En outre, l’agent n’a pas utilisé l’établissement des demandeurs contre eux; il a plutôt conclu, de façon raisonnable, que les demandeurs avaient acquis des compétences professionnelles qui leur permettraient de trouver du travail. Le défendeur soutient que les demandeurs débattent à nouveau des points abordés dans leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sans avoir souligné l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

[21] Je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans les motifs de l’agent relatifs aux conditions défavorables dans le pays en cause.

[22] L’agent a examiné les conséquences qu’aurait le retour des demandeurs au Portugal à la lumière de leurs observations, notamment les suivantes : i) les perspectives d’emploi; ii) le soutien des membres de la famille; iii) les restrictions liées à la COVID-19; iv) l’incidence de leur retour sur la santé mentale des demandeurs. Je ne suis pas d’accord pour dire que l’agent s’est livré à des conjectures. En réponse à l’observation des demandeurs selon laquelle il ne leur serait pas facile de se trouver un emploi au Portugal en raison de leur âge et d’un marché de l’emploi difficile, l’agent a souligné qu’ils ont des années d’expérience de travail ainsi que des aptitudes à l’emploi. Je conviens avec le défendeur que l’agent n’a pas utilisé l’établissement des demandeurs contre eux, mais qu’il a plutôt conclu, de façon raisonnable, qu’ils avaient acquis des compétences qui les aideraient à se trouver du travail au Portugal. En ce qui concerne le soutien des membres de la famille, l’agent a conclu que, à l’exception de la déclaration de M. Peniche, il n’y avait aucune preuve démontrant que leur famille au Portugal serait incapable de les aider au besoin. En fin de compte, l’agent n’était pas convaincu que les demandeurs seraient incapables de trouver un travail stable ou que les membres de leur famille élargie ne pourraient pas les aider.

[23] À mon avis, les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur semblable à celle commise dans la décision Shrestha. Dans cette affaire, l’agent disposait d’une preuve importante au sujet des répercussions dévastatrices des tremblements de terre au Népal en 2015. Pourtant, il a rejeté cette preuve au motif qu’elle ne démontrait pas l’existence de difficultés propres au demandeur. La Cour a conclu que, ce faisant, l’agent avait commis une erreur. Dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les difficultés doivent être personnelles, mais elles n’ont pas à être uniques. De plus, même si la preuve était de nature générale, elle permettait raisonnablement de conclure que toute personne vivant au Népal ou retournant dans ce pays, notamment dans les régions les plus sévèrement touchées, se heurterait à des difficultés : Shrestha, au para 11. En l’espèce, l’agent a examiné les difficultés alléguées relativement à l’instabilité financière et aux mauvaises perspectives d’emploi au regard du marché du travail au Portugal. Il n’était pas convaincu que les demandeurs seraient incapables d’obtenir davantage qu’un salaire minimum ou un emploi contractuel à court terme. Il était loisible à l’agent de tirer de telles conclusions.

[24] En résumé, les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans l’analyse par l’agent des conditions défavorables au Portugal.

C. L’agent a-t-il commis une erreur en imposant un seuil de difficultés importantes et en ne tenant pas dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[25] Les demandeurs soutiennent que l’agent a imposé un seuil élevé de [traduction] « difficultés importantes » dans son évaluation de leur demande de résidence permanente, et qu’il n’a pas examiné l’ensemble des considérations d’ordre humanitaire qu’ils ont soulevées. Les demandeurs soulignent que l’examen des considérations d’ordre humanitaire repose fondamentalement sur l’empathie, mais que l’agent n’en a démontré aucune et qu’il a plutôt évalué leur demande sous l’angle des difficultés importantes. L’agent a imposé cette norme élevée relative aux [traduction] « difficultés importantes » dans son évaluation de l’établissement, des conditions défavorables dans le pays et de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[26] Selon les demandeurs, l’approche adoptée par l’agent est particulièrement problématique en ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, car elle est contraire au principe selon lequel les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à quelque difficulté que ce soit. Ils soutiennent que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant en mettant l’accent sur la question de savoir si le degré de difficulté était suffisant pour justifier qu’une décision favorable soit rendue : Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166 aux para 63-67 [Williams]. Le critère relatif aux difficultés importantes ne permet pas de répondre de façon satisfaisante – d’une manière qu’on peut qualifier de « réceptive, attentive et sensible » – à la question de l’intérêt supérieur de l’enfant : Ibid.

