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Date : 20220815


Dossier : T‐952‐20

Référence : 2022 CF 1116

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

GOOGLE LLC

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

SONOS, INC.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 26 juillet 2022)

I. INTRODUCTION

[1] La demanderesse, Google LLC (Google), poursuit la défenderesse, Sonos Inc. (Sonos), pour contrefaçon de la revendication 7 du brevet canadien no 2,545,150 intitulé « Procédé et appareil de commande adaptative d’écho et de bruit » (le brevet 150). Sonos allègue par demande reconventionnelle que la revendication 7 du brevet 150 est invalide, car elle est évidente et n’est pas inventive.

[2] Google est la propriétaire du brevet 150.

[3] Sonos exerce des activités commerciales notamment à titre d’importatrice, de fabricante, de distributrice, d’exportatrice, d’agente de commercialisation et de détaillante de haut‐parleurs intelligents et de produits connexes au Canada. Un haut‐parleur intelligent est un haut‐parleur qui se commande avec la voix d’un utilisateur et utilise un « assistant virtuel ». Cet appareil peut répondre à des questions, exécuter diverses tâches automatisées et commander d’autres appareils intelligents compatibles. Par exemple, il peut indiquer les conditions météorologiques à l’extérieur, trouver la réponse à une question ou, encore, diffuser de la musique.

[4] Les produits de Sonos en cause en l’espèce sont les haut‐parleurs One de première et deuxième générations, Move, Arc, Beam de première et deuxième générations et Roam, tous fabriqués par Sonos (individuellement un dispositif Sonos, et collectivement, les dispositifs Sonos).

[5] La revendication 7 du brevet 150 est libellée comme suit :

[TRADUCTION]
7. Un dispositif électronique comprenant :

une entrée audio configurée pour recevoir un signal reçu;

une sortie audio configurée pour fournir un signal de sortie;

un émetteur‐récepteur configuré pour transmettre un signal rayonné; et

un système de commande adaptative d’écho et de bruit couplé à l’entrée audio, à la sortie audio et à l’émetteur‐récepteur, le système de commande adaptative d’écho et de bruit comprenant

un annuleur d’écho; et

un suppresseur de bruit,

où le système de commande adaptative d’écho et de bruit est configuré pour déterminer de manière adaptative un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu en vue de générer un signal utile, et

où le système de commande adaptative d’écho et de bruit est en outre configuré pour envoyer le signal utile à l’émetteur‐récepteur.

II. QUESTIONS EN LITIGE

[6] L’action a été scindée, les questions relatives à la réparation étant mises de côté jusqu’à ce qu’il soit statué sur la responsabilité. Par conséquent, la Cour doit répondre aux trois questions suivantes dans la présente phase du litige :

  1. Quelle est l’interprétation appropriée de la revendication 7?

  2. Sonos contrefait‐elle directement la revendication 7 ou incite‐t‐elle à la contrefaçon de celle‐ci en important, fabriquant, distribuant, annonçant, promouvant, utilisant, exportant ou vendant les dispositifs Sonos?

  3. La revendication 7 est‐elle invalide parce que son objet était évident pour la personne versée dans l’art, contrairement à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‐4, compte tenu des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art et de l’état de la technique au 20 novembre 2003, date de revendication du brevet 150?

III. PREUVE

[7] Les parties ont déposé en preuve un exposé des faits de 93 paragraphes sur lequel elles se sont mises d’accord. Chaque partie a fait comparaître un témoin expert : Chris Kyriakakis, Ph. D., pour Google, et Michael T. Johnson, Ph. D., pour Sonos. Les deux ont témoigné au sujet des connaissances générales courantes et de la façon dont la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 7, ainsi que des questions de savoir si les dispositifs Sonos contrefont la revendication 7 et si la revendication 7 est évidente.

[8] Au départ, Google a informé la Cour qu’elle voulait faire comparaître un deuxième expert, Robert S. Plachno, pour qu’il témoigne au sujet du code source du logiciel des dispositifs Sonos (le code source de Sonos).

[9] Après le témoignage de M. Kyriakakis, Google a informé la Cour qu’elle avait décidé de ne pas faire témoigner M. Plachno. Par conséquent, le rapport de ce dernier [le rapport de M. Plachno] n’a pas été déposé en preuve. Toutefois, dans leur exposé conjoint des faits, les parties se sont entendues sur un certain nombre de déclarations contenues dans le rapport de M. Plachno. Ces faits convenus constituent des éléments de preuve pour le présent procès. Dans son rapport et son témoignage, M. Kyriakakis s’est dans une certaine mesure appuyé sur le rapport de M. Plachno. Dans la mesure où il s’est appuyé sur des parties du rapport de M. Plachno sur lesquelles les parties ne se sont pas entendues, les éléments de preuve visés sont irrecevables.

[10] Sonos avait mis à la disposition de M. Plachno différentes versions complètes du code source de Sonos aux fins d’examen, chaque version représentant le code à une date donnée. M Kyriakakis n’a toutefois pas passé en revue l’ensemble du code source de Sonos mis à la disposition de M. Plachno. Il s’est plutôt appuyé sur des extraits en format PDF du code source de Sonos demandé par M. Plachno, ainsi que sur le rapport de M. Plachno.

[11] M. Johnson a, quant à lui, analysé la totalité du code source de Sonos. Pour cette raison, je privilégie son témoignage s’il y a divergence entre les deux experts au sujet du code source de Sonos.

[12] Sonos a aussi fait comparaître l’un de ses premiers employés, Nicholas Millington, comme témoin des faits. Ce dernier a commencé à travailler chez Sonos en avril 2003 et y occupe actuellement le poste de dirigeant principal de l’innovation.

[13] Je présenterai un bref résumé de la preuve présentée par ces trois témoins, mais je renverrai à leurs dépositions de façon plus détaillée lorsque j’examinerai les questions dont la Cour est saisie. De façon générale, j’ai trouvé ces trois personnes crédibles. Les deux experts ont proposé des interprétations de la revendication 7 et des avis sur l’invalidité très différents; toutefois, les deux étaient crédibles et ont convenu de nombreuses questions importantes pour l’action.

[14] M. Millington a également été jugé crédible. Son témoignage a fait l’objet de nombreuses objections – il s’agissait d’allégations selon lesquelles il présentait une opinion plutôt qu’une preuve factuelle et sa preuve constituait du ouï‐dire, surtout en ce qui concerne le code source de Sonos puisqu’il ne l’avait pas écrit ou examiné personnellement.

[15] Pour rendre ma décision, je ne me suis appuyé que sur sa déposition concernant des faits qui relevaient de ses connaissances, de ses observations et de son expérience à Sonos.

Fonctionnement des dispositifs Sonos

[16] La description suivante du fonctionnement des dispositifs Sonos découle de la déposition de tous les témoins et de l’énoncé des faits sur lesquels les parties se sont mises d’accord.

[17] Les dispositifs Sonos sont des haut‐parleurs intelligents conçus pour un usage résidentiel. Ils intègrent une panoplie de microphones miniatures pour capter les commandes vocales, ainsi qu’un ou plusieurs gros haut‐parleurs afin de diffuser du son. Pour que leurs fonctions « intelligentes » soient accessibles, les haut‐parleurs doivent être branchés à une source d’alimentation électrique et connectés à Internet.

