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Date : 20220614


Dossier : IMM‑3742‑22

Référence : 2022 CF 895

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 14 juin 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

OLAYEMI RUTH ADEOYE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Mme Adeoye demande un sursis à son renvoi au Nigeria prévu le 16 juin 2022. Je rejette sa requête, car elle ne soulève aucune question sérieuse remettant en cause le caractère raisonnable de la décision rendue au sujet de sa demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR], décision selon laquelle Mme Adeoye ne serait exposée à aucun risque à son retour au Nigeria.

I. Contexte

[2] Mme Adeoye est citoyenne du Nigeria. Elle allègue avoir quitté son village en 2010, parce que des membres de la famille de son père voulaient la mettre à mort dans le cadre d’un rituel de sacrifice humain.

[3] Après s’être rendue dans d’autres pays, Mme Adeoye est arrivée au Canada en 2017 et elle a demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté la demande d’asile au motif que Mme Adeoye disposait d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] à Lagos ou à Abuja. La SPR a souligné qu’au cours des cinq années précédentes, Mme Adeoye avait principalement vécu à une même adresse dans un État nigérian voisin, sans être inquiétée par les prétendus agents de persécution. En outre, la SPR a accordé peu de poids à l’allégation de Mme Adeoye selon laquelle les agents de persécution avaient visité sa mère deux fois, car Mme Adeoye n’avait pas été en mesure de fournir des détails et n’avait pas mentionné ces visites dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA].

[4] Mme Adeoye a interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR. La SAR a rejeté son appel, car elle souscrivait à la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une PRI à Lagos. La SAR a souligné que Mme Adeoye avait résidé à la même adresse au Nigeria pendant cinq ans après qu’elle se serait retrouvée en danger de mort. La SAR a également souligné que Mme Adeoye n’avait pas présenté de preuve crédible selon laquelle les agents de persécution avaient cherché à la localiser, ni de preuve selon laquelle les agents de persécution avaient quelque chose à voir avec le décès de son employeur. La SAR a en outre conclu que l’allégation selon laquelle les agents de persécution avaient visité la mère de Mme Adeoye n’était pas suffisamment étayée par la preuve. L’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire auprès de notre Cour a été refusée.

[5] Mme Adeoye a ensuite présenté une demande d’ERAR. Elle a alors fourni de récents courriels provenant de sa mère et de son frère au Nigeria, selon lesquels sa vie était en danger si elle retournait dans son pays d’origine. Un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté sa demande. Il a conclu que Mme Adeoye n’avait fait que réitérer les mêmes faits que devant la SPR et la SAR. De plus, il a fait observer que les courriels de la mère et du frère de Mme Adeoye ne permettaient pas de réfuter les conclusions de la SPR et de la SAR, et qu’ils ne constituaient pas une preuve objective qu’elle serait personnellement exposée à de nouveaux risques.

[6] Mme Adeoye a ensuite déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable concernant sa demande d’ERAR. Dans le cadre de cette dernière demande, elle a présenté une requête en sursis à l’exécution de son renvoi au Nigeria.

II. Analyse

A. Le cadre d’analyse

[7] Les requêtes en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi sont tranchées selon un critère bien connu, soit le critère à trois volets relatif aux injonctions interlocutoires : RJR – Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR] et R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 RCS 196. La Cour doit décider si : (1) la demanderesse a démontré que la demande sous‑jacente soulevait une question sérieuse; (2) la demanderesse subirait un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé; (3) la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la demanderesse.

B. L’existence d’une question sérieuse

[8] Dans l’arrêt RJR, la Cour suprême du Canada a conclu qu’en ce qui a trait au volet de l’existence d’une question sérieuse, l’exigence est minimale; elle est satisfaite dès lors que la question soulevée n’est pas futile (à la p 337). Néanmoins, lorsque l’on applique ce critère, il faut avoir à l’esprit que Mme Adeoye doit avoir démontré que la décision relative à l’ERAR est déraisonnable pour que la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire soit accueillie. Cet aspect prend une importance particulière lorsque les erreurs alléguées de la décision sous‑jacente auraient été commises dans l’appréciation de la preuve; dans une telle affaire, la Cour fait habituellement preuve de déférence envers le décideur administratif : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paragraphes 125 et 126 [Vavilov].

