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Date : 20220714


Dossier : IMM-445-21

Référence : 2022 CF 1047

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 14 juillet 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

TEMITOPE ELIZABETH ADEKO OLUWATOMIWA EMMANUEL BADRU OLUWATOMILOLA ELIZABETH BADRU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision [la décision contestée], datée du 4 janvier 2021, par laquelle un agent principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’ils avaient présentée au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte

[3] Les demandeurs sont Mme Temitope Elizabeth Adeko [la demanderesse principale] et deux de ses enfants mineurs, âgés de 9 et de 6 ans. Ils sont tous trois des citoyens du Nigéria. Mme Adeko a un troisième enfant mineur, âgé de deux ans, qui a la citoyenneté canadienne.

[4] En 2016 et 2017, Mme Adeko a demandé un visa canadien de visiteur à trois occasions. En 2017, Mme Adeko a obtenu un visa américain de visiteur. En décembre 2017, elle est entrée aux États-Unis, puis, le 9 janvier 2018, elle est entrée au Canada et a demandé l’asile. Elle a alors allégué qu’elle était persécutée au Nigéria en raison de son orientation sexuelle, à savoir sa bisexualité. Le 10 janvier 2019, la SPR a rejeté sa demande et affirmé qu’elle était manifestement infondée, ce qui, aux termes de l’article 107.1 de la Loi, signifie qu’elle considérait que la demande de Mme Adeko était frauduleuse. Les demandeurs n’ont pas contesté la décision de la SPR devant la Cour.

[5] Le 25 juin 2019, les demandeurs ont présenté leur demande de résidence permanente en invoquant des considérations d’ordre humanitaire. Dans les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, l’époux de Mme Adeko, M. Owolabi Adebowale Badru, est identifié comme époux n’accompagnant pas la demanderesse principale, et celle-ci a indiqué qu’elle présenterait une demande pour lui ultérieurement.

[6] La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été présentée par un conseil. De nombreux documents étaient joints aux formulaires, mais aucune observation n’a en fait été présentée. Dans sa lettre, le conseil ne fait que dresser la liste de l’ensemble des documents joints à la demande et précise que des observations seront présentées ultérieurement. Dans ses formulaires de demande, Mme Adeko ne donne aucune information sur des considérations d’ordre humanitaire particulières, indiquant [traduction] « voir observations ».

[7] Le 4 janvier 2021, l’agent a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs. Le 20 janvier 2021, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à l’égard de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et, le 7 janvier 2022, la Cour a accordé cette autorisation relativement à la décision du 4 janvier 2021.

[8] Le 19 avril 2021, donc, après que les demandeurs eurent présenté leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable relative aux considérations d’ordre humanitaire, ils ont demandé à l’agent de revoir sa décision. Ils ont allégué que l’agent n’avait pas examiné des documents supplémentaires, prétendument soumis par le conseil précédent le ou vers le 25 septembre 2020. Le 20 avril 2021, l’agent a refusé de revoir sa décision, et les demandeurs n’ont pas contesté ce refus devant la Cour.

[9] Le 2 décembre 2021, le dossier certifié du tribunal [le DCT] a été déposé auprès de la Cour. Il ne contient qu’un élément de correspondance transmis à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] par le conseil des demandeurs, au sujet de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, c’est-à-dire celui daté du 25 juin 2019. Les documents relatifs au réexamen n’y figurent pas, pas plus que les documents qui, prétendent les demandeurs, auraient été envoyés à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] le ou vers le 25 septembre 2020.

[10] À l’appui de leur demande en l’espèce, les demandeurs ont déposé un affidavit souscrit le 9 avril 2021 par M. Josef Brown, un parajuriste du cabinet d’avocats qui les représente actuellement. M. Brown affirme ce qui suit : [traduction] « Le ou vers le 25 septembre 2020, l’ancien représentant des demandeurs, M. Orr Kolesnic de Globe Immigration à Toronto, a communiqué de la documentation supplémentaire à l’appui de la demande des demandeurs. Une copie de ces documents est jointe aux présentes, en tant que pièce A ». Dans son affidavit, M. Brown ne dit rien au sujet d’une tentative de communication avec le conseil précédent pour obtenir des détails ainsi que la confirmation que les documents et la lettre ont bel et bien été envoyés à IRCC; de la manière dont l’envoi a été effectué; ou de l’absence de réponse du conseil précédent. De même, l’affidavit ne contient aucun renseignement sur la façon dont la liste de ces documents a été dressée ou sur la manière dont le conseil actuel les a obtenus.