[27] Les demandeurs soutiennent que l’agent ne s’est pas montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de la fille mineure, qui a passé sept années formatrices au Canada, c’est-à-dire qu’elle y habite depuis l’âge de neuf ans. Malgré les amitiés de la fille mineure au Canada et ses liens avec la communauté au pays, l’agent a conclu que ses solides liens familiaux au Portugal militaient en faveur de son retour, et que rien ne prouvait qu’elle ne serait pas en mesure de rester en contact avec ses amis au Canada. L’agent a également rejeté les préoccupations des demandeurs selon lesquelles leur fille aurait de la difficulté à se réintégrer au Portugal parce qu’elle a perdu ses connaissances de la langue portugaise, au motif qu’elle était continuellement exposée à cette langue au Canada étant donné que ses parents ne parlent pas couramment anglais.

[28] Le défendeur soutient que l’agent a utilisé l’expression [traduction] « difficultés importantes » une seule fois dans la décision, et ce, au sujet de la question précise du retour des demandeurs au Portugal. Le recours à l’adjectif « importantes » pour décrire un degré de difficultés qui n’est pas suffisant pour accorder une demande ne constitue pas une preuve qu’une erreur a été commise. La question des difficultés est pertinente : Kanthasamy, au para 33; Shackleford c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1313 au para 27.

[29] Le défendeur soutient que l’agent n’était pas tenu de suivre l’approche établie dans la décision Williams puisque cette affaire n’a pas eu pour effet de créer un critère formel relativement aux évaluations de l’intérêt supérieur des enfants : Semana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1082 au para 23 [Semana]. Le défendeur soutient qu’il n’existe aucune formule précise ni aucun critère fixe lorsqu’il s’agit d’analyser l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’il ne faut pas privilégier la forme aux dépens du fonds. La présence des enfants ne commande pas un résultat déterminé, et l’intérêt supérieur des enfants n’est qu’un des facteurs dont il y a lieu de tenir compte lorsqu’il s’agit de statuer sur une demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire : Semana, aux para 23-28. En l’espèce, l’agent a accordé un poids favorable à l’intérêt supérieur de l’enfant, mais peu de poids aux questions de l’établissement au Canada et des conditions défavorables au Portugal. Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent de soupeser ces facteurs de façon globale et de rejeter la demande.

[30] Je suis convaincue que l’approche adoptée par l’agent ne renferme aucune erreur susceptible de contrôle.

[31] Compte tenu des motifs abordés sous les rubriques précédentes, les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation de l’agent relative à leur établissement au Canada et aux conséquences qu’aurait leur retour au Portugal à la lumière des conditions défavorables qui y prévalent.

[32] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant en particulier, je conviens avec le défendeur que la décision Williams n’impose pas de critère formel et, de toute manière, l’agent n’a exigé aucun degré de difficulté pour que l’intérêt supérieur de l’enfant fasse l’objet d’une décision favorable. Au contraire, il a conclu qu’un poids modéré devait être accordé aux considérations relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[33] Dans ses motifs, l’agent fait remarquer que la fille mineure a passé des années formatrices au Canada et qu’elle a forgé des amitiés ainsi que des liens dans sa communauté. L’agent a reconnu qu’elle fera face à de la détresse à son retour, mais a également souligné que sa famille au Portugal la soutiendrait et qu’elle pourrait garder contact avec ses amis au Canada. L’inférence de l’agent selon laquelle la fille mineure était continuellement exposée au portugais pendant son séjour au Canada était raisonnable et non, comme le soutiennent les demandeurs, une simple affirmation.

[34] Le défendeur a souligné à juste titre que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue un facteur à examiner parmi d’autres dans l’évaluation du bien-fondé de la demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire : Semana, aux para 23-28. L’agent a reconnu l’intégration de la fille mineure au Canada et a accordé un poids favorable à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, après avoir examiné l’ensemble des facteurs, il n’était pas convaincu que ceux-ci justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

IV. Conclusion

[35] Les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de l’agent est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[36] Aucune partie n’a proposé de question à certifier. À mon avis, il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6507-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6507-20

 

INTITULÉ :

FERNANDO MANUEL DE FARIA PENICHE, MARIA ANTONIETA FERNANDES ALVES PENICHE, MARGARIDA ALVES PENICHE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Belinda Bozinovski

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bozinovski Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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