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Date : 20220725


Dossiers : IMM-5165-21

IMM-5166-21

Référence : 2022 CF 1098

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

MAHTAB KHANLAR MOTLAGH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Mahtab Khanlar Motlagh est une citoyenne iranienne. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle l’agent des visas [l’agent] a rejeté sa demande de permis d’études pour venir faire une maîtrise en éducation à l’Université Lakehead en Ontario.

[2] L’agent a rejeté sa demande principalement parce qu’il avait conclu que le plan d’études de Mme Motlagh était déraisonnable compte tenu de son parcours professionnel et scolaire. L’agent n’était pas convaincu que Mme Motlagh allait quitter le Canada tel que l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, adopté en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[3] Mme Motlagh a présenté une demande de réexamen de la décision de l’agent, mais celle‑ci a également été rejetée.

[4] Les courts motifs fournis par l’agent ne permettent pas à la Cour d’établir les raisons du refus d’accorder à Mme Motlagh son permis d’études. La demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet initial (IMM‑5166‑21) est donc accueillie. La demande de contrôle judiciaire à l’égard du rejet de la demande de réexamen (IMM‑5165‑21) est rejetée au motif qu’elle est sans objet.

II. Contexte

[5] Âgée de 35 ans, Mme Motlagh est mariée et a deux enfants. Elle est une employée permanente au ministère de l’Éducation iranien, et son mari est un employé permanent au ministère du Pétrole iranien.

[6] Mme Motlagh détient une maîtrise en mathématiques d’une université en Iran. Elle est enseignante en mathématiques dans une école secondaire depuis 2011.

[7] Dans sa demande de permis d’études, Mme Motlagh a déclaré qu’elle souhaitait étudier à l’Université Lakehead en raison des possibilités de recherche qui y sont offertes. Elle a indiqué que le parcours scolaire qu’elle propose lui permettrait d’être une enseignante plus compétente et efficace. Elle a exprimé son intérêt pour les domaines de la sociologie et de la philosophie de l’éducation, et éventuellement pour celui de l’orientation professionnelle.

[8] Voici ce que Mme Motlagh a mentionné concernant l’offre de programmes d’études similaires en Iran :

[traduction]

Malheureusement, notre système d’éducation en Iran est un peu archaïque comparé aux normes pédagogiques de nombreux pays dotés des meilleurs systèmes d’éducation au monde. Toutefois, dans les dernières années, le ministère de l’Éducation et de nombreuses autres institutions tentent d’améliorer les normes pédagogiques en portant une plus grande attention à différents aspects de l’enseignement et de l’éducation, comme les différences personnelles, en mettant en œuvre de nouvelles méthodes et techniques d’enseignement et d’apprentissage et en concevant des programmes d’études davantage fondés sur la recherche. Même dans les universités, des efforts sont faits pour mettre davantage l’accent sur la recherche plutôt que seulement sur les aspects théoriques de l’éducation, ce qui promet un meilleur avenir dans le domaine.

[9] Mme Motlagh a donné plusieurs raisons pour confirmer son intention de retourner en Iran à la fin de ses études : son mari et ses enfants, tous deux âgés de moins de 12 ans, y résident, tout comme sa famille élargie et ses amis. Son mari et ses enfants ne l’accompagneraient pas durant ses études. Elle et son mari sont propriétaires de deux résidences, d’une voiture et d’actions.

[10] Mme Motlagh a fourni les actes formalistes des deux propriétés, les contrats de bail y afférant, des relevés bancaires, des documents attestant que son mari détient des actions, des attestations d’emploi permanent pour son mari et pour elle-même, une attestation de congé d’enseignement ainsi qu’une preuve d’inscription scolaire de son fils.

[11] L’agent a rejeté la demande de permis d’études de Mme Motlagh le 3 juin 2021. Dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], l’agent note ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu du parcours professionnel et scolaire de la demanderesse. Je constate que : - les études antérieures de la cliente étaient dans un domaine différent - la cliente a effectué des études antérieures de même niveau académique [que] les études proposées au Canada[.] Compte tenu du plan d’études de la demanderesse, sa famille ne semble pas suffisamment bien établie pour que les études proposées constituent une dépense raisonnable. Le choix du programme d’études moyennant un tel coût semble illogique et redondant à la lumière du parcours scolaire déclaré par la DP. Dans l’ensemble, la DP n’a pas réussi à me convaincre que le programme d’études est raisonnable étant donné le coût élevé des études internationales au Canada par rapport aux éventuels avantages professionnels, aux autres possibilités d’études similaires accessibles localement et à la situation personnelle de la DP. Après avoir soupesé les facteurs dans cette demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. Pour ces motifs, je rejette la demande.

[12] Les notes de l’agent dans le SMGC concernant le refus de réexaminer la demande indiquent seulement qu’il [traduction] « n’y a pas eu d’erreur de fait ou de droit dans la décision précédente et […] que la demanderesse n’a pas fourni de nouveaux renseignements convaincants qui justifient la réouverture de la demande ».

