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Date : 20220606

Dossier : T‑1105‑20

Référence : 2022 CF 824

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

GARRETT MOORE, KELLY MCQUADE,
DAVID COMBDEN ET GRAHAM WALSH

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente décision porte sur l’ordre de présentation de deux requêtes dans le contexte du recours collectif envisagé en l’espèce : a) la requête des demandeurs visant à obtenir que la présente affaire soit autorisée en tant que recours collectif [la requête en autorisation], et b) la requête que le défendeur prévoit déposer pour demander à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de suspendre le présent recours au motif qu’un autre recours collectif chevauche et englobe le même groupe et le même objet [la requête en suspension d’instance].

[2] La protonotaire Alexandra Steele et moi‑même sommes chargés de la gestion de l’instance en l’espèce. Étant donné que les parties n’ont pas pu s’entendre sur l’ordre de présentation de leurs requêtes, elles ont demandé à la Cour de trancher cette question au moyen du processus de gestion de l’instance sans qu’il soit nécessaire de présenter une requête formelle à cet égard. La Cour a souscrit à ce processus et les parties ont déposé des observations écrites à l’appui de leurs thèses respectives, à la suite de quoi elles ont formulé des observations orales à une conférence de gestion de l’instance tenue le 1er juin 2022 [la CGI]. J’ai décidé de surseoir à ma décision, que je rends à présent.

[3] Comme je l’ai expliqué plus en détail ci‑après, j’ai conclu que les requêtes devraient être présentées selon la proposition des demandeurs, c’est‑à‑dire que la requête en suspension d’instance devrait être entendue en même temps que la requête en autorisation.

II. Le contexte

[4] Le 16 septembre 2020, les demandeurs ont engagé le présent recours collectif envisagé contre le défendeur, le procureur général du Canada qui représente Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Leur déclaration a par la suite été modifiée le 19 août 2021. De manière générale, la demande des demandeurs porte sur des services de santé mentale fournis à certains membres de la Gendarmerie Royale du Canada [GRC] qui, selon les demandeurs, auraient été mis en œuvre de manière négligente et seraient discriminatoires. Les demandeurs proposent la constitution d’un groupe national formé de :

[traduction]

toutes les personnes qui sont ou ont été membres réguliers (selon la définition de cette expression à l’article 1 du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (2014), DORS/2014‑281) et qui ont reçu un diagnostic de traumatisme lié au stress professionnel et/ou souffrent ou ont souffert d’un tel traumatisme. Il est entendu que les membres civils et les fonctionnaires de la Gendarmerie royale du Canada sont exclus du Groupe;

[5] L’expression « Traumatisme lié au stress opérationnel » est définie dans la demande introductive d’instance comme étant :

[traduction]

tout état psychologique persistant et attribuable aux fonctions opérationnelles exercées à la GRC qui entraîne une altération du fonctionnement, notamment des troubles médicaux diagnostiqués, comme l’état de stress post‑traumatique, la dépression, l’anxiété et les attaques de panique.

[6] Depuis l’introduction du présent recours, les parties ont suivi les étapes nécessaires pour plaider la requête en autorisation grâce au processus de gestion de l’instance. Le 13 novembre 2020, la protonotaire Steele a rendu une directive approuvant un calendrier de ces étapes, selon la proposition des parties, dont la dernière serait le dépôt du mémoire en réplique des demandeurs au plus tard le 18 avril 2022. Au moyen d’une autre directive de la protonotaire Steel datée du 21 avril 2021, ce calendrier a été modifié pour être prolongé d’environ neuf mois, encore une fois sur proposition des parties, de telle sorte que le mémoire en réplique des demandeurs serait déposé au plus tard le 20 décembre 2022. La date de l’audition elle‑même n’a pas encore été fixée.

[7] Les demandeurs ont déposé leur dossier d’autorisation le 25 novembre 2021, conformément au calendrier susmentionné. Selon le calendrier, le dossier d’autorisation du défendeur serait déposé au plus tard le 6 mai 2022, le contre‑interrogatoire des déposants par les parties devant être terminé au plus tard le 15 juillet 2022.

