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Date : 20220727


Dossier : T-101-22

Référence : 2022 CF 1124

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2022

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

AHZARD MOHAMMED

demandeur

et

TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 29 décembre 2021 par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a refusé la permission de faire appel de la décision de la division générale rendue le 1er novembre 2021. Le demandeur voulait que soit annulée la demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension (ou partage des crédits) que son ex-épouse Mme Ramjohn (la mise en cause) avait présentée, puis tenté de retirer quelques mois plus tard. Cela s’est passé en Ontario.

I. Contexte

[2] Le demandeur, M. Mohammed, et la mise en cause se sont mariés en mai 1974. Ils se sont séparés en février 1997, ont conclu un accord de séparation daté du 8 août 2001 et ont divorcé le 18 février 2002. L’accord de séparation prévoyait qu’il [traduction] « n’y aurait pas de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension » et qu’ils « s’engageaient à ne faire aucune démarche pouvant mener à un tel partage ».

[3] Le 3 juillet 2019, la mise en cause a présenté une demande de partage des crédits. Elle a ensuite fourni une copie du jugement accordant le divorce en novembre 2019, comme il lui avait été demandé. Le 23 décembre 2019, le ministre a envoyé une lettre au demandeur pour lui demander de confirmer certains détails concernant la cohabitation du couple.

[4] Le 30 décembre 2019, la mise en cause a tenté de retirer sa demande de partage des crédits. Le demandeur a également envoyé une lettre le 15 janvier 2020 pour solliciter le retrait de la demande de partage des crédits et demander que [traduction] « [leurs] prestations du RPC demeurent les mêmes ». Cependant, le ministre a procédé au partage des crédits le 28 janvier et a donné l’explication suivante :

[traduction]
En ce qui concerne votre lettre du 15 janvier 2020, une fois qu’une demande de partage des crédits est présentée pour des époux divorcés, selon le Régime de pensions du Canada, elle ne peut être retirée.

[5] Le demandeur a ensuite fait appel de la décision de procéder au partage des crédits. Il a présenté une demande de révision le 7 février 2020, que le ministre a rejetée le 13 août 2020. Dans sa lettre de décision, le ministre a souligné que le pouvoir discrétionnaire de Service Canada [traduction] « ne lui permet pas d’outrepasser la loi ». Selon la loi, [traduction] « le ministère est tenu d’effectuer le partage des crédits après avoir reçu une preuve suffisante qu’un divorce avait eu lieu ». Comme la mise en cause avait fourni les renseignements nécessaires, le ministre était tenu de procéder, indépendamment de toute demande de retrait.

[6] Le 31 août 2020, le demandeur a interjeté appel devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Une audience devant la division générale a eu lieu le 1er novembre 2021. Le demandeur a affirmé ce qui suit :

  • Le partage des crédits devrait être annulé, car la mise en cause a présenté une demande par erreur;

  • La mise en cause a tenté de retirer sa demande à plusieurs reprises, de sorte que sa volonté devrait être respectée;

  • De plus, l’accord de séparation conclu entre le demandeur et la mise en cause empêche le partage des crédits.

[7] Un mois plus tard, soit le 2 décembre 2021, la division générale a rejeté l’appel. Le demandeur a ensuite déposé une demande de permission de faire appel devant la division d’appel le 13 décembre 2021. Il a demandé que sa demande soit accueillie, que le partage des crédits soit annulé et que ses prestations lui soient remboursées [traduction] « en totalité ».

[8] Le 29 décembre 2021, la division d’appel a rejeté la demande de permission de faire appel de la décision.

[9] Dans ses observations, le demandeur a soutenu que la division générale avait commis les erreurs suivantes :

  • Elle a fait preuve de partialité en n’appuyant que le ministre et en ne les écoutant pas, lui et la mise en cause;

  • Elle a commis une erreur de compétence en affirmant qu’elle n’avait pas le pouvoir de changer les choses;

  • Elle a commis une erreur de droit en les obligeant, lui et la mise en cause, à faire quelque chose qu’ils avaient convenu de ne pas faire, ce qui contrevient aux droits de la personne;

  • Elle n’a pas tenu compte de la maladie du demandeur, qui l’empêche de travailler depuis 2019.

[10] Le demandeur soutient que la décision est [traduction] « déraisonnable, inéquitable, injuste et sévère [et qu’elle] manque de respect et [de transparence] ».

II. Question en litige

[11] La question en litige est de savoir si la décision de la division d’appel de rejeter la demande de permission de faire appel était raisonnable.

