Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220726


Dossier : IMM-6150-21

Référence : 2022 CF 1114

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

BAKHTIAR HOSSAIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Bakhtiar Hossain, est un citoyen de l’Inde qui demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant le rejet de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. M. Hossain allègue qu’il a dû quitter l’Inde à cause de la persécution dont il était victime de la part d’extrémistes hindous au sein du Rashtriya Swayamsevak Sang [RSS ou corps des volontaires nationaux], du Bharatiya Janata Party [BJP ou parti du peuple hindou] et du parti Shiv Sena, parce qu’il exploitait une entreprise de commerce et d’abattage de vaches dont il vendait la viande, qu’il était musulman et qu’il était membre du Trinamool Congress Party [parti TMC], un parti politique qui défend les intérêts des musulmans.

[2] La question déterminante, à la fois pour la SPR et la SAR, portait sur la crédibilité de M. Hossain. Je ne crois pas que la SAR ait commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Hossain; par conséquent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II. Faits et procédures

[3] M. Hossain est musulman et il est né en Inde, où vivent toujours sa femme et ses fils jumeaux dans l’État du Bengale-Occidental; il affirme être un négociant en vaches, qui achète des vaches et les vend à des abattoirs, et l’essentiel de ses activités se déroulent lors de la fête islamique annuelle du sacrifice [Aïd al-Adha]. Selon son exposé des faits, il faisait également l’abattage de vaches dont il vendait la viande. L’abattage des vaches est un commerce réglementé dans la plupart des États de l’Inde, mais il ne l’est pas au Bengale-Occidental où aucune restriction ne s’applique. M. Hossain allègue avoir également travaillé pour une société immobilière et avoir importé des vêtements de Chine. Il a commencé à soutenir le parti TMC en 2014.

[4] En mars 2017, le BJP a ordonné la fermeture de nombreux abattoirs et boucheries, ce qui a provoqué des actes de violence et des protestations. M. Hossain prétend avoir été attaqué par des membres du RSS, en avril 2017. Il est alors allé se cacher au domicile d’un ami de son beau-frère et, en mai 2017, il s’est rendu aux États-Unis d’Amérique dans l’espoir que la poussière retombe; il n’a pas présenté de demande d’asile dans ce pays et il est retourné en Inde au bout d’une semaine. De fait, il a été établi que M. Hossain était allé à New York avec un ami cette semaine-là pour des vacances. M. Hossain n’a pas présenté de demande d’asile à l’époque parce qu’il disait être inquiet pour sa famille restée au pays, même s’il affirmait craindre pour sa vie s’il devait retourner en Inde. M. Hossain n’a fourni aucune raison pour expliquer pourquoi il était parti en vacances alors qu’il était « inquiet » pour sa famille restée au pays.

[5] Quelques mois après son retour en Inde, M. Hossain a repris ses activités commerciales; cependant, il aurait prétendument continué de faire l’objet de harcèlement et de menaces de la part d’agresseurs et de membres du RSS et du BJP. M. Hossain a de nouveau quitté l’Inde, cette fois-ci en novembre 2017, à destination du Canada; il n’a toutefois pas présenté de demande d’asile et il est retourné en Inde environ trois semaines plus tard, soi-disant parce que sa famille lui manquait, bien qu’il ait, là encore, invoqué des vacances pour justifier sa venue au Canada.

[6] À son retour en Inde, M. Hossain a cessé son commerce de vaches jusqu’en juin 2018, puis il a commencé à faire le commerce et le transport d’animaux du sacrifice, en prévision de la célébration de l’Aïd al-Adha qui devait se tenir en août 2018. Durant la nuit du 19 août 2018, M. Hossain prétend que de 15 à 20 personnes l’ont attaqué à coups de bâtons alors qu’il se trouvait dans son hangar abritant les vaches; durant cette attaque, il aurait été sévèrement battu et il aurait même, selon lui, frôlé la mort, ayant subi des blessures à la tête, aux épaules, au dos, aux jambes et au pied [l’attaque d’août 2018]. Durant son témoignage, M. Hossain a déclaré qu’il n’avait pas consulté de médecin à l’époque, parce qu’il aurait eu d’abord à signaler l’incident à la police et à présenter un premier rapport d’information [FIR] concernant l’incident et qu’il craignait des représailles de la part du RSS et du BJP s’il se plaignait à la police, laquelle aurait de toute façon refusé de l’aider. M. Hossain allègue que ses agents de persécution voulaient l’assassiner à cause de son commerce de vaches; il s’est donc caché dans la maison de l’ami de son beau-frère. Il affirme avoir tenté de quitter l’Inde en septembre 2018, mais il en a été empêché à l’aéroport à cause d’un problème avec son visa d’entrée aux États-Unis.

