Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220614


Dossier : IMM-6207-21

Référence : 2022 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

SABAH ABDI OMAR ALIAS SABAH OMAR ABDI ET IKRAM MOHAMED AHMED

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 22 juillet 2021 (la décision contestée) par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté l’appel qu’avait interjeté la demanderesse à l’encontre d’une décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) rendue le 3 novembre 2020.

[2] La demanderesse est une citoyenne de la Norvège née en Somalie. Elle a affirmé qu’elle était entrée au Canada le 22 novembre 2019, à Vancouver, en utilisant un faux passeport, ou un passeport obtenu de façon irrégulière, dont la photo était celle d’une personne qui lui ressemblait.

[3] À son entrée, la demanderesse a présenté une demande d’asile fondée sur une fausse allégation, à savoir qu’elle avait récemment fui la Somalie après une attaque du groupe Al Chabaab survenue plusieurs semaines auparavant.

[4] La SPR a tenu une audience le 27 octobre 2020. Le ministre est intervenu par écrit, en présentant des documents portant sur la crédibilité de la demanderesse, du fait qu’elle avait deux identités et qu’initialement, elle n’avait pas divulgué son statut de citoyenne de la Norvège.

[5] La demanderesse a fondé sa demande d’asile sur la crainte de perdre sa citoyenneté norvégienne et d’être contrainte de retourner en Somalie, où elle serait forcée à épouser son cousin, le fils de sa tante.

[6] Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée, car je juge que la décision contestée est raisonnable.

II. Le contexte factuel

[7] La SPR a conclu que la question de l’identité de la demanderesse était centrale. Dans sa demande d’asile, la demanderesse avait indiqué qu’elle était Ikram Mohamed Ahmed, une citoyenne somalienne née le 25 décembre 1997.

[8] La preuve a établi que la demanderesse était entrée au Canada le 23 octobre 2019, à l’aéroport Pearson de Toronto, en utilisant un passeport norvégien au nom de « Sabah Abdi Omar », née le 20 janvier 1986. La demanderesse a initialement nié que le passeport était le sien, mais sa photo et ses données biométriques ont été envoyées à un agent de liaison qui a confirmé son identité auprès des autorités norvégiennes.

[9] La demanderesse a ensuite présenté un formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] dans lequel elle admettait que le passeport norvégien était le sien. Elle a allégué qu’elle utilisait les deux noms de façon interchangeable et qu’elle était réellement née en 1997. Elle a également allégué que sa tante l’avait envoyée en Norvège en 2010 pour qu’elle y travaille et qu’elle envoie de l’argent en Somalie. À cette fin, sa tante lui avait fait déclarer dans sa demande d’asile qu’elle était une adulte alors qu’en fait, elle n’avait que 13 ans.

[10] La demanderesse a affirmé devant la SPR qu’elle craignait d’être maltraitée par sa tante, qui la menaçait de la dénoncer aux autorités norvégiennes si elle refusait d’épouser son fils à des fins d’immigration.

[11] La demanderesse a expliqué devant la SPR qu’Ikram Mohamed Ahmed était son nom de naissance. Lorsque sa mère s’était remariée, elle avait reçu le nom du nouveau mari. Elle était connue sous ces deux noms dans son enfance à Mogadiscio.

[12] La SPR a jugé le témoignage de la demanderesse crédible dans l’ensemble et elle a considéré comme véridique le contenu du formulaire FDA modifié de la demanderesse. Le tribunal a jugé plausible le récit selon lequel sa tante l’avait envoyée en Norvège à 13 ans pour envoyer de l’argent au pays et l’avait menacée de la forcer à revenir en Somalie pour épouser son fils afin qu’il puisse émigrer en Norvège et y bénéficier du statut de son épouse.

[13] Toutefois, la demande d’asile n’établissait pas que la crainte de persécution en Norvège était fondée. La SPR a examiné la loi norvégienne sur la nationalité contenue dans le cartable national de documentation (CND), puis elle a conclu que, bien qu’une fausse déclaration au sens de la loi soit parfois passible d’une amende ou, plus rarement, d’une peine d’emprisonnement, il n’y avait [traduction] « pas suffisamment de renseignements pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile perdrait sa citoyenneté norvégienne du fait qu’elle avait donné son deuxième nom et une date de naissance différente de la sienne aux autorités lorsqu’elle avait présenté sa demande d’asile en 2010 ».

