Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220802


Dossier : IMM‐3414‐21

Référence : 2022 CF 1150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 août 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

SUWENTHIRAN IYAMPILLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Suwenthiran Iyampillai, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 28 avril 2021 par laquelle un agent principal d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent) a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) fondée sur le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Conformément à l’alinéa 112(3)b) de la LIPR, le demandeur ne pouvait demander l’asile en application de l’article 96 de la LIPR puisqu’il avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité au titre du paragraphe 36(1) de la LIPR.

[2] Le demandeur est d’avis que l’agent a contrevenu à l’équité procédurale en refusant de tenir une audience. Il soutient en outre que l’agent a évalué de façon déraisonnable la preuve relative à son profil de risque.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen sri lankais d’origine tamoule âgé de 47 ans. Il a trois filles avec son épouse, Ajantha Nithiyanathasivam : une née au Sri Lanka en juin 2005 et les deux autres au Canada en septembre 2007 et en février 2012.

[5] Lorsqu’il vivait au Sri Lanka, le couple résidait dans le nord du pays, une zone alors aux mains des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), durant la dernière partie de la guerre civile qui a opposé ce groupe au gouvernement sri‐lankais contrôlé par les Cinghalais. En 2002, le couple a profité d’un cessez‐le‐feu pour déménager dans la ville de Vavuniya. Aux dires du demandeur, l’endroit était alors sous la mainmise des forces gouvernementales et paramilitaires qui entretenaient des soupçons à l’égard des Tamouls arrivés des zones sous la férule des TLET, comme le demandeur et son épouse. Il affirme que cette dernière a été interpellée et interrogée à maintes reprises.

[6] En 2003, le demandeur et son épouse se sont mariés. Le couple avait la réputation d’être bien nanti puisque la famille de l’épouse vivait dans des pays occidentaux. Il était donc la cible de demandes d’extorsion de la part des TLET et des formations paramilitaires.

[7] En janvier 2007, le demandeur a fui le Sri Lanka avec son épouse, alors enceinte, ainsi que leur fille. Si son épouse et son enfant ont été en mesure de fouler le sol canadien, de demander l’asile et d’obtenir plus tard le statut de citoyennes canadiennes, le demandeur, quant à lui, a été expulsé vers le Sri Lanka.

[8] Le demandeur allègue avoir été interrogé par les autorités à son retour et avisé qu’il ne pouvait pas vivre à Colombo. Il est donc retourné à Vavuniya. En 2008, les TLET l’ont détenu et ses parents ont dû payer une rançon pour garantir sa libération. D’après le demandeur, compte tenu de son présumé statut d’homme célibataire issu d’une région occupée par les TLET, il était dans la ligne de mire des autorités, harcelé aux postes de contrôle de la circulation et ramassé lors des rafles. En mai 2009, alors que le gouvernement sri‐lankais écrasait les TLET, la police l’a détenu et torturé pendant cinq jours, car elle le soupçonnait d’avoir porté secours à l’ennemi.

[9] Aux dires du demandeur, l’armée sri‐lankaise l’a détenu à partir du 10 mars 2011 pendant 12 jours et l’a torturé parce qu’elle le soupçonnait d’avoir travaillé pour les TLET. Il a été libéré après avoir versé un pot‐de‐vin.

[10] En juillet 2011, le demandeur a fui le Sri Lanka muni d’un passeport canadien falsifié. Il est arrivé au Canada le 15 juillet 2011 et a demandé l’asile.

[11] Le demandeur a attendu en vain pendant plus de six ans qu’une audience relative à sa demande d’asile se tienne devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Durant ce temps, son épouse l’a parrainé et il est devenu résident permanent le 13 juillet 2016. Il a par la suite retiré sa demande d’asile.

[12] En mars 2017, le demandeur a été déclaré coupable de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur, infraction prévue à l’alinéa 249(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c C ‐46 (le Code criminel).

[13] Puis, en 2019, le demandeur a été déclaré coupable d’agression sexuelle, infraction visée par l’article 271 du Code criminel. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans et demi. Sa peine a emporté son interdiction de territoire au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Son statut de résident permanent a ensuite été révoqué et il est tombé sous le coup d’une mesure de renvoi exécutoire.

[14] En février 2021, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, laquelle a été circonscrite à l’article 97 de la LIPR du fait de son interdiction de territoire.

B. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[15] Le 28 avril 2021, l’agent a rejeté la demande d’ERAR. Il a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur ne présentait pas le profil d’une personne présumée ou connue par les autorités sri‐lankaises comme étant associée aux TLET, que ce soit à titre personnel, familial ou par la diaspora.

