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Date : 20220630


Dossier : IMM-7071-19

Référence : 2022 CF 977

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ADEFUNKE AISHAT AKINTUNDE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire du rejet, le 11 novembre 2019, de sa demande de résidence permanente au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral), Entrée express (la décision), par un agent des visas (l’agent). Le demandeur avait inclus dans sa demande, comme personnes à charge, son épouse, qui vivait au Canada depuis septembre 2016, munie d’un visa d’étudiant, ainsi que leur fille de 11 ans, qui habitait avec le demandeur.

[2] Le demandeur a présenté sa demande à titre d’avocat et de notaire au Québec. La demande a été rejetée sur le fondement d’une conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations, parce que la femme du demandeur n’avait pas déclaré son emploi à Edu-Fount Consult.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte factuel général

[4] Le demandeur et son épouse sont tous deux avocats. Ils dirigent leur propre cabinet d’avocats à Ibadan, au Nigéria.

[5] L’épouse du demandeur est arrivée au Canada le 31 août 2016 pour faire une maîtrise en droit à l’Université Dalhousie. Elle est titulaire d’un permis de travail postdiplôme depuis le 7 novembre 2018.

[6] Le 22 février 2018, le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente dans le cadre du système Entrée express.

[7] Le 11 juin 2018, après l’examen des documents présentés à l'appui de la demande, un agent a indiqué être convaincu que le demandeur répondait aux critères de sélection. Il a également indiqué que les renseignements étaient cohérents avec ceux que l’épouse avait fournis dans sa demande de permis d’études et ceux figurant dans la demande de permis de travail du demandeur.

[8] Les demandes ont été approuvées et les visas, délivrés, mais pas imprimés. Ils étaient valides du 28 août 2018 au 18 janvier 2019.

[9] Le 3 juin 2019, le bureau de l’immigration de London a convoqué l’épouse du demandeur à une entrevue prévue le 20 juin 2019, à Halifax. L’entrevue a eu lieu par téléphone avec l'agent de London.

[10] Ne sachant pas quel était l’objet ou la nature de cette entrevue, l’épouse du demandeur a communiqué avec un représentant du service d’assistance à la clientèle des autorités d’immigration ainsi qu’avec son ancien député, qui ont confirmé que différentes vérifications avaient été faites et que toutes les exigences d’admissibilité avaient été respectées. Elle a fait des suivis fréquents par la suite. Aucune des demandes de renseignements effectuées n’a permis de connaître le motif de l’entrevue.

[11] À l’entrevue, l’épouse a été informée qu’une enquête distincte avait révélé que sa carte de crédit avait servi à payer les frais associés à des demandes de visa de clients d’Edu-Fount Consult, et elle a discuté du sujet avec l’agent.

[12] Le 16 juillet 2019, après l’entrevue, une lettre d’équité procédurale a été envoyée au demandeur, au Nigéria, pour l’informer de la crainte que son épouse ait fait une fausse déclaration au sujet de ses antécédents professionnels en ne mentionnant pas son travail de conseillère pédagogique. La lettre précisait que, durant l’entrevue, l’épouse avait donné des réponses évasives au sujet du nombre de clients avec lesquels elle avait travaillé.

III. La décision

[13] La demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée, au motif qu’il avait fait une présentation erronée ou une réticence en ne déclarant pas l’expérience de travail de son épouse en tant que fondatrice d’Edu-Fount Consult et de conseillère au sein de cette entreprise.

[14] L’agent a conclu que la fausse déclaration constituait une infraction à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et que l’épouse était donc frappée d’interdiction de territoire pendant cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, aux termes de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR. En raison de l’inadmissibilité de l’épouse, le demandeur est, lui aussi, interdit de territoire pendant cinq ans au titre de l’alinéa 42(1)a) de la LIPR, qui précise qu’emporte, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne.

[15] La décision a été rendue par la voie d’une lettre, et elle mentionnait que l’épouse avait donné des explications contradictoires dans sa réponse écrite à la lettre d’équité procédurale, ainsi que durant l’entrevue.

[16] Plus précisément, l’épouse avait admis avoir fondé et dirigé une entreprise qui comptait [traduction] « pas moins de dix » clients.