III. Norme de contrôle

[12] Il est bien établi en droit que la norme applicable dans le cadre du contrôle d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale est celle de la décision raisonnable (voir, p. ex., Balkanyi v Canada (Attorney General), 2021 FCA 164).

[13] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit d’abord appliquer le principe de la retenue judiciaire et témoigner d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 13 [Vavilov]). Ce faisant, elle ne se livre pas à une analyse de novo et ne cherche pas à trancher elle-même la question en litige (Vavilov, au para 83). Elle commence plutôt par les motifs du décideur administratif et apprécie le caractère raisonnable de la décision rendue pour ce qui est du raisonnement suivi et du résultat obtenu, examiné au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision (Vavilov, aux para 81, 83, 87, 99). Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible pour la personne visée, témoigne d’« une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » lorsqu’elle est lue dans son ensemble et prend en compte le contexte administratif, le dossier dont disposait le décideur et les observations des parties (Vavilov, aux para 81, 85, 91, 94-96, 99, 127-128).

IV. Analyse

(1) Dispositions législatives

[14] Le Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8, prévoit ce qui suit :

Partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

Circonstances donnant lieu au partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension

55.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 55.2 et 55.3, il doit y avoir partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension dans les circonstances suivantes :

a) dans le cas d’époux, lorsqu’est rendu un jugement accordant un divorce ou un jugement en nullité de mariage, dès que le ministre est informé du jugement et qu’il reçoit les renseignements prescrits;

(…)

Division of Unadjusted Pensionable Earnings

When mandatory division to take place

55.1 (1) Subject to this section and sections 55.2 and 55.3, a division of unadjusted pensionable earnings shall take place in the following circumstances:

(a) in the case of spouses, following a judgment granting a divorce or a judgment of nullity of the marriage, on the Minister’s being informed of the judgment and receiving the prescribed information;

(…)

Contrats ou ordonnances judiciaires sans effet à l’égard du ministre

(2) Sauf selon ce qui est prévu au paragraphe (3), sont sans effet quant au ministre en ce qui concerne le partage, en application de l’article 55 ou 55.1, des gains non ajustés ouvrant droit à pension, les dispositions d’un contrat écrit entre des personnes visées par le partage ou d’une ordonnance d’un tribunal respectivement conclu ou rendue le 4 juin 1986 ou après cette date.

Agreement or court order not binding on Minister

(2) Except as provided in subsection (3), where, on or after June 4, 1986, a written agreement between persons subject to a division under section 55 or 55.1 was entered into, or a court order was made, the provisions of that agreement or court order are not binding on the Minister for the purposes of a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1.

Contrats ayant leurs effets à l’égard du ministre

(3) Dans les cas où les conditions ci-après sont réunies, le ministre est lié par la disposition visée à l’alinéa a) et n’effectue pas le partage en application de l’article 55 ou 55.1 :

a) un contrat écrit est conclu entre les personnes visées par le partage, le 4 juin 1986 ou après cette date, et contient une disposition qui fait expressément mention de la présente loi et qui exprime l’intention de ces personnes de ne pas faire le partage, en application de l’article 55 ou 55.1, des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

b) la disposition en question du contrat est expressément autorisée selon le droit provincial applicable à de tels contrats;

c) le contrat a été conclu :

(i) dans le cas d’un partage visé par l’article 55 ou les alinéas 55.1(1)b) ou c), avant le jour de la demande,

(ii) dans le cas d’un partage visé par l’alinéa 55.1(1)a), avant que ne soit rendu un jugement accordant un divorce ou un jugement en nullité de mariage, selon le cas;

d) la disposition en question du contrat n’a pas été annulée aux termes d’une ordonnance d’un tribunal.

Agreement binding on Minister

(3) Where

(a) a written agreement between persons subject to a division under section 55 or 55.1 entered into on or after June 4, 1986 contains a provision that expressly mentions this Act and indicates the intention of the persons that there be no division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1,

(b) that provision of the agreement is expressly permitted under the provincial law that governs such agreements,

(c) the agreement was entered into

(i) in the case of a division under section 55 or paragraph 55.1(1)(b) or (c), before the day of the application for the division, or

(ii) in the case of a division under paragraph 55.1(1)(a), before the rendering of the judgment granting a divorce or the judgment of nullity of the marriage, as the case may be, and

(d) that provision of the agreement has not been invalidated by a court order,

that provision of the agreement is binding on the Minister and, consequently, the Minister shall not make a division under section 55 or 55.1.

[15] L’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social (LC 2005, c 34) [la LMEDS] prévoit ce qui suit :

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

(3) Elle accorde ou refuse cette permission.