[14] La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse et conclu qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Ce faisant, la SPR a souligné que la preuve dont disposait le tribunal était mince, étant donné que la demanderesse n’était pas représentée.

[15] La demanderesse, aidée d’un conseil, a interjeté appel auprès de la SAR, qui a confirmé la décision de la SPR, mais pour des motifs différents.

III. La décision de la SAR

[16] Dans une lettre datée du 29 mars 2021, la SAR a demandé des observations supplémentaires à propos de questions à examiner en appel, soit celles de savoir :

  • si la SPR avait rendu la décision correcte concernant l’identité de l’appelante, y compris son nom et sa date de naissance;

  • si la SPR avait eu raison de conclure que l’appelante avait fait de fausses déclarations sur son identité en Norvège sous l’influence d’une tante;

  • si le témoignage de l’appelante était crédible à la lumière des renseignements contenus dans l’intervention du ministre.

[17] La demanderesse a présenté des observations supplémentaires sur ces questions et les nouveaux éléments de preuve suivants :

  • un avis juridique de Felix Olivier Helle (M. Helle), un avocat spécialisé en demandes d’asile en Norvège;

  • une lettre d’appui d’un ami de sa famille qui vit aux États-Unis;

  • une lettre d’appui de son oncle maternel qui vit en Éthiopie;

  • une copie de son titre de voyage norvégien;

  • divers documents non traduits provenant de son dossier d’asile en Norvège.

[18] La SAR a admis tous les éléments de preuve sauf les documents non traduits, qui contrevenaient à l’article 28 des Règles de la Section d’appel des réfugiés.

[19] Une audience a été demandée, mais la SAR a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’en tenir une parce que, même si la crédibilité de la demanderesse était en cause, les nouveaux éléments de preuve ne présentaient aucune divergence dont la demanderesse n’était pas déjà au courant, ni de contradictions à lui signaler pour obtenir des explications de sa part. Cela étant, la SAR a conclu qu’elle avait pour tâche d’effectuer une évaluation indépendante et de soupeser la preuve.

[20] La SAR a effectué une analyse indépendante selon la norme de la décision correcte, comme l’avait exigé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica].

[21] En ce qui concerne l’identité, la SAR a examiné le dossier et l’enregistrement audio. Elle a conclu que la demanderesse se nommait Sabah Abdi Omar et qu’elle était née le 20 janvier 1986, comme l’indiquait son titre de voyage norvégien. Bien que la demanderesse ait dit avoir fait de fausses déclarations aux autorités norvégiennes au sujet de son nom et de son âge, la SAR a conclu qu’elle n’était pas une témoin digne de confiance et n’a attribué aucun poids à ses affirmations non étayées.

[22] La SAR a remis en question le fait que la SPR avait accepté le témoignage de la demanderesse en dépit des doutes sérieux en matière de crédibilité et des fausses déclarations faites aux agents d’immigration. Aucun élément de preuve ne démontrait que la demanderesse avait transféré des fonds à sa tante ou qu’elles avaient communiqué l’une avec l’autre, et aucun élément de preuve fiable ne démontrait que la tante exerçait une influence sur la demanderesse depuis un autre continent.

[23] La SAR a souligné que la demanderesse s’était expliquée au sujet de sa tante et des fausses déclarations au sujet de son identité en Norvège seulement après que ses fausses déclarations faites aux agents d’immigration canadiens eurent été révélées. La SAR a conclu que le témoignage et l’affidavit de la demanderesse ainsi que les nouvelles lettres d’appui présentées ne suffisaient pas à dissiper les doutes en matière de crédibilité, et elle n’a pas accepté l’affirmation selon laquelle la demanderesse avait fait de fausses déclarations au sujet de son identité en Norvège.

[24] En ce qui concerne le risque de persécution auquel la demanderesse serait exposée en Norvège, la SAR a traité de son affirmation selon laquelle elle perdrait sa citoyenneté norvégienne et serait probablement expulsée vers la Somalie. La SAR a insisté sur sa conclusion selon laquelle l’identité de la demanderesse en Norvège n’était pas fondée sur de fausses déclarations.