[18] Les dispositifs Sonos sont compatibles autant avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon que l’Assistant Google, mais, pour les utiliser, la configuration ne peut se faire que pour un seul de ces assistants à la fois. Un assistant vocal est un logiciel conçu pour comprendre une commande formulée de vive voix et y répondre. Il s’active à la détection d’un « mot d’éveil », soit par défaut « Alexa » chez Amazon et « Hey Google » ou « OK Google » chez Google.

[19] Voici deux exemples simples qui illustrent le fonctionnement des dispositifs Sonos après la configuration du produit. Dans le premier exemple, l’utilisateur demande : « Alexa, quel temps fait‐il à Ottawa actuellement? ». L’assistant vocal d’Amazon détecte le mot d’éveil, interprète la commande, recherche la réponse sur Internet et répond par le ou les haut‐parleurs du produit : « Environnement Canada indique qu’il fait actuellement 20 degrés Celsius à Ottawa ». Dans le deuxième exemple, l’utilisateur dit : « Hey Google, mets de la musique des années 1960 ». L’Assistant Google détecte le mot d’éveil, interprète la commande, effectue une recherche sur Internet et répond par le ou les haut‐parleurs du produit : « Voici une sélection musicale des années 1960 de Spotify ». Il diffuse ensuite la musique que contient la liste de lecture trouvée.

[20] Les dispositifs Sonos doivent être configurés, car, fraîchement déballés, ils ne sont que des haut‐parleurs ordinaires : l’assistant vocal n’est pas programmé, les microphones sont éteints et le bip signalant la reconnaissance du mot d’éveil est désactivé. L’utilisateur peut cependant activer cette fonction s’il le souhaite.

[21] Il faut brancher les dispositifs Sonos dans une prise électrique après avoir connecté le cordon d’alimentation. En outre, l’utilisateur doit télécharger l’application de Sonos pour le guider à travers la procédure de configuration du produit, qui offre trois options de programmation d’assistant vocal, c’est‐à‐dire i) sans assistant vocal, ii) avec l’Assistant Google ou iii) avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon. Cette information présente un intérêt en l’espèce. L’utilisateur qui configure le produit Sonos en choisissant l’assistant vocal de Google ou d’Amazon doit disposer d’un compte lié au service correspondant.

[22] Les dispositifs Sonos sont conçus pour transmettre un signal filtré à l’assistant vocal afin qu’il détecte le mot d’éveil et interprète correctement la demande de l’utilisateur. Ce processus de filtrage du signal, appelé le [traduction] « pipeline vocal Sonos », a pour fonction de traiter l’écho – la portion du signal attribuable au son capté par les microphones après sa diffusion par les haut‐parleurs du produit – et le bruit – toute portion non désirée du signal –, soit tout autre son que la voix de l’utilisateur dans le cas des dispositifs Sonos.

[23] Le pipeline vocal Sonos traite le signal audio capté par les microphones en exécutant une série d’étapes de traitement distinctes. On peut voir celles‐ci comme des « blocs » fonctionnels formant une chaîne ou un pipeline que suit le signal, lequel subit un traitement à chacun des blocs. Par exemple, un tel bloc élimine ||||||||||, et un autre met en œuvre une ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[24] Le signal ne traverse pas toujours les mêmes blocs, car certains d’entre eux s’activent ou se désactivent selon l’assistant vocal choisi (parmi les deux assistants proposés) et l’état du dispositif Sonos, par exemple lorsqu’il diffuse de la musique. Au démarrage, un dispositif exécute les mêmes sous‐étapes, quoique différents paramètres peuvent être appliqués pour tenir compte des autres étapes de traitement effectuées en amont (p. ex. la multiplication par un facteur distinct). Il s’agit là d’une description simplifiée à l’extrême du pipeline vocal Sonos, mais celle‐ci suffit pour trancher les questions en litige.

[25] Les experts ont analysé le pipeline vocal Sonos en tant que code source, c’est‐à‐dire le code informatique humainement lisible. Il s’agit d’une série d’instructions que doit suivre une unité de traitement. Le code source de Sonos est écrit en langage de programmation C++ et compte des dizaines de milliers de fichiers totalisant 4,5 Go de données.

[26] Les dispositifs Sonos ne contiennent pas le code source de Sonos. Le code source humainement lisible est plutôt converti en code exécutable par un compilateur, et ce code exécutable est ensuite installé sur les dispositifs Sonos pour assurer leur fonctionnement. L’explication du processus fournie ci‐après par M. Johnson concorde avec les témoignages de MM. Millington et Kyriakakis.

[TRADUCTION]
45. Le code source enregistré dans les dossiers de fichiers représente le logiciel de divers produits et modèles d’appareils. Pour créer du code exécutable destiné à être chargé dans un modèle de produit donné aux fins d’exploitation, il [le code exécutable] doit être « compilé » avec les instructions et les paramètres de configuration nécessaires à son utilisation par l’unité de traitement du produit et dans l’environnement donné. Pour ce faire, un fichier de type « makefile » transmet au compilateur les instructions permettant de convertir exactement le code source en code exécutable.

46. Les dispositifs eux‐mêmes ne stockent pas le code source; on y trouve plutôt le code exécutable construit à partir du code source par le compilateur, qui génère le code conçu pour être installé sur le produit et utilisé par celui‐ci.

47. De fait, le code source contient habituellement de nombreux éléments écartés au moment de la compilation ou de l’exécution par un produit donné. Il faut donc, lorsqu’on le lit, prendre soin de déterminer le contenu compilé, celui qui est exécuté, celui qui influe sur le fonctionnement du dispositif et celui sans incidence. Le code sans effet sur le fonctionnement du dispositif comprend, par exemple, les éléments non liés à du code, le code exclu par les instructions envoyées au préprocesseur, ainsi que le code non exécuté ou inutilisé.

[27] Comme l’a souligné M. Johnson, le code source de Sonos n’est pas exécuté en totalité. M. Johnson a expliqué que les instructions envoyées au préprocesseur peuvent indiquer au compilateur ce que doit contenir ou non le code exécutable et que le code source peut aussi inclure du code non exécuté ou inutilisé. Selon M. Johnson, le code non exécuté correspond à du code qui [TRADUCTION] « définit des classes ou des méthodes auxquelles le programme principal ne fait jamais appel, d’où leur inexécution ». Quant au code inutilisé, il correspond à du code [TRADUCTION] « appelé et exécuté, mais qui ne sert jamais. Il n’a donc pas d’incidence sur le fonctionnement du système ».

[28] Pour comprendre comment fonctionnent les dispositifs Sonos, on doit lire le code source de Sonos en prenant soin de déterminer les bouts de code appelés qui exécutent réellement une fonction.

Opinions des experts

[29] M. Kyriakakis a été reconnu à titre d’expert en traitement de signaux, ce qui comprend le traitement numérique des signaux, le traitement des signaux audio et vocaux, la commande de l’écho et du bruit, les algorithmes audio, le traitement adaptatif des signaux et l’optimisation de ces systèmes.

[30] Il a rédigé un rapport initial [le premier rapport de M. Kyriakakis] dans lequel il donnait son avis sur la personne versée dans l’art, l’interprétation du brevet 150 du point de vue de cette personne en date du 9 juin 2005, à la lumière des connaissances générales courantes de l’époque, et la question de savoir si les dispositifs Sonos comprennent tous les éléments essentiels de la revendication 7.

[31] Selon lui, la personne versée dans l’art dispose d’un niveau de compréhension correspondant à celui d’un titulaire d’une maîtrise en génie électrique avec spécialisation en traitement des signaux audio et cumule plusieurs années d’expérience dans le domaine du traitement des signaux audio.