[17] Durant l’entrevue, l’agent a informé l’épouse qu’elle était liée à des dizaines de demandes dont elle avait payé les frais afférents. L’agent a souligné que le conseil du demandeur avait déclaré que l’épouse n’avait pas perçu d’honoraires ni reçu de paiements. L’agent a conclu que cela avait miné la crédibilité générale du demandeur et aurait pu nuire à la capacité de l’agent de mener à bien une appréciation relative à l’admissibilité.

IV. Les questions en litige

[18] Le demandeur soulève deux questions, chacune comportant quatre sous-questions :

[19] La première question en litige est de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale pour les motifs suivants : i) le dossier certifié du tribunal (le DCT) et le DCT supplémentaire étaient incomplets; ii) l’épouse n’avait pas été informée de l’objet de l’entrevue, malgré trois demandes de précisions faites verbalement; iii) l’agent ayant indiqué “DO NOT DISCLOSE” (« ne pas communiquer ») dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), il était raisonnable de craindre la partialité; iv) des éléments de preuve extrinsèques relatifs à une autre enquête n’avaient pas été communiqués aux demandeurs, malgré leur demande, et ces éléments ne sont pas pertinents dans le cadre de la demande de résidence permanente au titre du Programme des travailleurs qualifiés présentée par le demandeur.

[20] La deuxième question en litige est de savoir si la décision était déraisonnable parce qu’elle n’était pas transparente ou intelligible, pour les motifs suivants : i) dans la lettre de refus, l’agent indiquait qu’il n’avait pas été en mesure de mener à bien une appréciation relative à l’admissibilité, mais il a tout de même rejeté la demande au motif de l’interdiction de territoire; ii) la définition de « travail » donnée par l’agent contredit celle énoncée à l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS2002-27 (le RIPR), et donc, il n’y a pas eu d’omission; iii) s’il y a eu omission, l’agent n’a pas tenu compte du fait que l’existence d’Edu-Fount Consult avait été communiquée en 2017 et de nouveau, spontanément, lors de l’entrevue du 20 juin 2019 avec l’agent, ni expliqué pourquoi l’omission n’était pas une erreur de bonne foi; iv) s’il y a eu omission, l’agent n’a pas indiqué en quoi elle était importante, puisqu’aucun point n’avait été accordé à la participation de l’épouse dans Edu-Fount Consult.

V. La norme de contrôle

A. L'équité procédurale

[21] Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (CP), le juge Rennie a examiné, puis confirmé les principes fondamentaux de l’équité procédurale. Il a conclu que, pour établir si l’équité procédurale avait été respectée, il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle applicable, mais « une cour doit être convaincue que le droit à l’équité procédurale [a] été respecté ». À cet égard, la question fondamentale est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter, et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : CP, aux para 49-50, 56.

B. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable

[22] La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire du bien-fondé d’une décision administrative, autre qu’un contrôle lié à un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée est la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2015 CSC 65 (Vavilov) au para 23. Bien qu’il s’agisse-là d’une présomption réfutable, aucune des exceptions à cette présomption n’est présente en l’espèce.

[23] Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème : Vavilov, au para 83.

[24] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

VI. Analyse des arguments relatifs à l’équité procédurale

A. Le DCT incomplet

[25] Le demandeur soutient qu’en dépit de la communication du DCT et du DCT supplémentaire, aucun des deux documents ne contenait une copie de la demande dans laquelle des renseignements avaient été omis, omission qui constitue le fondement de la conclusion de fausses déclarations, ni la demande de permis de travail précédente dont faisait état l’agent des visas qui avait initialement approuvé la demande de visa du demandeur.

[26] La réponse du défendeur, que j’accepte, est que le DCT n’est pas incomplet. Dans le système Entrée express, il n’y a aucun formulaire papier. Toute l’information transmise en ligne est transférée automatiquement dans les notes du SMGC. Comme il n’y a pas de formulaire papier, le DCT semble différent des demandes papier, mais le rapport du SMGC contient bel et bien toute l’information soumise.

[27] Le demandeur allègue aussi que le DCT est incomplet du fait que ne s’y trouve pas une copie des demandes de permis de travail antérieures du demandeur, dont il est fait mention dans les notes du SMGC.

[28] L’absence d’une copie d’une autre demande de permis de travail présentée par le demandeur ne rend pas incomplet le DCT. L’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés exige la production de documents relatifs à la décision contestée dans la demande de contrôle judiciaire. La seule décision contestée en l’espèce est le rejet, le 11 novembre 2019, de la demande de résidence permanente présentée au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral), Entrée express. La présente demande de contrôle judiciaire ne concerne aucune des demandes antérieures du demandeur.

