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Date : 20220802


Dossier : T-1571-20

Référence : 2022 CF 1157

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

JEANNETTE LOUISE PAUL

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Jeannette Louise Paul (anciennement Jeanette Louise Tossounian) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) a rejeté la demande qu’elle avait présentée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, LRC (1985), c C-47 [la Loi,] afin de faire suspendre son casier judiciaire à l’égard de déclarations de culpabilité datant de 2006.

[2] Se fondant sur des renseignements concernant les démêlés que Mme Paul a eus avec la justice après 2006, la Commission lui a délivré une lettre de « proposition de refuser la réhabilitation » en août 2020. Les incidents survenus après 2006 comprennent trois contraventions pour des infractions provinciales, une enquête sur un vol d’essence, la désignation de suspecte dans un incident de dommages matériels ainsi que des accusations pour incendie criminel représentant un danger pour la vie humaine et possession de matières incendiaires en 2017, et pour avoir commis des voies de fait contre un agent de la paix, lui avoir fait entrave et lui avoir résisté en 2018. Toutes ces accusations ont été suspendues.

[3] Mme Paul a été invitée à répondre aux inquiétudes de la Commission avant que celle-ci rende une décision définitive. Elle a présenté une réponse en octobre 2020 et a fourni sa version de ce qui s’était passé lors des incidents survenus après 2006. Le 23 novembre 2020, la Commission a rendu sa décision définitive, dans laquelle elle a pris acte des observations supplémentaires de Mme Paul, mais a conclu que cette dernière n’avait pas satisfait aux exigences établies dans la Loi concernant l’octroi d’une réhabilitation.

[4] Mme Paul soutient que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve et des observations présentés dans sa réponse et qu’elle a donc manqué à son obligation de justice naturelle et d’équité procédurale. En outre, elle affirme que la décision est déraisonnable parce que la Commission a : (i) fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées et sur des faits dont elle n’aurait pas dû tenir compte; (ii) conclu à tort que les incidents survenus après sa déclaration de culpabilité correspondaient à [traduction] « un comportement criminel persistant » alors qu’elle n’a été déclarée coupable d’aucune infraction après 2006; (iii) confondu les critères relatifs à la bonne conduite et à l’absence de condamnation énoncés au paragraphe 4.1(1) de la Loi.

[5] Pour les motifs qui suivent, je juge que la décision ne satisfait pas aux exigences de justification et de transparence, car la Commission n’a pas valablement tenu compte des questions soulevées dans la réponse de Mme Paul à la lettre de proposition de refuser la réhabilitation. À mon avis, Mme Paul qualifie à tort cette erreur de manquement à l’obligation de justice naturelle et d’équité procédurale. Son allégation selon laquelle la Commission n’a pas valablement tenu compte des observations formulées dans sa réponse intéresse le fond de la décision de la Commission : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 127- 128.

[6] Bien que je ne sois pas convaincue que la Commission ait commis les autres erreurs alléguées susceptibles de contrôle, le défaut de ne pas tenir compte valablement des questions centrales soulevées dans la réponse de Mme Paul constitue une lacune suffisamment grave pour rendre la décision déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[7] La norme de contrôle applicable à toutes les questions soulevées dans la présente demande est celle de la décision raisonnable. Les questions d’équité procédurale font habituellement l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, mais je conviens avec le défendeur qu’il n’y a pas de question de ce genre en l’espèce. Mme Paul soutient que la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas compte de sa réponse; cependant, celle-ci a bien pris acte de sa réponse dans sa décision et elle renvoie à ses arguments de manière générale. Comme il a été mentionné, l’allégation devrait plutôt être formulée sous forme de question : les motifs de la Commission étaient-ils suffisamment adaptés aux questions soulevées? Mme Paul allègue aussi qu’elle n’a pas eu assez de temps pour présenter sa réponse, mais cette allégation n’est pas fondée. Il est évident d’après le dossier que Mme Paul a eu 90 jours pour répondre (et pas quelques semaines, comme elle l’a dit lors de son témoignage). Elle n’a pas demandé de prorogation du délai et elle a déposé sa réponse bien avant la fin de celui-ci.