[32] De façon générale, M. Kyriakakis est d’avis que la revendication 7 porte sur un procédé et un appareil de commande adaptative d’écho et de bruit employés par un dispositif qui détermine de manière adaptative un ordre d’élimination du bruit et d’annulation d’écho en fonction du bruit dans le signal d’entrée. Selon lui, les dispositifs Sonos regroupent tous les éléments essentiels décrits à la revendication 7 :

[TRADUCTION]
43. Les dispositifs Sonos sont des haut‐parleurs intelligents à commande vocale connectés à Internet, qui permettent de simplifier les communications avec leurs utilisateurs et acceptent les commandes vocales afin de diffuser du contenu. Les dispositifs Sonos mettent en œuvre un trajet que suit le signal vocal (par l’entremise d’un logiciel exécuté par un microprocesseur) pour reconnaître les commandes vocales d’un utilisateur et les transmettre aux assistants vocaux personnels intégrés aux dispositifs Sonos, à savoir Alexa d’Amazon et l’Assistant Google.

44. Le trajet mis en œuvre par les dispositifs Sonos et suivi par le signal vocal (en particulier les microprocesseurs et le logiciel qu’ils exécutent) traite le signal d’entrée, détecte le bruit qu’il contient et détermine un ordre d’élimination du bruit et d’annulation d’écho en fonction du bruit dans le signal.

[33] M. Kyriakakis a rédigé un deuxième rapport sur l’invalidité [le deuxième rapport de M. Kyriakakis] en réponse au rapport de M. Johnson. Il conclut que la revendication 7 n’est pas évidente.

[34] M. Johnson a été reconnu à titre d’expert en traitement de signaux et de la parole, ce qui comprend le traitement numérique des signaux, le traitement adaptatif ou optimal des signaux et le traitement de la parole.

[35] Il a rédigé un rapport initial [le premier rapport de M. Johnson] dans lequel il donnait son avis sur la personne versée dans l’art, l’interprétation de la revendication 7 du point de vue de cette personne en date du 9 juin 2005 et sur la question de savoir si la revendication 7 est évidente à la lumière des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art et des documents accessibles au public avant le 20 novembre 2003.

[36] Selon lui, la personne versée dans l’art devrait :

[TRADUCTION]
au moins détenir un baccalauréat en génie électrique ou informatique, ou dans une discipline connexe, cumuler au minimum quatre années d’expérience dans le domaine des communications et du traitement des signaux vocaux ou audio, ou un domaine semblable, et avoir des connaissances de base sur les procédés de traitement adaptatif des signaux et les algorithmes d’extraction de signaux. Le domaine des communications et du traitement des signaux vocaux ou audio comprend notamment la téléphonie, les communications mobiles et la radiodiffusion. Une formation complémentaire dans ce domaine pourrait compenser un certain degré d’expérience en ingénierie, et vice versa.

[37] D’après M. Johnson, la revendication 7 [TRADUCTION] « décrit un système de commande adaptative d’écho et de bruit capable de déterminer de manière adaptative et de modifier l’ordre d’annulation d’écho et d’élimination du bruit ». Plus précisément :

[TRADUCTION]
205. Le système présenté à la revendication 7 comprend une entrée audio, une sortie audio, un émetteur‐récepteur et un système de commande adaptative d’écho et de bruit incluant un annuleur d’écho et un suppresseur de bruit. Le système de commande adaptative d’écho et de bruit est configuré pour déterminer de manière adaptative l’ordre d’[annulation d’écho] et de [suppression du bruit] en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu en vue de générer un signal utile et de l’envoyer à l’émetteur‐récepteur.

[38] M. Johnson, dans son deuxième rapport (le deuxième rapport de M. Johnson), qui traite de la contrefaçon et constitue une réponse au rapport de M. Kyriakakis, conclut que les dispositifs Sonos ne comprennent pas plusieurs des éléments essentiels décrits à la revendication 7. Plus précisément, il est d’avis que l’ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit ne varie jamais dans les dispositifs Sonos et que la transition entre les modes de fonctionnement n’est pas déterminée de manière adaptative; ce basculement est plutôt déclenché par un facteur externe au pipeline vocal Sonos, soit l’utilisateur.

IV. INTERPRÉTATION

[39] Les principes juridiques régissant l’interprétation des revendications sont bien connus et largement acceptés par les parties. Ils ont été résumés récemment comme suit par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tearlab Corporation c I‐MED Pharma Inc, 2019 CAF 179 :

[31] La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications, qui favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité. La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet, et par un esprit désireux de comprendre. Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Il incombe au juge appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non‐essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide.

[32] Pour déterminer ces éléments, la teneur des revendications doit être interprétée du point de vue du lecteur versé dans l’art, à la lumière des connaissances générales courantes de ce dernier. Comme il a été observé dans la décision Free World Trust :

[51] [...] Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‐même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Souligné dans l’original.]

[33] L’interprétation des revendications appelle l’examen de l’ensemble de la divulgation et des revendications « pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, [...] sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ». On peut alors tenir compte des spécifications du brevet pour comprendre la signification des termes utilisés dans les revendications. Il faut veiller, cependant, à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, [...] interprétée ». La Cour suprême du Canada a récemment souligné que l’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications; les spécifications seront pertinentes lorsque les revendications sont ambiguës.

[34] Finalement, il est important de souligner que l’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon.

[Renvois omis.]

[40] Les parties ne s’entendent notamment pas sur les circonstances dans lesquelles, le cas échéant, on peut avoir recours à la divulgation pour interpréter les revendications. Google fait valoir qu’il est interdit d’avoir recours à la divulgation du brevet pour déterminer la signification des termes dans les revendications lorsque ceux‐ci ne sont pas ambigus. Aucun des experts n’a perçu de l’ambiguïté dans les termes de la revendication figurant dans le brevet 150. Google fait également valoir que l’interprétation que fait M. Johnson d’une [traduction] « commande » [traduction] « repose exclusivement » sur la divulgation.

[41] À mon avis, Google adopte une vision trop large de la loi. Il y a quarante ans, la Cour suprême a fait observer ce qui suit dans l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la page 520 :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public.

[Renvoi omis.]

[42] Le juge McHaffie a récemment examiné, aux paragraphes 41 à 48 de la décision Guest Tek Interactive Entertainment Ltd c Nomadix, Inc., 2021 CF 276 [Guest Tek], la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale quant aux circonstances dans lesquelles il est approprié de recourir à la divulgation pour interpréter des revendications. Il conclut ce qui suit au paragraphe 47 :

[L]’exercice d’interprétation doit tenir compte à la fois de la divulgation et des revendications, les revendications étant interprétées de façon téléologique dans le contexte du brevet dans son ensemble et à la lumière des [connaissances générales courantes] de la personne versée dans l’art. Toutefois, l’accent reste mis sur le libellé des revendications, qui définit l’étendue du monopole. La divulgation ne devrait pas servir à élargir ou à restreindre la portée des revendications, notamment en ajoutant des mots ou des limitations qui ne figurent pas dans les revendications.

[43] Les juges Grammond et Manson sont arrivés à la même conclusion récemment : voir Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 624 aux para 54‐59, conf par 2021 CAF 166; ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2020 CF 486 aux para 45, 49‐66, 128, conf par 2021 CAF 122 aux para 57‐61.