B. L'objet de l’entrevue

[29] Il a été établi que compte tenu des conséquences graves d’une conclusion de fausses déclarations, à savoir l’interdiction de territoire au Canada pendant cinq ans, un degré plus élevé d’équité procédurale est nécessaire pour garantir qu’une telle conclusion n’est tirée que s’il existe une preuve claire et convaincante de fausses déclarations : Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 (Likhi) au para 26, et les décisions qui y sont citées.

[30] Le demandeur soutient que la Cour a conclu qu’il y avait manquement à l’équité procédurale lorsqu’une entrevue était demandée sans que soit précisé l'alinéa en cause avant cette entrevue : Mohammed c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 326 (Mohammed) aux para 28-30.

[31] S’il est dit ce qui précède dans la décision Mohammed, au paragraphe 32 de cette même décision, il est aussi précisé que l’équité procédurale exige d’offrir la possibilité de produire des observations après l’entrevue si un demandeur n’avait pas été informé à l’avance de préoccupations particulières.

[32] Autrement dit, il existe deux façons de respecter le degré le plus élevé d’équité procédurale pour s'assurer qu’un demandeur convoqué à une entrevue connaît la preuve à réfuter et qu’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. L’une de ces façons est d’aviser le demandeur de l’objet de l’entrevue. L’autre façon consiste à donner au demandeur la possibilité, après l’entrevue, de répondre à toute préoccupation soulevée durant cette dernière : Likhi, au para 35.

[33] L’agent a prévenu l’épouse du demandeur de ses préoccupations durant l’entrevue, puis a envoyé la lettre d’équité procédurale au demandeur après cette entrevue.

[34] Bien que l’épouse du demandeur eût préféré connaître à l’avance l’objet de l’entrevue, il est néanmoins équitable sur le plan procédural qu’elle ait eu la possibilité de répondre aux préoccupations durant l’entrevue. Par l’entremise de son avocate, le demandeur a aussi produit des observations après l’entrevue, en réponse à la lettre d’équité procédurale de l’agent.

[35] Le demandeur a attiré l’attention de la Cour sur les propres politiques internes de l’agent en matière d’équité procédurale, qui figurent dans le Guide d’exécution de la loi, en particulier à la section 5.1 du chapitre ENF 6 – Examen des rapports en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR. En toute déférence, j’ai consulté le chapitre ENF 6, il n’y a pas de section 5.1. Je n’ai pas vu non plus de mention faite à l’équité procédurale en tant que sujet.

[36] Le demandeur a aussi produit un extrait du chapitre ENF 2, présenté au paragraphe 19 de la décision Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931. La partie pertinente de l’extrait est la suivante : [TRADUCTION] « En ce qui concerne l’équité procédurale, le Guide mentionne qu’il faut toujours donner à la personne concernée l’occasion de répondre aux allégations concernant une possible fausse déclaration. » Comme il est précisé ci-dessus, ce processus a bel et bien été suivi lorsque la lettre d’équité procédurale a été envoyée.

[37] Dans un deuxième extrait du chapitre ENF 2, il est également indiqué que « des malentendus et des erreurs de bonne fois peuvent survenir ». Le demandeur a fait remarquer que le premier agent qui avait approuvé la demande faisant l’objet du contrôle avait spécifiquement examiné à la fois le permis d’études de l’épouse et les demandes antérieures de permis de travail du demandeur, et qu’il avait conclu que les renseignements étaient cohérents.

[38] Bien que ce ne soit pas au dossier devant la Cour, il semble qu’il était fait mention d’Edu-Fount Consult dans le dossier de permis de travail du demandeur et que ce dossier contenait les documents constitutifs. Le demandeur souligne que ces renseignements existaient, et qu’ils avaient été communiqués durant l’entrevue ainsi que dans la réponse à la lettre d’équité procédurale.

[39] Sur la base de ce qui précède, le demandeur conclut que son épouse et lui ont fait une fausse déclaration de bonne foi.

[40] Je ne suis pas d’accord. L’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration est restreinte et ne peut qu’excuser la non-divulgation de renseignements importants que dans des circonstances véritablement extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important, qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte et que le demandeur n'avait pas connaissance de la fausse déclaration. L’exception a été appliquée dans certains cas, lorsque les renseignements fournis par erreur ont pu être corrigés par l’examen d’autres documents présentés dans le cadre de la demande, laissant entendre qu’il n’y avait pas eu intention d’induire en erreur : Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 au para 28.