III. La décision contestée

[11] Dans la décision contestée, l’agent a établi que les facteurs suivants avaient été présentés pour examen : 1) l’établissement au Canada; 2) l’intérêt supérieur des enfants; et 3) les conditions défavorables au Nigéria.

[12] En ce qui concerne l’établissement au Canada, l’agent a conclu qu’un séjour de trois ans au Canada ne constituait pas une longue période. L’agent a souligné les différentes occasions d’études saisies par la demanderesse principale pendant qu’elle était au Canada, et il a conclu que ces occasions étaient susceptibles de favoriser ses perspectives d’emploi, qu’elle soit au Canada ou ailleurs. L’agent a fait remarquer que peu d’éléments de preuve, comme des relevés bancaires, avaient été présentés pour démontrer que la demanderesse principale avait des antécédents de saine gestion financière. L’agent n’a pas été convaincu que la demanderesse principale possédait actuellement les fonds pour subvenir aux besoins de sa famille pendant un long séjour au Canada, et a souligné que les étrangers sont généralement censés être autonomes sur le plan financier et autosuffisants. L’agent a fait remarquer que le frère de la demanderesse principale souhaitait s’occuper financièrement de la famille, mais il a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que le frère soutenait pleinement les demandeurs. L’agent a convenu que les demandeurs s’étaient fait des amis dans leur communauté chrétienne et à l’école, durant leur séjour au Canada. Il a souligné qu’ils pourraient rester en contact avec leurs amis et d’autres personnes au Canada par la poste, par téléphone et par Internet.

[13] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, entre autres choses, l’agent a souligné que, compte tenu de leur jeune âge, les enfants s’adapteraient aux conditions du nouveau pays moins difficilement que des enfants plus âgés qui auraient plus de liens avec leur communauté et leur voisinage. L’agent a pris acte de l’état de santé du plus jeune fils, mais, s’appuyant sur l’opinion de l’expert médical, il a conclu que cet état n’entraînerait guère plus que des symptômes légers. Il a conclu qu’en l’espèce, l’intérêt supérieur des enfants consisterait à ce que leurs deux parents s’occupent d’eux. L’agent a jugé qu’il y avait peu d’éléments de preuve donnant à penser que la demanderesse principale avait la garde exclusive de ses enfants et a conclu que le père, qui était au Nigéria, avait le droit de participer activement à la vie de ceux-ci. L’agent a ajouté que les enfants tireraient profit du soutien affectif de leurs grands-parents, de leurs tantes et de membres de leur famille élargie, la plupart desquels résidaient au Nigéria.

[14] L’agent a tenu compte de l’effet de sa décision sur les enfants des cousins de la demanderesse principale, qui sont au Manitoba. Il a souligné qu’il existait peu d’éléments de preuve qui démontraient que les demandeurs avaient rendu visite à leurs cousins au Manitoba depuis leur entrée au Canada. Il a mentionné que ces relations n’étaient pas restreintes par des emplacements géographiques et que les demandeurs avaient la possibilité de rester en contact avec les membres de leur famille et de leur famille élargie au Canada, par la poste, par téléphone et par Internet.

[15] Au sujet des conditions défavorables au Nigéria et à la situation de la demanderesse principale en tant que femme bisexuelle, l’agent a indiqué que les conclusions de fait demeuraient les mêmes, faisant état de celles tirées par la SPR. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le fait de devoir quitter le Canada, afin de présenter une demande de résidence permanente aurait des effets négatifs considérables sur les demandeurs, compte tenu des conditions actuelles au Nigéria.

IV. Les observations des parties et analyse

[16] Les demandeurs soutiennent 1) que l’agent n’a pas examiné des documents transmis par le conseil précédent; 2) qu’il n’a pas tenu compte des études de la demanderesse principale et de son travail à titre de préposée aux bénéficiaires; 3) qu’il a commis une erreur dans l’appréciation de l’établissement des demandeurs au Canada : (i) en rejetant l’argument des relations des demandeurs au Canada; (ii) en appréciant incorrectement les perspectives d’emploi de la demanderesse principale; et 4) qu’il n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants.

