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Date : 20220718


Dossier : IMM‐3824‐21

Référence : 2022 CF 1061

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 juillet 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

KINGSLEY NONSO AJAH

OLUCHI THERESA NONSO‐AJAH

JOSIAH UCHECHUKWU KINGSLEY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont Mme Oluchi Theresa Nonso‐Ajah, son époux M. Kingsley Nonso Ajah et leur fils de huit ans Josiah Uchechukwu Kingsley Ajah. Les époux sont citoyens du Nigeria et leur fils est citoyen américain.

[2] Les demandeurs sont arrivés au Canada à l’automne 2016 et ont revendiqué le statut de réfugié en prenant pour assise la crainte éprouvée par Mme Nonso‐Ajah envers sa collectivité après avoir refusé de devenir prêtresse en chef. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande d’asile en 2018, après avoir jugé que M. Nonso Ajah ne pouvait se voir conférer le statut de réfugié en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés et que son épouse et leur fils pouvaient se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur à Abuja. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] les a déboutés de leur appel en 2020.

[3] Le couple a eu deux autres enfants durant leur séjour au Canada, en 2017 et en 2019. Au moment où ils ont présenté leur demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, ils attendaient la venue d’un nouvel enfant. Leur aîné, le demandeur mineur, fréquente l’école au Canada.

[4] Avant d’arriver en sol canadien, M. Nonso Ajah a travaillé dans différents endroits dans le monde, y compris au Brésil et en Afrique du Sud, pendant que Mme Nonso‐Ajah était en grande partie demeurée au Nigeria où elle a décroché son baccalauréat en économie. Depuis leur venue au Canada, les époux ont travaillé comme commis d’entrepôt chez Amazon. Ils ont aussi parfait leur scolarité et leurs compétences. De surcroît, Mme Nonso‐Ajah travaille à titre d’auxiliaire temporaire et occasionnelle en soutien aux résidents âgés. Le couple fait également du bénévolat au sein de leur église et vient en aide aux aînés de leur communauté.

[5] M. Nonso Ajah souffre de plusieurs problèmes de santé, dont la sarcoïdose pulmonaire, le diabète de type 2 et des soucis liés à son foie et à sa pression sanguine. Il subit présentement des traitements médicaux et prend divers médicaments pour se soigner.

[6] Les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Cette demande a été rejetée le 31 mai 2021 par un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

[7] J’accueille la demande, car je conclus que l’agent a commis des erreurs relativement à son évaluation du degré d’établissement des demandeurs et de la preuve relative à la situation dans le pays, plus particulièrement quant aux éléments de preuve portant sur le traitement médical disponible pour M. Nonso Ajah au Nigeria.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Les demandeurs font valoir que l’agent a commis des erreurs en évaluant (1) leur degré d’établissement, (2) les difficultés éprouvées au Nigeria; et (3) l’intérêt supérieur des enfants.

[9] Les parties conviennent que les questions en litige sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[10] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100. Pour infirmer la décision sur ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[11] Ma décision met l’accent sur deux points : l’évaluation par l’agent du degré d’établissement des demandeurs, et les conclusions tirées par celui‐ci sur les difficultés découlant des conditions défavorables dans le pays.

A. L’évaluation par l’agent du degré d’établissement était‐elle déraisonnable?

[12] À l’appui de leur demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs ont produit des éléments de preuve sur leur établissement au Canada, dont leurs relevés d’emploi, déclarations de revenus, relevés bancaires et autres documents de cette nature. Ils ont également déposé 14 lettres de soutien rédigées par leurs amis, leur propriétaire, des organisations communautaires et un député local, lesquelles témoignent de leur degré d’établissement et des liens tissés au Canada.

[13] L’agent a accordé [traduction] « un certain poids » à leur établissement, faisant remarquer que les demandeurs travaillent et jouent un rôle actif dans leur collectivité. Toutefois, il a conclu que leur degré d’établissement n’était pas [traduction] « exceptionnel par rapport à celui d’autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable et dont la durée du séjour au Canada est similaire ».

