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Date : 20220714


Dossier : IMM-6101-20

Référence : 2022 CF 1043

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

YANLING MA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Yanling Ma, demande le contrôle judiciaire de la décision du 3 novembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle la demanderesse n’a ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] La demanderesse craint d’être persécutée en Chine par le gouvernement chinois, notamment par le Bureau de la sécurité publique (le BSP), en raison de sa participation à une manifestation antigouvernementale. La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse, car elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible.

[3] La demanderesse soutient que la SAR a commis plusieurs erreurs dans ses conclusions au sujet de la crédibilité qui rendent sa décision déraisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable. J’accueille donc la demande de contrôle judiciaire.

II. Faits

A. La demanderesse

[5] La demanderesse est une citoyenne chinoise de 41 ans. En mai 2015, elle a loué des terres pour exploiter un élevage de porcs. En mai 2018, la demanderesse et d’autres agriculteurs de son village ont reçu un avis selon lequel le gouvernement allait exproprier leurs terres. La demanderesse s’est vu offrir une indemnisation et a reçu l’ordre de quitter sa propriété avant le 30 juin 2018. Selon la demanderesse, l’indemnisation était insuffisante.

[6] Le 13 juin 2018, la demanderesse aurait participé à une manifestation antigouvernementale lors de laquelle les participants ont accusé le gouvernement de corruption et d’indemnisation injuste. Elle affirme qu’elle s’est échappée et s’est cachée chez sa tante maternelle pendant que la police arrêtait les manifestants. La demanderesse affirme qu’alors qu’elle se cachait, elle a appris de ses parents que le BSP avait fouillé sa maison en vue de la retrouver et qu’elle était accusée d’avoir dirigé des activités antigouvernementales, tenu des propos diffamatoires et perturbé l’ordre social.

[7] La demanderesse a quitté la Chine le 7 septembre 2018 et est entrée au Canada avec l’aide d’un passeur. Elle est arrivée au Canada le 18 septembre 2018 et a présenté une demande d’asile.

B. Décision de la SPR

[8] Dans sa décision du 16 décembre 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La décision reposait principalement sur la question de la crédibilité et la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse faisait face à des poursuites en Chine plutôt qu’à de la persécution. La SPR a conclu ce qui suit concernant la crédibilité de la demanderesse :

  • La crédibilité de la demanderesse est minée, car elle a attendu d’être interrogée par la SPR avant de révéler qu’elle était entrée au Canada avec un visa canadien falsifié.

  • La demanderesse a fourni des éléments de preuves contradictoires sur ce qui s’est passé lors de la manifestation : son formulaire de fondement de la demande d’asile indique qu’elle a mené la manifestation, alors qu’elle a témoigné que les personnes arrêtées avaient mené la manifestation.

  • Le témoignage de la demanderesse concernant les visites du BSP manque de crédibilité, est incompatible avec son formulaire de fondement de la demande d’asile et constitue une tentative d’embellir sa demande. La demanderesse a témoigné devant la SPR que le BSP s’était rendu chez elle le 14 juin 2018 et qu’il y était retourné à diverses occasions par la suite et aussi récemment qu’en octobre 2019, mais cette information n’a pas été inscrite dans son formulaire de fondement de la demande d’asile.

  • La demanderesse n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables démontrant qu’elle est poursuivie par le BSP. Comme la demanderesse allègue que le BSP a continué à s’enquérir de ses allées et venues à plusieurs reprises et que d’autres personnes impliquées dans la manifestation ont été arrêtées, il est raisonnable de penser qu’un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître aurait été remis à la famille de la demanderesse. Compte tenu de l’absence d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître, la demanderesse manque de crédibilité.

C. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Le 3 novembre 2020, la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse et a confirmé la décision de la SPR voulant que la demanderesse ne soit ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La SAR a tiré les conclusions suivantes :

  • La SPR a conclu à tort que la demanderesse n’était pas crédible en raison du visa canadien qu’elle a obtenu frauduleusement. Le formulaire Annexe 12 de la demanderesse indique qu’elle était en possession d’un visa canadien obtenu irrégulièrement.