[7] Il allègue en outre que, le 10 février 2019, alors qu’il se rendait à son domicile pour rendre visite à sa mère, à son épouse et à ses fils, des extrémistes hindous, membres du RSS et du BJP, ont lancé une attaque contre son domicile dans le but de le trouver et de le tuer [l’attaque de février 2019]; il n’était pas présent au moment de l’agression, mais les assaillants ont battu sa mère. M. Hossain est revenu dans la soirée pour constater les conséquences de l’agression et, voyant l’état de sa mère, il l’a emmenée à l’hôpital où elle est décédée des suites de ses blessures un mois plus tard, après être restée dans le coma pendant près de trois semaines. Devant la SPR, M. Hossain a témoigné que sa mère avait reçu des soins médicaux pour ses blessures sans avoir à déposer un FIR auprès de la police. Quoi qu’il en soit, il semble que les agents de persécution de M. Hossain soient revenus à son domicile le lendemain, le 11 février 2019, et aient de nouveau lancé une attaque; cette fois encore, il n’était pas à son domicile, mais les agresseurs ont harcelé son frère et sa belle-sœur afin qu’ils leur disent où se trouvait M. Hossain. À la suite de ces attaques, M. Hossain a fui l’Inde et il est arrivé au Canada le 13 février 2019; ce n’est toutefois que quatre mois plus tard, vers la fin de juin 2019, qu’il a présenté une demande d’asile. L’objectif déclaré de M. Hossain est de parrainer ultimement la venue de sa famille au Canada.

III. Les décisions sous-jacentes

[8] La SPR, dans une décision datée du 1er février 2021, a conclu que les allégations principales de M. Hossain manquaient de crédibilité et que les éléments de preuve qu’il avait présentés étaient insuffisants pour étayer sa demande. La SPR a d’abord conclu que M. Hossain n’éprouvait pas une crainte subjective véritable, car il a tardé à quitter l’Inde, qu’il a continué de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité et qu’il a tardé à présenter une demande d’asile après son arrivée au Canada. La SPR a également relevé d’importantes incohérences relativement à la prétendue nature des activités de M. Hossain à titre de négociant en bétail, ainsi qu’aux dates auxquelles il aurait travaillé dans le secteur de l’immobilier et du commerce de vêtements; aucune preuve corroborante sur ses activités de négociant en bétail n’a été présentée. La SPR a aussi formulé une conclusion quant à la crédibilité de M. Hossain, du fait que ce dernier n’avait pas consulté de médecin après l’attaque d’août 2018 alors qu’il prétendait avoir frôlé la mort, et cela a amené la SPR à conclure que M. Hossain n’avait probablement pas été agressé ce jour-là; contrairement à ce que prétendait M. Hossain, la SPR a jugé que la preuve matérielle ne corroborait pas ses allégations qu’il devait d’abord remplir un rapport de police et présenter un FIR à propos de l’incident avant qu’un médecin puisse traiter ses blessures.