[14] Les demandeurs plaident que l’agent a choisi un critère rigoureux et impossible à remplir en exigeant qu’ils démontrent l’existence d’un degré d’établissement exceptionnel. Selon les demandeurs, ils ont montré [traduction] « leur volonté à toute épreuve de s’intégrer rapidement et de subvenir à leurs propres besoins », en plus d’élever leurs enfants. Ils mettent en exergue leurs emplois, leur stabilité financière, leur cote de crédit et leurs liens d’amitié.

[15] Les demandeurs soutiennent « qu’il n’est pas raisonnable d’exiger, sans davantage d’explications, un degré d’établissement “extraordinaire” » : Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 [Sivalingam] au para 13; Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762 au para 23; et Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 [Damian] au para 21. Ils plaident que l’agent n’a aucunement indiqué quels autres éléments de preuve montreraient un degré d’établissement « exceptionnel » et qu’il a fait défaut d’expliquer pourquoi l’ensemble de la preuve ne justifiait pas qu’on lui attribue plus de poids.

[16] Le défendeur fait valoir que l’agent a raisonnablement examiné la situation des demandeurs (y compris les efforts déployés pour travailler et parfaire leurs compétences, ainsi que leur engagement dans leur collectivité) et a accordé à leur établissement un certain poids. Selon le défendeur, l’agent a justifié sa conclusion finale sur le degré d’établissement à la lumière de la preuve, laquelle [traduction] « [n’]étayait pas le fait qu’ils s’étaient intégrés dans la société canadienne à un point tel que leur départ leur causerait des difficultés indépendantes de leur volonté et non envisagées dans la LIPR ». Le défendeur affirme qu’un désaccord quant au poids accordé à certains facteurs par l’agent ne suffit pas à infirmer la décision.

[17] Le défendeur avance également que l’agent n’a pas exigé que les demandeurs démontrent un degré d’établissement [traduction] « exceptionnel ». Ce terme était plutôt employé à des fins descriptives. Selon le défendeur, les motifs de l’agent étaient similaires à ceux confirmés par le juge Favel dans la décision Davis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 238 :

[traduction]

[43] La simple mention du mot [traduction] « exceptionnel » n’est pas la preuve que l’agent a appliqué un critère déraisonnablement rigoureux. Comme il est énoncé au paragraphe 29 de la décision Lopez Segura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 894 : « [c]e n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée ».

[18] Le défendeur invoque également la décision du juge en chef Crampton Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 [Huang] aux para 19‐20, et plusieurs décisions subséquentes, dont la décision Al‐Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1280 au para 14.

[19] À mon avis, il faut établir une distinction entre le fait de démontrer « l’existence de malheurs ou d’autres circonstances qui sont de nature exceptionnelle » (Huang, au para 20) d’une part, et celui d’atteindre un degré d’établissement [traduction] « exceptionnel » d’autre part. Le premier type d’analyse est cohérent avec l’objet même des dispositions de la LIPR relatives aux demandes de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, lequel est d’offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 338 à la page 350. La deuxième approche, à l’inverse, établit une norme artificielle relative à l’établissement à laquelle les demandeurs doivent satisfaire afin d’obtenir une réponse favorable à leur demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire.

[20] S’agissant de déterminer la différence entre les deux approches, je juge utiles les propos suivants tenus par le juge Zinn dans la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482 [Zhang] :

[23] Il existe une différence importante entre le fait de souligner que ces mesures exceptionnelles sont prévues parce que la situation personnelle particulière de certains est telle que l’expulsion les frappe plus durement que d’autres, et le fait d’affirmer que l’octroi de pareilles mesures est possible uniquement pour ceux qui font la preuve de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances exceptionnelles par rapport à d’autres. Le premier explique la raison d’être de l’exemption, tandis que le second vise à identifier les personnes susceptibles de bénéficier d’une dispense. Le second impose à l’exception une condition qui n’a pas lieu d’être.

[Souligné dans l’original.]

[21] En d’autres termes, la question n’est pas tant de savoir si le degré d’établissement des demandeurs est [traduction] « exceptionnel » ou non, mais plutôt si les circonstances particulières de l’espèce, y compris le degré d’établissement des demandeurs, est tel qu’il justifierait l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[22] Une analyse des motifs de l’agent, considérés dans leur ensemble, aidera à déterminer si l’usage du mot [traduction] « exceptionnel » instaure un critère plus rigoureux que celui prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR : Jaramillo Zaragoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 879 au para 22.