[17] Les demandeurs ont soulevé, devant la Cour, des arguments qui ne figuraient pas dans leur mémoire des faits et du droit. M’appuyant sur les indications données par la jurisprudence de la Cour, je ne tiendrai pas compte de ces nouveaux arguments (Abdulkadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 318 au para 81; voir également Del Mundo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 754 aux para 12-14; Mishak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF 1242 (1re inst) au para 6; Adewole c Canada (Procureur général), 2012 CF 41 au para 15).

A. La norme de contrôle

[18] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle est la décision raisonnable, comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[19] Lorsque la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

B. L’agent a-t-il omis de tenir compte des documents transmis par le conseil précédent?

[20] Les demandeurs soutiennent que l’agent n’avait pas reçu la documentation supplémentaire qu’avait envoyée leur conseil précédent et/ou qu’il n’en avait pas tenu compte. Les demandeurs ont expliqué que, le ou vers le 25 septembre 2020, le conseil précédent avait envoyé à l’agent de la documentation supplémentaire à l’appui de leur demande. Les demandeurs soutiennent que, puisque l’agent a déclaré que [traduction] « peu de renseignements avaient été fournis sur la manière dont [la demanderesse principale] avait été embauchée », il est clair qu’il n’avait pas tenu compte des lettres d’emploi, des relevés de paye et des déclarations d’impôt dans son appréciation de leur établissement au Canada.

[21] Les demandeurs soutiennent qu’IRCC ne donne pas d’information aux demandeurs qui lui transmettent d’autres documents en lien avec leurs demandes pendantes, et qu’il n’accuse pas non plus réception de ceux-ci.

[22] Le ministre répond que, si les demandeurs choisissent de présenter des observations mises à jour sans qu’on leur en ait fait la demande, ils ont l’obligation de voir à ce que ces observations soient reçues avant que le tribunal rende sa décision. Le ministre ajoute qu’il n’y a aucune preuve, à part l’affidavit de M. Brown, ou confirmation par courriel, que la documentation supplémentaire avait été envoyée, citant Singh Khatra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1027 au para 6 [Singh Khatra], et Luzati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1179 au para 14 [Luzati]). Le ministre affirme que rien n’indique que la documentation a bel et bien été reçue.

[23] Je souscris à la position du ministre. Le ministre a cité de la jurisprudence pertinente. Comme il est énoncé au paragraphe 6 de la décision Singh Khatra, « [l]orsque, comme en l’espèce, le DCT ne contient pas un certain document et ne fait aucune mention de ce document, une simple affirmation de la part du demandeur que le document en question a été envoyé ne suffit pas pour affirmer que le demandeur s’est acquitté de ce fardeau ». De plus, dans la décision Luzati, la demanderesse Sonila Luzati n’a fait qu’une déclaration dans son affidavit, selon laquelle le document avait été déposé au bureau d’ERAR par l’avocat des demandeurs, et la Cour avait conclu que « […] ce n’est pas une preuve suffisante du dépôt de l’envoi en l’absence d’une déclaration d’une personne ayant connaissance de ce fait qui confirmerait que la lettre a été postée ou livrée » (Luzati, au para 14). Enfin, « [l]a Cour a reconnu, à de nombreuses reprises, que le contrôle judiciaire d’une décision doit se faire à la lumière des éléments de preuve qui ont été soumis au décideur » (Zolotareva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1274 au para 36).

[24] Comme je le mentionnais plus haut, au paragraphe 2 de son affidavit, M. Brown affirme que [traduction] « [l]e ou vers le 25 septembre 2020, l’ancien conseil des demandeurs, M. Orr Kolesnic de Globe Immigration à Toronto, a communiqué de la documentation supplémentaire à l’appui de la demande des demandeurs. » Je crois comprendre que M. Brown n’a pas une connaissance personnelle de cette information, et que sa déclaration ne peut pas servir à prouver que la documentation en question a bel et bien été envoyée à IRCC. Par conséquent, l’agent n’a commis aucune erreur, puisqu’il ne pouvait pas tenir compte de documents qu’il n’avait pas en sa possession.

[25] Concernant le fait que les demandeurs ont allégué, dans leur réplique, qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale dans le cadre de la décision défavorable rendue à l’issue du réexamen, je souligne que cette décision n’est pas en cause dans la présente instance. Aux termes de l’article 72 de la Loi, le contrôle judiciaire par la Cour fédérale est, sous réserve de l’article 86.1, subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation. Aux termes de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. Les demandeurs n’ont pas contesté la décision rendue à l’issue du réexamen, de sorte que l’autorisation n’a pas été accordée et que la Cour ne peut examiner cette décision. Je souligne en outre que les faits de l’affaire Naderika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 788, peuvent être distingués de ceux de l’espèce, puisque la demande de réexamen a été envoyée à IRCC des mois après que les demandeurs ont déposé à la Cour leur demande d’autorisation relative à la décision contestée.