[9] De plus, la SPR ne croyait pas que l’hospitalisation de la mère de M. Hossain était due à l’attaque présumée de février 2019, ni même qu’il y avait vraiment eu agression, car M. Hossain n’a présenté aucun dossier d’hospitalisation dans lequel était indiqué le diagnostic de sa mère et que le certificat de décès de sa mère ne précisait pas qu’elle était décédée des suites de traumatismes physiques. Dans l’ensemble, la SPR a conclu que, non seulement le témoignage M. Hossain, mais aussi les affidavits non signés de son frère et de son épouse appuyant la fausse déclaration concernant l’agression de sa mère durant l’attaque de février 2019, était inexacts, malhonnêtes, peu fiables et non crédibles. Quant aux présumées blessures subies par l’épouse de M. Hossain durant l’attaque de février 2019, aucun rapport médical n’a été produit; M. Hossain a expliqué qu’aucun rapport médical n’est délivré lorsque le patient est simplement traité à l’hôpital sans y être admis. La SPR n’a pas accepté cette excuse et elle a conclu, en l’absence de tout rapport médical et en raison de l’imprécision du témoignage de M. Hossain au sujet du traitement de son épouse, qu’elle ne croyait pas que l’épouse de M. Hossain avait été attaquée et blessée en février 2019, comme le prétendait ce dernier.

[10] La SPR a aussi conclu que les incohérences entre le témoignage de M. Hossain et l’affidavit de son frère – quant à savoir si son frère était présent ou non le jour de l’agression et quant à l’endroit où son frère se trouvait le lendemain, lorsque les agresseurs l’auraient prétendument blessé – minaient sa crédibilité. Enfin, la SPR a conclu que M. Hossain n’avait pas établi qu’il existait un risque sérieux qu’il soit persécuté du fait de son affiliation au parti TMC ou du fait qu’il était musulman, car l’Inde est régie par un système démocratique et qu’il n’a pas été démontré que la protection de l’État est généralement inadéquate envers les musulmans.

[11] La question déterminante devant la SAR concernait la crédibilité de M. Hossain. Avec la mise en état de sa demande, M. Hossain a présenté, à titre de nouveaux éléments de preuve déposés en application du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], un affidavit qui ne fait que renvoyer à d’autres affidavits à venir mais qui n’ont pas été déposés ou joints à son affidavit. La SAR a conclu que l’affidavit de M. Hossain était purement argumentatif et qu’il ne faisait que reproduire le mémoire qu’il avait présenté à la SAR et qui exposait les raisons pour lesquelles il estimait que la décision de la SPR était erronée. Il ne s’agissait donc pas de nouveaux éléments de preuve répondant au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la Loi, et la SAR a refusé de les admettre.

[12] Plusieurs mois plus tard, après la mise en état de son appel, M. Hossain a déposé une demande en vue de présenter une nouvelle preuve, conformément à l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257. La SAR a examiné les exigences prévues à l’article 29 pour la présentation d’une nouvelle preuve après la mise en état d’un appel, conjointement avec les critères à respecter pour admettre cette nouvelle preuve selon le paragraphe 110(4) de la Loi et les autres facteurs énoncés dans les arrêts Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385. La SAR a refusé d’admettre toute nouvelle preuve. Comme M. Hossain ne conteste pas, dans la présente demande de contrôle judiciaire, le refus de la SAR d’accepter la nouvelle preuve, je n’en dirai pas plus sur cette question.

[13] Dans une décision rendue le 12 août 2021, la SAR a rejeté l’appel de M. Hossain, convenant avec la SPR que ce dernier n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles permettant d’étayer une véritable crainte subjective de retourner en Inde, compte tenu du fait qu’il a décidé de partir en vacances alors qu’il prétendait craindre pour le bien-être de sa famille, qu’il s’est réclamé à plusieurs reprises de la protection de son pays de nationalité et qu’il a tardé à finalement présenter une demande d’asile après son arrivée au Canada, en 2019; son excuse, selon laquelle il avait promis à sa mère de ne jamais retourner en Inde, de même que son intention de parrainer son épouse et ses enfants une fois au Canada, n’ont tout simplement pas permis de justifier son retard à présenter sa demande d’asile.

[14] En ce qui concerne l’attaque présumée d’août 2018, M. Hossain affirme que la SPR s’est méprise sur son témoignage; il prétend avoir déclaré qu’il ne pouvait pas demander une assistance médicale, parce que les médecins auraient alors été tenus de signaler ses blessures à la police, ce qui aurait mis sa vie en danger [non souligné dans l’original]. Après avoir examiné la transcription de l’audience, la SAR a conclu que l’argument de M. Hossain était sans fondement; la SPR n’a pas mal interprété son témoignage quant à la raison pour laquelle il n’avait pas cherché à obtenir une aide médicale après l’agression et elle a conclu qu’il avait simplement omis de fournir une preuve matérielle pour étayer ses affirmations concernant ses blessures. Par conséquent, la SAR a jugé que la preuve était insuffisante pour établir la validité de l’attaque d’août 2018.