  • La SPR a conclu à juste titre que la demanderesse n’était pas crédible en raison des incohérences entre son témoignage et son formulaire de fondement de la demande d’asile concernant les visites du BSP. La demanderesse a déclaré dans son formulaire que le BSP était allé chez elle et que cela l’avait incitée à trouver un passeur. Comme la preuve indique que le passeur a présenté une demande de visa canadien le 28 juillet 2018, la ou les visites du BSP auraient eu lieu avant cette date. La SPR n’a pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que la demanderesse n’a pas parlé des visites du BSP qui ont suivi sa décision de retenir les services d’un passeur, y compris les visites du BSP depuis son arrivée au Canada en septembre 2018. La demanderesse n’a pas expliqué de manière adéquate pourquoi elle n’a pas parlé des visites dans son formulaire de fondement de la demande d’asile.

  • La SPR n’a pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable du fait que le BSP n’a pas laissé de citation à comparaître ou d’autres documents.

  • La SAR a conclu que le témoignage de la demanderesse au sujet de sa participation à la manifestation, qui était évasif et contradictoire, minait sa crédibilité.

  • Étant donné le nombre insuffisant d’éléments de preuve crédibles, la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que le BSP ne recherche pas la demanderesse.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[10] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[11] Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis (Adelani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 23 aux para 13‑15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 10, 16‑17).

[12] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle qui commande la déférence, mais qui est néanmoins rigoureuse (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont le décideur était saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[13] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les réserves qu’elle suscite ne justifieront pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[14] La demanderesse soutient que la SAR a commis plusieurs erreurs en confirmant la conclusion de crédibilité de la SPR. Premièrement, elle soutient que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable en ce qui concerne les visites du BSP. La SAR a conclu qu’il était justifié pour la SPR de conclure que la demanderesse n’était pas crédible en raison des incohérences entre son témoignage et son formulaire de fondement de la demande d’asile concernant les visites du BSP, ainsi que des omissions dans son formulaire. La demanderesse fait valoir que la conclusion de la SAR est incompatible avec les éléments de preuve présentés à l’audience devant la SPR, lors de laquelle elle a affirmé que le BSP était venu chez elle le 14 juin 2018 et qu’il était revenu à d’autres occasions, aussi récemment qu’en octobre 2019. En outre, ni la SPR ni la SAR n’ont évalué la substance des éléments de preuve présentés par la demanderesse concernant la question de savoir si les visites du BSP ont eu lieu. La SPR et la SAR se sont plutôt concentrées sur la question de savoir s’il était possible d’écarter cet élément de preuve au motif qu’il n’était pas inclus dans le formulaire de fondement de la demande d’asile.

[15] Le défendeur maintient qu’il était raisonnablement loisible pour la SAR de conclure que les omissions de la demanderesse dans son formulaire de fondement de la demande d’asile nuisaient à sa crédibilité. Les visites du BSP sont essentielles à la prétention de la demanderesse et il lui incombait d’inclure cette information dans son formulaire de fondement de la demande d’asile. Au cours de l’audience, l’avocat du défendeur a souligné que la SAR n’a pas tiré de conclusion générale sur la crédibilité de la demanderesse sur ce point; elle a plutôt conclu qu’il était justifié pour la SPR de tirer une conclusion défavorable du fait qu’elle n’a pas mentionné les visites du BSP dans son formulaire de fondement de la demande d’asile. Cette omission, lorsqu’elle est appréciée à la lumière d’autres conclusions défavorables, a contribué à la conclusion générale sur la crédibilité.

[16] Je suis du même avis que la demanderesse sur ce point. J’estime qu’il était inapproprié de la part de la SPR de demander à la demanderesse si le BSP était retourné à sa résidence après le 14 juin 2018, pour ensuite tirer une conclusion défavorable du fait qu’elle n’a pas modifié son formulaire de fondement de demande d’asile en vue de mentionner les visites subséquentes du BSP. Comme l’a fait remarquer l’avocate de la demanderesse à l’audience, l’objectif même d’une audience devant la SPR est de permettre aux demandeurs d’asile de témoigner afin de clarifier les informations contenues dans leur formulaire de fondement de la demande d’asile et d’aborder les éléments survenus entre la signature de ce dernier et l’audience devant la SPR. Il n’est pas rare que de nouveaux éléments de preuve soient obtenus entre la signature du formulaire de fondement de la demande d’asile et l’audience devant la SPR. J’estime donc que la SAR a commis une erreur en mettant indûment l’accent sur les omissions dans le formulaire de fondement de la demande d’asile, plutôt que d’évaluer la crédibilité et la substance de la preuve de la demanderesse quant à savoir si les visites du BSP ont effectivement eu lieu.