(4) Elle rend une décision motivée par écrit et en fait parvenir une copie à l’appelant et à toute autre partie.

[Non souligné dans l’original.]

58 (1) The only grounds of appeal are that

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it..

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

(3) The Appeal Division must either grant or refuse leave to appeal.

(4) The Appeal Division must give written reasons for its decision to grant or refuse leave and send copies to the appellant and any other party.

[Emphasis added]

[16] Le fait d’avoir une chance raisonnable de succès consiste, autrement dit, à disposer de « certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115 au para 12).

(2) Conseils et erreur

[17] Le demandeur a relaté une conversation qu’il a eue avec un conseiller juridique pour faire état de ce qu’il considérait comme de mauvais conseils juridiques. Selon lui, ces conseils étaient, du moins en partie, à l’origine des problèmes sous-jacents à la présente demande.

[18] En ce qui concerne les conversations entre l’avocat du défendeur et le demandeur, le décideur n’en avait pas connaissance, puisqu’elles avaient manifestement eu lieu après qu’il a rendu sa décision. De tels éléments de preuve ne sont habituellement pas admissibles. Comme l’a affirmé le juge Stratas dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright], « le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission ».

[19] Cette règle souffre quelques exceptions, quoique limitées, qui sont énumérées au paragraphe 20 de l’arrêt Access Copyright et qui visent particulièrement les éléments de preuve qui a) contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire; b) sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; ou c) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.

[20] Le demandeur n’a pas soutenu que les conversations étaient admissibles en preuve au motif qu’elles faisaient partie de l’une de ces exceptions, et je ne juge pas opportun de les appliquer. En fait, il les présente maintenant pour renforcer son argument selon lequel on lui avait dit que la demande pouvait être retirée. Ces exceptions sont, comme leur nom l’indique, exceptionnelles et exigent la présence de circonstances importantes, ce que le demandeur n’a pas démontré en l’espèce. Je ne tiendrai pas compte de ces nouveaux éléments de preuve.

[21] Je souligne également que le demandeur fait valoir que Service Canada a induit en erreur la mise en cause en lui disant qu’elle pourrait retirer sa demande de partage des crédits. Le demandeur soutient que la mise en cause et lui se sont fait faire beaucoup de promesses et ont reçu de nombreux messages contradictoires de la part du défendeur.

[22] Dans son argumentaire, le demandeur a répété à maintes reprises que la mise en cause avait simplement fait une erreur. Selon lui, comme tout le monde fait des erreurs, le partage des crédits devrait pouvoir être annulé. À l’audience, il a déclaré que la mise en cause avait demandé le partage par erreur, car elle croyait qu’il s’agissait simplement de quelque chose que le gouvernement payait et dont elle pouvait bénéficier.

[23] Le demandeur a fait valoir qu’étant donné que la mise en cause a convenu avec lui que le partage des crédits devait être annulé, il devrait l’être. Dans sa plaidoirie, le demandeur a affirmé que son avocat lui avait dit que l’accord de séparation ferait en sorte d’annuler le partage des crédits. Étant donné que la mise en cause et lui avaient appelé Service Canada à plusieurs reprises et lui avaient envoyé plusieurs lettres pour l’informer qu’ils avaient convenu de retirer la demande, le demandeur se demande pourquoi la décision leur est imposée alors qu’elle va à l’encontre de leurs souhaits. Il affirme que la mise en cause [traduction] « s’est repentie ». Il soutient qu’il s’agissait d’une erreur administrative.

[24] L’argument du demandeur selon lequel la mise en cause avait commis l’erreur en raison de renseignements reçus de la part de fonctionnaires gouvernementaux n’est pas suffisamment étayé, de sorte qu’il doit être rejeté. Il s’agit d’un cas où la loi est claire et sans équivoque : en Ontario, une demande de partage des crédits ne peut être retirée. Ainsi, le fait qu’on leur ait dit ou non que la demande pouvait être retirée après le partage des crédits n’est pas pertinent.