[23] Après avoir lu les motifs dans leur ensemble, je conclus que le mot [traduction] « exceptionnel » n’agit pas à titre de simple descriptif, mais que l’agent a plutôt importé une norme juridique supplémentaire dans l’analyse de la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire : Damian, au para 21.

[24] L’agent a entamé son analyse en faisant remarquer que les demandeurs [traduction] « résident au Canada depuis environ quatre ans et demi et donc, devaient avoir atteint un certain degré d’établissement ». L’agent a ensuite relevé que les demandeurs avaient démontré [traduction] « un certain degré d’établissement », avant de conclure que celui‐ci n’était pas [traduction] « exceptionnel » « par rapport à celui d’autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable et dont la durée du séjour au Canada est similaire ». Il en ressort que l’agent a adopté un certain critère pour apprécier le degré d’établissement des demandeurs par rapport à celui d’autres personnes installées depuis un laps de temps similaire au Canada. Il est possible d’en conclure que l’agent était en train de procéder à un examen sur le caractère exceptionnel de l’établissement des demandeurs, plutôt que de se demander si leur situation, prise dans son ensemble, justifierait l’octroi de la dispense exceptionnelle fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[25] J’estime également que l’agent a commis une erreur en déterminant, sans davantage d’explications, pourquoi la preuve des demandeurs ne démontrait pas [traduction] « qu’ils s’étaient intégrés dans la société canadienne à un point tel que leur départ leur causerait des difficultés indépendantes de leur volonté », et que leur degré d’établissement n’était pas [traduction] « exceptionnel par rapport à celui d’autres personnes qui se trouvent dans une situation semblable et dont la durée du séjour au Canada est similaire ». Le défaut de l’agent de fournir une explication était une erreur : Sivalingam, au para 13.

[26] La conclusion tirée par l’agent, sans plus d’explications, était déraisonnable compte tenu de la quantité d’éléments de preuve versés au dossier, lesquels visaient non seulement l’emploi des demandeurs adultes, mais également leur engagement au sein de leur église et leur soutien aux aînés. Ce manque d’explication permettrait encore de démontrer que l’agent a adopté une norme non spécifiée sur le caractère exceptionnel de l’établissement.

[27] L’espèce peut être distinguée des affaires invoquées par le défendeur, dont Buitrago Rey c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 852. Au paragraphe 84, en reprenant les propos de la décision Landazuri Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 481 aux para 36‐37, la Cour a déclaré : « le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre n’est pas un facteur déterminant dans l’issue d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaires ». Je suis d’accord. Toutefois, en l’espèce, les demandeurs ont fourni des éléments de preuve personnalisés, et le défaut de l’agent d’en tenir compte ou de se livrer à une analyse rigoureuse de ceux‐ci équivaut à une erreur susceptible de contrôle.

B. L’examen par l’agent des conditions au Nigeria était‐il déraisonnable?

[28] L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni davantage de renseignements sur les menaces faisant suite au refus de Mme Nonso‐Ajah de devenir prêtresse en chef, et que la famille pourrait déménager ailleurs au Nigeria. Sur la foi de l’expérience professionnelle et des diplômes d’études du couple, l’agent a jugé que les demandeurs seraient bien placés pour dénicher un emploi au Nigeria. Il a aussi conclu que M. Nonso Ajah pourrait obtenir les médicaments nécessaires dans ce pays. De ce fait, l’agent a accordé [traduction] « peu de poids » aux conditions défavorables dans le pays.

[29] Je ne suis pas persuadée par les arguments des demandeurs selon lesquels l’agent a commis une erreur en appliquant erronément le critère plus rigoureux associé à la preuve de l’existence d’un risque, au lieu du critère de preuve moins rigoureux associé aux difficultés. Il en va de même du fait qu’il aurait fait fi d’un état d’insécurité grandissant au Nigeria, tout comme des différences régionales qui auraient rendu un déménagement difficile. Je conviens avec le défendeur que les observations des demandeurs sur leur demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire reposaient en partie sur la même assise que leur demande d’asile rejetée, mais que, malgré tout, ils n’ont pas produit de preuve qui explique pourquoi les difficultés persistent cinq ans plus tard. Je fais également observer qu’une grande partie des arguments invoqués par les demandeurs sur ce point devant la Cour n’ont pas été présentés dans les observations sur la demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, et ont donc été soulevés d’une manière inappropriée.

