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Date : 20220613


Dossier : IMM-8362-21

Référence : 2022 CF 878

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ROSALIE DAMASCO PASCUAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 19 octobre 2021 par un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent). L’agent a rejeté la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse depuis le Canada pour des considérations d’ordre humanitaire (la décision) sur le fondement du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

II. Le contexte

[2] La demanderesse, Rosalie Damasco Pascual, est une citoyenne des Philippines de 41 ans. Elle est arrivée au Canada le 21 décembre 2008 munie d’un visa pour entrées multiples et d’un permis de travail. Elle a obtenu plusieurs permis de travail subséquents, dont le plus récent a expiré le 21 mars 2013. Par conséquent, la demanderesse est sans statut au Canada depuis mars 2013.

[3] Au Canada, la demanderesse a travaillé comme aide familiale résidente ou comme nourrice. En mars 2013, après avoir travaillé à plein temps comme aide familiale résidente pendant la période de 24 mois exigée, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente et demandé la prorogation de son permis de travail. La demande a été rejetée en raison d’une erreur administrative concernant le paiement des droits de demande, que la demanderesse n’avait pas été en mesure de corriger dans le délai prescrit de 90 jours. Depuis l’expiration de son permis de travail, la demanderesse a travaillé à temps partiel ou a été sans emploi.

[4] La demanderesse a une fille de 11 ans (une citoyenne canadienne) dont elle est la principale responsable. Depuis 2011 (l’enfant avait environ un an à l’époque), le père verse une pension alimentaire et paie les activités parascolaires de l’enfant, de même que ses droits de scolarité et ses fournitures scolaires, ses vêtements, sa nourriture et d’autres nécessités. Il passe du temps avec son enfant lorsqu’il n’est pas en voyage d’affaires, soit environ chaque semaine.

[5] En janvier 2018, la fille de la demanderesse a reçu un diagnostic de dyslexie et de trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et fait l’objet d’un plan d’enseignement individualisé à son école privée.

[6] La demanderesse et sa fille habitent à la maison Munroe du YMCA, qui fournit sans frais des logements entièrement meublés, qui comprennent l’électricité et le câble, ainsi que l’accès à des dons de vêtements et des articles de maison, de la nourriture, des cartes‐cadeaux et des titres de transport. La demanderesse ne reçoit pas d’aide sociale.

[7] Le 31 décembre 2020, la demanderesse a déposé une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande) en vue d’obtenir une dispense de l’application des exigences de la Loi pour faciliter le traitement de sa demande de résidence permanente depuis le Canada. Sa demande était fondée sur les motifs suivants :

  • (1) Son établissement au Canada;

  • (2) L’intérêt supérieur de sa fille;

  • (3) Les conditions défavorables aux Philippines.

[8] L’agent a rejeté la demande dans la décision du 19 octobre 2021, laquelle a été communiquée à la demanderesse le 1er novembre 2021. La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[9] Compte tenu de l’ensemble des circonstances et des documents présentés par la demanderesse, l’agent était d’avis que les considérations d’ordre humanitaire invoquées ne justifiaient pas qu’une dispense soit accordée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi et a rejeté la demande de la demanderesse.

A. L’établissement au Canada

[10] En ce qui concerne l’établissement de la demanderesse au Canada, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

  • (1) La demanderesse a travaillé comme aide familiale résidente pendant environ 25 mois entre février 2010 et mars 2013. Bien que la demanderesse ait affirmé qu’elle travaillait à temps partiel avant et après cette période, elle n’a présenté aucune preuve corroborante;

  • (2) La demanderesse a présenté des déclarations de revenus pour les années 2010 à 2012, mais n’a présenté aucun document pour les autres années;

  • (3) La demanderesse ne reçoit pas d’aide sociale du gouvernement; toutefois, elle compte sur l’aide du YMCA. L’agent a reconnu que l’absence de statut de la demanderesse aurait pu limiter sa capacité à gagner un revenu, mais a souligné qu’aucune preuve concernant la gestion de ses finances lorsque ses permis de travail étaient valides n’a été présentée;

  • (4) La demanderesse a habité à cinq adresses différentes depuis l’expiration de son permis de travail en mars 2013;

