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Date : 20000503


Dossier : T-2556-94


ENTRE :

     THOMAS JOHN O"NEIL,

     demandeur,


     et


     SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défenderesse.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]          La présente affaire a été entendue dans le cadre de la gestion des instances. Selon une ordonnance rendue le 19 août 1999 par suite d"une évaluation préliminaire par un arbitre, le demandeur devait déposer une demande de conférence préparatoire à l"instruction ainsi que son mémoire s"y rapportant au plus tard le 30 novembre 1999. Le demandeur a tenté de déposer une demande de conférence préparatoire, qui a toutefois été refusée, aucun mémoire s"y rapportant n"ayant été joint à ladite demande.

[2]          Aucun autre événement ne s"est produit après la fin de novembre 1999 jusqu"à un mois avant la date d"aujourd"hui. Le 10 avril 2000, la Cour a rendu une ordonnance fondée sur la Règle 47 afin d"enjoindre au demandeur de se présenter à 9h30, le 1er mai 2000, pour expliquer la raison pour laquelle l"action en l"espèce, qui a été introduite en 1994, ne devrait pas être radiée.

[3]          Après avoir entendu longuement le demandeur ainsi que l"avocat de la défenderesse, j"ai décidé que l"action devrait être radiée pour deux raisons. D"abord, l"action constitue une utilisation abusive des procédures de la Cour. En second lieu, le demandeur a tardé et ce retard était semblable à celui qu"a constaté la Chambre des lords dans l"affaire Grovit v. Doctor, [1997] 1 W.L.R. 640, car non seulement le délai était-il inhabituel et inexcusable et se poursuit-il toujours, mais le demandeur n"a nullement l"intention de procéder en l"espèce afin de faire trancher l"essentiel du présent litige et les questions pertinentes qui se posent, puisqu"il désire plutôt se servir de l"action pour réviser des transactions commerciales antérieures qui appartiennent à un passé lointain et qui n"ont rien à voir avec la présente affaire. Je formulerai des commentaires plus détaillés à ce sujet après avoir relaté certains faits pertinents.

LES FAITS À L"ORIGINE DU LITIGE

[4]          La déclaration initiale en l"espèce a été déposée le 20 octobre 1994. Il s"agissait d"un document long et difficile à lire qui n"énonçait aucun motif d"action raisonnable et constituait dans l"ensemble une procédure abusive que la défenderesse ne pouvait pour ainsi dire réfuter et que la Cour ne pouvait guère examiner en soi. Cette déclaration a donc été radiée dans une décision motivée en date du 5 décembre 1994, mais le demandeur a obtenu l"autorisation de la modifier de façon à tenter d"articuler un droit à l"égard duquel la Cour pourrait accorder une réparation.

[5]          Une déclaration modifiée a été déposée le 5 janvier 1995. Encore là, ce n"est pas un document facile à comprendre; cependant, comme il s"agit d"une nouvelle instruction relative à une nouvelle cotisation se rapportant à l"année 1980, il est possible d"en saisir le sens jusqu"à un certain point, dans la mesure où les éléments externes ne sont pas pris en compte.

[6]          J"aimerais souligner ici que les éléments externes pourraient être pertinents dans une autre instance. Malheureusement, compte tenu d"une ordonnance qui a été rendue par la Cour suprême et par la Cour d"appel de la Colombie-Britannique et qui est actuellement en vigueur contre lui, le Dr O"Neil est considéré comme une personne ayant utilisé les procédures de la Cour de façon abusive et ne peut engager d"action devant les tribunaux de la Colombie-Britannique sans autorisation. Le Dr O"Neil se sent donc frustré, parce qu"il estime avoir été mal traité par les avocats, par d"ex-associés, par ses courtiers et par deux banquiers antérieurs. Toutefois, ces perceptions ne sont pas pertinentes en l"espèce. En fait, la seule façon dont la présente action aurait pu être instruite d"une manière compréhensible et contrôlable aurait été d"ignorer les éléments externes qui ne sont pas pertinents, mais le Dr O"Neil n"est pas prêt à procéder pour l"instant.

[7]          Malgré l"opinion du Dr O"Neil selon laquelle la présente action porte sur de nombreux aspects et sur des montants élevés en raison des agissements de Revenu Canada, le litige en l"espèce est limité par la déclaration introductive d"instance et par la déclaration de revenus que le demandeur a déposée en 1980, dans la mesure où cette déclaration a fait l"objet d"une nouvelle cotisation.