[30] Cependant, j’estime bien fondé l’argument du demandeur selon lequel l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve, dont certains tirés du cartable national de documentation [le CND], qui indiquent que le traitement pour les problèmes de santé de M. Nonso Ajah ne serait pas disponible au Nigeria.

[31] Les demandeurs ont produit une abondante preuve médicale montrant les fréquentes visites de M. Nonso Ajah aux hôpitaux, cliniques médicales et spécialistes au Canada, ainsi que les diverses évaluations qu’il a subies, non seulement sur la sarcoïdose et le diabète, mais aussi sur tout un ensemble d’autres complications connexes dont la douleur neuropathique, la paralysie de Bell et une hyperglycémie diabétique comme effet secondaire de la prednisone, un médicament prescrit pour la sarcoïdose.

[32] De surcroît, sur la foi des rapports relatifs aux conditions du pays tirés du CND, les demandeurs ont compilé une liste de médicaments prescrits à M. Nonso Ajah au Canada, précisant leurs prix au Nigeria, et, en cas d’absence d’un médicament précis, le prix du médicament de substitution. Selon cette liste, certains médicaments prescrits au demandeur au Canada ne sont pas offerts au Nigeria, et il n’existe pas de médicaments de substitution.

[33] Les demandeurs ont aussi tiré du CND le rapport de 2020 du ministère de l’Intérieur du Royaume‐Uni sur le Nigeria : enjeux relatifs aux soins médicaux et au système de santé, lequel fait état de ce qui suit :

[traduction]

Il n’existe aucune institution particulière désignée pour traiter le diabète au Nigeria [...] les ressources humaines disponibles et les infrastructures sont extrêmement lacunaires dans tout le pays [...] Le traitement est disponible dans les hôpitaux publics.

[...]

Il n’existe aucun programme particulier qui offre aux patients diabétiques des soins à moindre coût. La Fédération internationale du diabète (la FID), de concert avec des spécialistes, offre de l’insuline gratuite et des dispositifs de suivi de traitement aux enfants atteints du diabète de type 1. Cette aide dépend de la disponibilité des produits et des questions de logistique locale.

[...] le traitement du diabète n’est pas offert dans l’ensemble des régions du pays. En dehors des grands centres urbains, les compétences, l’expertise et les soins multidisciplinaires structurés nécessaires pour soigner cette maladie complexe sont rarement suffisamment disponibles. Les habitants des régions éloignées du pays pourraient ne pas avoir accès à tous les médicaments. Plusieurs de ceux‐ci, surtout l’insuline (qui nécessite un entreposage à de basses températures) pourraient ne pas être disponibles.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte des conditions objectives dans le pays relativement aux soins de santé. En outre, l’agent a déclaré que bien que les médicaments soient onéreux au Nigeria, les demandeurs doivent tout de même les payer au Canada. Selon M. Nonso Ajah, cette conclusion va directement à l’encontre de la reconnaissance de l’agent quant à la difficulté qu’éprouverait le couple à dénicher un emploi. Il s’agit d’un constat que l’agent a complètement écarté lorsqu’il s’est penché sur la question de la santé du demandeur.

[35] Je souscris en partie à l’argument des demandeurs.

[36] La décision fait état de ce qui suit :

[traduction]

Les observations révèlent que les troubles médicaux [de M. Nonso Ajah] sont soignés grâce à des médicaments. Elles révèlent également que la plupart des médicaments pris [par M. Nonso Ajah] sont disponibles au Nigeria et que la plupart de ceux qui ne le sont pas disposent de solutions de remplacement adéquates. Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel les médicaments peuvent être onéreux, toutefois je constate que les demandeurs paient également des médicaments au Canada. De surcroît, je juge que si les demandeurs décrochent un emploi convenable au Nigeria, leur fardeau financier sera allégé sur ce point. Les demandeurs ont également avancé que [M. Nonjo Ajah] sera incapable de travailler en raison de ses troubles médicaux, cependant, aucun élément de preuve versé au dossier provenant d’un professionnel de la santé n’étaye cette position. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que les conditions du pays soient défavorables à un point tel qu’elles causent des difficultés pour les demandeurs.