[15] La SAR a conclu que les éléments de preuve que M. Hossain avait présentés sur la période durant laquelle il avait dû se cacher à la suite de l’attaque du 19 août 2018 étaient vagues et embrouillés et, donc, qu’il n’avait pu établir avec une preuve suffisamment crédible qu’il avait été forcé de se cacher. La SAR a également conclu que la preuve à l’appui était insuffisante pour compenser les problèmes liés à la crédibilité de M. Hossain et à son absence de crainte subjective. La SAR a convenu avec la SPR que les affidavits à l’appui présentés par M. Hossain manquaient de valeur probante, car ils comportaient des omissions et des incohérences qui soulevaient plus de questions qu’elles n’apportaient de réponses; de même, la preuve établissant que la mère de M. Hossain était décédée des suites de l’attaque du 10 février 2019 était elle aussi insuffisante.

[16] La SAR a conclu que, même si M. Hossain avait touché au commerce des vaches, il n’était plus exposé à des risques dans l’avenir, car il avait cessé ce commerce et que sa famille n’a pas eu d’autres problèmes. Enfin, la SAR a conclu que le risque que M. Hossain soit victime de persécution du fait qu’il est musulman ne demeure rien de plus qu’une simple possibilité.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[17] La seule question en litige soulevée par M. Hossain dans la présente demande de contrôle judiciaire est de déterminer si la décision de la SAR est déraisonnable et, plus précisément, de savoir si la SAR a commis une erreur en écartant des éléments de preuve et en évaluant la crédibilité de M. Hossain. La norme de contrôle applicable pour juger du bien-fondé de la décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable, qui consiste à déterminer si le raisonnement suivi par le décideur est justifié, transparent et intelligible (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 99, 101 [Vavilov]).

V. Analyse

[18] M. Hossain prétend que la SAR a commis une erreur en écartant certains éléments de preuve et en rejetant de manière déraisonnable ses explications concernant les conclusions relatives à sa crédibilité, et il invoque une série de conclusions de la SAR pour étayer sa cause.

[19] L’attaque présumée d’août 2018 est un événement que M. Hossain juge essentiel à sa demande, car c’est ce qui l’a amené à se cacher et finalement à fuir au Canada. M. Hossain affirme que la SAR s’est concentrée sur l’absence de rapport médical, alors qu’il a déclaré durant son témoignage qu’il lui aurait été impossible d’obtenir ce rapport sans d’abord signaler l’incident à la police. Cependant, M. Hossain affirme que le problème ne vient pas du fait qu’il n’a pas pu obtenir de rapport médical, mais plutôt qu’il estimait qu’il lui était même impossible de se rendre à l’hôpital pour consulter un médecin sans d’abord déposer un FIR à la police.

[20] Quoi qu’il en soit, M. Hossain affirme que la décision de la SAR ne porte pas sur l’essentiel. Il reconnaît s’être trompé en pensant qu’il devait d’abord se rendre au poste de police et déposer un FIR avant de consulter un médecin. La SAR savait, ou aurait dû savoir, que ce qu’il croyait était erroné et elle l’a même mentionné dans sa décision; M. Hossain reconnaît maintenant que l’obligation de signaler un incident à la police n’incombe pas à la personne blessée, mais au médecin si celui-ci soupçonne que les blessures sont le résultat d’un acte criminel. M. Hossain fait maintenant valoir que la SAR, sachant qu’il en est ainsi, aurait dû se rendre compte que la raison pour laquelle il n’avait pas consulté de médecin était parce qu’il croyait, à tort, qu’il devait d’abord se rendre au poste de police pour déposer un FIR sur l’incident; la question n’est donc pas de savoir qui avait l’obligation de signaler l’incident à la police, mais plutôt de reconnaître que M. Hossain ne voulait pas que la police intervienne parce qu’il craignait d’avoir des ennuis.

