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Date : 20220729


Dossier : IMM-3192-20

Référence : 2022 CF 1145

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

YUMING DU et FENG SHUANG SUN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Yu Ming Du et son épouse Feng Shuang Sun, demandent d’infirmer une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a déterminé que leur protection en tant que réfugiés avait cessé et que leurs demandes d’asile ont été réputées rejetées, parce qu’ils se sont réclamés de nouveau de la protection de la Chine au sens de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Les demandeurs sont des citoyens de la République populaire de Chine qui ont été déclarés réfugiés au sens de la Convention en 2008, par crainte de persécution religieuse par les autorités chinoises. Ils sont devenus résidents permanents du Canada en 2009.

[3] En septembre 2014, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a déposé une demande de perte de l’asile des demandeurs, alléguant qu’ils s’étaient volontairement réclamés de nouveau de la protection de la Chine : alinéa 108(1)a) et paragraphe 108(2) de la LIPR. Sur consentement, la Cour a annulé une première décision de la SPR qui avait accueilli la demande du ministre et a renvoyé l’affaire à la SPR pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision. La présente demande de contrôle judiciaire vise la nouvelle décision rendue le 11 mars 2020 (la décision).

[4] Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que la SPR n’a pas pris en compte des questions importantes et des éléments de preuve contraires quant à savoir si les demandeurs avaient l’intention requise de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine. De plus, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en concluant qu’ils se sont réclamés de nouveau de la protection de la Chine, simplement parce que les demandeurs ont obtenu des passeports chinois et les ont utilisés pour effectuer de multiples voyages en Chine et dans d’autres pays.

[5] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] La seule question à trancher est de déterminer si la décision de la Section de la protection des réfugiés est déraisonnable. Le mémoire des arguments des demandeurs divise leurs arguments en deux grandes rubriques et j’ai divisé mon analyse de la même manière :

  • 1) La SPR a-t-elle omis de tenir compte de questions importantes et d’éléments de preuve contraires lors de l’évaluation de l’intention des demandeurs de se réclamer de nouveau de la protection de leur pays d’origine?

  • 2) La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs se sont réclamés de nouveau la protection du pays considéré?

[7] Les parties ont convenu que la norme de contrôle de la décision raisonnable devait être appliquée.

[8] Conformément aux directives énoncées dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de contrôle de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de retenue, mais rigoureux : Vavilov, aux para 12-13, 75, 85. La cour de révision doit se demander si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Ibid., au para 99). « Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

[9] L’article 108 de la LIPR est la disposition régissant la perte d’asile. La SPR a déterminé que les demandes d’asile des demandeurs avaient été rejetées en application l’alinéa 108(1)a) :

Perte de l’asile

Cessation of Refugee Protection

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[. . .]

[. . .]

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

[. . .]

[. . .]

[10] Le critère pour se réclamer de nouveau de la protection du pays énoncé prévu à l’alinéa 108(1)a) comporte trois exigences, à savoir que le réfugié : (i) a agi volontairement, (ii) avait l’intention par ses actes de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, et (iii) a effectivement obtenu une telle protection : Siddiqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CAF 134 [Siddiqui] au para 6, invoquant Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531 [Nsende].

[11] Il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine : Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 459 au para 42. Toutefois, il existe une présomption réfutable selon laquelle les réfugiés qui acquièrent des passeports délivrés par leur pays d’origine pour se rendre dans ce pays ou dans un pays tiers ont eu l’intention de se prévaloir de la protection de leur pays d’origine, car les passeports autorisent le titulaire à voyager sous la protection du pays émetteur : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Galindo Camayo, 2022 CAF 50, au para 63. Il incombe au réfugié de produire des éléments de preuve suffisante pour réfuter la présomption de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine : Ibid, au para 65.

[12] M. Du a obtenu un passeport chinois en 2010 et l’a utilisé pour retourner en Chine à quatre reprises : pour une durée de 3,5 mois en 2012, de 10 jours en 2014, de 1 mois en 2016 et de 1 mois en 2018. Mme Sun a obtenu un passeport chinois en 2011 et a accompagné M. Du lors de trois des quatre visites en Chine. Les demandeurs ont également utilisé leurs passeports chinois pour se rendre aux États-Unis en 2017 et à Cuba en 2019.

A. La SPR a-t-elle omis de tenir compte de questions importantes et d’éléments de preuve contraires lors de l’évaluation de l’intention des demandeurs de se réclamer de nouveau de la protection de leur pays d’origine?