III. Question en litige

[13] L’unique question que la présente demande de contrôle judiciaire soulève est de savoir si les décisions de l’agent étaient raisonnables.

IV. Analyse

[14] Les décisions de l’agent sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 10). La Cour interviendra seulement si « [la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[15] Les critères de « justification, d’intelligibilité et de transparence » sont remplis si les motifs permettent à la Cour de comprendre la décision et de déterminer si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85‑86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47).

[16] Les notes que l’agent a consignées dans le SMGC font partie des motifs des décisions qui font l’objet du contrôle (Ebrahimshani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 89, au para 5).

[17] Mme Motlagh affirme que son plan d’études était raisonnable à première vue et que l’agent n’a pas fourni de justification suffisante pour conclure qu’il ne l’était pas (citant Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776, au para 7). Mme Motlagh se fonde sur les motifs du juge Nicholas McHaffie dans la décision Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596 [Afuah], lorsqu’il conclut qu’un agent des visas doit fournir des motifs suffisants, aussi succincts soient-ils, pour justifier sa conclusion relative au plan d’études (au para 10).

[18] La Cour doit être en mesure d’établir pourquoi l’agent considérait que le plan d’études était déraisonnable, ce qui va au-delà du simple fait de cerner des questions telles que le parcours scolaire, l’expérience professionnelle antérieure et les autres solutions accessibles localement. Les « autres solutions accessibles localement » en question doivent être étayées dans le dossier (Afuah, aux para 12-15).

[19] Mme Motlagh affirme que rien n’indiquait que son plan d’études était « à ce point extraordinaire pour déborder le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre » (Bao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 282, au para 7). Compte tenu de l’explication fournie par Mme Motlagh dans sa demande, la conclusion de l’agent selon laquelle son choix de programme était illogique manque d’intelligibilité et ne permet pas à Mme Motlagh de comprendre la raison de la décision.

[20] Mme Motlagh soutient également que la conclusion de l’agent selon laquelle sa famille [traduction] « ne semble pas être suffisamment bien établie » pour engager les dépenses liées au programme proposé n’était pas étayée par la preuve, compte tenu des documents qu’elle a fournis.

[21] Dans la décision Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 [Aghaalikhani], le juge Denis Gascon a annulé une décision de refuser un permis d’études parce que « rien dans les faits dont disposait l’agent ne laissait même entendre que [le demandeur] resterait au Canada illégalement à la fin de sa période d’études autorisée ». La preuve signalait plutôt le contraire. Le juge Gascon n’a pas accepté que l’agent des visas s’appuie sur les autres solutions d’études accessibles localement sans preuve de l’existence de programmes similaires dans le pays d’origine (Aghaalikhani, aux para 19-21).

[22] Je suis d’accord avec le défendeur que les protections procédurales des décisions concernant les permis d’études sont « assouplies » et se situent dans le bas du spectre (Li c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 791, au para 50). Toutefois, comme l’explique le juge Alan Diner au paragraphe 17 de la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77, les contraintes opérationnelles importantes et les ressources limitées avec lesquels les agents des visas doivent composer ne pourraient les dispenser de rendre des décisions adaptées à la trame factuelle qui leur est présentée : « Renoncer à ce que ces décisions soient fondamentalement adaptées à la preuve enlèverait à l’examen du caractère raisonnable l’élément de rigueur exigé par l’arrêt Vavilov, aux par 13, 67 et 72. »

[23] En l’espèce, les courts motifs fournis dans les notes du SMGC ne permettent pas à la Cour de comprendre le raisonnement qu’a suivi l’agent pour rejeter la demande de permis d’études de Mme Motlagh. Sa demande comprenait une explication détaillée des raisons pour lesquelles elle souhaitait poursuivre ses études dans le domaine de l’éducation. Étant donné sa longue expérience en tant qu’enseignante au secondaire, il est difficile de comprendre pourquoi l’agent a estimé que son choix était « illogique et redondant ».

[24] L’agent a fait référence à d’autres possibilités d’études accessibles localement, même si Mme Motlagh a décrit les normes pédagogiques des institutions iraniennes comme étant dépassées par rapport à celles du reste du monde. Tout comme dans la décision Aghaalikhani, cet aspect de la décision de l’agent n’était pas étayé par la preuve.

[25] Bien que le coût estimé du programme d’études de Mme Motlagh à l’Université Lakehead était élevé par rapport au revenu et aux économies de la famille, elle a fourni la preuve de sa capacité à assumer les dépenses d’au moins la première année.

V. Conclusion

[26] La demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision initiale par laquelle l’agent a rejeté la demande de permis d’études de Mme Motlagh (IMM-5166-21) est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

[27] La demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de réexamen (IMM-5165-21) est rejetée au motif qu’elle est sans objet.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision initiale par laquelle l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse (IMM-5166-21) est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. La demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de réexamen (IMM-5165-21) est rejetée au motif qu’elle est sans objet.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5165-21

IMM-5166-21

 

INTITULÉ :

MAHTAB KHANLAR MOTLAGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 juillet 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

Pour la demanderesse

 

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk and Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 

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