[8] Je souligne que, même si elle soulève une question d’équité procédurale, Mme Paul fait valoir que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions de sa demande.

[9] La Cour suprême du Canada a établi les principes directeurs qui régissent le contrôle des décisions selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Vavilov. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

A. Question préliminaire – l’admissibilité de l’affidavit de Mme Paul

[10] Le défendeur s’oppose à une bonne partie de l’affidavit que Mme Paul a déposé à l’appui de la présente demande au motif qu’il contient de nouveaux éléments de preuve et des arguments. Il demande à la Cour de ne pas tenir compte des pièces 4, 5, 6 et 9 de l’affidavit de la demanderesse ni des paragraphes de son mémoire des faits et du droit qui portent sur le contenu de ces pièces, car ces documents n’ont pas été soumis à la Commission. Il demande également à la Cour d’accorder peu ou pas de poids aux paragraphes 1 à 9, 13, 14 et 33 à 55 de l’affidavit de Mme Paul ainsi qu’aux paragraphes de son mémoire portant sur ces éléments de preuve, car l’affidavit énonce des arguments et est contraire à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[11] En règle générale, le dossier de preuve soumis lors d’un contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency Access Copyright, 2012 CAF 22 au para 19. Cette règle comporte trois exceptions : (i) lorsqu’un affidavit contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais ne fournissent pas des éléments de preuve se rapportant au fond de la décision administrative; (ii) lorsqu’un affidavit explique des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve, permettant ainsi à la Cour de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; (ii) lorsqu’un affidavit fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée : Access Copyright, au para 20. Bien que la liste des exceptions ne soit pas exhaustive, l’admission de nouveaux éléments de preuve ne doit pas être incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif : Ibid.

[12] Mme Paul soutient que son affidavit et ses pièces correspondent à une exception reconnue à la règle générale, car ils sont pertinents pour trancher une question d’équité procédurale ou ils contiennent des informations générales qui peuvent aider la Cour. Elle affirme que son affidavit porte sur des questions qui ont été soulevées dans sa réponse à la lettre de proposition de refuser la réhabilitation.

[13] L’affidavit et les pièces ne sont pas pertinents pour trancher une question d’équité procédurale. Pour les raisons mentionnées précédemment, aucune question d’équité procédurale ne se pose en l’espèce.

[14] Un affidavit est admissible en vertu de l’exception des informations générales établie dans l’arrêt Access Copyright s’il contient « [d]es observations purs [sic] et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi » : Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 [Delios] au para 45.

[15] L’affidavit de Mme Paul comprend 56 paragraphes et 10 pièces. À mon avis, de nombreuses parties de l’affidavit vont bien au-delà « d’observations purs [sic] et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur ». La plupart des paragraphes viennent compléter le dossier, du moins dans une certaine mesure, en introduisant des faits et des arguments qui n’avaient pas été présentés à la Commission. De tels éléments de preuve ne sont pas indiqués dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Une cour de révision ne peut s’autoriser à devenir une tribune de recherche des faits qui intéresse le fond de l’affaire : Delios, au para 41.

[16] Il est inutile de fournir des informations générales en l’espèce. La décision n’est pas complexe et le dossier contient relativement peu de documents. L’affidavit ne m’aide pas à comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont la Commission était saisie—au contraire, il est difficile de déterminer précisément quels énoncés sont admissibles à titre d’informations générales et quels énoncés vont au-delà et constituent des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par la Commission, ce qui fait que je m’immiscerais dans le rôle de cette dernière en tant que juge de faits et juge du fond : Delios, au para 46.

[17] Dans la mesure où l’affidavit contient des arguments et des éléments de preuve dont la Commission disposait, ces arguments et éléments font partie du dossier certifié du tribunal (DCT). Et dans la mesure où l’affidavit contient des arguments, exprime des énoncés fondés sur des éléments de preuve dont la Commission ne disposait pas ou complète autrement le dossier qui a été présenté à la Commission, il serait inapproprié pour moi de me fonder sur cet affidavit en vertu de l’exception des « informations générales ». Pour ces raisons, et comme ma décision ne repose pas sur les informations contenues dans l’affidavit de Mme Paul, je me suis fondée sur le DCT pour la rendre.