(1) Thèses des parties

[13] Les demandeurs soutiennent que la question principale de la présente demande de contrôle judiciaire touche leur intention, conformément à la deuxième exigence du critère lié au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays. Ils soutiennent que le critère d’évaluation de l’intention consiste à déterminer si le motif du réfugié, par sa conduite, était véritablement la protection de ses intérêts par le pays dont il a la nationalité : Nsende, au para 18. À cet égard, plusieurs facteurs ont été pris en compte dans la jurisprudence, notamment la nécessité des visites, la fréquence et la durée des visites, les mesures de sécurité prises lors des visites et autres raisons des visites : Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 923, au para 35 [Yuan]; Siddiqui, au para 31; Tung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 1224, aux para 41, 43.

[14] Selon les demandeurs, ce ne sont pas les actions du réfugié qui sont décisives, mais plutôt l’intention derrière ces actions qui est primordiale : Kuoch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 979, aux para 1, 24. Ils mentionnent qu’une analyse du risque objectif du réfugié n’est pas strictement nécessaire pour conclure que la perte d’asile du réfugié a cessé du fait qu’il se soir réclamé de nouveau de la protection du pays d’origine : Balouch c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 765, au para 19 [Balouch]; Yuan, au para 25. C’est l’absence de « crainte subjective d’être persécuté », implicite dans la conclusion d’intention, qui concilie le droit de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine avec le cadre plus large de la protection des réfugiés : Yuan, au para 21.

[15] Bien que leurs nombreux voyages en Chine soulèvent une présomption qu’ils se sont réclamés de nouveau de la protection de leur pays d’origine, les demandeurs soutiennent que la conclusion n’est pas automatique et que leurs motifs et intentions doivent être examinés. Plus précisément, ils avaient des raisons impérieuses de se rendre en Chine – la mère de M. Du était malade et le père de Mme Sun est décédée – et ils ont pris des mesures pour éviter les autorités chinoises pendant leur séjour. De plus, ils ont témoigné qu’ils n’avaient obtenu et utilisé des passeports chinois que de manière routinière, et qu’ils n’avaient pas compris les ramifications juridiques de telles actions. Ils ne savaient pas qu’ils pouvaient voyager sans passeport chinois, car ils ignoraient qu’ils pouvaient également voyager en demandant un document de voyage canadien.

[16] Les demandeurs soulignent trois erreurs dans la décision concernant l’analyse par la SPR de leur intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine. Ils allèguent que la SPR : (i) n’a pas tenu compte d’éléments de preuve non contredits selon lesquels ils n’ont eu aucun contact avec des responsables chinois à l’extérieur du Canada, et ils ont fait des efforts conscients pour éviter d’être repérés par la police locale pendant leur séjour en Chine; (ii) n’a pas tenu compte du fait que leurs voyages en Chine avaient été effectués dans des circonstances d’urgence familiale; (iii) s’est concentrée de manière déraisonnable exclusivement sur le voyage de vacances que les demandeurs ont effectué à Cuba en février 2019 en utilisant des passeports chinois, et a conclu de manière spéculative, sans fondement factuel ou juridique clair, que les demandeurs savaient qu’ils auraient pu demander un document de voyage canadien.

[17] Le défendeur soutient que ce n’est que dans des « circonstances exceptionnelles » que la décision d’un réfugié de se rendre dans son pays d’origine en utilisant un passeport délivré par ce pays n’entraînera pas la perte de l’asile : Din c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 425, au para 46 [Din]; Abadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 29, au para 18. Les demandeurs admettent la première exigence du critère, et la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle ils avaient l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine.

[18] Le défendeur soutient que la SPR a tiré des conclusions raisonnables des actions des demandeurs pour obtenir des passeports chinois, retourner à plusieurs reprises en Chine entre 2012 et 2018 pour des raisons de nécessité familiale, et voyager aux États-Unis en 2017 et à Cuba en 2019 pour le tourisme. Les demandeurs sont entrés en Chine ouvertement en utilisant leurs passeports chinois et n’ont fait aucune tentative pour échapper aux autorités ou dissimuler leur présence dans le pays. De plus, la SPR a noté que les demandeurs sont retournés en Chine plusieurs fois après avoir reçu l’avis de demande de perte d’asile en 2014, et qu’ils se sont rendus à Cuba avec des passeports chinois en février 2019, après avoir appris la possibilité de voyager avec un document de voyage canadien en octobre. 2018, lors de la première audience de constat de perte d’asile.

(2) Analyse

[19] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification : Vavilov, aux para 15, 83. Bien qu’une cour de révision puisse « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées », elle ne doit pas spéculer sur ce que pensait le décideur, fournir des motifs qui auraient pu être données ou formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées : Vavilov, au para 97.

[20] À mon avis, les observations du demandeur fournissent des motifs concernant la décision que la SPR n’a pas donnée.