[25] Je comprends bien que tout le monde fait des erreurs. Il ne s’agit toutefois pas d’un argument convaincant en l’espèce. Le demandeur avance l’argument selon lequel le défendeur n’a fait preuve d’aucune compassion, même si tout le monde fait des erreurs. Je comprends fort bien le demandeur et sa situation. Néanmoins, les principes établis dans l’arrêt Vavilov énoncent clairement que la loi habilitante est la plus grande contrainte du décideur. Lorsque le décideur rend une décision raisonnable, la Cour ne peut l’infirmer. C’est la juge Kane qui a le mieux résumé la question au paragraphe 38 de la décision Kinsella c Canada (Procureur général), 2019 CF 429 :

Le rôle de la Cour, tel qu’il a été décrit ci‑dessus, est très limité. En l’absence d’erreur de la part de la division d’appel, la Cour ne peut que confirmer la décision rendue. Elle ne peut pas modifier les dispositions de la loi pour tenir compte de situations particulières. En ce qui concerne le commentaire de M. Kinsella concernant la nécessité de tenir compte des considérations d’ordre humanitaire, la Cour d’appel fédérale a récemment déclaré dans l’arrêt Wilson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 49, au paragraphe 14, que [traduction] « la loi sous sa forme actuelle doit être appliquée, et la Cour n’a pas pour rôle de rendre des décisions d’ordre humanitaire ». Malheureusement, dans le contexte des décisions liées au RPC prises en vertu de la loi sur le RPC, la Cour n’a pas compétence pour accorder un redressement qui n’est pas prévu dans le RPC.

(Voir aussi O’Rourke c. Canada (Procureur général), 2018 CF 498 au para 21.)

[26] Je prends acte des arguments du demandeur selon lesquels il subira une perte importante de ses prestations du Régime de pensions du Canada en raison de l’incapacité du défendeur à rendre une décision équitable et juste et à faire preuve de compassion. Cependant, je suis d’avis que la division d’appel a dûment tenu compte des observations du demandeur concernant sa maladie et sa perception d’avoir fait l’objet d’un traitement inéquitable. La loi ne confère aucun pouvoir discrétionnaire permettant de rendre une décision différente une fois le partage des crédits effectué. Citant l’arrêt Wilson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 49, le défendeur fait valoir que « la loi telle qu’elle est rédigée doit être appliquée et [qu’]il n’appartient pas à la Cour de rendre des décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ».

[27] Je prends acte de l’observation du demandeur selon laquelle il est contraint par une décision qui va à l’encontre de ses souhaits explicites et de ceux de la mise en cause. Cependant, il avance des arguments qui sont contraires aux dispositions de la loi. La Cour s’attend à ce que les décideurs concernés respectent la loi, et le demandeur doit faire de même.

[28] La division d’appel a donc raisonnablement conclu qu’elle ne peut prendre aucune mesure correctrice équitable ni aucune mesure correctrice qui n’est pas prévue par la loi.

(3) Partialité

[29] Le demandeur soutient que le défendeur a agi de manière inappropriée et qu’il a fait preuve de partialité. Je ne suis pas de cet avis et j’estime que le demandeur n’a présenté aucune preuve à l’appui de son argument.

La jurisprudence constante en matière de partialité est bien exposée dans l’arrêt Younis c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2021 CAF 49. Citant l’arrêt Miglin c Miglin, 2003 CSC 24 [Miglin], la Cour d’appel fédérale a confirmé que le critère est celui « de savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité » (au para 35). « Une allégation ne suffit pas » pour conclure à une partialité (au para 35). Elle a également confirmé que l’analyse est « intrinsèquement contextuelle et fonction des faits » et que le fardeau d’établir la partialité qui incombe à la partie qui en allègue l’existence est donc élevé (au para 36).

[30] En réponse à l’argument du demandeur concernant la partialité, la division d’appel a examiné la preuve, a appliqué les bons principes de droit et a souligné que les parties avaient reçu un préavis suffisant et avaient eu l’occasion de présenter leurs arguments. Je souscris également à la conclusion de la division d’appel selon laquelle le fait de contester une décision ne constitue pas une preuve de partialité en soi.

[31] Le demandeur fait une simple allégation sans l’étayer par des éléments de preuve substantiels qui satisfont au critère établi dans l’arrêt Miglin. Je conclus qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau élevé qui lui incombe pour alléguer que la division d’appel et la division générale ont fait preuve de partialité.

(4) Erreur de droit – interprétation législative

[32] Le demandeur soutient qu’une erreur d’interprétation législative a été commise. Je ne suis pas d’accord. Je juge que la division d’appel a raisonnablement conclu que la division générale a correctement exercé le pouvoir que lui confère le paragraphe 54(1) de la LMEDS. La division d’appel a dûment examiné l’allégation du demandeur à cet égard.