[9] Le principal argument de Mme Adeoye est que l’agent a commis une erreur en n’accordant aucun poids aux courriels de sa mère et de son frère. En réalité, cependant, ces courriels sont extrêmement brefs. Ils indiquent que les agents de persécution sont les membres de la famille du père. Dans son courriel, la mère affirme que ces derniers veulent tuer Mme Adeoye et qu’ils la [traduction] « recherchent partout au Nigeria ». Or, il n’y a pas le moindre détail au sujet de leur capacité de retrouver Mme Adeoye n’importe où au Nigeria. Si la mère mentionne qu’ils se sont présentés à son domicile, elle ne dit par contre rien au sujet du moment ou de la fréquence de ces visites. De simples affirmations comme celles‑là ne suffisent pas à étayer une allégation : Azzam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 549 au paragraphe 31. Le consultant en immigration qui a préparé la demande d’ERAR de Mme Adeoye aurait pu demander des renseignements supplémentaires.

[10] Par ailleurs, l’agent n’était pas tenu de convoquer une audience pour décider de l’authenticité des courriels. Il n’a pas conclu que les courriels étaient des faux, mais qu’ils ne suffisaient pas à établir l’existence d’un risque. Il ne s’agit pas d’une conclusion en matière de crédibilité qui n’aurait pu être tirée qu’après avoir entendu Mme Adeoye.

[11] Mme Adeoye conteste également la conclusion relative à la PRI qui est à l’origine des décisions de la SPR et de la SAR et de celle concernant l’ERAR. Elle soutient, en s’appuyant sur la décision de la Cour dans l’affaire AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915, qu’elle devrait s’isoler de sa propre famille et vivre clandestinement dans la ville où la PRI est proposée. Elle soutient également que les femmes qui, comme elle, ne sont pas mariées sont exposées à des risques accrus au Nigeria. Cependant, une allégation selon laquelle l’agent a commis une erreur doit être étayée par la preuve, et non pas seulement par des affirmations générales. Dans la présente affaire, Mme Adeoye a vécu cinq ans à la même adresse au Nigeria, sans s’isoler de sa famille, et les prétendus agents de persécution ne l’ont pas retrouvée. Par ailleurs, Mme Adeoye n’a pas invité l’agent à se pencher sur la question du risque auxquels sont exposées les femmes non mariées. Elle ne peut lui reprocher de ne pas traiter d’un argument qui n’a jamais été présenté.

C. Le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients

[12] Comme je conclus que la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire ne soulève pas de question sérieuse, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les deux autres volets du critère établi dans l’arrêt RJR, à savoir le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

[13] Il suffit de rappeler que trois décideurs ont jugé que Mme Adeoye ne serait exposée à aucun risque sérieux à son retour au Nigeria. On ne m’a pas convaincu qu’il existe une raison de douter du bien‑fondé de leurs conclusions. En l’absence d’une telle raison, une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi n’est pas le mécanisme approprié pour obtenir une nouvelle évaluation des risques : Pierre c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 887; Medina Cerrato c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1231 au paragraphe 23; Ledshumanan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 1463 aux paragraphes 62 à 64; Garrick c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 317 au paragraphe 17.

III. Décision

[14] Pour les motifs qui précèdent, la requête de Mme Adeoye visant un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au Nigeria dont elle fait l’objet sera rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑3742‑22

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi de la demanderesse est rejetée;

  2. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est constitué défendeur dans le cadre de la présente requête.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM‑3742‑22

INTITULÉ :

OLAYEMI RUTH ADEOYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VISIOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JUIN 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Antonio Simoes

Manbir Mattu

POUR LA DEMANDERESSE

Edward Burnet

Lisa Riddle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deer Lake Law Group

Burnaby (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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