[44] Je suis d’accord. Comme je l’ai précisé dans la décision Janssen‐Ortho Inc c Canada (Santé), 2010 CF 42, il faut d’abord examiner les revendications. On peut se reporter à la divulgation afin de comprendre ou de confirmer ce que disent les revendications, mais on ne peut l’utiliser pour modifier la portée des revendications. « [O]n ne devrait pas se servir de la divulgation comme un cheval partant à l’aventure, la bride sur le cou et sans cavalier; il faut disposer d’un guide que l’on obtient en examinant d’abord toutes les revendications du brevet. »

[45] MM. Kyriakakis et Johnson s’entendent sur plusieurs aspects de l’interprétation de la revendication 7. Toutefois, ils sont en désaccord sur le sens à donner aux termes [TRADUCTION] « signal reçu », « signal de sortie », « annuleur d’écho », « suppresseur de bruit », « ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit » ni sur ce que signifie quelque chose effectuée [TRADUCTION] « en fonction d’une quantité de bruit ». Cela étant dit, ils s’entendent sur le caractère essentiel de tous les éléments présentés à la revendication 7. Pour des raisons de commodité, je reproduis ci‐dessous la revendication 7 en indiquant en caractères gras les termes sur lesquels il y a mésentente entre les experts.

[TRADUCTION]
7. Un dispositif électronique comprenant :

une entrée audio configurée pour recevoir un signal reçu;

une sortie audio configurée pour fournir un signal de sortie;

un émetteur‐récepteur configuré pour transmettre un signal rayonné;

un système de commande adaptative d’écho et de bruit couplé à l’entrée audio, à la sortie audio et à l’émetteur‐récepteur, le système de commande adaptative d’écho et de bruit comprenant

un annuleur d’écho; et

un suppresseur de bruit,

où le système de commande adaptative d’écho et de bruit est configuré pour déterminer de manière adaptative un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu en vue de générer un signal utile, et

où le système de commande adaptative d’écho et de bruit est en outre configuré pour envoyer le signal utile à l’émetteur‐récepteur.

[46] Le présent litige porte essentiellement sur les interprétations contradictoires du segment suivant de la revendication 7 : [traduction] « où le système de commande adaptative d’écho et de bruit est configuré pour déterminer de manière adaptative un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu en vue de générer un signal utile ». C’est là que le bât blesse, comme l’a expliqué pour la première fois au Canada le juge Hughes dans la décision Shire Biochem Inc c Canada (Santé), 2008 CF 538 au para 21 :

Cependant, la Cour ne peut interpréter une revendication dans l’ignorance de l’objet du litige entre les parties. Comme l’écrivait le juge Floyd de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles (Chambre des brevets) aux paragraphes 7 à 11 de Qualcomm Incorporated v Nokia Corporation [2008] EWHC 329 (Pat), citant la décision Nokia v Interdigital Technology Corporation [2007] EWHC 3077 (Pat), due au défunt juge Pumfrey (qui devait plus tard être promu à la Cour d’appel), [traduction] « il est essentiel [...] de voir où le bât blesse, de manière à pouvoir se concentrer sur les points importants ».

[47] Le désaccord entre les experts sur le sens à donner aux termes [TRADUCTION] « annulation d’écho » et [TRADUCTION] « suppression du bruit » repose en grande partie sur la question de savoir si [TRADUCTION] « l’annulation d’écho » constitue une sous‐étape du processus de [TRADUCTION] « suppression du bruit » ou si les deux termes s’excluent mutuellement.

[48] Comme on l’a vu précédemment, l’écho est la portion du signal reçu créée par le son diffusé par les haut‐parleurs du dispositif et capté à l’entrée audio. Le bruit, pour sa part, est défini au sens large comme toute portion non désirée du signal. Par le fait même, M. Kyriakakis considère l’écho comme du bruit. Il estime également qu’il n’existe aucune différence notable entre l’annulation et la suppression :

[TRADUCTION]
61. Le terme « bruit » décrit habituellement des signaux indésirables, et son emploi varie selon le contexte. Par exemple, au cours d’une séance d’enregistrement, l’intention pourrait [être] de capter la performance d’un chanteur avec le microphone. Tout son autre que la voix du chanteur, y compris le son attribuable au vent, à la circulation, aux systèmes de ventilation, à des interlocuteurs distants ou au déplacement de personnes, serait du bruit, au même titre que les signaux électriques provenant du microphone ou d’un autre équipement. De même, tout son autre que la commande vocale, y compris celui produit par le dispositif lui‐même, serait du bruit pour un assistant vocal personnel essayant de décoder une telle commande.

[...]

63. L’écho est une source de sons indésirables, c’est‐à‐dire du bruit. Elle se produit notamment lorsqu’un signal audio se répète et a des effets non voulus.

[...]

96. La personne versée dans l’art comprendrait que les termes « annulation » et « suppression » ont sensiblement le même sens dans les contextes de la commande d’écho et de bruit et du brevet 150. En réalité, les annuleurs d’écho affaiblissent ou atténuent l’écho sans toutefois l’éliminer ou « l’ annuler » complètement.

[49] M. Johnson n’est pas d’accord. Selon lui, la suppression et l’annulation sont des processus distincts. De plus, selon Sonos, même si l’écho est une forme de bruit à proprement parler, la manière dont les termes sont employés dans le brevet 150 indique qu’ils doivent être traités comme des processus distincts.

[50] Je suis d’accord avec Sonos. Selon une interprétation téléologique des revendications du brevet 150, il ne fait aucun doute que [TRADUCTION] « la suppression du bruit » et [TRADUCTION] « l’annulation d’écho » sont censées être deux processus distincts qui s’excluent mutuellement. Si [TRADUCTION] « la suppression du bruit » comprenait [TRADUCTION] « l’annulation d’écho », la revendication 7 décrirait un dispositif à deux annuleurs d’écho. En pareil cas, il serait impossible de déterminer un ordre de suppression du bruit et d’annulation d’écho, car l’ordre serait toujours simultanément comme suit : annulation d’écho → annulation d’écho et suppression du bruit → suppression du bruit. Pour que la revendication 7 ait un sens, les processus d’annulation d’écho et de suppression du bruit doivent être distincts et s’exclure mutuellement.

[51] Cette interprétation des termes [TRADUCTION] « suppression du bruit » et [TRADUCTION] « annulation d’écho » est également étayée par la divulgation du brevet 150. On y traite toujours de l’écho comme d’un phénomène indépendant du bruit. De même, l’annulation d’écho et la suppression du bruit sont aussi considérées comme des processus distincts. Rien ne donne à penser qu’un quelconque chevauchement existe entre les deux.

[52] Pour ces raisons, il faut interpréter le mot [TRADUCTION] « bruit » comme [TRADUCTION] « du bruit autre que l’écho » et, dans la mesure où l’annulation d’écho est une sous‐étape de la suppression du bruit, le terme [TRADUCTION] « suppression du bruit » comme [TRADUCTION] « toute [procédure de] suppression du bruit autre que l’annulation d’écho ».

[53] Dans leurs rapports initiaux, les experts partageaient un avis commun sur la façon dont que la personne versée dans l’art comprendrait le mot [TRADUCTION] « adaptative » et l’expression [TRADUCTION] « déterminer de manière adaptative » de la revendication 7.

[54] M. Kyriakakis écrit ce qui suit dans son premier rapport :

[TRADUCTION]
« Déterminer de manière adaptative » un ordre de suppression du bruit et d’annulation d’écho « en fonction du bruit de fond dans le signal » signifie que le procédé revendiqué peut établir divers ordres de suppression du bruit et d’annulation d’écho en se fondant d’une manière ou d’une autre sur le bruit de fond dans le signal caractérisé à l’élément précédent. Cet élément ne limite pas le procédé à une quelconque adaptation de l’ordre, tout comme la revendication ne limite pas la manière dont le bruit de fond doit être pris en compte dans l’adaptation de l’ordre.