[21] Je n’arrive pas à suivre le raisonnement de M. Hossain. Tout d’abord, son témoignage devant la SPR ne laisse aucun doute quant à la raison pour laquelle il n’a pas consulté de médecin : il croyait qu’il devait d’abord se rendre au poste de police pour déposer un FIR sur l’incident et que, même s’il l’avait fait, la police ne l’aurait pas aidé, ne l’aurait pas autorisé à déposer le FIR et l’aurait renvoyé à ses agresseurs. Puis, devant la SAR, M. Hossain a soutenu que la SPR avait mal interprété son témoignage et que, ce qu’il avait dit en fait était qu’il ne pouvait pas consulter de médecin, car celui-ci aurait été obligé de signaler ses blessures à la police, ce qui aurait mis sa vie en danger; en d’autres termes, ce que M. Hossain a fait valoir devant la SAR était qu’il craignait ultimement l’intervention de la police, et il a reconnu qu’en Inde c’était aux médecins qu’incombait la responsabilité de signaler à la police tout signe d’activité criminelle. Comme je l’ai mentionné précédemment, après avoir examiné le témoignage de M. Hossain, la SAR a souscrit à l’interprétation que la SPR en avait faite et elle a convenu que cela mettait même en doute l’attaque d’août 2018.

[22] Devant notre Cour, toutefois, M. Hossain semble revenir à sa première version sur ce qu’il aurait, ou n’aurait pas, dit durant son témoignage, la version qui, selon son témoignage devant la SAR, a été mal interprétée par la SPR – celle où il dit ne pas avoir consulté de médecin car il croyait qu’il devait d’abord se présenter à la police et déposer un FIR – devant notre Cour, toutefois, il ajoute un élément nouveau en faisant valoir que la SAR aurait dû se rendre compte que son raisonnement était clairement erroné et qu’elle n’aurait pas dû invoquer la raison pour laquelle il n’avait pas consulté de médecin pour mettre en doute sa crédibilité. M. Hossain allègue que la SAR savait qu’en Inde il était de la responsabilité du médecin de signaler à la police les blessures susceptibles d’avoir été causées par un acte criminel, car elle le mentionne dans sa décision et qu’elle renvoie à la section pertinente de la preuve matérielle. C’est peut-être vrai; cependant, devant la SAR, M. Hossain était lui aussi au fait de la véritable situation en Inde, puisqu’il en a fait mention dans ses arguments présentés à la SAR et qu’il a demandé à la SAR d’interpréter son témoignage devant la SPR en fonction de cette situation; en d’autres termes, pour reprendre les propos désormais célèbres de George Costanza, [traduction] « ce n’est pas un mensonge... si vous y croyez » et, en l’espèce, puisque M. Hossain ne mentait pas, sa croyance erronée pour justifier le fait qu’il n’avait pas consulté de médecin ne devrait pas être utilisée contre lui.

[23] Pour ma part, et faisant abstraction du fait que ce nouvel « élément » n’a pas été présenté à la SAR, je crains de ne pas pouvoir être d’accord avec M. Hossain. Je conviens avec la SAR que cela met en doute la crédibilité de M. Hossain; la SPR et la SAR ont toutes les deux jugé que le motif invoqué par M. Hossain pour ne pas consulter de médecin, alors qu’il prétendait avoir frôlé la mort à cause des coups qu’il avait reçus, n’était tout simplement pas crédible, et cela les a amenées à conclure, en tenant compte également de leurs autres observations, que l’attaque d’août 2018 n’avait jamais eu lieu. Je ne vois rien de déraisonnable dans une telle conclusion. J’accepte également que le simple défaut de produire un rapport médical comme preuve corroborante de l’agression ne signifie pas que le témoignage de M. Hossain sur les blessures qu’il a subies n’est pas crédible, mais ce n’est pas non plus l’interprétation que la SPR et la SAR en ont faite. Le problème ne vient pas de l’absence de preuve corroborante de l’agression, mais du fait que M. Hossain n’a même pas tenté d’obtenir une aide médicale, ainsi que de la manière dont M. Hossain a ensuite tenté d’expliquer cela, ce qui a amené la SPR et la SAR à déterminer que, selon toute vraisemblance, l’attaque d’août 2018 n’avait jamais eu lieu et que le témoignage de M. Hossain sur cette agression n’était pas crédible. La SAR a examiné la transcription du témoignage et a conclu qu’en définitive la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable à l’égard de l’explication que M. Hossain avait fournie pour justifier le fait qu’il n’avait consulté de médecin. Je ne vois rien de déraisonnable dans l’évaluation que la SAR a faite du témoignage de M. Hossain.