[16] L’agent a écarté le risque que pourrait courir le demandeur au Sri Lanka parce que, selon lui, les prétendus actes de persécution commis par les formations paramilitaires se résumaient à des incidents criminels aléatoires. Il a fait observer que le demandeur n’avait pas produit de preuve corroborante pour démontrer qu’il avait été personnellement visé. L’agent a également conclu que la preuve ne permettait pas d’étayer les multiples affirmations quant aux incidents de détention et de torture survenus dans le passé. Il a estimé que ces événements ne s’étaient pas produits et que le demandeur n’était pas actuellement recherché par les autorités sri‐lankaises.

[17] L’agent s’est penché sur l’ensemble de la preuve documentaire déposée par le demandeur et a constaté que plusieurs des documents ne concernaient pas sa situation. Il a pris acte des éléments de preuve faisant foi de l’animosité actuelle entre les Tamouls et les Cinghalais au Sri Lanka, et du fait que les Tamouls sont la cible d’une certaine forme de discrimination et de violence policière et gouvernementale. Quoique l’agent ait pris note du fait que les Tamouls sont souvent présumés être associés aux TLET, il a conclu qu’il s’agissait d’un risque généralisé. Il a également conclu que les Tamouls en péril possèdent des profils qui ne se limitent pas au fait d’avoir établi leur résidence dans le nord du Sri Lanka.

[18] L’agent a reconnu que les demandeurs d’asile déboutés pouvaient attirer l’attention des autorités sri‐lankaises à leur retour au pays et a souscrit à la thèse voulant que le demandeur risque d’être interrogé à l’aéroport en raison de son séjour en Occident. Toutefois, l’agent était d’avis que les autorités sri‐lankaises ne contrôlent ni n’interpellent à tout coup les demandeurs d’asile déboutés et ne supposent pas systématiquement qu’ils sont associés aux TLET. La documentation objective ne fait pas non plus état du fait que les hommes tamouls originaires du nord du Sri Lanka sont automatiquement soumis à la torture ou à d’autres formes de sévices une fois de retour au pays, même s’ils sont des demandeurs d’asile déboutés munis de documents de voyage temporaires.

[19] En outre, l’agent a conclu que la preuve documentaire révélait que les demandeurs d’asile déboutés n’étaient pas visés uniquement du fait de leur ethnie, mais plutôt en raison des liens personnels et familiaux qui les reliaient aux TLET, y compris des liens les unissant à la diaspora tamoule. Il a également constaté que le demandeur avait retiré sa demande d’asile au Canada et n’était donc pas un demandeur d’asile débouté. En conséquence, l’agent a statué que la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur pourrait être présumé être associé aux TLET ni qu’il présentait le profil d’une personne que les autorités pourraient cibler au retour, et ce, malgré le fait qu’il soit un homme tamoul issu du Nord.

III. Question préliminaire

[20] Le demandeur désigne comme défendeur le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Or, le bon défendeur est plutôt le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (paragraphe 4(1) de la LIPR et paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‐22). Par conséquent, l’intitulé de la cause est par la présente modifié, avec effet immédiat.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[21] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[22] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. J’abonde dans le même sens. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond, et je n’estime pas que la question soulevée en l’espèce justifie que l’on s’écarte de cette présomption (aux para 10, 16).

[23] La norme de la décision raisonnable est fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12‐13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes visées (Vavilov, aux para 88‐90, 94, 133‐135).

[24] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui‐ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ni accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

V. Analyse

[25] D’après le demandeur, l’agent a omis d’examiner son profil de risque personnel relatif à sa demande d’asile, sa sortie illégale du Sri Lanka, son séjour prolongé au Canada et les liens qu’il entretient avec une importante diaspora tamoule et des réfugiés, membres de sa famille. Selon lui, dans sa décision, l’agent a retenu les éléments de preuve documentaire selon lesquels les autorités sri‐lankaises visent les Tamouls qui ont de la parenté associée aux TLET, ainsi que les Tamouls qui ont des liens avec des membres de la diaspora tamoule qui appuient les TLET. L’agent a également pris appui sur des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays selon lesquels les personnes qui entretiennent des liens réels ou présumés avec les TLET pourraient être en péril. Or, il a omis de tenir compte de l’affiliation présumée du demandeur aux TLET lorsqu’il s’est penché sur son profil de risque, et s’est abstenu de prendre en considération les documents relatifs aux conditions dans le pays portant que le Canada abrite une importante diaspora tamoule pro‐TLET. Le demandeur fait également valoir que l’agent a déraisonnablement tablé sur le retrait de sa demande d’asile pour douter de la véracité de ses allégations. Le demandeur ajoute que l’agent n’a pas fait de rapprochement suffisant entre le fait qu’il a quitté le Sri Lanka muni d’un passeport falsifié et les éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays selon lesquels les personnes sorties illégalement du pays peuvent être détenues et torturées à leur retour.