[55] Quant à M. Johnson, il écrit ceci dans son premier rapport :

[TRADUCTION]
« De manière adaptative » signifie que l’ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit peut varier durant l’opération.

[...]

Une personne versée dans l’art interpréterait le terme « quantité » comme l’amplitude moyenne du bruit de fond exprimée par une valeur numérique.

[Générer un signal utile] signifierait que la détermination de l’ordre [suppression du bruit] et [annulation d’écho] sert d’une façon ou d’une autre à produire un signal qui, on peut le présumer, est exempt de bruit et d’écho, d’où sa qualification de « signal utile ».

[56] Google fait valoir que M. Johnson a modifié dans son deuxième rapport son interprétation de l’élément en question pour ajouter que le système change automatiquement sans que ce changement soit déclenché ou demandé par l’utilisateur. Elle souligne le passage suivant dans le deuxième rapport de M. Johnson :

[TRADUCTION]
Il y a une distinction claire entre un changement se produisant en temps réel pendant le fonctionnement d’un système et un changement déclenché ou demandé par l’utilisateur. Autrement, le terme « de manière adaptative » serait superflu. Les changements qui découlent d’une demande d’un utilisateur et influent sur le fonctionnement ou l’état du système ne sont pas représentatifs de sa capacité « adaptative ».

[57] Je rejette la prétention de Google. Dans son premier rapport, M. Johnson écrit : [TRADUCTION] « En règle générale, le terme “adaptatif”, si on l’emploie dans le domaine du traitement des signaux ou des communications, qualifie un processus susceptible de varier en temps réel en réponse à certains critères ou à un algorithme donné pendant que le système fonctionne ». Je ne peux tout simplement pas accepter l’affirmation de Google voulant que l’énoncé en question inclue un changement commandé par l’utilisateur. Une commande de l’utilisateur ne correspond pas à [TRADUCTION] « certains critères ou à un algorithme donné », pour reprendre l’explication de M. Johnson. Le terme « adaptatif » évoque plutôt un certain degré de réponse automatisée. Il serait plus juste de qualifier un dispositif dont l’état change selon les commandes directes de l’utilisateur « réglable » ou de « configurable ». Une ampoule dont l’intensité lumineuse augmente à mesure que le ciel s’assombrit est adaptative; une ampoule qui s’allume avec un gradateur ne l’est pas.

[58] Quoi qu’il en soit, la revendication 7 du brevet 150 établit que le dispositif n’est pas adaptatif en général, mais seulement adaptatif [TRADUCTION] « en fonction d’une quantité de bruit dans le signal ». Les experts s’entendent pour dire que le bruit constitue la portion indésirable d’un signal. Une commande de l’utilisateur n’est donc pas du bruit, et tout changement provoqué par une telle commande est exclu de la portée de la revendication.

[59] Si les experts s’entendent sur le sens du terme [TRADUCTION] « déterminer », ils divergent sur ce qu’on entend par [TRADUCTION] « un ordre ». Or, l’interprétation appropriée de ce terme joue un rôle crucial dans la position adoptée par les parties.

[60] M. Kyriakakis affirme que [TRADUCTION] « le système de commande adaptative d’écho et de bruit est configuré pour déterminer de manière adaptative un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit “en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu” », avis que partage M. Johnson. M. Kyriakakis ajoute :

[TRADUCTION]
« Un ordre de suppression du bruit et d’annulation d’écho » indique que le procédé revendiqué englobe plusieurs ordres de suppression du bruit et d’annulation d’écho différents. La revendication ne limite en rien les ordres possibles, si ce n’est pour indiquer qu’il existe « un » ordre.

[61] Dans son premier rapport, M. Johnson écrit :

[TRADUCTION]
Le terme « ordre » désigne l’ordre dans lequel s’exécutent spécifiquement les éléments de suppression du bruit et d’annulation d’écho. Vu le libellé des « revendications du brevet 150 et le libellé de la description connexe, une personne versée dans l’art comprendrait que le terme ordre est censé indiquer la présence en séquence de chacun de ces éléments dans le système, l’un d’eux s’exécutant en “premier” et l’autre, en “deuxième” ».

[Je souligne.]

[62] Contrairement à M. Johnson, M. Kyriakakis est d’avis qu’un système comprenant à la fois des fonctions de suppression du bruit et d’annulation d’écho peut fonctionner selon un ordre donné même si l’une d’elles n’est pas exécutée, ce qu’il a expliqué en contre‐interrogatoire :

[TRADUCTION]
Q. D’accord. Donc, si je dispose d’un système qui passe de la fonction d’annulation d’écho seulement à la fonction de suppression du bruit seulement, ou vice versa, celui‐ci déterminerait‐il quand même un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit?

R. Oui, car les blocs correspondants seraient toujours là et s’activeraient ou se désactiveraient au besoin, de sorte que – –

Q. D’accord.

A. – – l’ordre existe donc.

[63] À mon avis, l’opinion de M. Kyriakakis est erronée. Si un dispositif a la possibilité d’exécuter deux processus, disons A et B, A peut s’exécuter avant B (A → B) ou après B (B → A). Si l’un des processus possibles n’est pas exécuté, les deux processus ne peuvent pas suivre un ordre d’exécution (A → rien ou rien → B). Un ordre correspond à une séquence, et il n’y a aucune séquence si un seul des processus s’exécute. L’absurdité du point de vue de M. Kyriakakis ressort dans la situation où aucun des processus A et B n’est utilisé. Dans quel ordre s’exécutent‐ils alors? Les processus ne s’exécutent dans aucun ordre, car il n’y a pas de processus (rien → rien).

[64] Je suis d’accord avec l’interprétation de M. Johnson voulant que, pour avoir [TRADUCTION] « un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit », les deux fonctions doivent s’exécuter en séquence. Cela signifie que le dispositif décrit à la revendication 7 doit présenter au moins deux états de fonctionnement qui comprennent à la fois la suppression du bruit et l’annulation d’écho, la séquence [d’exécution] de l’annulation d’écho et de suppression du bruit étant différente pour chaque état. Le système doit déterminer lequel de ces états de fonctionnement est actif en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu, ce qui n’inclut pas une commande de l’utilisateur.

V. CONTREFAÇON

Contrefaçon directe

[65] Je souscris à l’observation de Sonos selon laquelle les dispositifs Sonos ne contrefont pas directement le brevet 150. Comme il a été précisé précédemment, les dispositifs Sonos fraîchement déballés ne sont pas configurés pour que l’assistant vocal réponde, leur microphone est éteint et le bip de reconnaissance des commandes vocales est désactivé. Le pipeline vocal Sonos, soit l’élément qui emporterait contrefaçon, est utilisé uniquement après la configuration de l’assistant vocal et à l’activation de celui‐ci. Par conséquent, un dispositif fraîchement déballé n’exploite jamais le pipeline vocal Sonos. Il n’y a donc ni annulation d’écho, ni suppression du bruit, ni signal reçu.

