Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220729


Dossier : IMM-3712-21

Référence : 2022 CF 1140

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

GUISSELLE MILENA ROZO BASTO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] La demanderesse Guisselle Milena Rozo Basto est citoyenne de la Colombie et de l’Espagne. Elle a vécu au Canada pendant de longues périodes depuis 2011. En septembre 2020, Mme Rozo Basto a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande était fondée principalement sur l’intérêt supérieur de sa fille Sofia, âgée de deux ans. Dans une décision datée du 17 mai 2021, un agent d’immigration principal a rejeté la demande.

[2] Mme Rozo Basto présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de cette décision conformément au paragraphe 72(1) de la LIPR. Elle soutient que la décision est déraisonnable en ce qui a trait à l’appréciation de l’intérêt supérieur de Sofia et de l’appréciation générale des éléments de preuve. Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord. La présente demande doit donc être rejetée.

II. CONTEXTE

[3] Mme Rozo Basto est née à Bogota, en Colombie, en avril 1986. En décembre 2000, elle a présenté une demande d’asile en Espagne, en même temps que sa mère et ses deux sœurs. Sa demande d’asile a été acceptée, et Mme Rozo Basto est par la suite devenue une citoyenne naturalisée d’Espagne. La mère de Mme Rozo Basto est restée en Espagne. Une de ses sœurs réside maintenant dans la région de Vancouver avec sa propre famille.

[4] Mme Rozo Basto est venue au Canada pour la première fois en juin 2011 pour étudier l’anglais. Depuis lors, elle y est souvent venue en visite et y a vécu pendant de longues périodes. À différentes occasions, elle a travaillé et a étudié.

[5] En 2015, Mme Rozo Basto a rencontré Alejandro Cervantes, un citoyen du Mexique qui vivait à Vancouver. Une relation amoureuse a pris naissance entre eux, et ils se sont mariés à Vancouver en juillet 2016. Selon Mme Rozo Basto, la relation était cependant très difficile en ce qu’elle a été victime de violence émotionnelle, verbale, financière et physique de la part de M. Cervantes. En raison des mauvais traitements que M. Cervantes lui a fait subir, vers le mois de mars 2018, Mme Rozo Basto s’est séparée de M. Cervantes et a déménagé avec sa sœur.

[6] En avril 2018, Mme Rozo Basto a découvert qu’elle était enceinte. Elle et M. Cervantes se sont réconciliés et ont recommencé à vivre ensemble, bien que le comportement violent de M. Cervantes se soit poursuivi. Mme Rozo Basto a décidé de retourner en Espagne (où elle avait du soutien familial) et y a donné naissance à sa fille. Sa fille Sofia est née en Espagne, en octobre 2018.

[7] Alors qu’elle se trouvait en Espagne, Mme Rozo Basto est restée en contact avec M. Cervantes, et les deux ont décidé de tenter une autre réconciliation. Mme Rozo Basto est revenue au Canada avec Sofia en février 2019, et a emménagé avec M. Cervantes. Il était prévu que M. Cervantes présente une demande de résidence au Canada fondée sur son expérience professionnelle canadienne, et qu’il inclue Mme Rozo Basto et Sofia dans sa demande. Le comportement violent de M. Cervantes s’est toutefois poursuivi. Mme Rozo Basto a fini par quitter le foyer avec Sofia. Mme Rozo Basto et M. Cervantes se sont officiellement séparés le 3 septembre 2019.

[8] Le 9 mars 2020, la Cour provinciale de la Colombie-Britannique a délivré une ordonnance provisoire sur consentement traitant du droit de M. Cervantes au temps parental avec Sofia ainsi que de ses obligations en matière de pension alimentaire pour enfants. L’ordonnance prévoyait essentiellement que M. Cervantes bénéficierait de temps parental avec Sofia les samedi et dimanche, de 9 h à 17 h, et qu’il était tenu de verser une pension alimentaire pour enfants de 612 $ par mois. Le 21 mai 2020, à la suite d’une conférence de cas tenue ce jour-là, l’ordonnance provisoire a été modifiée avec le consentement des parties pour y ajouter une condition exigeant que M. Cervantes verse une pension alimentaire pour conjoint de 500 $ par mois, à partir du 15 juin 2020.

[9] Dans une déclaration solennelle datée du 14 septembre 2020 fournie à l’appui de la demande CH, Mme Rozo Basto a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Sofia vit avec moi depuis la séparation et mon ex-mari fait de courtes visites à Sofia, soit entre deux et quatre heures par semaine. Je fais de mon mieux pour ne pas le voir et ne pas communiquer avec lui ». Comme il est indiqué ci-dessus, la séparation remonte au 3 septembre 2019. Mme Rozo Basto ne fournit aucun détail quant à savoir de quelle façon, ou dans quelle mesure, M. Cervantes a exercé son droit au temps parental, qui lui a été accordé dans l’ordonnance du 9 mars 2020.