[25] La SAR a examiné l’argument de la demanderesse selon lequel il demeure possible que sa citoyenneté soit révoquée parce que les autorités norvégiennes croiront que sa demande d’asile était frauduleuse. La demanderesse a soutenu que cela s’inscrivait dans une tendance consistant à prendre pour cibles les Somaliens qui ont obtenu l’asile en Norvège à peu près dans la même période qu’elle.

[26] La SAR a examiné indépendamment la loi norvégienne sur la nationalité, puis elle a jugé que la SPR avait commis une erreur en concluant que, selon la prépondérance des probabilités, une révocation était improbable. L’article 26 de la loi norvégienne sur la nationalité prévoit qu’une révocation de la citoyenneté peut résulter d’une déclaration sur un fait important, ce qu’a confirmé M. Helle dans son avis juridique selon lequel une personne qui a frauduleusement acquis la citoyenneté norvégienne peut se la voir ensuite retirer. M. Helle a également affirmé que, d’après son expérience en tant qu’avocat spécialisé en droit de l’immigration et des réfugiés en Norvège, les autorités norvégiennes de l’immigration travaillent de plus en plus sur des dossiers de révocation et de perte de statut ainsi que d’expulsion, en particulier parmi les Somaliens qui sont arrivés en Norvège entre 2008 et 2011.

[27] M. Helle s’est dit d’avis que le risque de réévaluation du dossier de la demanderesse était peut-être rehaussé pour les raisons suivantes :

  • Les renseignements contenus dans le dossier de l’appelante au sujet des motifs de sa demande d’asile étaient très peu détaillés;

  • Les allégations de l’appelante ne concordaient pas avec les renseignements sur la situation à Mogadiscio en 2009, par exemple en ce qui concerne la question de savoir si les membres d’Al Chabaab avaient donné un avertissement à des femmes avant de les enlever;

  • L’appelante avait peu de connaissances à propos de sa famille et de son clan, ce qui est considéré comme inhabituel pour les Somaliens, surtout ceux du clan Hawiye;

  • La famille maternelle de l’appelante semble peu nombreuse par rapport au nombre moyen d’enfants par femme en Somalie;

  • La description de la façon dont l’appelante avait payé son billet d’avion présentait des incohérences;

  • L’appelante avait donné aux autorités des renseignements incohérents sur la question de savoir si elle avait des frères et sœurs.

[28] Toutefois, la SAR a jugé que, lorsque la Norvège fait appliquer ses lois en matière de citoyenneté et d’immigration, cela ne constituait pas de la persécution fondée sur un motif prévu par la Convention.

[29] La SAR, renvoyant à la lettre de M. Helle selon laquelle les procédures de révocation et d’expulsion comportaient des évaluations de la proportionnalité, a conclu que la possibilité d’une expulsion vers la Somalie demeurait hypothétique et que la révocation de la citoyenneté n’entraînait pas automatiquement une expulsion.

[30] De plus, la SAR a constaté que l’examen des dossiers de Somaliens avait mené à une révocation dans seulement 17 % des cas et que les personnes concernées pouvaient toujours obtenir un permis de séjour en présentant des renseignements exacts.

[31] Enfin, la SAR a mentionné que le principe du non-refoulement protégeait tous les étrangers en Norvège, quel que soit leur statut juridique. Par conséquent, la perspective d’un renvoi de la demanderesse en Somalie, en violation de ce principe, demeure hypothétique.

[32] Dans l’ensemble, la SAR n’a pas souscrit à la conclusion de la SPR concernant l’identité de la demanderesse et la possibilité d’une révocation de citoyenneté en Norvège, et elle a conclu que la demanderesse n’avait établi ni qu’elle craignait avec raison d’être persécutée en Norvège pour un motif prévu dans la Convention ni qu’elle s’exposait au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en Norvège. Par conséquent, la décision défavorable de la SPR a été confirmée, et l’appel a été rejeté.

IV. La question en litige

[33] La seule question en litige est celle de savoir si la décision contestée est raisonnable.

[34] La demanderesse s’appuie sur cinq sous-questions pour démontrer que la décision est déraisonnable. Elle le serait parce que :

  1. la SAR a manqué de retenue à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité;

  2. la demanderesse n’a pas bénéficié de la présomption de véracité;

  3. la SAR a indûment attribué peu de poids au rapport psychologique de la demanderesse;

  4. la SAR a refusé de tenir une audience;

  5. la SAR a conjecturé sur le risque que la demanderesse perde sa citoyenneté norvégienne et soit renvoyée de la Norvège vers la Somalie.