[21] La SPR n’a pas conclu que les demandeurs étaient entrés en Chine ouvertement en utilisant leur passeport chinois, ou qu’ils n’avaient fait aucune tentative pour échapper aux autorités ou dissimuler leur présence dans le pays; ces points ne sont pas mentionnés dans la décision.

[22] Bien que la SPR ait noté que les demandeurs sont retournés en Chine plusieurs fois après avoir reçu l’avis de constat de perte d’asile en 2014, il n’est pas indiqué clairement comment la SPR a pris cet élément en compte dans l’analyse en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Il semble que la SPR ait considéré que le nombre de voyages n’était pertinent qu’aux première et troisième exigences touchant le caractère volontaire et le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays considéré. La SPR ne mentionne pas le nombre de voyages dans l’analyse conformément à la deuxième exigence concernant l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine. En ce qui concerne le caractère volontaire et le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays considéré, la SPR a déclaré :

[16] [traduction] « Le tribunal conclut que les éléments de preuve démontrent que les défendeurs sont retournés volontairement en Chine à plusieurs reprises. Le tribunal conclut que même si les intimés sont peut-être revenus pour s’occuper d’affaires familiales, les retours étaient néanmoins volontaires. »

[...]

[25] [traduction] « Le tribunal souscrit à la position du ministre selon laquelle les demandeurs ont en fait obtenu la protection de la Chine par l’obtention de nouveaux passeports. Cela a permis aux demandeurs d’entrer en Chine à chacune des nombreuses occasions où ils sont retournés dans ce pays. Le fait que les demandeurs se sont réclamés de nouveau de la protection de leur pays d’origine a été établi lorsque les demandeurs se sont rendus en Chine à plusieurs reprises en utilisant leur passeport chinois. »

[23] La SPR ne s’appuie pas sur le fait que les voyages ont été effectués après que les demandeurs ont pris connaissance de la demande de perte d’asile dans le cadre de son analyse de n’importe quelle partie du critère, à l’exception du voyage à Cuba, qui est examiné ci-dessous.

[24] Je suis d’accord avec les demandeurs que la conclusion de la SPR sur le caractère intentionnel touchant le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine s’est concentrée exclusivement sur le voyage à Cuba en utilisant des passeports chinois en 2019. Le raisonnement complet de la SPR est le suivant :

[22] [traduction] Le tribunal note que la possibilité d’obtenir un document de voyage canadien a été discutée lors de l’audience du 11 octobre 2018, car on a demandé au défendeur de sexe masculin pourquoi il n’a pas obtenu ce type de document au lieu d’utiliser son passeport chinois. Le défendeur de sexe masculin a ensuite déclaré qu’il n’était pas au courant de ce fait. Son avocat a présenté des observations orales lors de l’audience du 11 octobre 2018 et a de nouveau déclaré que les défendeurs ne savaient pas qu’ils pouvaient obtenir un document de voyage canadien.

[23] [traduction] Les défendeurs étaient donc au courant de la possibilité de voyager avec un document de voyage canadien le 11 octobre 2018 et ils ont néanmoins utilisé leur passeport chinois pour se rendre à Cuba pour des vacances en février 2019.

[25] Le raisonnement de la SPR n’est pas suffisamment justifié, transparent et intelligible sur la question de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays considéré. Il semble que la SPR croyait que, puisque les demandeurs étaient au courant de la possibilité de voyager avec un document de voyage canadien, ils savaient également que voyager avec un passeport chinois confère une protection diplomatique ou qu’ils savaient que voyager avec un passeport chinois pouvait mettre leur statut de réfugié en danger en vertu de la loi canadienne. Il semble que la SPR croyait également que la connaissance de la possibilité de voyager avec un document canadien était déterminante pour la deuxième exigence du critère et qu’elle n’avait donc pas besoin d’examiner les éléments de preuve et les observations des demandeurs qui ont été présentés pour tenter de réfuter la présomption qu’ils s’étaient intentionnellement réclamés de la protection de la Chine. Cependant, la SPR n’analyse ni n’explique comment la connaissance de la possibilité de voyager avec un document de voyage canadien se rapporte au critère prévu à l’alinéa 108(1)a), ni n’explique pourquoi, selon la loi ou les faits en l’espèce, ce seul facteur était apparemment suffisant pour démontrer l’intention de se réclamer de la protection du pays d’origine. La décision indique que la SPR a tenu compte de la jurisprudence pertinente, mais elle ne fait référence à aucune jurisprudence. Comme il est indiqué ci-dessus, il n’appartient pas à la cour de révision de spéculer sur ce que pensait le décideur, de fournir des motifs qui auraient pu être donnés ou formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées : Vavilov, au para 97.