[8]          Si j"ai bien compris la déclaration de revenus et les nouvelles cotisations après avoir examiné différents documents et écouté tant le Dr O"Neil que l"avocat de la défenderesse, les questions à trancher sont celles de savoir, d"abord, si le Dr O"Neil a vendu 5 800 actions ou 6 800 actions de Chieftain Development Company Ltd. (" Chieftain "), en deuxième lieu, quel est le prix de base rajusté de ces actions, calcul à faire pour en arriver au gain découlant de la vente et, en troisième lieu, si le Dr O"Neil pouvait à bon droit déduire de son revenu personnel les paiements qu"il a versés au titre de frais d"intérêt et de frais de mise en valeur qui se rapportent à une propriété appartenant à O"Neil Enterprises Ltd. Même si l"issue d"un litige n"est jamais connue à l"avance, les chances de succès du Dr O"Neil sur ces questions semblent minces, voire inexistantes.

[9]          J"aimerais ici citer avec approbation les commentaires que la Commission d"appel de l"impôt a formulés dans O"Neil Enterprises Limited et T. J. O"Neil c. Le ministre du Revenu national (1982), 82 D.T.C. 1732, décision qui concerne des cotisations se rapportant à différentes années antérieures. M. Bonar, qui a rédigé la décision, souligne que le Dr O"Neil " semble être astucieux en affaires et en matière d"investissement ..." mais a " fait preuve d"une incapacité étonnante à contester de façon convaincante les nombreux aspects des cotisations qu"il jugeait mal fondés ". Cette faiblesse pourrait bien empêcher le Dr O"Neil d"analyser son propre cas et d"en orienter correctement l"évolution et le traitement en l"espèce.

[10]          Le Dr O"Neil ne propose aucune explication convaincante ou acceptable au sujet du retard de quelque six ans, jusqu"au 30 novembre 1999, ou du retard subséquent de cinq mois entre le 30 novembre 1999 et la date d"aujourd"huit. Effectivement, au cours de ce dernier délai de cinq mois, aucune mesure n"a été prise. Le Dr O"Neil soutient essentiellement qu"il a eu du mal à obtenir les documents dont il avait besoin pour établir sa cause, mais il semblerait que ces documents concernent ses problèmes commerciaux, qui n"ont rien à voir avec le présent litige. De plus, il invoque des problèmes d"ordinateur et blâme un mandataire, qui aurait omis de déposer une demande de conférence préparatoire et un mémoire s"y rapportant la semaine dernière. Le Dr O"Neil ignore où les documents sont allés.

[11]          Le Dr O"Neil souhaite maintenant modifier à nouveau la déclaration et interroger au préalable trois personnes. Indépendamment du fait que la demande de conférence préparatoire indiquait que le Dr O"Neil était prêt à procéder, la principale réticence que j"éprouve concerne les modifications proposées. Si j"ai bien compris, les modifications portent sur certaines transactions commerciales du Dr O"Neil et sur le traitement dont il a fait l"objet de la part des personnes concernées. Ce sont précisément ces renseignements qui ont été radiés de la déclaration initiale parce qu"ils n"étaient pas pertinents.

[12]          Même si un délai inhabituel s"est écoulé en l"espèce, je ne crois pas que la défenderesse a été particulièrement lésée, parce que l"élément de confusion est demeuré à peu près constant. Ce qui importe surtout, c"est l"absence de désir réel de la part du Dr O"Neil de faire trancher les questions en litige énoncées dans la déclaration, c"est-à-dire les questions qui concernent les déductions refusées par le ministère du Revenu en ce qui a trait à la déclaration de revenus de 1980.

[13]          Dans l"arrêt Grovit v. Doctor (précité), la Chambre des lords a mis en doute l"idée selon laquelle un tribunal n"aurait peut-être pas le pouvoir d"accorder une réparation à une partie défenderesse longtemps négligée par une partie demanderesse à moins que ladite partie défenderesse ne puisse prouver un préjudice. Dans cette affaire, le juge de première instance, qui avait initialement entendu la requête portant rejet de l"action, a conclu à l"existence d"un retard inhabituel et inexcusable et jugé que l"action devrait être rejetée pour défaut de poursuite, le demandeur n"ayant pas manifesté le désir de procéder de façon active. Par la suite, la Cour d"appel a confirmé cette décision, soulignant qu"une partie demanderesse qui intente une action alors qu"elle n"a nullement l"intention de faire sceller l"issue du litige en temps opportun utilise les procédures de la Cour de façon abusive et commet une faute.

