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Date : 20220615


Dossier : IMM-3135-21

Référence : 2022 CF 901

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

FAADUMA NUUR ABDI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 19 avril 2021 [la décision] d’un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] qui a rejeté la demande de résidence permanente de la demanderesse pour des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La demanderesse soutient que l’agent n’a ni abordé ni apprécié des éléments de preuve importants concernant son identité, ses difficultés ainsi que son établissement.

[3] Étant donné que je partage l’avis de la demanderesse selon lequel la question de l’identité n’a pas été correctement appréciée par l’agent et que la décision doit être annulée pour ce motif seul, il n’est pas nécessaire que je considère les autres points soulevés par la demanderesse ni que j’exprime mon opinion sur leur bien‑fondé.

[4] Les faits pertinents sont succinctement exposés ci-dessous.

[5] La demanderesse prétend être Faaduma Nuur Abdi, citoyenne de Somalie et membre du clan minoritaire des Ashraf. C’est une demanderesse d’asile déboutée.

[6] La demande d’asile de la demanderesse fut rejetée en décembre 2015 par la Section de protection des réfugiés [la SPR], qui s’est fondée principalement sur le fait qu’elle n’avait pas établi son identité et qu’elle n’était pas citoyenne de Somalie. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] est intervenu dans la demande d’asile de la demanderesse et a produit des éléments de preuve qui indiquaient que les empreintes digitales et la photographie de la demanderesse correspondaient à celles d’une Djiboutienne du nom de Filsan Moussa Farah. Le ministre a également relevé plusieurs divergences et incohérences dans la preuve fournie par la demanderesse.

[7] La demanderesse a concédé devant la SPR qu’elle n’avait pas révélé s’être présentée à l’ambassade américaine de Djibouti en décembre 2008, afin de demander un visa pour les États-Unis. Elle a dit dans son témoignage qu’une Djiboutienne du nom de Filsan Moussa Farah lui avait permis d’utiliser son identité pour sa demande de visa. La demanderesse a reconnu qu’elle avait donné ses empreintes digitales et sa photographie à l’ambassade américaine, avec le passeport de Mme Farah; cependant, elle a insisté devant la SPR sur le fait qu’elle n’était pas cette personne.

[8] Le 22 décembre 2015, la SPR a jugé que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, et a déclaré que sa demande était manifestement infondée. Le commissaire de la SPR a conclu que la véritable identité de la demanderesse était Filsan Moussa Farah, et non Faaduma Nuur Abdi.

[9] En 2017, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui comprenait des documents nouveaux appuyant l’affirmation selon laquelle son identité était Faaduma Nuur Abdi. L’agent d’IRCC qui a évalué cette demande de 2017 a conclu que la demanderesse avait établi son identité comme étant Faaduma Nuur Abdi, citoyenne de Somalie; cependant, la demande fut rejetée en 2019 pour d’autres motifs.

[10] Le 5 mai 2020, la demanderesse a présenté une seconde demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en l’accompagnant quasiment de la même preuve documentaire que celle accompagnant sa demande de 2017. Il y avait, joints à sa demande, deux affidavits et un certain nombre de pièces, dont une lettre d’une personne s’identifiant comme Filsan Moussa Farah, qui expliquait qu’elle avait accepté de donner son passeport à la demanderesse par souci humanitaire envers sa situation.

[11] L’agent a conclu que l’information fournie par la demanderesse était essentiellement la même que celle fournie lors de son audience relative à sa demande d’asile. L’agent a ensuite déclaré :

[TRADUCTION]

Bien que je ne sois pas lié par les conclusions, la Section de protection des réfugiés (la SPR) est un organisme décisionnel, composé d’experts dans le domaine des demandes d’asile. Je note que la SPR a rejeté la demande de la demanderesse en raison de ses conclusions sur les questions relatives à l’identité et à la crédibilité. Par conséquent, j’accorde un poids considérable aux conclusions de la Commission.

[12] L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve objective suffisante pour réfuter les conclusions de la SPR. Il a exposé des méthodes que la demanderesse aurait pu suivre pour obtenir divers documents d’identité; certaines d’entre elles étaient disponibles avant le départ supposé de la demanderesse de Somalie. L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait fait des efforts pour obtenir de tels documents d’identité de la part des autorités somaliennes. En se fondant sur la totalité des documents, l’agent a conclu que l’information fournie par la demanderesse ne permettait pas d’établir son identité.

[13] La demanderesse soutient que l’agent a déraisonnablement écarté ou négligé la plupart de ses éléments de preuve ayant trait à son identité en tant que citoyenne de Somalie.

[14] Les parties sont d’accord sur le fait que la norme de contrôle applicable est le caractère raisonnable de la décision.

[15] Le défendeur soutient que l’agent avait le droit d’apprécier la preuve qui lui avait été soumise et de conclure que la demanderesse n’avait pas fourni de preuve suffisante établissant son identité. De plus, l’agent n’était pas obligé d’analyser chaque élément de preuve ou chaque argument apportés par la demanderesse.

[16] L’agent n’était pas tenu, dans sa décision, de se référer à chacun des éléments de preuve, et l’on présume qu’il a tenu compte de l’ensemble de la preuve. Il pouvait certainement choisir de se référer aux conclusions de fait tirées par la SPR et de leur donner un poids considérable pour en venir à sa conclusion. Toujours est-il qu’il y avait des informations fournies par la demanderesse qui n’avaient pas été soumises à la SPR et qui étaient au cœur de son allégation selon laquelle elle était celle qu’elle prétendait être. Pourtant, à part expliquer brièvement pourquoi un seul document est insuffisant, l’agent ne mentionne pas d’autres informations qui, à première vue, semblent corroborer la version de la demanderesse, sans compter qu’il ne les apprécie pas.

[17] Une décision raisonnable doit être justifiée à la lumière des faits, qui à leur tour sont définis par le cadre juridique applicable. Comme il est mentionné dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100, il incombe à la partie qui conteste la décision de convaincre la cour de révision que :

[…] [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. […] La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[18] Je conclus que la décision est déraisonnable, parce que l’agent n’a ni effectué d’appréciation indépendante des éléments de preuve de la demanderesse relatifs à son identité, plus particulièrement de ceux produits après que la demande d’asile de la demanderesse fut rejetée, ni expliqué pourquoi il ne les a pas considérés comme fiables et/ou suffisants. Il n’est pas clair pour moi que la conclusion défavorable de l’agent sur ce point n’a pas porté atteinte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 25(1) de la LIPR.

[19] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3135-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. L’affaire est renvoyée à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour nouvel examen de la demande de résidence permanente de la demanderesse pour considérations d’ordre humanitaire par un autre agent.
  3. Aucune question n’est certifiée.

 

« Roger R. Lafreniѐre »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3135-21

 

INTITULÉ :

FAADUMA NUUR ABDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 15 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

Laïla Demirdache

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nathan Joyal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services juridiques communautaires d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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