A. Affidavit du frère de M. Hossain

[24] M. Hossain affirme que la SAR ne peut pas, d’une part, accorder une faible valeur probante à l’affidavit de son frère parce qu’il n’est pas signé et, d’autre part, invoquer cet affidavit pour discréditer le témoignage de M. Hossain à cause d’incohérences entre ce témoignage et l’affidavit de son frère; M. Hossain fait valoir que la SAR ne peut pas avoir gain de cause sur les deux tableaux : soit l’affidavit a peu de valeur probante et ne peut être invoqué, soit il peut l’être.

[25] M. Hossain prétend en outre que la SAR a mal interprété l’affidavit de son frère; à un moment donné, son frère déclare que M. Hossain a été attaqué à de multiples reprises par des justiciers et il déclare ensuite, au sujet plus précisément de l’attaque d’août 2018, que le domicile de M. Hossain a été [traduction] « attaqué par des justiciers qui lui ont volé tout son bétail ». M. Hossain affirme que la SAR n’a pas fait une interprétation équitable et raisonnable de l’affidavit de son frère lorsqu’elle a jugé que le fait que le frère ait qualifié l’attaque d’août 2018 de « vol » allait à l’encontre du témoignage de M. Hossain qui disait avoir été grièvement blessé durant une agression.

[26] Tout d’abord, ce n’est pas parce que les affidavits de l’épouse et du frère de M. Hossain n’étaient pas signés que la SPR et la SAR n’y ont accordé aucune valeur probante; bien que la SPR ait souligné le fait que les deux affidavits n’étaient pas signés, c’est en raison [traduction] « des omissions, des incohérences et du contenu des affidavits qui soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses » qu’elle y a accordé peu de valeur probante. La SAR a examiné les affidavits de l’épouse et du frère de M. Hossain et elle les a jugés sans valeur probante, mais ce n’est pas parce qu’ils n’avaient pas été signés. La SAR justifie en détail ses conclusions au sujet des affidavits et je ne crois pas que ces conclusions soient déraisonnables. Pas plus que je ne crois que la décision de la SAR selon laquelle l’attaque d’août 2018 n’a jamais eu lieu soit déraisonnable, eu égard aux éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[27] Enfin, la SAR n’a pas conclu que le compte rendu que le frère avait fait de l’attaque d’août 2018 se résumait à un simple vol. La SAR a interprété l’affidavit en se fondant uniquement sur ce qu’il contenait et non sur ce qui n’y figurait pas; comme l’affidavit ne faisait aucune mention du fait que M. Hossain avait été battu et blessé durant l’attaque d’août 2018, la SAR n’était pas disposée à considérer cette preuve comme attestant de la présumée agression; la SAR n’a donc accordé qu’une faible valeur probante à l’affidavit comme élément attestant que M. Hossain avait été battu et qu’il avait frôlé la mort lors de l’attaque d’août 2018.

B. Comment la SAR a-t-elle tenu compte de la preuve matérielle sur le pays en cause?

[28] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, selon la preuve sur l’Inde, si un médecin traite un patient dont les blessures semblent avoir été causées par un acte criminel et donc requièrent l’intervention de la police, le médecin a le « devoir » de signaler l’incident à la police, et de nombreux hôpitaux ont des policiers sur place. La SAR a conclu que, puisqu’aucune preuve n’indiquait que la police était intervenue à la suite du décès de la mère de M. Hossain et que la crédibilité de M. Hossain avait été mise en doute sur d’autres aspects de la preuve, celle-ci était insuffisante pour conclure que la mère de M. Hossain était morte des suites de blessures subies lors de l’attaque de février 2019.