Contrefaçon indirecte

[66] Le juge McHaffie a récemment résumé le droit concernant l’incitation à la contrefaçon aux paragraphes 56 à 59 de la décision Guest Tek :

[56] L’incitation à la contrefaçon est simplement une forme de contrefaçon de brevet et non un délit distinct : Hospira, au para 45; Western Oilfield (CAF), au para 60. Les parties conviennent que les allégations d’incitation à la contrefaçon sont régies par le critère en trois parties adopté dans Warner Lambert Co c Wilkinson Sword Canada Inc, [1988] ACF no 70 (CF 1re inst) et réitéré par la Cour d’appel fédérale dans Corlac, au para 162 :

Il est bien établi en droit que celui qui incite ou amène un autre à contrefaire un brevet se rend coupable de contrefaçon du brevet. Une conclusion d’incitation requiert l’application d’un critère à trois volets. Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. Troisièmement, l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[57] En ce qui concerne le premier élément du critère, [traduction] « il y a contrefaçon directe lorsque l’auteur de la contrefaçon directe a accompli toutes les étapes essentielles de l’invention revendiquée » : Western Oilfield (CAF), au para 70. Cela n’exige pas nécessairement des éléments de preuve provenant directement de l’auteur de la contrefaçon directe, mais il doit y avoir des éléments de preuve à partir desquels la Cour peut conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la contrefaçon directe a eu lieu : Western Oilfield Equipment Rentals Ltd c M‐I LLC, 2019 CF 1606 aux para 126, 129, conf par Western Oilfield (CAF), aux para 67‐68.

[58] Guest Tek a soutenu que la deuxième exigence crée un critère du « facteur déterminant », qui consiste à chercher à savoir si le comportement emportant contrefaçon aurait eu lieu n’eût été le comportement du défendeur : Western Oilfield (CF), aux para 127 et 130, conf par Western Oilfield (CAF), au para 70. Je suis d’accord que l’aspect « sans cette influence » du deuxième élément du critère de Warner Lambert et de Corlac crée un critère du « facteur déterminant ». Toutefois, le critère est celui de savoir si la contrefaçon aurait eu lieu sans l’influence du défendeur, et pas seulement en l’absence de la vente par le défendeur d’un produit utilisé par l’auteur de la contrefaçon directe au cours de la contrefaçon. Là encore, la preuve d’influence ne n’a pas besoin de comporter une preuve directe de la part des clients qu’ils ont été incités à la contrefaçon par des instructions données par l’incitateur, si cette influence peut être déduite de la conduite de l’incitateur et de celle de la personne qui a été incitée à la contrefaçon : Western Oilfield (CF), aux para 126, 130‐131, conf par Western Oilfield (CAF), aux para 67‐69.

[59] De même, en ce qui concerne le volet connaissances du troisième élément du critère, comme l’a déclaré le juge O’Reilly dans Western Oilfield (CF), « il suffit simplement que l’incitateur présumé sache ce que le tiers fera vraisemblablement en réponse à son influence » : Western Oilfield (CF), au para 133. La question n’est pas simplement de savoir ce que le tiers est susceptible de faire. Il s’agit de savoir ce que le tiers est susceptible de faire en réponse à l’influence du défendeur.

[Souligné dans l’original.]

[67] J’accepte les observations de Google selon lesquelles, si l’utilisateur commet un acte de contrefaçon, on doit conclure que Sonos a incité à cette contrefaçon.

[68] Avant de conclure à la contrefaçon, il faut d’abord que l’utilisateur ait activé l’assistant vocal. Comme l’a fait remarquer Sonos, M. Kyriakakis s’est seulement penché sur la question de savoir si les dispositifs Sonos configurés avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon contrefaisaient la revendication 7. Il n’a pas examiné la question de savoir si les dispositifs Sonos étaient configurés avec l’Assistant vocal de Google. Par conséquent, la seule preuve de Google se rapporte aux dispositifs Sonos lorsqu’ils sont configurés avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon.

[69] Sonos incite les utilisateurs à activer l’assistant vocal Alexa d’Amazon et saurait qu’un utilisateur est susceptible de répondre favorablement à son invitation. Même si le pipeline vocal Sonos est désactivé au départ, Sonos l’offre néanmoins aux utilisateurs de ses produits et annonce que les dispositifs Sonos sont compatibles avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon. Par exemple, les guides d’utilisation présentés en preuve indiquent aux utilisateurs que les dispositifs Sonos prennent en charge l’assistant vocal Alexa d’Amazon et fournissent des liens pour qu’ils en apprennent davantage sur la façon de le configurer.

[70] La question consiste donc à savoir si un utilisateur contrefait ou non la revendication 7 lorsqu’il utilise les dispositifs Sonos configurés avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon.

[71] La preuve de contrefaçon présentée par Google provient de M. Kyriakakis. Dans son premier rapport, M. Kyriakakis répertorie quatre états différents dans lesquels le pipeline vocal Sonos fonctionne (les états) et fait valoir qu’un examen des états et de la transition entre ceux‐ci démontre la contrefaçon de la revendication 7. Ces états sont les suivants : État no 1 – Le système est alimenté, mais en mode de veille; État no 2 – Le système reconnaît le mot d’éveil; État no 3 – Le système diffuse du contenu; État no 4 – La lecture est mise sur pause, et les haut‐parleurs ne diffusent plus de son (semblable à l’état no 1, sauf que le système n’est pas en mode de veille).

[72] Je vais tenter d’analyser et d’expliquer la conclusion de M. Kyriakakis concernant l’ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit dans chaque état, sans renvoyer, dans la mesure du possible, aux détails techniques et confidentiels du code source de Sonos. M. Kyriakakis conclut que l’ordre dans chaque état est le suivant :

État 1 : suppression du bruit → rien → suppression du bruit

État 2 : suppression du bruit → annulation d’écho → suppression du bruit

État 3 : suppression du bruit → annulation d’écho → suppression d’écho

État 4 : suppression du bruit → rien → suppression du bruit.

[73] Il convient de souligner que le premier processus de chaque état correspond à la suppression du bruit. Cette fonction constitue la || |||||||||||||||||||||||||| exécutée dans le |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| du pipeline vocal Sonos.

[74] Les microphones produisent couramment des composantes de signal à basse fréquence ou à fréquence nulle qui découlent de leur besoin en alimentation en courant continu (c.c.). Ces composantes sont toutefois éliminées |||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| dans le pipeline vocal Sonos.

[75] M. Johnson remet en question la qualification par M. Kyriakakis de l’opération susmentionnée de [TRADUCTION] « suppression du bruit ». Selon lui, il s’agit [TRADUCTION] « d’une opération de traitement de signaux standard qui élimine simplement toute légère variation d’intensité dans le signal », laquelle [TRADUCTION] « n’a aucune incidence sonore sur le signal ». De plus, M. Johnson fait remarquer que l’élément || |||||||||||||||||||||||||| n’est pas adaptatif, car il ne fonctionne qu’une fois le microphone ouvert.

[76] Peu importe que l’on considère |||||||||| comme une fonction de suppression du bruit, l’interprétation appropriée de la revendication 7 requiert l’exécution autant de l’annulation d’écho que de la suppression du bruit. Or, seule la transition entre les états 2 et 3 pourrait contrefaire la revendication 7, car les deux opérations nécessaires ne s’exécutent que dans ces états.

[77] Cependant, la suppression du bruit se produit avant l’annulation d’écho dans les états 2 et 3. L’annulation d’écho est ensuite suivie par la suppression du bruit (état 2) ou d’écho (état 3). La [TRADUCTION] « suppression d’écho » n’est pas un terme utilisé dans la revendication 7 ni dans le brevet 150. Je suis d’accord avec M. Johnson pour dire que M. Kyriakakis a probablement employé le terme [TRADUCTION] « suppression d’écho » dans sa description de l’état 3 [TRADUCTION] « parce que le mot “écho” se trouve dans le libellé des méthodes et des variables du code source de Sonos ». Je conviens aussi que M. Kyriakakis sous‐entend, par son recours à des polices colorées dans sa description des états, que la suppression d’écho et l’annulation d’écho sont une seule et même chose.