V. La norme de contrôle

[35] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit applicable au contrôle judiciaire de décisions administratives. Elle a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas au vu des faits en l’espèce, et il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, aux para 23 et 100; Huruglica, au para 35.

[36] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible, et elle est axée sur la décision rendue, y compris sur sa justification. Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au para 100.

[37] Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 15 et 85.

VI. Analyse

[38] Le rôle de la SAR est d’intervenir lorsque la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou de fait et de droit. La SAR doit contrôler la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte : Huruglica, au para 78.

A. La retenue

[39] La demanderesse a affirmé que la SAR devait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité, car la SPR avait eu l’occasion d’apprécier sa crédibilité en personne. Après examen de la jurisprudence, la SAR a conclu qu’elle doit « faire preuve de déférence à l’égard de la SPR seulement lorsque celle-ci avait un avantage certain dans l’évaluation des éléments de preuve ».

[40] Au paragraphe 134 de la décision Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145 [Rozas del Solar], le juge Diner a établi que le degré de déférence dû à la SPR « doit être apprécié au cas par cas. Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile ».

[41] En l’espèce, la SAR a examiné le compte rendu écrit et l’intégralité de l’enregistrement audio de l’audience de la SPR. Elle a souligné que « rien ne laiss[ait] croire que le contenu de cet enregistrement ne refl[était] pas ce qui s’[était] passé à l’audience ». Elle a conclu qu’il n’y avait aucune raison de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR et qu’elle appliquerait la norme de la décision correcte à ces conclusions.

[42] Lorsque la SAR a pu écouter les enregistrements des témoignages et examiner le compte rendu écrit et les conclusions de la SPR, il est raisonnable qu’elle conclue à l’absence d’un avantage certain pour l’appréciation de la crédibilité et pour rendre sa propre décision : Rozas del Solar, aux paras 89-90.

[43] Pour ces motifs, je suis convaincue que la SAR n’était pas tenue de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

B. La présomption de véracité

[44] La demanderesse affirme que la SAR ne lui a pas accordé le bénéfice de la présomption de véracité. Elle dit, par exemple, que cette présomption n’a pas été réfutée, car sa preuve fournissait des explications raisonnables à propos du fait qu’elle n’avait pas révélé son identité norvégienne à son arrivée au Canada. Elle affirme que sa tante lui faisait peur et l’avait traumatisée, mais elle fait remarquer qu’elle a finalement dit la vérité dans le formulaire FDA modifié.

[45] La SAR a reconnu l’existence de cette présomption et mentionné que celle-ci pouvait être réfutée lorsqu’un motif valable de douter de la véracité du témoignage était relevé. Il peut s’agir selon elle « d’une contradiction, d’une omission ou d’une invraisemblance qui n’est pas raisonnablement expliquée ».

[46] Après avoir examiné plusieurs doutes sérieux en matière de crédibilité soulignés dans le dossier d’intervention du ministre, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas suffisamment traité de ceux-ci.

[47] La SAR a mentionné que des affirmations au sujet de l’identité de la demanderesse étaient contradictoires et différentes d’une fois à l’autre, ce qui suscitait d’importantes réserves. Le récit contenu dans le formulaire FDA était une fiction, car la demanderesse l’avait fabriqué. Elle a entièrement omis son déménagement en Norvège en 2010, mais elle a affirmé avoir fui la Somalie en 2019. Jusqu’en janvier 2020, elle a nié que ses empreintes digitales avaient été prélevées dans le passé et elle a continué à affirmer qu’elle n’avait jamais vécu ailleurs qu’en Somalie et qu’au Kenya. Interrogée au sujet du nom qui figurait dans le passeport norvégien, elle a d’abord nié qu’il était le sien et affirmé qu’il s’agissait peut-être du nom dans le faux passeport qu’elle avait utilisé.

[48] Je juge qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les nombreuses autres déclarations fausses ou contradictoires que la demanderesse a faites aux agents d’immigration.

[49] La SAR a conclu que la SPR aurait dû voir d’un mauvais œil la volonté de tromper et d’induire en erreur les agents d’immigration qu’avait eue la demanderesse en ce qui a trait à son identité. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a fait remarquer que la SPR avait fourni très peu de motifs pour expliquer pourquoi, en l’absence de preuve corroborante, elle croyait soudainement le témoignage de la demanderesse.