[41] Après examen de la jurisprudence mentionnée précédemment, je rejette l’argument du demandeur selon lequel l’agent aurait dû conclure à une fausse déclaration faite de bonne foi. Le demandeur n’a attiré l’attention de la Cour sur aucune affaire dans laquelle l’examen de documents soumis par un demandeur dans un dossier différent avait été accepté pour démontrer que le demandeur en cause n’avait pas eu l’intention d’induire en erreur, puisqu’il avait commis une erreur de bonne foi. En l’espèce, comme il avait précédemment présenté le renseignement, le demandeur ne pouvait pas ne pas être au courant de la fausse déclaration et il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté.

[42] Je conclus que le demandeur n’a pas démontré que le processus suivi par l’agent était inéquitable sur le plan procédural. En effet, l’agent a donné à l’épouse du demandeur des occasions de faire des observations durant et après l’entrevue, et il lui a envoyé la lettre d’équité procédurale. Un tel processus est pleinement étayé par la jurisprudence.

C. La possible partialité de l’agent et la preuve extrinsèque

[43] Le demandeur allègue que, dans les notes du SMGC datées du 18 septembre 2018, il y a une preuve de partialité, puisqu’il y est indiqué « ***DO NOT DISCLOSE*** » [« ne pas communiquer », en français].

[44] Dans les notes, il est notamment précisé que les renseignements qui ne sont pas communiqués [traduction] « sont exemptés au titre de l’alinéa 16(1)c) et/ou du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information. La communication risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales [...] ». Il est ensuite fait mention de l’enquête sur l’utilisation de la carte de crédit du demandeur, utilisation que j’aborde plus en détail dans mon analyse du caractère raisonnable de la décision.

[45] De se conformer à l’obligation juridique imposée par la Loi sur l’accès à l’information ne constitue pas une preuve de partialité ou de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

[46] Le demandeur objecte que la preuve à l’enquête est une preuve extrinsèque dont il [traduction] « n’[était] pas au courant, puisqu’elle prov[enait] d’une source extérieure ».

[47] La preuve n’est pas extrinsèque. Le demandeur connaissait la preuve, puisqu’elle concernait l’utilisation de la carte de crédit appartenant à son épouse.

[48] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’agent n’avait pas respecté l’obligation d’équité procédurale.

D. La décision était raisonnable.

[49] Il s’agit de déterminer s’il était raisonnable pour l’agent de conclure que l’épouse du demandeur avait fait une fausse déclaration et que cette dernière était importante.

[50] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas établi qu’il y avait eu fausse déclaration, qu’il n’avait pas tenu compte du fait que le renseignement avait déjà été communiqué, qu’il n’avait pas précisé pourquoi l’omission n’en était pas une de bonne foi, et qu’il n’avait pas traité de l’importance du fait omis dans la demande, à savoir le travail de l’épouse à Edu-Fount.

[51] Au sujet de la communication antérieure faite par le demandeur au sujet d’Edu-Fount, l’agent a déclaré qu’il n’avait pas consulté les demandes antérieures pour deux raisons : 1) il incombait au demandeur de fournir une information juste dans sa demande; et 2) les agents n’ont pas le temps de consulter des demandes de visa précédentes et distinctes, à la recherche de renseignements manquants.

[52] Je conclus que les déclarations ci-dessus sont raisonnables.

[53] Les demandeurs ne devraient pas s’attendre à ce qu’un agent tienne le compte de tous les documents soumis par un demandeur ni à ce qu’un agent fasse le travail qui leur revient. Les agents de visas sont occupés à traiter les demandes en cours. En l’espèce, l’agent a déclaré qu’il n’avait pas le temps de chercher, dans des demandes antérieures, des renseignements manquants. Le demandeur n’a pas démontré qu’il serait raisonnable d’attendre d’un agent qu’il parcourt des demandes antérieures au motif qu’un demandeur dit qu’il a déjà communiqué un renseignement donné. Si un renseignement pertinent à une question relative à une demande en traitement a déjà été communiqué, alors il revient au demandeur de communiquer de nouveau ce renseignement.