[17] Deuxièmement, la demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle une conclusion défavorable peut être tirée du fait que le BSP n’a pas laissé de citation à comparaître ou d’autres documents. Plus précisément, la demanderesse fait valoir que la SPR n’a pas fourni de référence pour justifier sa position selon laquelle une citation à comparaître aurait été remise dans la situation de la demanderesse. Bien que la SPR ait cité la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148 (Huang), qui appuie la conclusion selon laquelle la Chine permet que les citations à comparaître soient remises aux membres de la famille, la SPR n’a cité la décision Huang que dans la partie de sa décision qui traite des comparaisons entre poursuite et persécution. La demanderesse soutient donc que la SAR a mal interprété la décision de la SPR en concluant qu’il était justifié pour cette dernière de s’appuyer sur la décision Huang au motif que les faits sont similaires à la situation de la demanderesse, et pour appuyer sa conclusion qu’une citation à comparaître aurait vraisemblablement été remise à sa famille.

[18] Le défendeur soutient qu’étant donné que les autorités chinoises auraient continué à s’enquérir de la demanderesse à plusieurs reprises, et que d’autres personnes ont été arrêtées à la suite de la manifestation, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’une citation à comparaître aurait été remise à la famille de la demanderesse. Au cours de l’audience, l’avocat du défendeur a affirmé que la présente affaire comporte plusieurs ressemblances avec la décision Huang et que toute citation erronée qu’aurait pu faire la SAR ne saurait être autre chose qu’une erreur typographique mineure.

[19] Je ne suis pas du même avis que le défendeur et j’estime que la SAR a effectivement mal interprété le fait que la SPR se soit appuyée sur la décision Huang. En concluant qu’il est raisonnable qu’un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître aurait été remis à la famille de la demanderesse, la SPR affirme ce qui suit :

[traduction]
On a demandé à la demanderesse si une citation à comparaître avait été remise à la suite de la visite du BSP à son domicile. Le tribunal souligne que les documents sur la situation au pays indiquent qu’une citation à comparaître est souvent remise aux membres de la famille ou leur est montrée lorsque la police veut qu’une personne se présente à son quartier général. En outre, la citation à comparaître constitue la base documentaire qui précède la délivrance du mandat d’arrêt dans le cas où la personne que la police recherche ne donne pas suite à la citation à comparaître. Bien que cette politique ne soit pas toujours mise en œuvre, il est raisonnable qu’un mandat aurait été délivré à l’égard de la demanderesse étant donné qu’elle a témoigné que le BSP était venu chez elle à de multiples reprises pour la retrouver, et ce jusqu’en octobre de la présente année.

[20] La note de bas de page correspondant au paragraphe ci-dessus cite le cartable national de documentation d’octobre 2019 pour la Chine. La décision Huang n’est citée nulle part dans les quatre paragraphes de l’analyse de la SPR sur la citation à comparaître. Bien que la SPR cite effectivement la décision Huang plus loin dans son jugement, elle le fait en vue de distinguer entre poursuite et persécution plutôt que pour appuyer sa conclusion concernant la délivrance d’une citation à comparaître ou d’autres documents par le BSP.

[21] Dans ses observations soumises à la SAR, la demanderesse a cité la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311 (Chen), dans laquelle la Cour affirme que la preuve documentaire sur la Chine indique que les normes policières sont très inégales et que l’affirmation de la SPR selon laquelle une citation à comparaître aurait été délivrée n’est que pure conjecture (au para 17). Dans sa décision, la SAR estime que l’affaire Chen se distingue factuellement de la situation de la demanderesse et conclut que la SPR s’est correctement fondée sur l’affaire Huang dans son analyse pour soutenir la conclusion qu’une citation à comparaître aurait été remise à la famille de la demanderesse en l’espèce :

[...] j’estime que les faits de [Chen] sont différents de ceux qui caractérisent la situation de l’appelante, car, dans l’affaire Chen, le demandeur d’asile avait fourni un avis d’assignation à la CISR. Toutefois, en fin de compte, la Cour a conclu que la CISR avait commis une erreur dans son analyse relative à l’assignation en supposant qu’une assignation assortie d’un mandat d’arrestation aurait été délivrée plutôt qu’un avis d’assignation. En ce qui concerne l’appelante, la SPR a cité la décision Huang, rendue en 2019, dont les faits ressemblent selon moi davantage à ceux de la situation qui nous occupe. Tout comme l’appelante, le demandeur d’asile dans l’affaire Huang avait réussi à échapper à la police sur les lieux d’une manifestation; il s’était lui aussi caché; il avait lui aussi appris que le [BSP] s’était rendu chez lui; il avait lui aussi eu recours aux services d’un passeur pour quitter la Chine; et il n’avait pas lui non plus fourni d’éléments de preuve documentaire – p. ex. une citation à comparaître ou un mandat – à la CISR. Dans l’affaire Huang, la Cour a conclu que, lorsqu’un demandeur d’asile affirme que le [BSP] le recherche sans relâche, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une citation à comparaître ou quelque autre document soit produit. La Cour a mentionné que cet élément n’était pas déterminant en soi, et elle a souligné que la SPR avait également tiré d’autres conclusions défavorables quant à la crédibilité.