C. L’agent a-t-il omis de tenir compte des études de la demanderesse principale et de son travail à titre de préposée aux bénéficiaires?

[26] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des antécédents scolaires au Canada de la demanderesse principale, et en particulier de sa formation comme préposée aux bénéficiaires. Ils ajoutent qu’il ne suffisait pas que l’agent survole la question de l’emploi, sans s’attarder à la nature de cet emploi et à ce qu’il signifie pour l’établissement de la demanderesse principale au Canada, du fait de son apport au pays ainsi qu’à la santé et au bien-être de ses citoyens.

[27] Le ministre répond que l’argument des demandeurs n’est pas étayé par le dossier, étant donné 1) que l’agent ne disposait pas de la preuve que la demanderesse principale avait travaillé comme préposée aux bénéficiaires en 2020; et 2) que la preuve dont disposait l’agent indiquait que la demanderesse principale était inscrite à l’éducation aux adultes et à un programme de formation des préposés aux bénéficiaires, ce que l’agent a trouvé louable, et susceptible de favoriser ses perspectives d’emploi, qu’elle soit au Canada ou ailleurs.

[28] Dans leur mémoire, les demandeurs citent la pièce A de l’affidavit de M. Brown, à l’appui de leur argument. Comme il est précisé plus haut, le décideur ne disposait pas de cette preuve, et cette dernière ne peut donc pas être examinée par la Cour. L’argument des demandeurs ne peut être retenu.

D. L’établissement des demandeurs au Canada

(1) L’agent a-t-il commis une erreur en rejetant les relations des demandeurs au Canada?

[29] Les demandeurs affirment que s’il était possible d’entretenir chacune des relations depuis l’étranger, les liens avec le Canada ne constitueraient jamais un facteur à prendre en considération. Ils soutiennent également que l’agent, dans son appréciation de leur établissement, ne pouvait pas employer des formules ambiguës comme [traduction] « un certain poids favorable » et « un faible poids favorable ».

[30] Le ministre répond qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que les demandeurs avaient la possibilité de garder contact avec les membres de leur famille élargie au Canada par la poste, par téléphone et par Internet, comme ils le faisaient depuis leur entrée au pays.

[31] Il est important de rappeler que la Cour a conclu au paragraphe 42 de Garcia Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 321, que « [l]e paragraphe 25(1) de la [Loi] confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’exempter les ressortissants étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense ».

[32] En vertu du paragraphe 25(1), le ministre peut exempter un ressortissant étranger qui demande le statut de résident permanent, mais qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la Loi, s’il « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], la Cour suprême du Canada a adopté une approche qui permet à la disposition de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui la sous‑tendent (Kanthasamy, au para 33). Le pouvoir discrétionnaire fondé sur des considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) de la Loi « se veut donc une exception souple et sensible » pour mitiger les effets de l’application sévère de cette dernière, selon le cas (Kanthasamy, au para 19).

[33] Ces considérations englobent l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) se veut donc une exception souple et sensible à l’application habituelle de la Loi et du Règlement, un pouvoir permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas (Kanthasamy, au para 19). De plus, une exemption pour considérations d’ordre humanitaire est « une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît » (Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 au para 15).

[34] Les demandeurs n’ont cité aucune jurisprudence pour appuyer leur position selon laquelle l’agent avait commis une erreur dans son appréciation de leurs relations au Canada, et lorsqu’il avait conclu qu’ils pouvaient entretenir ces relations de manière virtuelle. Cette conclusion est particulièrement raisonnable, étant donné qu’aucune preuve n’a été présentée au sujet de la question de savoir si l’oncle de la famille et les demandeurs s’étaient rendu visite ou non.

(2) L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la capacité de la demanderesse principale à subvenir aux besoins de sa famille au Canada?