[50] La SAR a raisonnablement conclu que les fausses déclarations de la demanderesse entachaient gravement sa crédibilité et qu’elles réfutaient entièrement la présomption de la véracité de son témoignage : Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823 aux para 18-22.

C. L’évaluation psychologique

[51] À l’appui de l’argument selon lequel la SAR a indûment attribué peu de poids à son rapport psychologique, la demanderesse renvoie à des affaires où il a été conclu qu’il est déraisonnable d’attribuer peu de poids à un rapport psychologique pour le seul motif que le psychologue n’avait pas pris directement connaissance des événements qui y étaient décrits, et que le rejet d’une preuve psychologique d’expert sans motif constitue une erreur.

[52] Il est difficile de savoir pourquoi la demanderesse avance cet argument. La SAR n’a pas attribué peu de poids à l’évaluation psychologique. Elle a accepté les diagnostics de trouble de stress post-traumatique et de trouble dépressif majeur ainsi que le plan de traitement recommandé. Elle a toutefois jugé que les diagnostics de la demanderesse avaient peu d’incidence sur un risque prospectif auquel elle s’exposerait en Norvège et qui lui conférerait la qualité de réfugiée.

[53] Je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son traitement de l’évaluation psychologique. L’argument de la demanderesse semble se résumer à un simple désaccord avec le poids que la SAR a attribué à cet élément de preuve. Il est bien connu qu’il s’agit là d’un exercice dont la Cour doit s’abstenir dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, au para 125.

D. La demande d’audience

[54] La SAR a conclu qu’il y avait peu de raisons de tenir une audience conformément au paragraphe 110(6) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, car la nouvelle preuve ne satisfaisait à aucun des critères que prévoit cette disposition.

[55] La nouvelle preuve ne soulevait aucune question importante concernant la crédibilité de la demanderesse. Elle n’est pas non plus essentielle pour la prise de la décision relative à la demande d’asile. En particulier, la SAR a conclu que la nouvelle preuve, à supposer qu’elle soit admise, ne justifierait pas que la demande d’asile de la demanderesse soit acceptée ou rejetée, car elle n’est pas suffisamment probante.

[56] Après avoir examiné le dossier de la SPR et l’enregistrement audio, la SAR a jugé que la nouvelle preuve n’avait pas fait apparaître des contradictions ou des divergences qui n’avaient pas déjà été portées à la connaissance de la demanderesse. Il ne restait qu’à soupeser la preuve.

[57] La demanderesse a eu l’occasion de répondre aux réserves que la SAR avait exprimées dans la lettre du 29 mars 2021. Ces réserves s’appuyaient en grande partie sur l’intervention du ministre auprès de la SPR. La SAR a conclu que la demanderesse aurait dû être bien au fait des réserves existantes en matière de crédibilité. Je ne relève aucune erreur dans ce raisonnement.

[58] Je juge que la SAR s’est acquittée de son obligation d’examiner attentivement la demande d’audience de la demanderesse et que ses motifs démontrent qu’elle a analysé les critères énoncés au paragraphe 110(6). Il ne s’agissait pas d’un cas où l’authenticité des documents était remise en question, comme au paragraphe 17 de la décision Tchangoue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 334, ni d’un cas où les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité étaient fondées sur une nouvelle preuve qui contredisait directement les conclusions de la SPR, comme au paragraphe 20 de la décision Hundal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 72.

[59] Comme la demanderesse l’affirme dans son mémoire, le rapport psychologique présenté à la SAR était un nouvel élément de preuve qui renforçait sa crédibilité. Bien que ce soit peut-être vrai, cela ne constitue pas une nouvelle question et ne fait pas apparaître de nouvelles contradictions ou divergences qui nécessiteraient une audience.

[60] La SAR, après avoir effectué une évaluation indépendante du dossier de la SPR et tiré ses propres conclusions concernant la crédibilité et l’identité de la demanderesse, a infirmé les conclusions de la SPR. La demanderesse n’était pas sans savoir que ces réserves avaient été exprimées. Elle a eu l’occasion de répondre aux réserves existantes concernant son identité et sa crédibilité à l’audience devant la SPR et, de nouveau, au moyen d’observations écrites après avoir reçu un avis de la SAR.