[54] Dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401, le juge Russell expose les facteurs qui rende une fausse déclaration importante :

[23] [...] les agents des visas doivent effectuer une analyse de la notion de fait important; c’est-à-dire ils doivent évaluer les renseignements faux et donner une justification quelconque de la conclusion selon laquelle les renseignements sont importants. Une présentation erronée sur un fait est importante si elle a une incidence sur le processus. En d’autres termes, la présentation erronée sur un fait doit être pertinente à une question qui fait activement l’objet d’un examen par l’agente des visas lorsqu’elle examine le dossier. Si la présentation erronée sur un fait a trait à une question qui n’aurait eu aucune incidence sur le résultat de l’examen de l’agent, elle n’est donc pas importante. [...]

[55] J’ajouterais à ce qui précède une observation tirée du paragraphe 25 de la décision Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, à savoir que « pour se rapporter à un fait important, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante. Il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé. »

[56] L’agent a conclu que le défaut, par l’épouse du demandeur, de communiquer qu’elle travaillait à Edu-Fount Consult était important.

[57] J’ai examiné attentivement les notes du SMGC datées du 11 novembre 2019, qui commencent au bas de la page 200 du DCT supplémentaire. Cette partie des notes du SMGC est longue, 800 mots; je ne la reproduirai donc pas en entier ici. Je citerai les déclarations de l’agent où il explique en quoi le fait de ne pas avoir déclaré l’emploi chez Edu-Fount était important et appuyait le caractère raisonnable de la décision. Les voici :

[traduction]
[Une] enquête distincte visant des demandes de permis d’études de ressortissants du Nigéria auxquelles étaient joints des documents identiques ou semblables – dont des relevés bancaires et des lettres d’intention – a permis d’établir que ces demandes étaient liées par la carte de crédit utilisée pour payer les frais de traitement. M. Akintunde est le titulaire de la carte en question.

C’est préoccupant parce que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs de permis d’études en cause ont fait une fausse déclaration au sujet des fonds dont ils disposaient pour leurs études au Canada, puisque les mêmes relevés bancaires étaient joints à de multiples demandes.

Ces faits ont été présentés à M. Akintunde lors de l’entrevue. Il a admis qu’il avait payé les frais relatifs aux demandes avec sa carte de crédit. Il a déclaré qu’il avait travaillé comme conseiller pédagogique et qu’il avait cofondé Edu-Fount Consult. Ces antécédents professionnels n’étaient pas indiqués dans ses formulaires.

Lorsqu’il lui a été demandé combien de clients il avait aidés, M. Akintunde a eu de la difficulté à donner un chiffre. Il a fallu beaucoup insister et il n’a pu que déclarer, plutôt vaguement, [traduction] « pas moins de dix ».

Après l’entrevue, le demandeur a eu une autre occasion de répondre par écrit aux préoccupations soulevées lors de celle-ci. En guise de réponse, la représentante de M. Akintunde a affirmé que son client n’avait pas déclaré son expérience de travail comme conseiller pédagogique, parce qu’il n’avait pas perçu de commission ou d’honoraires pour avoir avancé les sommes nécessaires au paiement des frais de scolarité ou des frais de traitement du gouvernement. Elle a également ajouté que la demanderesse principale [traduction] « n’était pas au courant de changements survenus à Edu-Fount, sinon que l’entreprise ne faisait pas d’argent et qu’à ce titre, il ne s’agissait pas d’un emploi ».

Je juge cette explication problématique sur deux plans. Premièrement, le fait de toucher une commission ou des honoraires n’est pas une condition indispensable lorsqu’il s’agit de déclarer qu’une occupation constitue un emploi, pas plus que ne l’est la rentabilité de sa propre entreprise. À l’entrevue, M. Akintunde a déclaré qu’il était un « entrepreneur » et qu’Edu-Fount était son entreprise.

Pour expliquer pourquoi il n’avait pas indiqué ce renseignement dans son formulaire, il a affirmé qu’il s’agissait d’un travail d’appoint et qu’il ne croyait pas devoir le déclarer, étant donné qu’il n’était pas le demandeur principal. Ces explications ne dissipent pas les réserves, compte tenu de la question posée dans le formulaire pertinent.