  • (5) La demanderesse n’a présenté aucune preuve pour corroborer qu’elle sera en mesure d’obtenir un emploi si elle obtient un permis de travail valide ou la résidence permanente ni aucune lettre de recommandation de ses employeurs actuels;

  • (6) La demanderesse n’a présenté aucune preuve pour confirmer qu’elle est active au sein de sa communauté locale ou qu’elle y contribue;

  • (7) Bien que la demanderesse habite au Canada depuis plus de 12 ans, elle a été sans statut pendant huit ans et demi. L’agent a conclu que cette période sans statut ne peut justifier que la demanderesse demeure au Canada : Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 81.

[11] Compte tenu de ce qui précède, l’agent a conclu que l’établissement de la demanderesse ne justifiait pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire exceptionnel.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant

[12] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse, l’agent a formulé les observations suivantes :

  • (1) La fille de la demanderesse est citoyenne du Canada et des Philippines et peut donc demeurer ou retourner au Canada à la discrétion de ses parents;

  • (2) Le père de l’enfant assume conjointement le rôle parental avec la demanderesse au Canada, bien qu’il ne soit plus en couple avec elle;

  • (3) La demanderesse n’a pas démontré que le père de l’enfant ne serait pas disposé à continuer de soutenir financièrement sa fille ou ne serait pas en mesure de le faire si cette dernière retourne aux Philippines avec sa mère;

  • (4) Bien qu’elle ait affirmé que sa fille ne parlait que l’anglais, la demanderesse a indiqué dans sa demande qu’elle préférait le tagalog et qu’en anglais, elle ne pouvait que soutenir une conversation. Par conséquent, même si l’enfant ne parle pas couramment le tagalog, rien ne prouve qu’elle n’a jamais été exposée à cette langue.

Qui plus est, les recherches de l’agent ont révélé que l’anglais est l’une des langues officielles des Philippines et que l’enfant pourra étudier tant en anglais qu’en filipino;

  • (5) L’agent a pris acte des diagnostics de dyslexie et de TDAH de l’enfant (et du fait qu’elle bénéficie d’un enseignement spécialisé à l’école), mais a conclu que rien ne démontrait qu’un soutien semblable ne serait pas disponible ou accessible aux Philippines;

  • (6) L’agent a reconnu que, au moment de la demande, l’enfant n’aurait pas pu obtenir le vaccin contre la COVID‐19. Toutefois, rien ne démontrait que l’enfant ne serait pas en mesure de se rendre aux Philippines en toute sécurité, qu’elle présentait un risque accru ou qu’elle ne pourrait obtenir des soins de santé adéquats aux Philippines.

[13] Compte tenu de ce qui précède, l’agent a conclu que, bien que l’enfant aura besoin d’une période de transition pour s’adapter à la vie aux Philippines si elle devait accompagner la demanderesse, rien ne démontrait qu’une réinstallation nuirait à son intérêt supérieur.

[14] De plus, l’agent a fait remarquer que, selon la preuve, l’enfant avait une belle relation avec son père et pourrait adopter l’enseignement à distance s’il était décidé qu’elle devrait rester au Canada. En outre, rien ne démontrait que l’enfant ne serait pas en mesure de communiquer avec sa mère ou de la visiter aux Philippines.

[15] L’agent a reconnu qu’il est bénéfique pour l’enfant de demeurer en contact avec ses deux parents; toutefois, au vu de la preuve, l’agent n’était pas convaincu qu’il serait impossible pour l’un ou l’autre des parents de continuer à avoir une relation étroite et de soutien avec l’enfant à distance.

[16] L’agent a conclu que le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant, bien qu’il faille lui accorder un poids important, ne justifiait pas d’accorder une dispense à la demanderesse.