[10] Dans sa déclaration solennelle, Mme Rozo Basto déclare également qu’entre septembre 2019 et mars 2020 [TRADUCTION] « à l’exception d’un versement de 400 $, mon ex-mari ne m’a pas versé la pension alimentaire pour enfants, même s’il gagne environ 63 000 $ par année. Il me doit environ 1 500 $ d’arriérés de pension alimentaire pour enfants ». Mme Rozo Basto n’aborde pas expressément si – ou dans quelle mesure – M. Cervantes a respecté les ordonnances provisoires du 9 mars 2020 et du 21 mai 2020 concernant la pension alimentaire pour conjoint et enfants.

[11] D’après Mme Rozo Basto, à la conférence de cas tenue le 21 mai 2020, M. Cervantes [TRADUCTION] « a mentionné qu’il voulait s’assurer que je ne quitte pas le pays avec Sofia ». Mme Rozo Basto mentionne que le juge du tribunal de la famille [TRADUCTION] « nous a dit que je ne pouvais pas quitter le pays avec Sofia sans avoir obtenu l’autorisation de [M. Cervantes] ou celle du juge ».

[12] Dans ses observations écrites à l’appui de la demande CH, l’avocat de Mme Rozo Basto a fait valoir que Mme Rozo Basto [TRADUCTION] « pourrait connaître un succès mitigé en réussissant à convaincre les tribunaux de la Colombie-Britannique que Sofia devrait quitter [le Canada] avec elle » puisqu’elle a sa résidence habituelle au Canada et que son père y vit également. Ainsi, si Mme Rozo Basto devait quitter le Canada, Sofia serait [TRADUCTION] « privée des soins de sa mère », ce qui irait à l’encontre de son intérêt supérieur.

[13] L’avocat a également mentionné que, de toute façon, il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de Sofia de quitter le Canada avec Mme Rozo Basto compte tenu des liens étroits qu’elle entretient avec sa famille élargie ici. Elle a [TRADUCTION] « établi de solides relations au Canada » et les deux feraient face à des perspectives économiques instables ailleurs. L’avocat a également fait valoir que, si Mme Rozo Basto devait quitter le Canada avec Sofia, elle ne pourrait pas continuer à recevoir une pension alimentaire de M. Cervantes pour elle ou Sofia.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[14] L’agent a souligné que la demande CH était fondée sur quatre motifs : l’intérêt supérieur de l’enfant, l’établissement au Canada, la violence familiale et les difficultés advenant un renvoi du Canada. En rejetant la demande, l’agent a tiré les principales conclusions suivantes à l’égard de chacun des motifs suivants :

  • Intérêt supérieur de l’enfant. Mme Rozo Basto n’avait pas démontré que M. Cervantes avait assuré une présence fiable dans la vie de Sofia, de sorte qu’elle serait exposée à des difficultés si elles devaient quitter le Canada. De plus, Mme Rozo Basto n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve voulant que M. Cervantes ait effectué les versements courants de la pension alimentaire pour conjoint et enfants, selon l’ordonnance de la Cour, ni que ses perspectives économiques en Espagne aient été différentes de celles du Canada (p. ex. en devant reprendre le travail lorsque Sofia serait assez grande pour aller à la garderie). En ce qui concerne la relation qu’entretient Sofia avec ses cousins et les autres membres de la famille au Canada, son retour en Espagne ne serait pas [traduction] « trop perturbateur » pour les enfants, et la relation pourrait se poursuivre autrement. De même, bien que Mme Rozo Basto ait joué un rôle important dans la vie des deux enfants de sa sœur au Canada et qu’au début, la séparation leur poserait des difficultés, compte tenu de l’âge des enfants, ces difficultés ne seraient pas de nature à justifier une dispense. En somme, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il serait néfaste pour Sofia que Mme Rozo Basto quitte le Canada.

  • Établissement au Canada. Mme Rozo Basto avait mis en place un solide réseau d’amis et d’autres soutiens au Canada. Toutefois, ces relations ne se [TRADUCTION] « caractérisent pas par un degré d’interdépendance et de confiance tel que la séparation, le cas échéant, équivaudrait à des difficultés pour la demanderesse, sa famille, ses amis ou la collectivité ». L’établissement de Mme Rozo Basto au Canada dans son ensemble a été jugé modeste, et un poids modéré a été accordé à ce facteur.

  • Violence familiale. Mme Rozo Basto a été victime de violence conjugale au cours de son mariage avec M. Cervantes. Alors qu’elle a eu besoin d’être soutenue pendant et après son mariage difficile et qu’elle a reçu ce soutien au Canada, il n’y avait que peu d’éléments de preuve, voire aucun, qui démontraient qu’elle n’aurait pas accès à des mesures de soutien semblables en Espagne.