[26] Pour ces motifs, j’estime que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs se sont réclamés de nouveau la protection du pays considéré?

[27] Je traiterai brièvement de cet argument, même s’il n’est pas nécessaire de le faire compte tenu de mes conclusions au sujet de l’analyse par la SPR concernant l’intention de se réclamer de la protection du pays d’origine. Je note que les demandeurs n’ont pas traité de cet argument dans leur plaidoirie.

(1) Thèses des parties

[28] Les demandeurs reconnaissent que le poids de la jurisprudence de la Cour indique que l’obtention d’un passeport, et l’octroi de la protection diplomatique qui en découle, suffit à établir la troisième exigence liée l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays considéré. Cependant, ils soutiennent qu’il existe au moins une décision dans laquelle la Cour s’est interrogée sur la question de savoir si un réfugié obtient la protection de son pays d’origine lorsque les éléments de preuve relatifs à l’état du pays confirment que la protection de l’État n’est pas disponible et que l’État est un persécuteur du groupe auquel appartient le réfugié : Din, au para 41. Les demandeurs soutiennent que [traduction] « le sens de la ‘protection de l’État’ aux fins de l’analyse touchant le fait de se réclamer de la protection du pays d’origine n’est pas limitative ». Ils disent que la Cour a certifié une question grave d’importance générale sur cette question à deux reprises (Balouch et Norouzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 368 [Norouzi]), mais il n’y a pas de décision de la Cour d’appel fédérale parce que les appels n’ont pas été poursuivis. Les demandeurs remettent en question la distinction entre la protection diplomatique et la protection de l’État, notant qu’un État peut persécuter son propre citoyen, même s’il a délivré un passeport à ce citoyen.

[29] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure des voyages répétés des demandeurs en utilisant leur passeport chinois que, ce faisant, ils avaient effectivement obtenu la protection de la Chine.

(2) Analyse

[30] Les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincu. D’abord, les questions qui ont été certifiées dans Balouch et Norouzi portaient sur la question de savoir si la SPR devait tenir compte d’un risque prospectif de persécution lors du retour dans le pays d’origine dans le cadre d’une procédure de perte d’asile. S’il est vrai que les appels ont été abandonnés dans ces affaires, la jurisprudence de la Cour fédérale n’est pas favorable à la position des demandeurs. Plusieurs décisions ont rejeté la tentative d’un demandeur d’importer une analyse de risque de persécution ou de protection de l’État dans une procédure de perte d’asile, et cette Cour a reconnu que la protection diplomatique conférée en voyageant avec un passeport délivré par le pays d’origine d’un réfugié peut constituer le fait de se réclamer effectivement de nouveau de la protection d’un pays : voir par exemple Peiqrishvili c Canada (Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté), 2019 CF 1205, au para 22; Lu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1060, au para 60; Chokheli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 800, au para 71; Aydemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2022 CF 987, aux para 47-48.

[31] Les demandeurs ne m’ont pas convaincu, sur la base des motifs de notre Cour invoqués dans Din, que la SPR a commis une erreur en concluant que les demandeurs ont obtenu la protection de la Chine lorsqu’ils ont acquis des passeports chinois et les ont utilisés pour voyager.

IV. Conclusion

[32] Les demandeurs ont établi que l’analyse par la SPR du fait qu’ils se sont intentionnellement réclamés de nouveau de la protection de leur pays d’origine est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[33] À la fin de l’audience, les demandeurs ont suggéré que la Cour envisage de certifier la même question qui a été certifiée dans Balouch et Norouzi. Le défendeur s’y est opposé, en s’appuyant sur Adeosun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1089 et les Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés de la Cour (5 novembre 2018), lesquelles stipulent qu’une partie ayant l’intention de proposer une question certifiée doit aviser l’avocat de la partie adverse au moins cinq jours avant l’audience. Je suis d’accord avec le fait que les demandeurs auraient dû fournir un avis, mais je suis également d’avis qu’une question d’importance générale ne devrait pas être certifiée en l’espèce. Pour être certifiée, une question doit être une question sérieuse qui est déterminante quant à l’issue de l’appel; transcender les intérêts des parties au litige et ne doit pas porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, au para 46). La question soulevée n’est pas un facteur déterminant de la demande de contrôle judiciaire et ne serait pas décisive dans l’issue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3192-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et sera réexaminée par un tribunal différemment constitué.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3192-20

 

INTITULÉ :

YUMING DU et FENG SHUANG SUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE :

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Allen Chang

 

Pour les demandeurs

 

Neeta Logsetty

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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