C. Le retour aux Philippines et les conditions défavorables

[17] En ce qui concerne les difficultés auxquelles la demanderesse pourrait être exposée si elle retourne aux Philippines, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

  • (1) La demanderesse a terminé ses études aux Philippines et a notamment obtenu un baccalauréat en 2003;

  • (2) Rien ne démontrait que la demanderesse dépendait d’une aide financière ou ne pouvait subvenir à ses besoins lorsqu’elle était aux Philippines;

  • (3) La demanderesse n’a pas démontré qu’il n’est pas sécuritaire de retourner aux Philippines en raison de la pandémie de COVID‐19. L’agent a effectué ses propres recherches et a constaté que le taux de décès par habitant attribuables à la COVID-19 aux Philippines a été inférieur à la moitié de celui du Canada en 2021. En outre, la Colombie‐Britannique a offert des vaccins gratuitement peu importe le statut d’immigration et rien ne démontre que la demanderesse n’est pas pleinement vaccinée;

  • (4) La demanderesse a vécu la majeure partie de sa vie aux Philippines et la culture, la langue, les coutumes et les traditions lui sont donc familières;

  • (5) Tous les membres de la famille de la demanderesse, hormis sa fille, résident aux Philippines. Rien ne démontre que sa famille ne serait pas disposée à l’aider ou ne serait pas en mesure de l’aider si elle retournait aux Philippines.

[18] L’agent a conclu que ces facteurs démontrent que le retour de la demanderesse aux Philippines est faisable et qu’elle ne serait pas exposée à des difficultés qui justifieraient une dispense.

D. Les autres facteurs

[19] En plus des considérations d’ordre humanitaire décrites précédemment, l’agent a examiné les observations de la demanderesse sur l’erreur administrative concernant le paiement des droits associés à ses demandes de résidence permanente et de permis de travail en mars 2013. L’agent a conclu qu’aucune preuve provenant de la banque n’avait été présentée, qui aurait pu démontrer que les fonds avaient été versés par erreur à un régime d’assurance‐maladie de la Colombie‐Britannique plutôt qu’à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), ni aucune preuve montrant qu’elle aurait tenté de corriger l’erreur et de verser les fonds à IRCC comme prévu.

[20] De plus, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour rétablir son statut avant de présenter sa demande sept ans plus tard. Au moment où elle a présenté sa demande, la demanderesse n’était pas assujettie à une mesure de renvoi et était en mesure d’atténuer les conditions qui pouvaient compromettre sa capacité de retourner au Canada. La demanderesse avait présenté des demandes en vue d’obtenir un visa de résident permanent et un permis de travail en février 2021, à savoir environ un mois après avoir présenté la demande en l’espèce.

[21] L’agent a conclu que la demanderesse se livrait à des conjectures en affirmant que, si ses demandes de résidence permanente et de prorogation de son permis de travail présentées en mars 2013 avaient été accompagnées des fonds nécessaires, elles auraient été accueillies. En effet, la demande de prorogation du permis de travail de la demanderesse n’a été reçue que le 10 juillet 2013, soit environ quatre mois après l’expiration de son permis.

IV. Les questions en litige

[22] Les questions que la Cour doit trancher en l’espèce sont les suivantes :

  • (1) La décision était‐elle raisonnable?

  • (2) La décision était‐elle équitable sur le plan procédural?

V. La norme de contrôle

[23] Lorsque la Cour procède au contrôle d’une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 23).

[24] Les questions liées à un manquement à l’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte ou à une norme ayant la même portée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paragraphes 34‐35 et 54‐55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79).

VI. Analyse

A. Question préliminaire – Admissibilité de l’affidavit de la demanderesse

[25] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le dossier de preuve se limite habituellement à celui dont disposait le décideur administratif (Rosianu c Western Logistics Inc., 2019 CF 1022, citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [AUCC] au paragraphe 19, conf par Rosianu v Western Logistics Inc., 2021 FCA 241 [Rosianu]).

[26] Il existe trois exceptions à cette règle, et la Cour peut admettre des affidavits i) pour obtenir des informations générales qui sont susceptibles de l’aider à comprendre les questions pertinentes, ii) pour obtenir des informations importantes nécessaires pour déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou iii) pour faire ressortir l’insuffisance de la preuve dont disposait le décideur lorsqu’il a rendu sa décision (AUCC, au paragraphe 20).

[27] Selon le défendeur, les paragraphes 4 et 51 à 53 (y compris la pièce A) contiennent des éléments de preuve extrinsèques qui n’ont pas été présentés à l’agent et ne devraient donc pas être pris en considération par notre Cour.