[33] Aux termes du paragraphe 54(1) de la LMEDS, « [l]a division générale peut rejeter l’appel ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre ou la Commission aurait dû rendre ». Il ressort d’une simple lecture de cette disposition que la division générale peut rejeter ou confirmer l’appel et qu’elle a le pouvoir discrétionnaire de rendre une décision, pourvu que celle-ci satisfasse aux principes établis dans l’arrêt Vavilov. Je le répète, le fait de contester l’issue — par exemple, préférer que la division générale confirme l’appel plutôt que l’infirme — ne signifie pas qu’il y a erreur de compétence. La division d’appel a donc raisonnablement conclu que la division générale a correctement exercé le pouvoir que lui confère la LMEDS.

[34] La division d’appel a raisonnablement conclu que la division générale a bien interprété l’article 55 du Régime de pensions du Canada, qui impose le partage des crédits après avoir donné un avis au ministre, sans possibilité en Ontario de retirer la demande. Compte tenu du caractère obligatoire de la loi, la division d’appel a raisonnablement conclu que l’appel du demandeur n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[35] Lorsqu’elle examine le caractère raisonnable de l’interprétation législative de la division d’appel, la Cour doit se demander si la décision : 1) montre que le décideur était conscient des éléments essentiels du texte, du contexte et de l’objet; 2) présente un aspect omis important qui ne peut se dégager implicitement des motifs; 3) est conforme au texte, au contexte et à l’objet de la disposition; et 4) est honnête (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 42, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada (la CSC) accueillie, no 39855 (2022-03-03)).

[36] De plus, dans l’arrêt Vavilov, la CSC a déclaré que le régime législatif applicable est probablement « l’aspect le plus important du contexte juridique d’une décision donnée ». Les décideurs administratifs comme la division d’appel tiennent leurs pouvoirs d’une loi et ils ne peuvent pas ignorer ou réécrire les lois adoptées par le Parlement (Vavilov, au para 108).

[37] Il n’y a pas d’omission déraisonnable dans la décision de la division d’appel de confirmer l’interprétation que fait la division générale du caractère obligatoire du partage des crédits. L’alinéa 55.1a) prévoit clairement que le ministre est tenu de procéder au partage des crédits dès qu’il est informé du jugement accordant le divorce et qu’il reçoit les renseignements prescrits. L’emploi du mot « doit » (« shall » dans la version anglaise) signifie que le ministre doit impérativement effectuer le partage des crédits. Il ne confère aucun pouvoir discrétionnaire résiduel au décideur (Canada c Callidus Capital Corporation, 2017 CAF 162 au para 24, citant Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd (Canada, LexisNexis, 2014), aux p 91-92; voir aussi la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, art 11).

[38] Il n’y a pas non plus d’omission déraisonnable dans la décision de la division d’appel de confirmer l’interprétation que fait la division générale du caractère non contraignant de l’accord de séparation. Le paragraphe 55.2(3) du Régime de pensions du Canada énonce les conditions à remplir pour que le ministre soit lié par un contrat. Là encore, la disposition utilise le mot « shall » dans la version anglaise (le verbe est au présent dans la version française) pour dire que le ministre « n’effectue pas le partage en application de l’article 55 ou 55.1 ». Aux termes de l’alinéa 55.2(3)b), pour que le ministre soit lié par un contrat, la disposition en question du contrat doit être « expressément autorisée selon le droit provincial applicable à de tels contrats ».

[39] En l’espèce, l’accord de séparation du demandeur et de la mise en cause a été signé en Ontario, où aucune loi n’autorise l’annulation du partage des crédits. Ce n’est qu’en Saskatchewan, au Québec, en Alberta et en Colombie-Britannique qu’il existe de telles dispositions (Service Canada, Comment présenter une demande de division des crédits de pension du Régime de pensions du Canada, formulaire no ISP-1901A (Ottawa, Service Canada, 25 mai 2022)). Je conclus donc que la division d’appel connaissait le libellé du Régime de pensions du Canada, l’a respecté et n’a commis aucune omission importante. Elle a, de façon raisonnable, confirmé l’interprétation qu’a faite la division générale de l’article 55.

[40] La division d’appel ne s’est pas fondamentalement méprise sur la preuve qui lui a été soumise ni n’a omis d’en tenir compte. Il était raisonnable de sa part de conclure que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès lorsque la loi ne permet pas une interprétation autre que celle qui a été appliquée.

V. Conclusion

[41] La décision de la division d’appel était raisonnable. Elle est parvenue à une décision en suivant un raisonnement convaincant compte tenu des contraintes législatives et jurisprudentielles. La demande sera rejetée.

[42] Le défendeur n’a pas sollicité de dépens, et aucuns ne sont adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-101-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-101-22

 

INTITULÉ :

AHZARD MOHAMMED c TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Ahzard Mohammed

 

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

Andrew Kirk

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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