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Date : 20220712


Dossier : IMM-7244-21

Référence : 2022 CF 1018

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 12 juillet 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ASIF AMIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Asif Amin sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] le 20 septembre 2021. Dans cette décision, la SAR a rejeté l’appel de M. Amin et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] par laquelle celle-ci avait conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], ni qualité de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire [la demande] sera rejetée.

[3] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Le 17 septembre 2019, il a quitté son pays pour les États-Unis, muni d’un visa de visiteur délivré par les autorités américaines. Des États-Unis, il a traversé la frontière vers le Canada à pied, sans son passeport, et a présenté une demande d’asile. Il a fondé cette dernière sur le fait qu’il craignait que des extrémistes religieux du groupe Sipah-e Sahaba Pakistan ne le tuent.

[4] Lors d’une audience tenue le 14 avril 2021, durant laquelle M. Amin a témoigné, la SPR a entendu la demande d’asile de ce dernier, qu’elle a rejetée le 23 avril 2021. La SPR avait tiré deux (2) conclusions déterminantes, l’une sur la crédibilité et l’autre sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Karachi ou à Islamabad.

[5] À titre de conclusion relative à la crédibilité, au paragraphe 21 de sa décision, la SPR avait jugé que M. Amin n’avait pas établi, à l’aide d’éléments de preuve crédibles, qu’il existait une possibilité sérieuse de crainte fondée de persécution aux termes de l’article 96 de la Loi, ni qu’il serait exposé à une menace à sa vie aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi.

[6] M. Amin a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR et a soulevé des questions relatives à la crédibilité, à sa religion et aux PRI. En ce qui concerne plus particulièrement sa religion, qui est le fondement de sa demande d’asile sur place, il n’a contesté que la conclusion tirée au sujet de la crédibilité de sa conversion du sunnisme au chiisme.

[7] Au paragraphe 19 de sa décision, la SAR a pris acte de la conclusion de la SPR au sujet de la crédibilité, et ne l’a pas annulée. Elle a précisé que la seule question à trancher était celle de la PRI à Islamabad, puis elle a rejeté l’appel et a confirmé sans équivoque la conclusion de la SPR.

[8] Devant la Cour, M. Amin n’a pas contesté la façon dont la SAR a analysé, ou pas, la conclusion rendue par la SPR relativement à la crédibilité. Il a plutôt soutenu que la SAR : (1) avait commis une erreur dans l’évaluation de sa demande d’asile sur place; (2) avait commis une erreur dans l’évaluation de la PRI; et (3) n’avait pas exposé de motifs valables pour justifier un certain nombre de ses conclusions.

[9] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que, même si j’avais conclu à une erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR pour les motifs invoqués par le demandeur, je n’aurais pu annuler cette décision et la renvoyer à un autre agent, puisqu’elle aurait tout de même été valide au regard de la conclusion incontestée concernant la crédibilité. Cependant, en tout état de cause, M. Amin ne s’est pas acquitté de son obligation d’établir que les conclusions de la SAR au sujet de la PRI étaient susceptibles de contrôle pour les motifs qu’il avait invoqués.

II. Décision

[10] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, et rien ne réfute cette présomption en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[11] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit porter attention à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83), pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il n’appartient pas à la Cour de substituer l’issue qui serait selon elle préférable à celle qui a été retenue (Vavilov, au para 99).

[12] En ce qui concerne la demande d’asile sur place, M. Amin conteste la confirmation, par la SAR, de la conclusion de la SPR concernant la manière dont les agents persécuteurs pourraient apprendre qu’il s’était converti. Il est utile de souligner que la SAR a indiqué que le demandeur n’avait pas contesté sa conclusion en appel; elle a ajouté qu’elle avait examiné les éléments au dossier et qu’elle était d’accord avec la SPR sur cette question. Devant la Cour, M. Amin a soutenu que, dès lors que la SAR avait choisi d’examiner la conclusion de la SPR, elle avait l’obligation d’effectuer une analyse complète de tous les faits touchant à la question examinée, même si le demandeur ne les avait pas soulevés ni n’en avait débattu dans son appel. Je ne suis pas d’accord. Premièrement, la jurisprudence a reconnu à maintes reprises qu’on ne peut reprocher à un décideur administratif de n’avoir pas analysé une question dont il n’était pas saisi. Deuxièmement, parvenir à la conclusion souhaitée par le demandeur reviendrait à imposer à la SAR un fardeau qui incombe plutôt à ce dernier. L’ argument mis de l’avant par le demandeur ne saurait être retenu.

[13] Au sujet de la PRI, M. Amin soutient que la SAR a ignoré des éléments de preuve pertinents et appliqué le mauvais critère juridique.

[14] En ce qui concerne la première question, le demandeur avait clairement indiqué, dans ses observations à la SAR, qu’il craignait d’être persécuté dès qu’il se serait enregistré dans la ville proposée comme PRI. À cet égard, la SAR a fait remarquer l’absence de preuve quant à l’allégation selon laquelle les agents persécuteurs obtiendraient les renseignements personnels du demandeur suite à une collaboration avec la police. La SAR a ajouté que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne d’intérêt et qu’au contraire, les éléments de preuve indiquaient que, concernant le traitement des musulmans chiites à Islamabad, « il ne se pass[ait] presque rien parce que la surveillance policière [était] excellente ». Cette conclusion est étayée par le dossier. Ainsi, étant donné que le décideur n’est pas tenu de citer chaque élément de preuve dont il a tenu compte, qu’il est réputé avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve d’un dossier avant d’en arriver à une décision (Placide c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1056 au para 44; Anand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 234 au para 21; Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 598; Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1992] ACF no 946), et que la conclusion de la SAR est étayée par les éléments de preuve, je suis d’avis que sa conclusion ne contient aucune erreur susceptible de contrôle.

[15] En ce qui concerne la deuxième question, je suis convaincue qu’au paragraphe 21 de sa décision, la SAR a énoncé le critère et la norme juridique appropriés en ce qui a trait au premier volet du critère applicable à la PRI. Je suis également convaincue qu’au paragraphe 17 de cette même décision, la SAR a fait référence à une conclusion de fait et que, dans tous les cas, le demandeur n’a pas établi que les motifs de la SAR, dans leur ensemble, révélaient qu’un fardeau de preuve excessif lui avait été imposé.

[16] Enfin, et contrairement à ce que soutient M. Amin, je suis convaincue que la SAR a exposé des motifs qui satisfont aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov. La SAR a su répondre aux arguments présentés par le demandeur.

[17] La décision de la SAR est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, à la lumière des enseignements de l’arrêt Vavilov. Pour ces motifs, la demande sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7244-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7244-21

INTITULÉ :

ASIF AMIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE (ZOOM)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 12 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Me Hana Marku

POUR LE DEMANDEUR

Me Marc Gauthier

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hana Marku

Toronto (Ontario)

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

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