[28] J’estime que les paragraphes 4 et 51 à 53 (y compris la pièce A) sont admissibles. Bien qu’ils n’aient pas été présentés à l’agent, les éléments de preuve figurant dans ces paragraphes et cette pièce contiennent des informations générales qui peuvent aider la Cour à comprendre les questions pertinentes de l’intérêt supérieur de l’enfant et des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait être exposée si elle retourne aux Philippines.

B. La décision était‐elle raisonnable?

[29] Le paragraphe 11(1) de la Loi exige que l’étranger demande un visa avant d’entrer au Canada. Le paragraphe 25(1) de la Loi confère au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (le ministre) le pouvoir discrétionnaire d’accorder à l’étranger une dispense de l’obligation visée au paragraphe 11(1) si des considérations d’ordre humanitaire le justifient.

[30] Il incombe au demandeur d’établir que des considérations d’ordre humanitaire justifient la dispense et que sa situation personnelle est telle que le fait de devoir aller à l’étranger pour présenter une demande de visa lui causerait des difficultés propres « à inciter tout[e] [personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au paragraphe 21). Le fait qu’un demandeur soit exposé à certaines difficultés ne veut pas nécessairement dire que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sera accueillie.

[31] L’application de la norme des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » (telle qu’elle est énoncée dans les lignes directrices du ministre) repose sur une liste de facteurs non exhaustive, comme l’établissement du demandeur au Canada, ses liens avec le Canada, l’intérêt supérieur de tout enfant touché par sa demande, des facteurs dans son pays d’origine, des facteurs relatifs à la santé, les conséquences de la séparation des membres de la famille ainsi que tout autre facteur pertinent. Les considérations pertinentes sont soupesées cumulativement pour déterminer si la dispense est justifiée dans les circonstances et ne doivent pas limiter le pouvoir discrétionnaire qui permet à l’agent d’immigration de tenir compte de tous les facteurs pertinents.

[32] De plus, la décision rendue en application du paragraphe 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte. Le décideur ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte; l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, au paragraphe 39). L’agent doit être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant.

[33] L’agent doit tenir compte de la preuve qui lui a été présentée et mettre en balance les conséquences de la décision sur l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, et les autres facteurs se rapportant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, d’autre part, pour déterminer si une dispense est justifiée dans les circonstances.

[34] Bien que l’agent puisse être guidé par une approche libérale et humanitaire, le paragraphe 25(1) n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Kanthasamy, au paragraphe 23).

[35] Si aucune dispense pour considérations d’ordre humanitaire ne lui est accordée, la demanderesse devra présenter une demande de résidence permanente au Canada depuis les Philippines.

[36] La demanderesse invoque deux motifs principaux pour contester le caractère raisonnable de la décision de l’agent :

  1. L’agent n’a pas procédé à une analyse sérieuse de l’intérêt supérieur de l’enfant, puisqu’il n’a pas tenu compte de son âge, de la durée de son établissement au Canada et de l’importance que ses deux parents subviennent à ses besoins;

  2. L’agent a fait fi d’éléments de preuve pertinents se rapportant à l’établissement de la demanderesse au Canada.

[37] À mon sens, l’agent a démontré tout au long de sa décision qu’il comprenait clairement et correctement les principes juridiques à appliquer dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, y compris ceux qui guident l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[38] Pour bon nombre de ses allégations, la demanderesse n’a présenté aucune preuve objective, et l’agent a tiré une conclusion raisonnable au vu du dossier de preuve limité.

[39] L’agent a raisonnablement tenu compte de la situation de l’enfant dans son ensemble eu égard à la preuve présentée par la demanderesse et a soupesé le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant en conséquence, conjointement avec les autres facteurs pertinents. Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste en réalité l’appréciation de la preuve par l’agent. L’insuffisance de la preuve sur les conséquences néfastes que pourrait avoir sur l’enfant son départ pour les Philippines en ce qui a trait à ses problèmes de santé ou à ses études milite également contre la demanderesse.