[14]          Même si, dans l"affaire Grovit v. Doctor, l"appelant poursuivait de façon très active l"appel interjeté à l"égard de l"ordonnance portant rejet, la Chambre des lords était convaincue que le juge de première instance et la Cour d"appel en étaient tous deux arrivés à une bonne conclusion. S"exprimant au nom de la Chambre des lords, Lord Woolf a souligné que l"appelant avait utilisé les procédures de la Cour de façon abusive, compte tenu du retard et de l"absence d"intention réelle de sa part de faire instruire les questions en litige. Le juge de première instance et la Cour d"appel avaient donc le droit de rejeter l"action.

[15]          Le raisonnement suivi, tant en première instance que dans les deux appels subséquents dans l"affaire Grovit v. Doctor , s"apparente au principe selon lequel une partie qui ne respecte nullement les délais prescrits dans les règles commet un manquement qui pourrait non seulement causer un préjudice à d"autres parties, mais déconsidérer l"administration de la justice. Effectivement, il peut s"agir d"un moyen distinct de la règle qui a été énoncée dans l"arrêt Birkett v. James, [1978] A.C. 297 (C.L.), laquelle règle se compose d"un critère à trois volets, soit un retard inhabituel, un retard inexcusable et un préjudice grave. J"ai ici en tête la décision que la Cour d"appel a rendue dans l"affaire Arbuthnot Latham Bank Ltd. v. Trafalgar Holdings Ltd., [1998] 1 W.L.R. 1426 (C.A.), où elle a souligné qu"un retard inhabituel deviendrait un concept de plus en plus important à l"avenir, surtout lorsque l"affaire est assujettie à la gestion des instances, comme c"est le cas en l"espèce.

[16]          Dans la présente affaire, la tentative de la part du demandeur de faire porter le litige sur des transactions commerciales non pertinentes, surtout après que ce matériel a été radié d"une déclaration antérieure, constitue une utilisation abusive des procédures. De plus, le fait de déclarer à la Cour, dans une demande de conférence préparatoire, que tout est en règle pour l"instruction alors que tel n"est manifestement pas le cas constitue également une utilisation abusive des procédures. Il en va de même du fait d"ignorer la Règle 258, qui exige que la demande de conférence préparatoire soit accompagnée d"un mémoire connexe, et d"ignorer l"ordonnance du 19 août 1999 qui attirait l"attention du demandeur sur l"obligation de déposer un mémoire relatif à la conférence préparatoire. Ces abus sont suffisamment graves en soi pour justifier la radiation de l"action.

[17]          Comme je l"ai déjà souligné, il a été décidé, dans l"arrêt Grovit v. Doctor (précité), qu"un retard inhabituel peut justifier le rejet d"une instance lorsqu"une partie demanderesse n"a pas vraiment l"intention de poursuivre le litige. Dans la présente affaire, le demandeur fait face à une dette importante, mais non majeure au titre de l"impôt sur le revenu. Cependant, il n"a pas vraiment l"intention de plaider la question fiscale énoncée dans la déclaration. Il désire plutôt réviser des transactions commerciales qui ont été conclues avant le problème fiscal et qui ne sont pas liées à la cotisation d"impôt établie par le ministre du Revenu. Tout litige doit être tranché ou réglé, ce qui est encore plus vrai lorsque la partie demanderesse n"a pas vraiment l"intention d"y mettre fin, mais s"en sert plutôt pour faire examiner d"autres questions, comme c"était le cas dans l"arrêt Grovit v. Doctor .

[18]          L"action est rejetée. La défenderesse ne demande pas de dépens.

                             (S.) " John A. Hargrave "

                                 Protonotaire

Le 3 mai 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :              T-2556-94
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Thomas John O"Neil

                     c.

                     Sa Majesté la Reine


LIEU DE L"AUDIENCE          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L"AUDIENCE          1 er mai 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

EN DATE DU :              3 mai 2000

ONT COMPARU :

M. Thomas John O"Neil          en son propre nom
Me William Mah              pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                  pour la défenderesse
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