[78] Je privilégie le témoignage de M. Johnson en ce qui concerne la troisième étape de l’état 3. La troisième étape est réalisée par ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, qui, d’après M. Johnson, est un procédé reconnu de suppression du bruit.

[TRADUCTION]
280. Le |||||| correspond à une forme courante de la |||||||||||||| pouvant servir avec plusieurs microphones. Il ne s’agit pas d’un annuleur d’écho ni d’une technologie qui modélise le trajet de l’écho acoustique ou exécute une annulation d’écho de quelque manière que ce soit.

281. Il est également utile de rappeler que les termes « suppression d’écho » et « suppression d’écho résiduel » sont couramment employés dans la littérature pour décrire les suppresseurs de bruit suivant les annuleurs d’écho. Ce point a également été abordé dans mon premier rapport, car nombre de systèmes antérieurs font appel à la suppression d’écho résiduel.

282. Conformément aux commentaires ci‐dessus et à la compréhension qu’aurait une personne versée dans l’art, le code source de Sonos :

a. utilise les paramètres |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| pour optimiser |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||,

b. utilise les paramètres |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| pour optimiser |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

283. Le libellé des paramètres choisi par Sonos cadre tout à fait avec l’opération en question et représente simplement leurs conditions de réglage. Il n’est en aucun cas déterminant de la fonction de |||||.

[...]

285. Ces paramètres indiquent des variations numériques se produisant pendant le fonctionnement de ||||||, mais ne modifient pas sa procédure de fonctionnement, n’activent ou ne désactivent aucun de ses éléments et ne changent rien à l’algorithme de |||||| utilisé.

286. Une personne versée dans l’art saurait ce qu’est une |||||| et comprendrait clairement que l’élément |||||| du pipeline vocal Sonos est un suppresseur de bruit, peu importe les valeurs affichées par les paramètres mentionnés plus haut.

[79] On comprend donc que les états 2 et 3 sont identiques et vont comme suit :

État 2 : suppression du bruit → annulation d’écho → suppression du bruit

État 3 : suppression du bruit → annulation d’écho → suppression du bruit.

[80] Je suis d’accord avec M. Johnson lorsqu’il affirme que l’ordre des processus demeure le même dans chacun des états. En outre, comme M. Johnson le fait remarquer, l’événement déclencheur permettant de passer d’un état à un autre n’est pas adaptatif, mais plutôt commandé par un utilisateur ou provoqué d’une manière prédéterminée.

[TRADUCTION]
296. [...] les événements déclencheurs liés aux changements d’état de fonctionnement sont les suivants :

a. État 1 à état 2 – L’utilisateur prononce le mot d’éveil.

b. État 2 à état 1 – Le signal de reconnaissance sonore (bip) s’arrête.

c. État 1 à état 3 – Le système commence à diffuser du contenu (musique) en réponse à une demande de l’utilisateur.

d. État 3 à état 4 – Quelqu’un met sur pause la musique diffusée par le système.

e. État 4 à état 3 – La lecture de la musique reprend.

297. Ce sont tous des modes de fonctionnement généraux des produits Sonos, à savoir la diffusion de musique, l’absence de musique, la réception d’une commande et l’exécution d’une commande.

298. Chacun des modes de fonctionnement indiqués est activé par des événements liés à l’utilisateur. En effet, les transitions (a), (c), (d) et (e) correspondent toutes à un changement de mode de fonctionnement explicitement déclenché par des commandes de l’utilisateur, car c’est ce dernier qui prononce le mot d’éveil, demande au dispositif de diffuser de la musique et commande sa mise sur pause et sa reprise. La transition (b) se produit un certain temps après l’émission du bip de reconnaissance en réponse à la détection du mot d’éveil qui, rappelons‐le, sort lui‐même de la bouche de l’utilisateur.

299. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il n’y a rien d’adaptatif à propos de ces changements. Aucun d’eux ne se produit en temps réel dans l’optique d’améliorer la performance du système pendant son fonctionnement normal. Ils ne sont rien d’autre que de simples modes de fonctionnement prédéterminés activés par les utilisateurs.

[81] En résumé, je conclus que les dispositifs Sonos ne sont pas [TRADUCTION] « configurés pour déterminer de manière adaptative un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu en vue de générer un signal utile » et, par conséquent, qu’ils ne contrefont pas la revendication 7.

VI. INVALIDITÉ

[82] Il a accord pour dire que les principes régissant l’analyse de l’évidence sont ceux énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi‐Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi]. Elle a décrit au paragraphe 67 la démarche à quatre volets qu’il convient de suivre :

[traduction]

(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‐tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‐elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‐elles quelque inventivité?

(1)(a) Personne versée dans l’art

[83] L’avis des experts en ce qui concerne la personne versée dans l’art est essentiellement le même. De façon générale, cette personne dispose d’un diplôme en génie électrique ou informatique, d’une expérience dans le domaine des communications et du traitement numérique des signaux et de connaissances de base sur le traitement adaptatif des signaux.

(1)(b) Connaissances générales courantes

[84] De la même façon, les parties s’entendent assez bien sur les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. M. Johnson affirme que ces connaissances comprennent les concepts décrits dans les articles suivants :

  • GUELOU, Y., A. BENAMAR et P. SCALART. Analysis of Two Structures for Combined Acoustic Echo Cancellation and Noise Reduction, 1996 IEEE International Conference on Acoustics, Speech, and Signal Processing Conference Proceedings (ICASSP), mai 1996, p 637‐640 (Guelou, 1996)

  • BEAUGEANT, C., V. TURBIN, P. SCALART et A. GILLOIRE. « New Optimal Filtering Approaches for Hands‐Free Telecommunication Terminals », Signal Processing, vol. 64, no 1 (janvier 1998), p 33‐47 (Beaugeant, 1998)

  • JEANNÈS, W.L.B., P. SCALART, G. FAUCON et C. BEAUGEANT. « Combined Noise and Echo Reduction in Hands‐Free Systems: A Survey », IEEE Transactions on Speech and Audio Processing, vol 9, no 8 (novembre 2001), p. 808‐820 (Jeannès, 2001).

[85] M. Johnson déclare que chacune de ces publications [TRADUCTION] « porte directement sur les fonctions d’annulation d’écho et de suppression du bruit dans les systèmes de communications, et qu’il aurait été facile à l’époque pour la personne versée dans l’art d’y avoir accès ». Google accepte que les concepts traités dans ces articles font partie des connaissances générales courantes à la date de revendication.

(2) Concept inventif

[86] Les experts s’entendent de façon générale sur le concept inventif de la revendication 7, c’est‐à‐dire la capacité de déterminer de manière adaptative, en fonction de la quantité de bruit dans le signal reçu, l’ordre des éléments d’annulation d’écho et de suppression du bruit d’un système de commande d’écho et de bruit. Ils ne s’entendent toutefois pas sur le sens à donner aux termes [TRADUCTION] « de manière adaptative » et [TRADUCTION] « ordre ». Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai souscrit à la façon dont M. Johnson a interprété ces deux termes.