[40] La prémisse selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant sera mieux servi si le parent n’est pas renvoyé ou si l’enfant demeure au Canada avec son parent est présumée et n’a pas à être exposée dans les motifs (Hawthorne c Canada (MCI), 2002 CAF 475 au paragraphe 5). L’agent a raisonnablement examiné les deux scénarios, soit que l’enfant demeure au Canada avec son père ou aille aux Philippines avec sa mère, au vu de la preuve dont il disposait. L’agent n’était pas tenu d’énoncer l’évidence : être avec ses deux parents au Canada serait le meilleur des scénarios pour l’enfant. Dans l’ensemble, l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas établi que des considérations d’ordre humanitaire justifiaient une dispense dans le cas où l’enfant l’accompagnerait aux Philippines ou demeurerait au Canada avec son père.

[41] Les éléments de preuve supplémentaires présentés par la demanderesse aux paragraphes 51 à 53 de son affidavit (y compris la pièce A) contiennent d’autres informations générales sur la relation de l’enfant avec son père. Ces renseignements supplémentaires ne semblent pas ajouter quoi que ce soit d’important aux éléments déjà examinés par l’agent.

[42] L’agent a raisonnablement soupesé le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant eu égard à l’ensemble de la preuve disponible. Il a correctement souligné qu’il faut accorder un poids important à ce facteur, mais a raisonnablement conclu qu’il n’était pas suffisant pour accueillir la demande. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser de nouveau cette preuve.

[43] La décision de l’agent concernant l’établissement de la demanderesse au Canada était également raisonnable compte tenu de la preuve limitée présentée, y compris le nombre d’années que la demanderesse a passées au Canada sans statut et le fait qu’elle n’a pas démontré qu’elle pouvait raisonnablement s’attendre à être autorisée à demeurer au Canada après l’expiration de son statut juridique. Vivre au Canada sans statut depuis 2013 n’est pas un facteur qui milite en faveur de la demanderesse en ce qui concerne son établissement.

[44] Les éléments de preuve supplémentaires présentés par la demanderesse au paragraphe 4 de son affidavit contiennent d’autres informations générales sur les conditions de vie de sa famille aux Philippines. Ces renseignements supplémentaires ne modifient en rien les renseignements dont disposait déjà l’agent. L’agent avait fait remarquer que rien ne démontrait que la famille de la demanderesse n’était pas disposée à la soutenir ou n’était pas en mesure de le faire, même si ce soutien se limitait à un soutien émotionnel; l’agent n’a pas présumé que la demanderesse vivrait avec sa famille lors de sa réinstallation.

[45] L’agent a soupesé le facteur de l’établissement de manière raisonnable et justifiable.

[46] La décision était raisonnable.

C. La décision était‐elle équitable sur le plan procédural?

[47] La demanderesse fait valoir que l’agent a manqué à l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux lacunes de la preuve qu’il avait relevées dans la demande.

[48] Comme je l’ai déjà dit, il incombe au demandeur de démontrer que des considérations d’ordre humanitaire justifient la dispense; l’agent n’est pas tenu de signaler les lacunes de la demande et de demander d’autres observations. L’agent n’a pas l’obligation d’offrir au demandeur la possibilité de combler les lacunes de la preuve (Bagatnan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1188 aux paragraphes 10 à 19).

[49] La décision était équitable sur le plan de la procédure. La décision de l’agent ne repose pas sur des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des documents que la demanderesse a présentés à l’appui de sa demande. L’agent a plutôt évalué la preuve qui lui a été présentée et a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que des considérations d’ordre humanitaire justifiaient une dispense des obligations de la Loi. Dans les circonstances, l’agent n’était pas tenu d’offrir à la demanderesse la possibilité de dissiper ses doutes avant de rendre sa décision.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8362-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-8362-21

 

INTITULÉ :

ROSALIE DAMASCO PASCUAL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUIN 2022

 

COMPARUTIONS :

PRABHPREET K. SANGHA

KAMALJIT LEHAL

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

AMINOLLAH SABZEVARI

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEHAL LAW CORPORATION

DELTA (COLOMBIE‐BRITANNIQUE)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA

VANCOUVER (COLOMBIE‐BRITANNIQUE)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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