[8] Toutefois, avant la date limite du 6 mai, l’avocat du défendeur a informé l’avocat des demandeurs, et la Cour par la suite, de sa position selon laquelle l’action sous‑jacente [l’action Moore] chevauchait le recours collectif autorisé précédemment dans la décision Greenwood c Canada (dossier de la Cour fédérale no T‑1201‑18) [l’action Greenwood] et d’autres recours collectifs présentés à la Cour et auprès d’autres cours. Le défendeur a mentionné le chevauchement visant tant la définition du groupe proposé (comprenant les membres de la GRC) que l’objet de la demande, à savoir le préjudice psychologique et physique causé par le harcèlement en milieu de travail. Le défendeur a souligné en particulier que l’ordonnance d’autorisation dans l’action Greenwood a été rendue le 23 janvier 2020 et comportait une interdiction d’intenter tout autre recours collectif portant sur les questions traitées dans l’action Greenwood, sauf sur autorisation de la Cour. Le défendeur a exprimé son intention de présenter une requête en suspension de l’action Moore sur le fondement du chevauchement invoqué, faisant valoir que l’introduction et la poursuite de l’action Moore constituent un abus de procédure.

[9] Au moyen de ses observations écrites et orales sur le différend portant sur l’ordre de présentation des requêtes, le défendeur a expliqué sa position selon laquelle sa requête en suspension d’instance devrait être plaidée et tranchée avant toute poursuite de la requête en autorisation. Le défendeur a proposé un calendrier des étapes dans la requête en suspension d’instance, commençant avec le dépôt de son avis de requête et des affidavits à l’appui au plus tard le 15 juin 2022 et se terminant par une audience qui se tiendrait du 4 au 6 octobre 2022. Il propose que les étapes à suivre pour la requête en autorisation soient suspendues jusqu’à ce que la décision sur la requête en suspension d’instance soit rendue.

[10] En revanche, les demandeurs soutiennent que la requête en autorisation et la requête en suspension d’instance devraient être présentées en même temps, même si les échéances des étapes de chaque requête pourraient être différentes, les parties devant plaider la requête en suspension d’instance au même moment que la requête en autorisation. Les demandeurs ont proposé un calendrier qui permettrait à la requête en autorisation de se poursuivre globalement comme prévu actuellement, afin que l’audience des deux requêtes soit fixée au printemps 2023.

III. La question en litige

[11] La seule question que la Cour est appelée à trancher concerne l’ordre de présentation des requêtes, c’est‑à‑dire si la requête en suspension d’instance devrait être entendue et tranchée avant ou en même temps que la requête en autorisation.

IV. Analyse

A. La jurisprudence

[12] Les parties s’entendent essentiellement sur les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi], les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], et les principes jurisprudentiels qui régissent la décision sur l’ordre d’instruction des requêtes.

[13] La requête en suspension d’instance du défendeur sera fondée sur l’alinéa 50(1)b) de la Loi, qui donne à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire lorsque l’intérêt de la justice l’exige. Aux fins de l’établissement du calendrier de la requête, les parties renvoient à l’article 3 et à l’alinéa 385(1)a) des Règles. Cette dernière disposition autorise le juge responsable de la gestion de l’instance à donner toute directive ou à rendre toute ordonnance nécessaires pour permettre d’apporter une solution au litige quant au fond qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. De même, l’article 3 dispose qu’en général, les Règles sont interprétées et appliquées de façon à appuyer ces objectifs.

[14] Malgré le pouvoir discrétionnaire général de décider de l’ordre de déroulement de l’instance (voir, p. ex., l’arrêt Attis v Canada (Minister of Health) (2005), 75 OR (3d) 302 (CSJ Ont) [Attis] au para 10), il est généralement reconnu qu’une requête en autorisation devrait être la première question procédurale à être entendue dans un recours collectif envisagé (voir p. ex., la décision Berenguer v WOW Air ehf, 2019 FC 407 [Berenguer] au para 19; Attis, au para 7). En effet, la Cour fédérale a fait observer que la Cour ne devrait entendre une autre requête avant la requête en autorisation que dans des circonstances exceptionnelles (voir la décision Berenguer, au para 20).

[15] Toutefois, cette jurisprudence envisage manifestement la possibilité qu’il puisse y avoir des circonstances qui militent en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire par la Cour de fixer l’audition d’une requête avant celle de la requête en autorisation. Bien que les demandeurs soutiennent que la jurisprudence de la Cour fédérale appuie l’audition d’une requête en suspension d’instance avant celle relative à l’autorisation uniquement lorsque des questions de pure compétence se posent, je ne suis pas convaincu que les circonstances qui pourraient appuyer un tel exercice du pouvoir discrétionnaire sont si limitées. Il existe une jurisprudence qui étaie une telle issue, bien qu’elle n’émane pas de la Cour, lorsqu’une requête en suspension d’instance est fondée sur un abus de procédure, comme l’allègue le défendeur en l’espèce.