[18] J’examinerai brièvement les pièces 4, 5, 6 et 9, lesquels documents ne figurent pas au DCT.

[19] La pièce 4 est composée de certaines pages de la transcription d’un procès tenu en 2012, qui a mené à la déclaration de culpabilité de Mme Paul relativement à des accusations d’incendie criminel. La pièce 9 est une décision datée du 14 mai 2019 par laquelle la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels a jugé que Mme Paul avait droit à une indemnisation en vertu de l’alinéa 5a) de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, LRO 1990, c 24, et a ordonné qu’elle touche une somme de 17 000 $. Les pièces 4 et 9 ne relèvent d’aucune des exceptions reconnues à la règle générale. Mme Paul affirme que les éléments de preuve se rapportent à une question qui a été soulevée dans sa réponse à la Commission, mais le fait d’admettre ces éléments pour ce motif reviendrait à commander un examen de novo en fonction d’un dossier différent de celui dont disposait la Commission.

[20] La pièce 5 est une décision de la Cour d’appel de l’Ontario datée de juillet 2017, et la pièce 6 est une copie de deux inscriptions écrites à la main. Mme Paul présente ces documents afin de montrer que la déclaration de culpabilité pour incendie criminel de 2012 a été infirmée et que les accusations déposées contre elle ont été suspendues par la suite. Il est évident d’après la décision que la Commission savait que les accusations de 2012 avaient été suspendues en 2017. Ces pièces ne sont pas pertinentes.

B. Observations des parties

[21] Comme il a été mentionné, Mme Paul soutient que la Commission : (i) n’a pas examiné adéquatement les observations qu’elle a déposées en réponse à la lettre de proposition de refuser la réhabilitation, s’est fondée dans une large mesure sur les renseignements fournis par la police sans accorder une juste attention à la preuve qu’elle a présentée en réponse; (ii) a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées et sur des faits dont elle n’aurait pas dû tenir compte; (iii) a conclu à tort que les incidents survenus après sa déclaration de culpabilité correspondaient à [traduction] « un comportement criminel persistant » alors qu’elle n’a été déclarée coupable d’aucune infraction après 2006; (iv) a confondu les critères relatifs à la bonne conduite et à l’absence de condamnation énoncés à l’article 4.1 de la Loi. À l’audience, Mme Paul a ajouté que la Commission avait aussi commis une erreur en omettant de se demander si une suspension du casier judiciaire « apporterait [à la demanderesse] un bénéfice mesurable [et] soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen[ne] respectueu[se] des lois au sein de la société » aux termes de l’alinéa 4.1(1)b) de la Loi (dans sa version actuelle).

[22] Le défendeur soutient que la décision d’octroyer une réhabilitation est hautement discrétionnaire. Obtenir une réhabilitation à l’égard des infractions criminelles commises n’est pas un droit. En l’espèce, la Commission a appliqué le bon critère et s’est demandé à juste titre si Mme Paul « [s’était] bien conduit[e] » (art 4.1(1)a) de la Loi), ce qui est considéré comme un comportement conforme au mode de vie d’un citoyen respectueux des lois. Pour évaluer la bonne conduite, la Commission avait le droit de se fonder sur l’information contenue dans les rapports de police. Il lui est loisible de tenir compte des renseignements qui ont donné lieu au retrait, à la suspension ou au rejet d’une accusation, ou qui ont donné lieu à un acquittement, particulièrement lorsque les accusations sont graves ou liées aux déclarations de culpabilité pour lesquelles une réhabilitation est demandée. La présomption d’innocence ne s’applique pas : Foster c Canada (Procureur général), 2013 CF 306 [Foster] au para 27.