[26] Pour étayer sa thèse, le demandeur a invoqué la décision Suntharalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987, dans laquelle la Cour a conclu que la SPR avait commis une erreur en s’abstenant d’évaluer si le demandeur était exposé à un risque selon la preuve documentaire objective simplement parce qu’elle n’avait pas cru qu’il était ciblé par les autorités en raison de son association présumée avec les TLET (au para 47). Au paragraphe 49 de ses motifs, la Cour a fait observer que « [...] les préoccupations [...] liées à la crédibilité ne permettent pas de trancher la question de savoir s’il y a un risque grave que le demandeur soit persécuté en sa qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié ».

[27] Le demandeur prend également appui sur la décision Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 313 (Alexander) pour plaider qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de fonder son examen des risques uniquement sur la question de savoir s’il avait été affilié aux TLET dans la passé, puisque l’agent était tenu d’apprécier les risques prospectifs. Au paragraphe 10 de la décision Alexander, la Cour a conclu que la SPR avait minimisé le risque associé au rapatriement de pays qui abritent une importante diaspora tamoule, comme le Canada :

[...] la SPR a minimisé le risque auquel est exposé le demandeur en affirmant que seules les personnes soupçonnées de prendre part aux activités des TLET au Sri Lanka font l’objet de torture. Ce faisant, la SPR a omis de tenir compte d’éléments de preuve substantiels et objectifs selon lesquels le fait de demander l’asile à l’étranger, en particulier dans les pays considérés comme ayant une importante diaspora tamoule comme le Canada, peut en soi constituer un motif pour soupçonner l’existence de liens entre le demandeur d’asile et les TLET, ou mener à de mauvais traitements.

[28] Le défendeur rétorque que l’agent a correctement retenu que le demandeur n’était pas un demandeur d’asile débouté. Or, la décision de l’agent ne reposait pas sur ce facteur, mais plutôt sur la conclusion voulant que le demandeur n’ait pas démontré avoir le profil d’une personne exposée à un risque après son rapatriement au Sri Lanka. Le défendeur met en relief la conclusion de l’agent, fondée sur les documents sur la situation au pays, portant que les hommes tamouls originaires du nord du Sri Lanka ne sont pas automatiquement torturés ou maltraités au retour, même s’ils sont des demandeurs d’asile déboutés. Dans la même veine, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas produit de preuve suffisante pour démontrer l’existence de son risque personnel associé aux réfugiés, membres de sa famille, à son affiliation avec la diaspora tamoule, ou à sa sortie illégale du Sri Lanka. Le défendeur signale également que l’épouse du demandeur et sa fille ont obtenu la qualité de réfugié en 2008, une année marquée par le conflit déclaré opposant les TLET et le gouvernement sri‐lankais. Par conséquent, le défendeur soutient que la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible.

[29] Je souscris à la thèse du demandeur. Je juge que l’agent n’a pas justifié sa conclusion selon laquelle le demandeur ne présentait pas le profil de risque d’une personne qui serait ciblée par les autorités sri‐lankaises à son retour au pays. C’est particulièrement vrai compte tenu de la manière dont les allégations du demandeur correspondent aux risques dégagés par l’agent durant son examen de la preuve relative à la situation dans le pays.

[30] Dans sa décision, l’agent reconnaît qu’il est possible que le demandeur soit interrogé à l’aéroport en raison de son séjour au Canada. Il a également pris acte du fait que les demandeurs d’asile déboutés rapatriés au Sri Lanka peuvent entrer dans la ligne de mire des autorités au retour, et que les personnes issues d’une importante diaspora tamoule et celles dont la parenté entretient des liens avec les TLET sont particulièrement en péril. L’agent a pris note du fait que le demandeur est un homme tamoul originaire du nord du Sri Lanka, mais a conclu qu’il n’était pas un demandeur d’asile débouté parce qu’il avait retiré sa demande d’asile, et qu’il [traduction] « ne présent[ait] [donc] pas le profil des personnes qui [étaient] systématiquement ciblées par les autorités après leur retour de l’étranger ». Il a également conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur était exposé à un risque en raison de son profil politique personnel, ni qu’il [traduction] « [était] présumé avoir des liens avec les TLET ou qu’il s’[était] heurté à des problèmes à cause de ces liens présumés ». La décision de l’agent fait en outre état de ce qui suit :

[traduction]

[...] Je fais observer qu’il a auparavant présenté une demande d’asile au Canada, mais qu’il l’a retirée une fois que sa demande de parrainage conjugal a été approuvée. Au vu de l’absence de preuve qui démontre qu’il est recherché par les autorités ou qui appuie directement d’une autre façon ses allégations relatives au risque, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les événements n’ont pas eu lieu. Par conséquent, j’estime que le demandeur n’est pas recherché par les autorités pour avoir appuyé les TLET, ni pour avoir travaillé auprès d’eux.

[Non souligné dans l’original.]