[16] Dans l’arrêt Fantov v Canada Bread Company, Limited, 2019 BCCA 447 [Fantov], la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a établi une distinction entre les demandes de suspension d’instance fondées sur un abus de procédure et les demandes de suspension d’instance fondées sur d’autres considérations. La Cour a reconnu qu’il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il convient de statuer sur une demande de suspension d’instance fondée sur un abus de procédure avant la demande d’autorisation (aux para 64‑70). Ultérieurement, dans l’arrêt Reid v Google LLC, 2022 BCSC 158 [Reid], la Cour suprême de la Colombie‑Britannique s’est en partie fondée sur l’arrêt Fantov pour conclure qu’il était équitable et approprié de trancher une telle requête avant celle relative à l’autorisation (aux para 167‑172).

[17] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il existe dans la présente affaire le genre de circonstances exceptionnelles dont il est question dans la décision Berenguer. Toutefois, les parties sont d’accord pour dire que la décision de la Cour, quant à la question de savoir si une affaire particulière comporte des circonstances qui militent en faveur de l’audition d’une requête avant la requête en autorisation, devrait être guidée par les facteurs énoncés dans l’arrêt Cannon v Funds for Canada Foundation, 2010 ONSC 146 [Cannon] au para 15. Approuvant leur adoption par la Cour fédérale dans la décision Gottfriedsen c Canada, 2013 CF 1213, en tant qu’une liste de facteurs non exhaustifs servant de guide pour une décision sur l’ordre d’instruction des requêtes de cette nature, la décision Berenguer (aux para 20‑21) cite les facteurs suivants énoncés dans le jugement Cannon :

[traduction]

Voici une liste non exhaustive des facteurs que j’estime pertinents pour exercer mon pouvoir discrétionnaire :

a) la requête aura‑t‑elle pour effet de sceller le sort de toute l’instance ou permettra‑t‑elle de circonscrire de façon importante les questions à trancher;

b) la probabilité des délais et des coûts associés à la requête;

c) la réponse qui sera donnée à la requête aura‑t‑elle pour effet de favoriser un règlement;

d) la requête donnera‑t‑elle lieu à des appels interlocutoires et à des délais qui nuiraient à l’autorisation d’intenter un recours collectif;

e) l’économie des ressources judiciaires et l’efficacité judiciaire;

f) de façon générale, la question de savoir si le fait de faire instruire la requête avant la requête en autorisation favorisera « un règlement juste et expéditif » du litige […].

[18] Dans l’analyse qui suit, j’examinerai les facteurs susmentionnés et les observations respectives des parties quant à la manière dont ils s’appliquent aux circonstances particulières de la présente affaire.

B. La requête aura‑t‑elle pour effet de sceller le sort de toute l’instance ou permettra‑t‑elle de circonscrire de façon importante les questions à trancher?

[19] À l’appui de la position relative à l’ordre d’instruction des requêtes, le défendeur présente des arguments (qui sont maintenant axés sur le chevauchement entre l’action Moore et l’action Greenwood en particulier) qui sont censés démontrer que l’action Moore fait essentiellement double emploi avec l’action Greenwood. Le défendeur soutient que chaque demande porte essentiellement sur le fait que la GRC n’a pas réussi à lutter contre une culture d’intimidation, de harcèlement et de discrimination, et invoque la théorie juridique de la négligence systémique pour fonder ses allégations et demander réparation. Le défendeur relève des similitudes dans les définitions des groupes (qui se rapportent tous les deux à la GRC) et ce qu’il présente comme étant des similitudes dans les demandes et les dommages allégués.

[20] Les demandeurs contestent la thèse du défendeur selon laquelle les deux actions font essentiellement double emploi, mais soutiennent aussi qu’il ne convient pas de traiter la question du chevauchement invoqué entre les actions dans la décision relative à l’ordre d’instruction des requêtes. Plutôt, les demandeurs avancent que la question du chevauchement ne devrait être traitée que lorsque la Cour examine finalement la requête en suspension d’instance, à la lumière des dossiers de requête dont il disposera à ce moment‑là. En réponse, le défendeur invoque l’explication donnée dans la décision Berenguer selon laquelle, bien qu’une requête sur l’ordre d’instruction ne devrait pas servir à débattre du bien‑fondé d’une requête en suspension d’instance d’une partie, il convient d’examiner la solidité apparente de la requête et se demander si le fait de permettre que son audition soit tenue avant celle relative à l’autorisation milite en faveur de l’économie des ressources judiciaires et de l’efficacité judiciaire (au para 17).