[23] Le défendeur affirme que le mémoire des faits et du droit de Mme Paul ne contenait aucune allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur en omettant de se demander si l’octroi d’une réhabilitation apporterait à la demanderesse un bénéfice mesurable. Quoiqu’il en soit, ce critère ne faisait pas partie de l’article 4.1 dans la version de 2006 (année où Mme Paul a été déclarée coupable), qui est la disposition applicable : PH c Canada (Procureur général), 2020 CF 393 [PH] aux para 87-90, 97-98.

[24] Le défendeur soutient que l’allégation selon laquelle la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve de Mme Paul n’est pas étayée par le dossier. La Commission a pris connaissance des éléments de preuve et des observations, mais elle n’était pas convaincue qu’ils étaient suffisants pour démontrer une bonne conduite. Le défendeur fait valoir que la Commission n’était pas tenue d’aborder les arguments de Mme Paul en détail. Il est évident que la Commission avait des inquiétudes concernant deux points : le nombre d’incidents survenus après 2006 et l’accusation d’incendie criminel de 2012, car cette infraction était liée à la déclaration de culpabilité de 2006 pour laquelle Mme Paul demandait une réhabilitation. Lue à la lumière du dossier, la décision permet à la cour de révision de comprendre le raisonnement adopté et les raisons pour lesquelles la Commission est parvenue à sa décision.

C. Analyse

[25] Comme il a été mentionné, la Commission a renvoyé à certains incidents survenus après 2006 qui ont mené à la lettre de proposition de refuser la réhabilitation, notamment des contraventions et des accusations d’incendie criminel et de voies de fait contre un agent de la paix. Après avoir décrit ces incidents, la Commission a conclu ceci :

[traduction]

La Commission reconnaît que ces incidents n’ont pas donné lieu à de nouvelles déclarations de culpabilité; toutefois, elle craint que vous ayez continué à faire peu de cas des lois canadiennes et de la sécurité publique. Le nombre d’incidents et votre déclaration de culpabilité pour incendie criminel en 2006 donnent à penser qu’il ne s’agit pas d’incidents « uniques », mais plutôt d’un comportement criminel persistant.

La Commission n’est pas convaincue que vous vous êtes bien conduite depuis votre dernière condamnation ni que vous satisfaites aux exigences relatives à l’octroi d’une réhabilitation établies dans la Loi sur le casier judiciaire.

La Commission propose de refuser votre demande de réhabilitation.

Il ne s’agit pas d’une décision définitive dans votre dossier. Vous ou votre représentant pouvez présenter des observations écrites afin d’expliquer les circonstances entourant les incidents ayant entraîné des inquiétudes quant à votre conduite. La Commission prendra en compte vos observations avant de rendre une décision définitive.

[26] La réponse de Mme Paul abordait chacun des incidents. Dans sa décision de novembre 2020, la Commission a pris acte de la réponse, mais n’a pas, à mon avis, valablement tenu compte des observations de Mme Paul. Les 11 premiers paragraphes de la décision répètent plutôt, presque textuellement, le contenu de la lettre de proposition de refuser la réhabilitation, à l’exception du dernier paragraphe, précité. En remplacement de ce dernier paragraphe, la Commission conclut ceci :

[traduction]

La Commission vous a envoyé une lettre et vous a offert la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires avant de rendre une décision définitive. Dans vos observations, vous exposez votre version des événements et vous dites être une victime.

Après avoir réexaminé votre dossier, la Commission est d’avis que vous n’avez pas présenté de version convaincante des incidents, en particulier de celui d’incendie criminel lors duquel vous sentiez l’essence. En outre, votre comportement démontre une tendance à l’agression et au mépris de la sécurité et du bien-être d’autrui. Dans l’ensemble, la Commission conclut qu’elle disposait de suffisamment d’informations pour être convaincue que vous n’avez pas eu une bonne conduite.

Pour toutes ces raisons, la Commission conclut que vous ne satisfaites pas aux exigences établies par la Loi sur le casier judiciaire pour l’octroi d’une réhabilitation. Par conséquent, la Commission refuse de suspendre votre casier judiciaire.

[27] Ainsi, mis à part l’affirmation selon laquelle Mme Paul n’a pas offert de version convaincante des incidents, la décision ne tient pas compte valablement des différents aspects de la réponse de Mme Paul et ne les aborde pas.