[29] M. Hossain affirme que le problème vient du fait que la SAR a conclu qu’il n’y a eu aucune intervention policière lorsque sa mère a été blessée, parce qu’aucune intervention n’a été mentionnée sur le certificat de décès. Là encore, je n’arrive pas à suivre le raisonnement de M. Hossain. Il ne m’a pas été démontré où, dans sa décision, la SAR dit fonder sa conclusion quant à l’absence d’intervention de la police à la suite des présumées blessures subies par la mère de M. Hossain sur le fait qu’aucune mention à cet effet ne figure sur le certificat de décès. Comme on peut s’y attendre, le certificat de décès mentionne la cause du décès – et, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, il n’y est fait mention d’aucun traumatisme – et on ne m’a pas expliqué pourquoi on devrait normalement s’attendre à ce qu’il y soit fait mention de l’intervention de la police. Lorsqu’on l’a pressé de clarifier sa thèse, l’avocat de M. Hossain a reconnu qu’il avait peut-être mal interprété la décision de la SAR sur ce point; il a toutefois soutenu qu’aucune preuve n’étayait l’affirmation de la SAR selon laquelle il n’y avait eu aucune intervention policière en lien avec les blessures de la mère de M. Hossain; par conséquent, la décision n’est ni justifiée, ni transparente ni intelligible et elle est donc déraisonnable. Je ne peux pas être d’accord avec M. Hossain. Tout d’abord, si la SAR a tiré des conclusions hâtives sur cette question, il s’agirait d’une erreur mineure et je ne vois pas en quoi cela aurait ultimement modifié l’issue, étant donné les autres lacunes sur le plan de la crédibilité relevées par la SAR. De plus, il n’en demeure pas moins qu’il incombe à M. Hossain de rassembler des éléments de preuve pour étayer sa demande; s’il n’a présenté aucune preuve d’une intervention policière alors que les circonstances auraient raisonnablement justifié une telle intervention, il ne me semble nullement déraisonnable que la SAR ait conclu qu’aucune intervention du genre n’avait eu lieu dans les circonstances et que les blessures de la mère de M. Hossain ne laissaient pas raisonnablement croire à une activité criminelle.

C. Conclusions sur les affidavits de l’épouse et du frère de M. Hossain

[30] M. Hossain invoque la décision rendue par le juge Southcott dans François c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 687, pour faire valoir que la SAR avait tort d’écarter l’affidavit de son épouse parce que cet affidavit visait à appuyer une demande jugée non crédible; le seul fait qu’un demandeur soit jugé non crédible ne rend pas également non crédible un affidavit présenté à l’appui. Bien que je souscrire à ce principe, la difficulté dans François est que la SPR, en plus de souligner le fait que l’affidavit contesté réitérait une demande jugée par ailleurs non crédible, n’a fourni aucun autre motif pour conclure que l’affidavit manquait de crédibilité. En l’espèce, toutefois, la SAR a évalué le contenu de l’affidavit de l’épouse et y a relevé une série d’incohérentes avec la preuve de M. Hossain, ce qui l’a amené à conclure comme elle l’a fait au sujet de cet affidavit.

[31] Quant aux incohérences entre l’affirmation de l’épouse voulant que son époux ait dû se cacher après l’attaque d’août 2018 et le témoignage de M. Hossain selon lequel il avait fait régulièrement des allers-retours entre la maison de son ami et son domicile, je ne suis pas d’accord avec M. Hossain pour dire que son témoignage concernant ses allées et venues, alors qu’il était censé se cacher dans la maison d’un ami de son beau-frère, se voulait un ajout à son exposé des faits. Dans son exposé des faits, M. Hossain a indiqué qu’il avait dû se cacher à partir de septembre 2018 alors que, dans son témoignage, il a déclaré qu’il ne se cachait que depuis dix jours lorsque sa mère a été agressée, le 10 février 2019. La SAR a conclu que les éléments de preuve indiquaient que M. Hossain avait fait des allers-retours entre son domicile et l’autre maison et donc que, contrairement à ce qu’il avait précédemment allégué, il n’avait pas eu à se cacher de septembre 2018 jusqu’à son départ, en février 2019. Il existe d’importances différences par rapport à son exposé des faits original, et il était loisible à la SAR de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Hossain sur cette question (contrairement à Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 627 au para 26; Hyka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 220 au para 15). La SAR était parfaitement en droit de conclure que le fait de continuer à retourner à son domicile, même pour rendre visite à sa mère et à sa famille, n’équivaut pas à « se cacher ».