[21] Je suis conscient du fait que je ne dois pas examiner en détail le bien‑fondé de la requête en suspension d’instance. Toutefois, il est nécessaire, à mon avis, d’examiner plus en profondeur le chevauchement invoqué entre les deux actions, étant donné que cet examen me permettra d’apprécier la question de savoir si la requête en suspension d’instance aura pour effet de sceller le sort de l’ensemble de l’action Moore ou si elle permettra de circonscrire de façon importante les questions à trancher.

[22] La défenderesse est d’avis que l’action Moore est entièrement subsumée par l’action Greenwood. Je reste disposé à examiner les arguments du défendeur à cet égard, à la lumière du dossier complet de la requête, lorsque la requête en suspension d’instance sera plaidée. Toutefois, sur la base de l’évaluation préliminaire que le défendeur souhaite que j’effectue maintenant, ce dernier n’a pas encore réussi à me convaincre au sujet de cette position.

[23] Dans les deux actions, il est question d’allégations de négligence. Toutefois, alors que dans l’action Greenwood, l’allégation présentée est une allégation d’intimidation et de harcèlement, dans l’action Moore, il s’agit d’une allégation de discrimination, fondée sur l’article 15 de la Charte, dans la prestation de services de santé mentale aux membres de la GRC qui souffrent d’un traumatisme lié au stress opérationnel découlant de leurs fonctions. La caractéristique déterminante du recours collectif envisagé dans l’action Moore est l’existence d’un traumatisme lié au stress opérationnel. Les demandeurs dans cette action pourraient bien relever de la définition du groupe dans l’action Greenwood, puisque cette définition est formulée de façon générale en ce qui concerne les membres de la GRC. Toutefois, comme le soutiennent les demandeurs, il semblerait que les membres qui ont subi un traumatisme lié au stress opérationnel, mais qui n’ont pas été harcelés ou intimidés, ne peuvent faire valoir aucune réclamation dans le cadre de l’action Greenwood. Il ne me semble donc pas tout à fait évident que tous les membres du groupe proposé dans l’action Moore seraient nécessairement visés par l’action Greenwood.

[24] Les demandeurs font également valoir que, si le défendeur réussit à établir l’existence d’un chevauchement partiel (mais pas total) entre les actions, il sera alors encore nécessaire que l’action Moore suive son cours, même si peut‑être il y aura un groupe ou un ensemble d’allégations ou de questions en litige communes plus limités par rapport à celles qui sont actuellement plaidées. Je reconnais qu’il s’agit d’une issue possible, mais je ne dispose pas actuellement de fondement me permettant d’apprécier la mesure dans laquelle une telle issue pourrait restreindre les questions en litige dans l’action Moore.

[25] Encore une fois, je tiens à préciser que, à la lumière d’une argumentation complète et d’un dossier à l’appui, le défendeur pourrait réussir à établir l’existence d’un chevauchement partiel, ou même total, entre les actions. Toutefois, je ne peux pas à l’heure actuelle conclure que la requête en suspension d’instance aura pour effet de sceller entièrement le sort de l’action Moore ou de restreindre les questions à trancher.

C. La probabilité des délais et des coûts associés à la requête/la requête donnera‑t‑elle lieu à des appels interlocutoires et à des délais qui nuiraient à l’autorisation d’intenter un recours collectif?/ l’économie des ressources judiciaires et l’efficacité judiciaire

[26] Dans le contexte de la présente affaire, je considère que les trois facteurs sont liés de façon importante. Je conclus qu’il est plus convaincant que l’argument du défendeur selon lequel la possibilité que des appels interlocutoires soient interjetés et que des retards en découlent milite contre l’idée d’instruire et de trancher la requête en suspension d’instance avant la requête en autorisation. Comme cela a été souligné dans la décision Berenguer, la Cour devrait mettre un frein aux litiges présentés par tranches, ce qui pourrait entraîner des appels et des retards importants dans le règlement d’un recours collectif sur le fond (au para 19).