[37] Quant à la capacité du demandeur de payer ses médicaments, je juge que l’agent n’a pas tiré de conclusions contradictoires, comme le prétendent les demandeurs. Je conviens également avec le défendeur qu’il était loisible à l’agent de se pencher sur l’emploi et les compétences des demandeurs pour évaluer leur capacité à décrocher un emploi au Nigeria et à payer les médicaments, étant donné que ces facteurs font partie des « aspects de la situation personnelle [des demandeurs] qui pourraient atténuer [leurs] difficultés » : Arsu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 617 au para 22.

[38] Toutefois, je juge déraisonnable la conclusion de l’agent portant sur les difficultés causées par les conditions défavorables dans le pays relatives aux soins de santé disponibles. Comme je l’ai noté plus haut, et comme l’agent l’a reconnu, ce ne sont pas tous les médicaments nécessaires pour M. Nonso Anja qui sont disponibles au Nigeria. Plus particulièrement, et comme confirmé par le CND, plusieurs médicaments pour le diabète, en particulier l’insuline, pourraient ne pas être disponibles. Donc, même si les demandeurs devaient se refaire une santé financière au Nigeria, ils pourraient malgré tout ne pas avoir accès aux médicaments essentiels à la survie de M. Nonso Ajah. Je considère que l’agent a commis une erreur en mettant l’accent sur la capacité des demandeurs de payer et en faisant fi de la preuve relative aux conditions dans le pays relative à la disponibilité des médicaments.

[39] Le défendeur fait valoir qu’il incombait aux demandeurs de démontrer que les médicaments n’étaient pas disponibles au Nigeria, comme cela avait été le cas dans la décision Adedeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 291 [Adedeji] au para 14, où le juge Zinn a conclu ce qui suit :

[14] La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve décrivant exactement quels seraient les soins nécessaires pour la maladie de Parkinson dont elle souffre. En fait, les renseignements qu’elle a fournis sur les médicaments dont elle a besoin sont incohérents. En outre, elle n’a pas présenté d’éléments de preuve en provenance des autorités sanitaires compétentes du Nigeria ni de toute autre personne, attestant le fait qu’il n’y a pas de traitement acceptable pour la maladie de Parkinson au Nigeria. Elle n’a pas déposé d’éléments de preuve suffisants pour se décharger de son fardeau.

[40] À mon avis, la décision Adedeji n’est pas applicable. Je constate tout d’abord que la preuve relative aux conditions défavorables dans le pays peut se présenter sous différentes formes. Elle n’est pas circonscrite aux éléments de preuves « en provenance des autorités sanitaires compétentes » du pays natal. Les demandeurs de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire utilisent souvent des documents tirés du CND comme éléments de preuve relatifs au pays de retour des demandeurs, et ce type de preuve peut être examiné par les agents d’immigration et l’a souvent été.

[41] Encore plus important, en l’espèce, les demandeurs ont produit de la preuve pertinente relative aux soins de santé, y compris les dossiers médicaux de M Nonso Ajah, la liste des médicaments qu’il prend, et des rapports tirés du CND sur les conditions dans le pays concernant la disponibilité des médicaments. Compte tenu des troubles médicaux graves et compliqués de M. Nonso Ajah et de la preuve déposée quant aux conditions défavorables qui règnent dans le pays, la conclusion de l’agent selon laquelle l’existence de telles conditions défavorables dans le pays ne causerait pas de difficultés présente des lacunes au niveau de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification et doit être écartée.

IV. Conclusion

[42] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[43] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐3824‐21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un autre agent.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‐Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐3824‐21

 

INTITULÉ :

KINGSLEY NONSO AJAH, OLUCHI THERESA NONSO‐AJAH, JOSIAH UCHECHUKWU KINGSLEY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Linda Kassim

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Linda Kassim

Lewis Legal

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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