[28] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission n’était pas tenue d’aborder les arguments de Mme Paul en détail ni de faire référence à tous ses arguments : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] aux para 16, 18. Cependant, les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties : Vavilov, au para 127. À mon avis, la décision ne répondait pas raisonnablement aux questions et aux préoccupations centrales soulevées dans les observations de Mme Paul.

[29] Comme il a été mentionné, la Commission avait plutôt des inquiétudes concernant les incidents survenus après 2006 et l’accusation d’incendie criminel en 2012.

[30] La Commission n’a toutefois pas abordé les observations de Mme Paul concernant les incidents, même si ces observations auraient pu réduire les inquiétudes qu’elle avait à l’égard de certains de ces incidents. Par exemple, Mme Paul a remis en question la validité de la plainte pour dommages matériels déposée en 2008 par quelqu’un qui a eu de la difficulté à identifier un suspect, mais qui a nommé Mme Paul parce qu’elle entretenait des [traduction] « sentiments amoureux » envers lui. Mme Paul a affirmé qu’elle [traduction] « ne savait pas très bien comment répondre à cela » puisqu’elle n’était pas au courant du rapport et qu’elle ne savait pas qui était le plaignant. Elle a fourni une lettre de son conjoint, qu’elle fréquentait depuis 2008. À titre d’exemple supplémentaire, Mme Paul a présenté des éléments de preuve et des observations concernant les accusations suspendues de voies de fait, et a précisé que l’agent avait été sanctionné pour inconduite. Dans sa décision définitive, la Commission a simplement reproduit le contenu de la lettre de proposition de refuser la réhabilitation, y compris le passage selon lequel le nombre d’incidents donne à penser qu’elle adopte un [traduction] « comportement criminel persistant », et elle a rejeté les observations de Mme Paul au motif qu’elle n’avait pas présenté de version convaincante des événements.

[31] En ce qui concerne les accusations d’incendie criminel de 2012, le défendeur soutient que les observations de Mme Paul démontraient un sentiment général de victimisation et un refus général de reconnaître sa responsabilité, sans aucun document à l’appui. La demanderesse a simplement affirmé que l’information ayant mené aux accusations était fausse et [traduction] « contraire aux documents et aux transcriptions de la Cour » (qu’elle n’a pas fournis à la Commission). Elle a également mentionné qu’elle avait été [traduction] « victime d’un incendie criminel » et qu’elle ne devrait pas être tenue de revivre ce traumatisme ou de commenter des mensonges. Le défendeur soutient que si on lit la décision conjointement avec les observations de Mme Paul, cette dernière n’a pas établi que la décision souffrait d’une lacune suffisamment importante pour la rendre déraisonnable.

[32] À mon avis, les arguments du défendeur fournissent des motifs qui n’ont pas été donnés par la Commission. En réponse aux observations de Mme Paul concernant l’accusation d’incendie criminel de 2012, la Commission a mentionné : [traduction] « vous n’avez pas présenté de version convaincante des incidents, en particulier de celui d’incendie criminel lors duquel vous sentiez l’essence ». Je ne vois pas en quoi ce raisonnement répond aux observations de Mme Paul.

[33] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a confirmé ses indications antérieures, présentées dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses, selon lesquelles la cour de révision peut « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées », mais ne doit pas émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser, fournir les motifs qui auraient pu être donnés et formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées : Vavilov, au para 97. Me basant sur les motifs de la Commission, je suis incapable de relier les points sans émettre d’hypothèse sur ce que la Commission a pu penser.

[34] En résumé, la décision ne satisfait pas aux exigences de justification et de transparence parce que la Commission ne tient pas compte valablement des observations que Mme Paul a fournies en réponse à la lettre de proposition de refuser la réhabilitation. Bien que cela suffise à annuler la décision de la Commission, j’examinerai brièvement les autres questions soulevées par Mme Paul. Concernant ces autres questions, je souscris aux observations du défendeur et je ne suis pas convaincue qu’il y a une erreur susceptible de contrôle.