[27] Si la requête en suspension d’instance était accueillie, il y aurait au moins une possibilité prévisible que les demandeurs interjettent appel afin d’éviter qu’il soit mis fin à leur action. Si la requête en suspension d’instance était rejetée, le défendeur disposerait d’autres moyens pour contester l’action Moore, notamment en s’opposant à la requête en autorisation. Toutefois, le défendeur a expliqué que son inquiétude concernant le chevauchement entre l’Action Moore et l’Action Greenwood fait partie d’une plus grande inquiétude concernant le chevauchement entre des recours collectifs ou des recours collectifs envisagés actuellement en instance devant la Cour ou devant d’autres cours. Par conséquent, encore une fois, il y a au moins une possibilité prévisible que le défendeur interjette appel si la requête en suspension d’instance était rejetée.

[28] Pour des raisons semblables, un appel interjeté par la partie déboutée relativement à la requête en autorisation est une possibilité prévisible. Par conséquent, à mon avis, l’économie des ressources judiciaires et l’efficacité judiciaire, obtenues en évitant les retards et les coûts qui en découlent, favorisent l’audition simultanée des requêtes de sorte que, si l’une ou l’autre des parties choisit d’interjeter appel à l’encontre des décisions qui en découlent, ces appels peuvent être présentés à la Cour d’appel fédérale en même temps. En revanche, la suspension de la requête en autorisation, en attendant une instruction et une décision sur la requête en suspension d’instance, crée un risque important d’une succession d’appels interlocutoires.

D. La réponse qui sera donnée à la requête aura‑t‑elle pour effet de favoriser un règlement?

[29] Ni l’une ni l’autre partie n’a présenté d’observations particulières sur l’application de ce facteur. Rien à mon avis ne me permet de conclure que l’issue de la requête en suspension d’instance aura pour effet de favoriser le règlement de l’action Moore.

E. Le fait de faire instruire la requête avant la requête en autorisation favorisera‑t‑il un règlement juste et expéditif du litige?

[30] Pour examiner ce facteur, qui comprend des questions d’équité, j’ai pris en compte l’argument du défendeur selon lequel il s’agit d’un abus de procédure que de lui exiger de défendre un recours collectif envisagé qui fait essentiellement double emploi avec un recours collectif autorisé devant la même Cour. Les demandeurs soulignent que la question de savoir si l’action Moore représente un abus de procédure ne sera tranchée qu’une fois que la Cour aura statué sur la requête en suspension d’instance. Toutefois, conformément au raisonnement suivi dans les arrêts Reid et Fantov, je considère que le fait que la requête en suspension d’instance exige que l’on statue sur des allégations d’abus de procédure milite en faveur de l’argument du défendeur qui souhaite qu’une décision soit rendue rapidement.

[31] Le défendeur établit également un parallèle entre la question du chevauchement des instances soulevée dans sa requête en suspension d’instance et la pratique consistant à statuer sur les requêtes en conduite de l’instance, où un représentant proposé des demandeurs présente une requête en vue d’obtenir l’autorisation de poursuivre son action au nom de tous les membres du groupe et une suspension des instances en cours ou futures liées aux mêmes questions. La défenderesse invoque la jurisprudence selon laquelle l’équité privilégie généralement le règlement d’une requête en conduite de l’instance avant l’autorisation du recours collectif proposé (voir p. ex., Thompson v Minister of Justice of Manitoba, 2016 MBQB 169 au para 19, conf par 2017 MBCA 71; Strohmaier v British Columbia (Attorney General), 2017 BCSC 2079 au para 31, conf par 2019 BCCA 388).

[32] Bien que les demandeurs contestent le parallèle ainsi établi, j’estime valable l’argument du défendeur, qui est appuyé par le raisonnement exposé dans l’arrêt Reid, selon lequel la pratique consistant à statuer sur les requêtes en continuation de l’instance avant la requête en autorisation a favorisé le règlement rapide de la requête en suspension d’instance examinée dans cette affaire (au para 172).

[33] Par ailleurs, l’équité justifie également que l’on examine l’argument des demandeurs selon lequel l’action Moore a été intentée il y a près de deux ans et que les parties travaillent à une requête en autorisation, conformément à un calendrier convenu et approuvé par la Cour, depuis longtemps. En effet, les demandeurs ont déposé leur dossier d’autorisation il y a plus de six mois, et la date limite du 6 mai 2022 pour que le défendeur dépose son dossier d’autorisation était imminente lorsqu’il a annoncé son intention d’aller de l’avant avec la requête en suspension d’instance. On peut déduire de ce calendrier que le travail du défendeur pour préparer son dossier est très avancé.

