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Date : 20220727


Dossier : IMM-5832-21

Référence : 2022 CF 1118

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2022

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

JOAO BLESE MUPATI

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, Joao Blese Mupati, est citoyen de l’Angola. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rendue le 3 août 2021. Dans cette décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], selon laquelle le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Le demandeur soutient que la SAR a errée en confondant les notions de pertinence et de caractère substantiel de la preuve lorsqu’elle a refusé d’admettre quatre documents comme nouvelle preuve.

[3] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. La norme de contrôle

[4] Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 48). Cette norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions de la SAR concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR. Une cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

III. Analyse

[5] Le demandeur est mécanicien. Il allègue craindre pour sa vie, car l’armée angolaise l’a faussement accusé du vol d’une voiture d’un général de l’armée angolaise. Le demandeur allègue qu’il a été détenu et torturé, et qu’il a fui Angola grâce à un ami et son oncle. Le demandeur allègue que son épouse et son oncle ont ensuite été poursuivis par la police.

[6] Le demandeur fait valoir que la SAR a rejeté de manière déraisonnable, au motif qu’ils n’étaient pas pertinents, quatre nouveaux éléments de preuve qu’il avait soumis. Cette nouvelle preuve jugée dépourvue de pertinence comprenait notamment (a) une lettre d’un ami du demandeur qui a visité la maison de l’oncle et a été informé que l’oncle a été assassiné; (b) une lettre du cousin du demandeur affirmant que la police menaçait toute la famille et que, le 15 février 2021, des hommes armés ont fait irruption chez lui et ont abattu son père, l’oncle du demandeur; (c) une lettre d’une église attestant avoir recueilli une fille de 9 ans, qui vivait avec l’oncle assassiné par des inconnus; et (d) un certificat de décès de l’oncle daté du 15 février 2021.

[7] Le demandeur soutient que cette nouvelle preuve fait état de la mort de son oncle, un fait lié aux dangers dont il fait face et aux motifs pour lesquels il craint toujours de retourner en Angola. D’après le demandeur, la décision de la SAR est déraisonnable puisque le critère aux fins de l’admissibilité de la nouvelle preuve fondé sur la pertinence consiste à déterminer si la preuve est à même de prouver un fait pertinent quant à sa demande.

[8] Pour qu’une nouvelle preuve soit admissible en appel devant la SAR, elle doit d’abord relever de l’une des trois catégories décrites au paragraphe 110(4) de la LIPR, et contenir i) des éléments survenus après le rejet de la demande d’asile par la SPR; ii) des éléments qui n’étaient alors pas normalement accessibles; ou iii) s’ils l’étaient, que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] au para 34).

[9] La SAR a estimé que les quatre documents rencontrent les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. La SAR a ensuite indiqué que, si les éléments de preuve satisfont à l’une ou l’autre des exigences de la LIPR, la SAR doit décider si les éléments de preuve sont nouveaux, crédibles et pertinents, citant les décisions Singh et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza]. La SAR a déterminé que ces nouveaux éléments de preuve concernant le décès de l’oncle du demandeur semblent être crédibles, mais a conclu que ces quatre documents suscitent des préoccupations sérieuses quant à leur pertinence. La SAR a donc conclu que la nouvelle preuve n’était pas admissible.

[10] Le rôle de la Cour n’est pas de reconsidérer la question de savoir si la nouvelle preuve aurait dû être acceptée, mais de déterminer le caractère raisonnable de la conclusion de la SAR que cette nouvelle preuve ne satisfaisait pas aux critères bien reconnus des arrêts Singh et Raza (Akanniolu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 311 au para 41).

[11] Je suis d’accord avec le demandeur et j’estime que le traitement par la SAR de sa nouvelle preuve était déraisonnable. Dans les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas convaincue que la conclusion de la SAR refusant d’admettre cette nouvelle preuve atteste d’une analyse logique et rationnelle au regard des faits et du droit comme l'exige Vavilov. Comme l’énonce l’arrêt Raza, le critère aux fins de la pertinence de la nouvelle preuve consiste à déterminer si les éléments de preuve sont « aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile » (Raza; voir aussi Singh au para 38).

[12] Les éléments de preuve abordent les menaces de la police et l'assassinat de l'oncle, soit les causes expliquant la crainte du demandeur. En l’espèce, les motifs de la SAR ne justifient pas comment la nouvelle preuve proposée peut être jugée comme étant dépourvue de pertinence à l’égard de la demande de protection du demandeur. Bien que les motifs écrits fournis par un organisme administratif n’ont pas à être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov au para 91), ils doivent cependant être compréhensibles et justifiés (Vavilov at para 96).

[13] J’estime qu’en l’espèce, la SAR a appliqué de manière déraisonnable les facteurs élargis de l’arrêt Raza à l’égard de la pertinence. Cela suffit à justifier l’intervention de cette Cour et à renvoyer l’affaire à la SAR pour réexamen.

IV. Conclusion

[14] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SAR pour un nouvel examen. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de la certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier 5832-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision faisant l’objet du contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SAR pour un nouvel examen par un autre décideur; et

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5832-21

INTITULÉ :

JOAO BLESE MUPATI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER JUIN 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JUILLET 2022

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Lynne Lazaroff

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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