[35] Je ne suis pas convaincue par les arguments de Mme Paul concernant le fait que la Commission a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées ou sur des faits dont elle n’aurait pas dû tenir compte. Je rejette l’observation de Mme Paul selon laquelle la Commission n’aurait pas dû tenir compte des contraventions de 2007 pour une infraction provinciale et du rapport pour dommages matériels de 2008 parce que ces incidents n’étaient pas suffisamment graves. De même, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les activités de Mme Paul après sa déclaration de culpabilité correspondaient à [traduction] « un comportement criminel persistant » même si elle n’a été déclarée coupable d’aucune infraction après 2006. La Commission a raisonnablement interprété la bonne conduite comme étant un comportement conforme au mode de vie d’un citoyen respectueux des lois, et il lui était loisible de tenir compte de tout élément de preuve qui était raisonnablement pertinent pour son analyse du critère de la « bonne conduite ». Le défendeur souligne avec raison qu’une décision d’octroyer ou de refuser une réhabilitation est très discrétionnaire et que le concept de s’être « bien conduit » repose sur l’appréciation des faits par la Commission : Saini c Canada (Procureur général), 2014 CF 375 au para 26. La Commission était manifestement au courant que Mme Paul n’avait été déclarée coupable d’aucune infraction après 2006, mais elle avait néanmoins le droit d’examiner les circonstances ayant mené à une accusation, peu importe le résultat de cette accusation : Foster, au para 27; voir aussi Jaser c Canada (Procureur général), 2015 CF 4 au para 48. Comme le souligne le défendeur, les accusations graves ou les accusations qui sont liées aux déclarations de culpabilité pour lesquelles une réhabilitation est demandée peuvent être particulièrement pertinentes. Cependant, cela ne veut pas dire que d’autres incidents devraient être écartés.

[36] Je ne souscris pas à l’opinion de Mme Paul selon laquelle la Commission a confondu les critères de bonne conduite et d’absence de condamnation énoncés à l’article 4.1 de la Loi. La conclusion de la Commission reposait clairement sur le fait que Mme Paul ne satisfaisait pas au critère de la bonne conduite et non à celui de l’absence de condamnation. La décision ne témoigne d’aucune confusion entre ces deux critères. À mon avis, la Commission a appliqué le bon critère et s’est bien demandé si Mme Paul « [s’était] bien conduit[e] », comme le prévoit l’alinéa 4.1(1)a) de la version de 2006 de la Loi. Afin d’évaluer la bonne conduite, la Commission avait le droit de se fonder sur l’information contenue dans les rapports de police, pour les raisons mentionnées précédemment.

[37] Le mémoire des faits et du droit de Mme Paul ne contient aucune allégation – et à mon avis, elle n’a pas soulevé d’allégation en bonne et due forme – selon laquelle la Commission a commis une erreur en omettant de se demander si l’octroi d’une réhabilitation apporterait à la demanderesse un bénéfice mesurable. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la disposition applicable est la version de 2006 de l’article 4.1 : PH, aux para 87-90, 97-98.

IV. Conclusion

[38] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision sera annulée. La demande de réparation de Mme Paul comprenait initialement une demande d’ordonnance octroyant une réhabilitation, mais la demanderesse a retiré cette demande à l’audience. L’affaire sera renvoyée afin d’être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

[39] Mme Paul a demandé les dépens de la présente demande, mais n’a présenté aucune observation à cet égard. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur la question des dépens, Mme Paul pourra signifier et déposer de brèves observations dans les 20 jours suivant la publication du présent jugement, puis le défendeur pourra signifier et déposer des observations en réponse dans les 15 jours qui suivent. Les observations de chacune des parties ne doivent pas dépasser deux pages, à l’exclusion du mémoire de frais.


JUGEMENT dans le dossier T-1571-20

LA COUR STATUE :

  1. La décision est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée afin d’être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

  3. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, ceux-ci seront établis par la Cour.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1571-20

 

INTITULÉ :

JEANNETTE LOUISE PAUL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Swinwood

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Charles Maher

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elders Without Borders

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Le procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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