  • Difficultés advenant le renvoi du Canada. Mme Rozo Basto n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels elle recevait des versements de pension alimentaire pour conjoint et enfants de la part de M. Cervantes, selon l’ordonnance de la Cour. De même, il n’y avait que peu d’éléments de preuve, voire aucun, qui établissaient que M. Cervantes s’opposerait à l’emménagement de Sofia avec Mme Rozo Basto en Espagne et, s’il s’y opposait effectivement, qu’un tribunal ne l’autoriserait pas. Quoi qu’il en soit, des éléments de preuve indiquaient que M. Cervantes lui-même n’était pas certain de rester au Canada ou de retourner au Mexique. Un poids modéré a néanmoins été accordé à ce facteur. En outre, les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir que Mme Rozo Basto serait incapable de recommencer sa vie avec sa fille en Espagne, d’autant plus que sa mère vit à cet endroit et qu’elle a soutenu sa fille par le passé.

[15] Après avoir soupesé tous les facteurs pertinents, l’agent a conclu que les difficultés qu’éprouverait Mme Rozo Basto si elle devait quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente selon la procédure habituelle, soit à partir de l’étranger, ne suffisaient pas à justifier une dispense des exigences habituelles ou de l’application de la loi. Par conséquent, la demande CH a été rejetée.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[16] Les parties conviennent, comme moi, que la décision de l’agent doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable : voir l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44. Il s’agit de la norme appropriée, confirmée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10.

[17] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit faire preuve de retenue envers la décision qui présente de tels attributs (ibid.). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve prise en compte par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles : voir l’arrêt Vavilov, au para 125. Toutefois, il ne s’agit pas d’une simple formalité; ce type de contrôle demeure rigoureux (Vavilov, au para 13).

[18] Il incombe à Mme Rozo Basto de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La cour de justice « doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière décision déraisonnable » (ibid.).

V. DISCUSSION

[19] Comme je l’ai mentionné, Mme Rozo Basto conteste le caractère raisonnable de l’appréciation de l’intérêt supérieur de Sofia et de l’appréciation générale des éléments de preuve.

[20] Le paragraphe 25(1) de la LIPR autorise le ministre à accorder une dispense à un étranger qui demande le statut de résident permanent, et qui est interdit de territoire ou ne remplit pas autrement les exigences de la Loi. Le ministre peut accorder à cet étranger le statut de résident permanent ou le dispenser de tout critère ou de toute obligation applicable de la loi. Comme le prévoit la disposition, les mesures de cette nature ne seront accordées que si le ministre « estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Le fait que la mesure soit justifiée dans un cas donné dépend des circonstances précises de cette affaire : voir l’arrêt Kanthasamy, au para 25.

[21] Lorsque le paragraphe 25(1) de la LIPR est invoqué, le décideur doit déterminer s’il y a lieu de faire exception à l’application usuelle de la loi : voir la décision Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1158 aux para 16-22. Ce pouvoir discrétionnaire de faire une exception se veut une disposition souple visant à mitiger la sévérité de la loi selon le cas (Kanthasamy, au para 19). Il doit être exercé en tenant compte de la raison d’être équitable de la disposition : Kanthasamy, au para 31. Par conséquent, les décideurs doivent comprendre que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi », (Kanthasamy, au para 13, adoptant l’approche exposée dans la décision Chirwa v Canada (Minister of Manpower & Immigration) (1970), 4 AIA 338). Le décideur doit donc interpréter le paragraphe 25(1) de façon à lui permettre « de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité » qui le sous-tendent (Kanthasamy, au para 33). En même temps, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle : voir l’arrêt Kanthasamy, au para 23.

[22] Comme l’a souligné la juge Abella dans l’arrêt Kanthasamy, « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) » (au para 23). Ce qui justifie une dispense dépend des faits et du contexte du dossier (Kanthasamy, au para 25).

[23] La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est exceptionnelle et extrêmement discrétionnaire : voir l’arrêt Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 15 et la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1303 au para 4). Il appartient au demandeur de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire : voir les arrêts Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 45; Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5 ainsi que les décisions Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646 au para 31 et Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 au para 22.

[24] Le paragraphe 25(1) mentionne expressément que le décideur doit prendre en compte l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché par une décision prise en application de cette disposition. L’application du principe de « l’intérêt supérieur » « dépend fortement du contexte » en raison de la « multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Kanthasamy au para 35, citant les arrêts Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4 au para 11 et Gordon c Goertz, [1996] 2 RCS 27 au para 20). Ce principe doit donc être appliqué de manière à « tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité » (Kanthasamy, au para 35). La protection des enfants par l’application de ce principe signifie qu’il faut « décider de ce qui [...], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (Kanthasamy, au para 36, citant MacGyver v Richards (1995), 22 O.R. (3d) 481 (CA), à la p 489).