[61] Après examen du dossier, je suis convaincue que la SAR n’a pas commis d’erreur en refusant de tenir une audience.

E. Les hypothèses au sujet du risque que la demanderesse perde sa citoyenneté norvégienne

[62] L’argument de la demanderesse en l’espèce repose sur l’avis juridique de l’avocat norvégien, M. Helle, qui a confirmé les procédures de révocation de la citoyenneté. Selon cet avis juridique, une évaluation de la proportionnalité ne jouerait pas en faveur de la demanderesse et une réévaluation de son dossier entraînerait son renvoi de la Norvège.

[63] La demanderesse soutient que la lettre confirme qu’elle perdra sa citoyenneté. Elle ajoute que M. Helle a examiné les différentes procédures qui suivraient la révocation et que celles-ci ne sont donc pas « hypothétiques ».

[64] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas fait fi de l’avis juridique de M. Helle. La SAR a raisonnablement conclu que, lorsque la Norvège faisait appliquer ses propres lois en matière de citoyenneté et d’immigration, cela ne constituait pas de la persécution, et elle a souligné à juste titre que la révocation n’était pas automatique. Toute procédure d’expulsion comporterait une évaluation de la proportionnalité. La preuve a également démontré que la Norvège s’était engagée à respecter le principe du non-refoulement et que les personnes qui avaient perdu leur statut arrivaient parfois à obtenir un permis de séjour pour un autre motif.

[65] Comme elle est citoyenne de Norvège, la demanderesse doit établir qu’elle risque d’être persécutée en Norvège.

[66] La SAR a examiné l’allégation de la demanderesse selon laquelle la perspective d’un renvoi en Somalie constituait de la persécution. Elle a conclu que cette perspective demeurait hypothétique, en ce sens que la révocation de la citoyenneté n’entraînait pas automatiquement l’expulsion. La SAR a jugé que, lorsque la Norvège faisait appliquer ses lois en matière de citoyenneté et d’immigration, cela ne constituait pas de la persécution fondée sur un motif prévu par la Convention.

[67] Pour moi, l’analyse de la SAR sur ce point signifie non pas qu’une expulsion vers la Somalie est impossible, mais qu’à peu près comme dans le système d’immigration canadien, il existe plusieurs points de contrôle auxquels la demanderesse a accès entre la perte de son statut et un renvoi. La SAR souligne qu’il est possible d’interjeter appel d’une décision de la Direction de l’immigration de la Norvège et que, s’il était établi que la demanderesse avait initialement fourni de faux renseignements, une procédure de révocation ou d’expulsion comporterait une évaluation de la proportionnalité.

[68] La SAR a également conclu, d’après un rapport de l’Institut norvégien de recherche sociale, qu’entre mars 2017 et décembre 2018, l’examen de seulement 17 % des dossiers de Somaliens avait entraîné une révocation du statut et que la grande majorité de ces révocations avaient été rejetées. Qui plus est, même après la révocation de leur statut, les personnes touchées pouvaient obtenir un permis de séjour en présentant les bons renseignements.

[69] Enfin, la SAR a souligné que la Norvège, tout comme le Canada, s’était engagée à respecter le principe du non-refoulement et que M. Helle, dans son avis juridique, n’avait pas expliqué pourquoi il était hautement probable que la demanderesse soit expulsée, et ce, même si cela constituerait une violation de ce principe.

[70] Dans l’ensemble, je juge que la SAR a fait un examen exhaustif de l’avis juridique de M. Helle ainsi que de la preuve recueillie pour sa propre analyse indépendante avant de conclure qu’une révocation de la citoyenneté n’entraînait pas automatiquement un renvoi.

[71] D’après ce qui précède, il me semble que le renvoi de la Norvège vers la Somalie est une possibilité, mais que cette possibilité est trop faible pour constituer un motif prévu par la Convention à prendre en compte en vue de l’octroi de l’asile au Canada. Je ne vois aucune raison de modifier l’analyse de la SAR sur ce point.

VII. Conclusion

[72] Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande est rejetée.

[73] Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans l’affaire IMM-6207-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

(vide)

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6207-21

 

INTITULÉ :

SABAH ABDI OMAR ALIAS SABAH OMAR ABDI ET IKRAM MOHAMED AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Jatin Shory

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shory Law

Cabinet d’avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.