[32] De plus, dans son affidavit, l’épouse affirme, d’une part, que la famille a dû se cacher mais, d’autre part, qu’elle vivait dans son domicile. M. Hossain fait valoir que l’expression « se cacher » n’est définie nulle part et qu’il est possible que son épouse ait voulu dire qu’ils se cachaient à l’intérieur de leur maison. J’estime que cet argument est difficile à accepter. Je me serais normalement attendu à ce que l’épouse de M. Hossain soit plus précise si elle avait voulu dire que, pour se cacher, la famille avait dû trouver refuge dans un passage secret, une cave ou un grenier de leur domicile. Contrairement à ce qu’allègue M. Hossain, interpréter l’expression « vivre caché » comme signifiant « vivre ailleurs » n’est pas une simple présomption tacite de la part de la SAR. Il s’agit, selon moi, plus que d’une présomption tacite; cela relève du simple bon sens.

D. Évaluation du risque futur pour M. Hossain

[33] La SAR a jugé que M. Hossain n’est plus exposé à un risque futur, parce qu’il n’est plus dans le commerce du bétail, que sa famille vit toujours dans la même maison sans avoir fait l’objet d’autres représailles et que la preuve matérielle indique que le risque pour les musulmans vivant en Inde est faible, et qu’il l’est encore davantage au Bengale-Occidental où vit une importante minorité musulmane. M. Hossain affirme que la SAR n’a pas analysé son risque futur en tenant compte à la fois de son profil de négociant en vache et de musulman, et que la conclusion de la SAR repose sur le fait que M. Hossain ne reprendra pas son commerce de vaches s’il retourne en Inde et que, même s’il le faisait, ses agents de persécution ne chercheraient plus à le tuer. Je conclus que la SAR n’a pas fait d’erreur dans son appréciation du risque futur. Un demandeur ne peut pas s’attendre à être protégé d’un risque de cette nature qu’il s’impose lui-même; par conséquent, si le fait d’éviter de reprendre le commerce qui avait contribué à attiser la prétendue persécution dont il aurait été victime le mettrait à l’abri du danger, il ne serait pas déraisonnable pour la SAR de formuler une telle hypothèse. Quant à l’existence de risques à long terme associés à ses activités commerciales antérieures, il n’existe tout simplement aucune preuve d’un tel risque. De plus, la SAR a évalué le risque pour M. Hossain en tenant compte de son profil de propriétaire d’un commerce de vaches et de son profil de musulman. M. Hossain n’explique pas comment une évaluation de ces deux profils différerait de l’analyse faite par la SAR.

E. Absence de crainte subjective véritable

[34] Quant à la conclusion de la SAR selon laquelle M. Hossain n’éprouvait pas une véritable crainte subjective, ce dernier affirme que la SAR a omis « encore une fois » de tenir compte de son état d’esprit à l’époque, car il a déclaré qu’il [traduction] « souhaitait toujours retourner en Inde pour être avec sa famille et la protéger », et que ce n’est qu’après le décès de sa mère, en mars 2019, qu’il a décidé de demander la protection du Canada. Je ne suis pas d’accord avec M. Hossain pour dire que la SAR n’a pas tenu compte de ses explications concernant le retard dans la présentation de sa demande d’asile. Au contraire, la SAR en a tenu compte et elle a conclu que son explication intrinsèquement incohérente n’appuyait pas son argument qu’il éprouvait une véritable crainte subjective. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[35] Je conclus que, dans l’ensemble, les arguments de M. Hossain vont tout simplement à l’encontre de l’évaluation que la SAR a faite de la preuve et, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour doit s’abstenir d’apprécier de nouveau la preuve dans le contexte d’un contrôle judiciaire (Vavilov au para 125).

VI. Conclusion

[36] Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6150-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6150-21

 

INTITULÉ :

BAKHTIAR HOSSAIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 juin 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

Pour le demandeur

Matthew Siddall

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Aide juridique Ontario

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.