[25] Au moment de rendre une décision au sujet d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire faisant intervenir l’intérêt supérieur d’un enfant, le décideur ne peut pas se contenter de mentionner que cet intérêt a été pris en compte. L’intérêt supérieur de l’enfant « doit être “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve » (Kanthasamy, au para 39, citant Legault, aux para 12 et 31 et renvoyant à Kolosovs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 165 aux para 9-12). La décision rendue en application du paragraphe 25(1) de la LIPR sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75). Cependant, ce qui constitue une prise en compte suffisante de l’intérêt supérieur d’un enfant touché dépend des éléments de preuve produits à l’appui de la demande.

[26] Dans la présente demande, Mme Rozo Basto soutient que l’agent a commis une erreur en omettant de déterminer et de circonscrire l’intérêt supérieur de Sofia, particulièrement en ce qui concerne les conséquences sur sa relation avec son père si elle devait quitter le Canada, et en confinant son analyse de l’intérêt supérieur à une analyse des difficultés.

[27] Je ne suis pas d’accord. La conclusion de l’agent selon laquelle Mme Rozo Basto [TRADUCTION] « n’a pas démontré que le père de Sofia a assuré une présence fiable dans la vie de Sofia, de sorte qu’elle serait exposée à des difficultés si elles devaient partir » est tout à fait raisonnable. Comme l’enquête sur l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la décision dépend des faits propres à chaque cas, il est important de présenter des éléments de preuve à l’appui de l’intérêt de l’enfant : voir les décisions Zlotosz, au para 22 et Lovera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 786 au para 38. Mme Rozo Basto a présenté très peu d’éléments de preuve au sujet des interactions continues de M. Cervantes dans la vie de Sofia, que ce soit par l’exercice de ses droits au temps parental aux termes des ordonnances provisoires ou par le respect de ses obligations en matière de pension alimentaire pour enfants. Dans le contexte des éléments de preuve très précis sur la maltraitance conjugale subie sur de longues périodes, exposés dans la déclaration solennelle de Mme Rozo Basto, et en l’absence d’éléments de preuve contraires, il était loisible à l’agent de conclure qu’il n’avait pas été établi que les interactions continues de M. Cervantes dans la vie de Sofia servaient l’intérêt supérieur de cette dernière. L’agent a également conclu de façon raisonnable que Mme Rozo Basto n’avait pas établi qu’elle subirait un préjudice économique si elle devait retourner en Espagne.

[28] De plus, l’agent a raisonnablement conclu que Mme Rozo Basto n’avait pas établi qu’il lui serait impossible d’emmener Sofia si elle était obligée de quitter le Canada. Le seul élément qui appuie cette prétention était une brève affirmation de l’avocat de Mme Rozo Basto contenue dans ses observations écrites à l’appui de la demande CH (citée au paragraphe 12 ci-dessus). Je conviens avec Mme Rozo Basto qu’il semble que l’agent n’ait pas tenu compte de la preuve selon laquelle M. Cervantes a expressément mentionné qu’il s’opposait à ce qu’elle emmène Sofia en Espagne. Il est toutefois important de mentionner qu’elle a donné peu de raisons de croire que le tribunal de la famille n’autoriserait pas cette situation, même si M. Cervantes s’y opposait.

[29] Dans la présente demande, les arguments de Mme Rozo Basto reposent sur le fait qu’elle s’oppose au poids que l’agent a accordé aux facteurs sur lesquels elle s’est fondée dans sa demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. La nature discrétionnaire des décisions rendues en application du paragraphe 25(1) de la LIPR signifie que, de façon générale, les cours de révision doivent faire preuve d’une très grande déférence à l’égard des décideurs administratifs : voir la décision Williams, au para 4 et l’arrêt Legault, au para 15. Il incombe à l’agent de déterminer le poids à accorder aux facteurs invoqués dans la demande CH, ainsi qu’à la question de savoir si ces facteurs justifient de faire exception à l’application usuelle de la loi. Tant que cette évaluation est expliquée de façon transparente et intelligible et qu’elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques, ce n’est pas à la cour de révision d’intervenir : voir l’arrêt Vavilov, au para 59 ainsi que la décision Alzaher c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1099 aux para 4-5. Je conclus qu’aucun motif d’intervention n’a été établi.

VI. CONCLUSION

[30] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[31] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que cette affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3712-21

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3712-21

 

INTITULÉ :

GUISSELLE MILENA ROZO BASTO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Robin D. Bajer

 

Pour la demanderesse

 

Aminollah Sabzevari

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin D. Bajer

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.