[35] Les demandeurs soutiennent que l’agent a discrédité la demanderesse principale, parce qu’elle n’avait pas clairement démontré sa capacité à travailler, contrairement à ce que disait la documentation supplémentaire et à la conclusion subséquente de l’agent. Ils soutiennent également que l’agent conclut que le manque de travail de la demanderesse principale nuit à son établissement, et qu’il utilise sa mise à niveau scolaire pour conclure que celle-ci l’aidera à trouver un emploi au Nigéria. Les demandeurs affirment que l’agent ne peut pas tirer une telle conclusion contradictoire.

[36] Comme l’indiquent les demandeurs, l’agent a d’abord conclu que la demanderesse principale n’avait actuellement pas les moyens de subvenir aux besoins de sa famille pendant un long séjour au Canada, mais a par la suite conclu qu’il était plus probable que le contraire que les études de celle-ci au Canada l’aideraient à trouver un emploi à son retour dans son pays d’origine. La première conclusion concernait l’établissement et la deuxième portait sur les conditions défavorables au Nigéria.

[37] Je ne souscris pas à la position des demandeurs. Les deux conclusions tirées par l’agent ne sont pas contradictoires et servent deux objectifs différents. En effet, chaque conclusion a été tirée après l’appréciation d’un critère différent. En ce qui concerne l’établissement, l’agent pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse principale n’avait pas l’argent nécessaire pour subvenir aux besoins de sa famille au Canada. Cette conclusion n’est pas contredite par l’analyse des conditions défavorables au Nigéria.

E. L’agent a-t-il omis de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants?

[38] Les demandeurs soutiennent que l’agent a fait les deux suppositions suivantes sans fournir de document à l’appui : 1) l’agent a conclu que les enfants s’adapteraient aux conditions du nouveau pays moins difficilement que des enfants plus âgés qui auraient plus de liens avec leur communauté et leur voisinage; 2) l’agent a conclu qu’étant donné que la demanderesse principale n’avait pas la garde exclusive, le père [traduction] « a[vait] le droit de participer activement à la vie des enfants » et que [traduction] « les enfants tireraient profit du soutien affectif de leurs grands-parents, de leurs tantes et de membres de leur famille élargie, la plupart desquels résid[aient] au Nigéria ».

[39] Le ministre a répondu que l’approche adoptée par l’agent, c’est-à-dire tenir compte des conséquences potentielles d’un retour des demandeurs au Nigéria, où ils pourraient tirer profit du soutien affectif des membres de leur famille élargie et du père, n’est pas déraisonnable.

[40] Il convient de souligner une fois de plus que les demandeurs n’ont soumis aucune observation pour guider l’agent ou pour cibler un quelconque problème touchant les enfants. De plus, encore une fois, les demandeurs ne citent aucune jurisprudence pour appuyer leur allégation selon laquelle les conclusions de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants étaient déraisonnables.

[41] Les demandeurs ont d’abord abordé la conclusion selon laquelle les jeunes enfants s’adapteraient aux conditions du nouveau pays moins difficilement que des enfants plus âgés qui auraient plus de liens avec leur communauté et leur voisinage; il ne s’agit pas là d’une conclusion déraisonnable de la part de l’agent, compte tenu du dossier.

[42] Je peux en dire autant de la deuxième conclusion, à savoir qu’en l’espèce, l’intérêt supérieur des enfants consisterait à ce que leurs deux parents s’occupent d’eux. Il n’existe en fait aucune preuve qui donnerait à penser que la demanderesse principale avait la garde exclusive des enfants, et il n’est pas déraisonnable de laisser entendre que leur père a le droit de participer activement à leur vie. Premièrement, la Cour a reconnu la présomption fondée sur le bon sens selon laquelle il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être élevé par ses deux parents (Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 17). Deuxièmement, je souligne que le père n’est pas au Canada et qu’il est donc sans doute resté au Nigéria, et que l’agent pouvait raisonnablement conclure qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants que la famille soit réunie.

[43] S’appuyant sur les renseignements et les documents fournis, l’agent a effectué une analyse cohérente, fondée sur le paragraphe 25(1) de la Loi, des questions soulevées par la demande.

V. Conclusion

[44] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que l’agent n’avait pas raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire, comme le prévoit le paragraphe 25(1) de la Loi.

[45] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-445-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-445-21

INTITULÉ :

TEMITOPE ELIZABETH ADEKO OLUWATOMIWA EMMANUEL BADRU OLUWATOMILOLA ELIZABETH BADRU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 mars 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

Le 14 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Ariel Hollander

Pour les demandeurs

Neeta Logsetty

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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