Comme dans l’affaire Huang, l’appelante a affirmé que le [BSP] la recherchait sans relâche. Autrement dit, il ne peut être soutenu que l’appelante a été appréhendée sommairement sur les lieux de la manifestation proprement dite et qu’elle s’est donc uniquement vu signifier une citation à comparaître de vive voix. Dans l’affaire qui nous occupe, l’appelante s’est enfuie durant la manifestation, mais le [BSP] a quand même réussi à l’identifier et à déterminer son lieu de résidence. Cela tend à indiquer que le [BSP] s’est efforcé de mener une certaine forme d’enquête à propos de l’appelante, selon la prépondérance des probabilités. L’appelante affirme en outre que le [BSP] continue de la rechercher depuis bien plus d’un an. J’estime donc que ces facteurs laissent entendre que le [BSP] s’intéresse sans relâche à l’appelante. Compte tenu du fait que le [BSP] a déployé beaucoup d’efforts afin d’identifier l’appelante, de trouver son lieu de résidence et de la rechercher de façon continue, je suis d’avis qu’il est plus probable que le contraire que le [BSP] aurait délivré une citation à comparaître ou un document de ce genre. Par conséquent, j’estime que la SPR s’est appuyée à juste titre sur la décision Huang, et qu’elle n’a pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable de l’absence d’une citation à comparaître ou d’un autre document du [BSP].

[Non souligné dans l’original.]

[22] Bien que les faits de l’affaire Huang soient effectivement similaires aux faits de l’espèce, je conviens avec la demanderesse que la décision de la SAR de s’appuyer sur l’affaire Huang pour confirmer la conclusion de la SPR manque de fondement et ne peut être qualifiée de simple erreur typographique. Plus précisément, la SPR n’a pas cité la décision Huang à l’appui de sa conclusion voulant qu’une citation à comparaître aurait été laissée au domicile de la demanderesse si le BSP la recherchait effectivement. La SPR n’a cité la décision Huang que dans son analyse sur la distinction entre poursuite et persécution. Comme l’a fait remarquer l’avocate de la demanderesse à l’audience, cela s’apparente à une tentative erronée de la SAR d’[traduction] « étoffer » la décision de la SPR qui découle d’une mauvaise compréhension de la jurisprudence sur laquelle cette dernière s’est appuyée.

[23] Troisièmement, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que la preuve sur la question de savoir si elle avait mené la manifestation était incohérente. La conclusion de la SAR reposait sur un très court échange entre la demanderesse et le tribunal de la SPR à l’audience. La demanderesse fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de la brièveté et du manque de clarté de cet échange et a donc mal interprété la preuve. Le défendeur maintient que la SAR pouvait raisonnablement conclure que le témoignage de la demanderesse était incohérent quant à savoir si elle avait mené la manifestation.

[24] Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR et l’échange mentionné par la demanderesse, je suis du même avis qu’elle. L’échange entre le commissaire de la SPR et la demanderesse concernant la participation de cette dernière à la manifestation a été bref et manque de clarté. J’estime donc que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur le fondement d’un échange aussi bref.

[25] À mon avis, bien que les erreurs de la SAR concernant son analyse de la crédibilité ne permettent peut-être pas de confirmer le caractère déraisonnable si elles sont considérées individuellement, j’estime que lorsque ces erreurs sont prises dans leur ensemble, elles sont plus que des « erreurs mineures » (Vavilov, au para 100). Dans l’ensemble, l’analyse de la SAR ne résiste pas à un examen minutieux, et ses erreurs ont une incidence sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[26] Comme j’ai conclu que la SAR a commis suffisamment d’erreurs dans ses évaluations de la crédibilité pour rendre la décision déraisonnable, il n’est pas nécessaire de déterminer si le risque d’être poursuivi constitue une persécution dans le cas de la demanderesse.

V. Conclusion

[27] Sur la foi de l’analyse ci-dessus, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6101-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6101-20

 

INTITULÉ :

YANLING MA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Shelley Levine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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