Deuxièmement, et contrairement à ce qu’a affirmé sa consultante, il semble, d’après sa réponse à une question spécifique posée durant l’entrevue, que M. Akintunde ait bel et bien perçu des honoraires de ses clients. Lorsque je lui ai demandé de combien de clients il avait accepté des honoraires, M. Akintunde a répondu « pas moins de dix ». Ainsi, d’un côté, M. Akintunde admet avoir fondé et exploité son entreprise, avoir agi à titre de conseiller et avoir perçu des honoraires de clients. De l’autre, sa représentante dit qu’il n’a pas perçu d’honoraires ou reçu de paiements.

Cette contradiction mine la crédibilité générale du demandeur, et je ne suis pas convaincu que M. Akintunde dise la vérité au sujet de ses antécédents professionnels. En revanche, je suis convaincu que le travail de M. Akintunde était pertinent dans le cadre de la demande et que ce renseignement aurait dû être inscrit dans le formulaire.

[D]es antécédents professionnels exacts sont indispensables à l’appréciation de l’admissibilité de tous les demandeurs, qu’il s’agisse des demandeurs principaux ou des personnes à charge. Un visa ne sera délivré que si l'agent est convaincu que l'étranger n'est pas interdit de territoire.

Étant donné que je ne suis pas convaincu que le demandeur a été honnête au sujet de ses antécédents professionnels, je ne suis pas en mesure de bien apprécier son admissibilité. Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que M. Akintunde a fait une présentation erronée sur ses antécédents professionnels et qu’il est interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La demanderesse principale est interdite de territoire en application de l’alinéa 42(1)a).

La demande est rejetée.

[58] En disant qu’une erreur apparente ressort à la lecture du dossier, le demandeur remet en question les conclusions suivantes de l’agent : [traduction] « [...] je ne suis pas en mesure de bien apprécier son admissibilité. Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que M. Akintunde a fait une présentation erronée sur ses antécédents professionnels et qu’il est interdit de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. »

[59] Le demandeur soutient qu’aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle l’agent croyait qu’il n’était pas honnête. L’explication se trouve dans les notes du SMGC, qui font partie des motifs : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368 au para 9.

[60] Comme le montre l’extrait ci-dessus, les notes du SMGC indiquent que l’agent a relevé des incohérences dans les réponses de l’épouse du demandeur, d’une part, et celles de la représentante de ce dernier, d’autre part, au sujet du paiement ou non d’honoraires. L’agent a raisonnablement conclu que la contradiction minait la crédibilité du demandeur.

[61] Enfin, le demandeur conteste également le caractère raisonnable de la décision, affirmant que la définition de « travail » donnée par l’agent contredit celle qui figure à l’article 2 du RIPR, à savoir : « [a]ctivité qui donne lieu au paiement d’un salaire ou d’une commission, ou qui est en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens ou des résidents permanents sur le marché du travail au Canada ».

[62] Je ne trouve aucune erreur dans la définition de « travail » donnée par l’agent. Durant l’entrevue, l’épouse du demandeur a déclaré qu’il était un entrepreneur et a dit à de nombreuses reprises qu’il travaillait pour Edu-Fount. Edu-Fount a également été mentionnée comme emploi dans des demandes antérieures. Bien que la conseil du demandeur ait plus tard nié l’information dans ses observations, le demandeur a déclaré à l'entrevue qu’il avait effectivement touché des honoraires d’un certain nombre de clients. Contrairement à ce que soutient le demandeur, cela correspond effectivement à la définition de « travail » donnée à l’article 2 du RIPR. Je conclus que, puisque le demandeur était un entrepreneur et propriétaire d’Edu-Fount Consult, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il communique l’existence de son entreprise, peu importe qu’elle génère des revenus de façon constante, étant donné qu’il s’agit d’une activité commerciale à but lucratif. Les réserves de l’agent au sujet de la crédibilité et la conclusion d’interdiction de territoire qu’il a tirée au motif que le demandeur n’avait pas communiqué l’existence de son entreprise étaient raisonnables, compte tenu de la preuve dont il disposait.

VII. Conclusion

[63] Le demandeur ne m’a pas convaincue que la décision était déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural.

[64] La décision est intrinsèquement cohérente, et aucune circonstance exceptionnelle ne justifie que je modifie les conclusions de fait de l’agent. Par conséquent, je dois m’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur »

[65] : Vavilov, au para 125.

[66] La demande sera rejetée.

[67] Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7071-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7071-19

 

INTITULÉ :

ADEFUNKE AISHAT AKINTUNDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 août 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

Le 30 juin 2022

 

COMPARUTIONS :

Mary Lam

 

Pour le demandeur

 

Ian Hicks

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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