[31] À la lumière de la preuve objective relative à la situation dans le pays et de la déclaration sous serment du demandeur, je conclus que les conclusions de l’agent sont inintelligibles et injustifiées. À mon sens, l’agent a déraisonnablement ramené les allégations relatives aux incidents de torture et de détention illégale du demandeur à l’expression d’un risque généralisé. Ce faisant, il a omis de sonder véritablement comment les facteurs de risque allégués par le demandeur pouvaient se traduire par l’expression d’un risque personnalisé, et a plutôt tablé sur une conclusion générale voulant que le demandeur n’ait pas produit assez d’éléments de preuve pour corroborer ses affirmations quant au risque. Comme me l’a signalé l’avocate du demandeur durant l’audience, l’agent a également fait fi d’éléments de preuve documentaire qui contredisent ses conclusions au regard du traitement infligé aux rapatriés sri‐lankais à leur retour au pays lorsqu’ils sont soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET.

[32] Je conviens également avec le demandeur que l’agent ne pouvait logiquement mettre l’accent sur le retrait de la demande d’asile pour étayer sa conclusion selon laquelle les incidents allégués de torture et de détention ne s’étaient pas produits. À mon avis, le demandeur pouvait raisonnablement retirer sa demande d’asile après avoir obtenu le statut de résident permanent par le truchement d’un parrainage conjugal. Comme l’a souligné à juste titre l’avocate du demandeur durant l’audience, la distinction soulevée par l’agent en l’espèce, à savoir que le demandeur n’est pas un demandeur d’asile débouté parce qu’il a retiré sa demande d’asile, n’est pas significative, compte tenu de la durée du séjour du demandeur au Canada, et de la preuve selon laquelle il est un Tamoul originaire du nord du Sri Lanka qui entretiendrait des liens avec les TLET. En l’espèce, le retrait de la demande d’asile ne signifie pas que le demandeur ne présente plus le profil d’une personne qui demanderait l’asile au Canada, ni celui de quelqu’un que les autorités sri‐lankaises cibleraient de ce fait.

[33] De surcroît, la déclaration sous serment du demandeur, qui est présumée authentique et qui n’a pas été remise en question par l’agent, renvoie à ses expériences vécues lorsqu’il avait été arrêté, détenu et torturé sur la foi de ses liens présumés avec les TLET. Son épouse et sa fille se seraient vu conférer la qualité de réfugié en raison de circonstances et d’expériences similaires. Il ne m’apparaît pas clairement quels éléments de preuve probants le demandeur aurait pu obtenir et produire dans les faits, vu qu’il redoute le gouvernement même qui délivre les documents que l’agent aurait vraisemblablement voulu examiner. Bien qu’il incombe au demandeur de prouver le bien‐fondé de ses prétentions, l’agent n’a pas indiqué quels éléments de preuve auraient permis de corroborer les allégations formulées dans la déclaration sous serment. J’estime également que l’argument du défendeur portant que les membres de la famille du demandeur se seraient vu conférer l’asile en 2008 en raison du conflit en cours au Sri Lanka se résume à une tentative d’étoffer l’analyse rudimentaire de l’agent sur le risque personnel. L’agent ne se penche pas sur cette possibilité dans sa décision et s’abstient plutôt d’examiner si les allégations du demandeur auraient pu être appuyées par l’octroi de l’asile à son épouse et à sa fille.

[34] En outre, un examen de la décision de l’agent laisse entrevoir que son raisonnement et son analyse de la situation du demandeur auraient pu être obscurcis par les antécédents criminels de celui‐ci. Il faut souligner que l’agent n’était pas chargé de trancher la question de savoir si le demandeur avait la probité d’une personne qui devrait avoir le droit de demeurer en sol canadien. Il était plutôt chargé d’évaluer le risque prospectif du demandeur d’être exposé à la torture et à la persécution à son retour au Sri Lanka. Le rejet total par l’agent de la déclaration sous serment du demandeur qui fait état d’un tel risque, fondé sur de multiples expériences au fil des années, met en lumière le défaut de l’agent de mettre l’accent sur les éléments recherchés dans un ERAR.

[35] Dans l’ensemble, je conclus que, bien qu’il ait tenu compte de plusieurs éléments de preuve sur la situation du pays, en lien avec les allégations du demandeur, l’agent ne s’est pas assez soucié du risque personnel couru par le demandeur. Par conséquent, je juge que la décision de l’agent n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, au para 85), et qu’elle est donc déraisonnable.

[36] Ayant conclu que la décision de l’agent est déraisonnable, je n’ai pas à me pencher sur les arguments du demandeur concernant la violation de l’équité procédurale.

VI. Conclusion

[37] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐3414‐21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. L’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné à titre de défendeur.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐3414‐21

 

INTITULÉ :

SUWENTHIRAN IYAMPILLAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 juin 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Amy Mayor

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.