[34] À cet égard, j’admets que la présente affaire comporte des circonstances qui semblent différentes de celles de l’affaire Pierrot v. HMTQ (dossier de la Cour fédérale no T‑142‑22) [l’action Pierrot], dans laquelle la partie défenderesse relève que la Cour a prévu qu’une requête en suspension d’instance, compte tenu d’un chevauchement invoqué avec un autre recours collectif, serait entendue en octobre 2022 avant la requête en autorisation. Les demandeurs soulignent que l’action Pierrot a été déposée le 24 janvier 2022 et que, contrairement à l’action Moore, elle est donc à un stade très précoce.

[35] Je prends acte de la position du défendeur selon laquelle il a fait part de son intention de présenter la requête en suspension d’instance en temps opportun. Le défendeur souligne que l’autorisation dans l’action Greenwood n’est devenue une question réglée que le 17 mars 2022, lorsque la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’appel dans cette affaire. Néanmoins, il n’en demeure pas moins que la requête en autorisation dans l’action Moore était très avancée à ce moment‑là.

[36] À mon avis, l’équité exige également que l’on tienne compte du préjudice que subirait une partie si la position de l’autre partie sur la question de l’ordre de présentation des requêtes était privilégiée. Si la thèse du défendeur est retenue, la requête en autorisation sera suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête en suspension d’instance et éventuellement les appels qui pourraient en découler, ce qui retardera considérablement toute poursuite de la requête en autorisation. Je suis conscient du fait que j’ai déjà examiné cette question du retard dans ces motifs et je souhaite seulement souligner à ce stade que ce retard représente un préjudice pour les demandeurs.

[37] En revanche, le défendeur subit peu de préjudices s’il est tenu de plaider la requête en autorisation en même temps que la requête en suspension d’instance. Je comprends la position du défendeur selon laquelle il ne devrait pas être obligé de défendre une action qu’il considère comme étant un abus de procédure. Cependant, comme les demandeurs le soulignent, la requête en autorisation représente une étape purement procédurale axée sur la forme pertinente en ce qui concerne la présentation des prétentions des demandeurs, et non une décision sur le bien‑fondé de l’instance. De plus, comme nous l’avons déjà vu dans les présents motifs, il est possible que la requête en suspension d’instance permette de déterminer l’existence d’un certain chevauchement, mais pas d’un chevauchement complet, entre l’action Moore et l’action Greenwood, de sorte que la requête en autorisation pourra suivre son cours sous une forme ou une autre, en tout état de cause.

V. Conclusion

[38] Certains éléments du dernier facteur examiné précédemment sont favorables aux deux parties. Toutefois, lorsqu’elle est combinée avec les autres facteurs, l’analyse de l’arrêt Cannon, à mon avis, milite en faveur de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de retenir la thèse des demandeurs sur l’ordre de présentation des requêtes. Ainsi, la requête en suspension d’instance devrait être présentée parallèlement à la requête en autorisation, les deux requêtes devant être entendues et tranchées en même temps.

[39] Je tiens à souligner que les demandeurs ont proposé dans leurs observations écrites un calendrier pour les autres étapes de la requête en autorisation et pour celles de la requête en suspension d’instance. Cependant, je n’ai pas demandé au défendeur son avis sur ce calendrier lors de la conférence de gestion de l’instance, avant de rendre la décision sur l’ordre de présentation des requêtes. Par conséquent, j’ordonnerai aux parties d’établir un calendrier approprié pour chacune des requêtes, y compris la fixation d’une date d’audience, avec l’aide de la protonotaire Steele dans le contexte du processus de gestion de l’instance.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1105‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en suspension d’instance doit être présentée parallèlement à la requête en autorisation, les deux requêtes devant être entendues et tranchées en même temps.

  2. Les parties établiront un calendrier approprié pour chacune des requêtes, y compris la fixation d’une date d’audience, avec l’aide de la protonotaire Steele dans le contexte du processus de gestion de l’instance.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Claude Leclerc]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1105‑20

INTITULÉ :

GARRETT MOORE, KELLY MCQUADE,

DAVID COMBDEN ET GRAHAM WALSH

C LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUIN 2022

COMPARUTIONS :

Lauren Harper

Raymond Wagner

POUR LES DEMANDEURS

Victor Ryan

Angela J. Green

Sarah Rajguru

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wagners

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

pour le déFendeur

 

 

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