(3) Différences entre les connaissances générales courantes et le concept inventif

[87] De façon générale, on savait que l’annulation d’écho et la suppression du bruit étaient efficaces pour filtrer un signal. J’accepte donc le résumé de l’art antérieur présenté par Google, qui est comme suit.

[88] Guelou (1996) porte sur un système qui réalise l’annulation d’écho avant la suppression du bruit et un autre système qui effectue l’inverse. Le document ne traite d’aucun système qui détermine un ordre de suppression du bruit et d’annulation d’écho selon diverses options, de manière adaptative ou en fonction du bruit dans le signal reçu.

[89] Beaugeant (1998) porte sur un système qui réalise l’annulation d’écho avant la suppression du bruit, un système qui effectue l’inverse et l’écart de performance entre les deux systèmes. Ce document de l’art antérieur propose une combinaison théorique qui allie un annuleur d’écho et un suppresseur de bruit pour obtenir un résultat optimal, mais aucun système qui détermine de manière adaptative un ordre d’annulation d’écho et de suppression du bruit.

[90] Jeannès (2001) examine l’état de l’art en 2001 et traite de systèmes qui effectuent l’annulation d’écho avant la suppression du bruit, de même que de systèmes qui font l’inverse. Cette publication n’examine, et ne mentionne, aucune antériorité faisant état d’un système qui détermine un ordre de suppression du bruit et d’annulation d’écho selon diverses options, de manière adaptative ou en fonction du bruit dans le signal reçu.

[91] L’avis de M. Johnson sur l’évidence ne repose pas que sur ces trois antériorités. Dans son premier rapport, il s’appuie sur le brevet américain no 5,668,871 intitulé « Audio Signal Processor and Method Therefor for Substantially Reducing Audio Feedback in a Communication Circuit » (le brevet 871), parfois seul, parfois de pair avec la demande américaine no 2002/0041678 A1 intitulée « Method and Apparatus for Integrated Echo Cancellation and Noise Reduction for Fixed Subscriber Terminals » (la demande de brevet 678). Toutefois, dans son exposé final, Sonos invoquait uniquement le brevet 871.

[92] Google fait valoir que le brevet 871 n’est pas admissible comme antériorité parce qu’on ne l’aurait pas trouvé en effectuant une recherche raisonnablement diligente. Elle fonde sa prétention sur le fait que Sonos n’a pas cité ce brevet dans son acte de procédure initial ou dans son premier acte de procédure modifié, mais qu’elle ne l’a invoqué qu’en avril 2022, lorsqu’elle a informé Google qu’elle avait l’intention de compléter ses allégations concernant l’art antérieur en ajoutant le brevet 871. En outre, aucun des experts ne l’a trouvé malgré leur bonne connaissance personnelle du domaine et malgré la recherche diligente effectuée par M. Johnson. Ce dernier a admis que c’est l’avocat de Sonos qui lui avait fourni ce brevet. Ni lui ni M. Kyriakakis n’avaient connaissance du brevet 871 ni ne l’avaient lu avant la récente modification apportée à l’acte de procédure de Sonos.

[93] Google s’appuie sur la décision Teva Canada Innovation c Pharmascience Inc, 2020 CF 1158 [Teva], rendue par la juge Kane.

[94] Plus précisément, Google s’appuie sur la déclaration de la juge Kane au paragraphe 796, qui, selon elle, correspond parfaitement à la présente situation :

Premièrement, les antériorités invoquées par Pharmascience n’auraient pas toutes été découvertes par la personne versée dans l’art, tout comme le Dr Green ne les a pas toutes découvertes lors de ses recherches. Notamment, celui‐ci a déclaré qu’il n’avait pas trouvé le document SBOA de la FDA, Khan 2008, Caon 2009 ou Devonshire 2006. Il a fait remarquer qu’en 2009 il ne savait rien du document SBOA de la FDA ou de Flechter 2002. Il a également convenu que la personne versée dans l’art ne consulterait pas Devonshire 2006.

[95] Google fait remarquer que la Cour d’appel fédérale a confirmé le raisonnement de la juge Kane sur ce point :

Je ne crois pas que la juge de première instance ait écarté à tort quelques réalisations antérieures invoquées par Pharmascience ou qu’elle en ait fait abstraction. La juge de première instance a bien interprété le droit sur la pertinence de l’art antérieur qui ne serait pas révélé par une recherche diligente (voir les paragraphes 499 à 501 de ses motifs et les renvois qui y sont faits à l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30), et elle a semblé préoccupée du fait que, compte tenu de la difficulté à repérer certaines réalisations antérieures, la personne versée dans l’art n’aurait pas été amenée directement et sans difficulté à combiner ces renvois. Ce raisonnement n’était pas erroné.

Pharmascience Inc c Teva Canada Innovation, 2022 CAF 2 [Pharmascience] au para 32.

[96] Je suis d’avis que Google va trop loin quand elle soutient que le brevet 871 n’est pas admissible comme antériorité parce qu’on ne l’aurait pas trouvé en effectuant une recherche raisonnablement diligente. En fait, dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 [Hospira], le juge Locke a déclaré au paragraphe 86 : « [J]e conclus qu’il est erroné de ne pas tenir compte des antériorités qui étaient accessibles au public à la date pertinente simplement parce qu’une recherche raisonnablement diligente ne les aurait pas révélées ».

[97] Le juge Locke a également rédigé les motifs de la Cour d’appel fédérale qui ont confirmé le raisonnement de la juge Kane dans la décision Teva. Ce faisant, il n’a pas contredit ce qu’il avait écrit dans l’arrêt Hospira. À mon avis, les juges Kane et Locke ont tous deux dit qu’il faut conclure, à la troisième étape de l’analyse de l’arrêt Sanofi, que l’obscur document de l’art antérieur est admissible en tant qu’antériorité. Toutefois, la question de la difficulté à trouver un document peut être examinée à l’étape finale, comme le juge Locke l’a précisé plus loin, toujours au paragraphe 86 de l’arrêt Hospira :

La probabilité que la personne versée dans l’art n’aurait pas trouvé une antériorité peut avoir une pertinence pour l’examen de l’étape 4 de l’analyse de l’évidence (la question de savoir si les différences entre l’état de la technique et l’idée originale sont des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art), en ce que la personne versée dans l’art, mais sans inventivité, pourrait ne pas avoir pensé à combiner cette antériorité avec les autres antériorités pour faire l’invention revendiquée. Cependant, exclure l’antériorité simplement parce qu’elle est difficile à trouver pose problème, car cela entraînerait la possibilité d’un brevet valide pour une invention qui, sauf pour certaines modifications non inventives, avait déjà été communiquée au public. À mon avis, ce n’est pas ce que le régime canadien des brevets vise à permettre.

[98] La question devient donc de savoir si, compte tenu de la nature obscure du brevet 871, la personne versée dans l’art dépourvue d’inventivité aurait pu penser à combiner le brevet 871 avec d’autres documents de l’art antérieur pour réaliser l’invention revendiquée.

(4) Ces différences constituent‐elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‐elles quelque inventivité?

[99] Le brevet 871 indique qu’il porte sur un problème de rétroaction acoustique bien connu qui touche des appareils de communications, plus particulièrement les téléphones mains libres. M. Johnson décrit l’invention comme suit :

[TRADUCTION]
Un processeur audio numérique qui atténue le bruit dans un système téléphonique grâce à des affaiblisseurs de bruit mis en œuvre dans les deux directions du trajet du bruit, lesquels sont activés ou désactivés de manière à ce que l’un soit actif et l’autre inactif selon l’activité vocale dans les trajets de signaux. Au cours de l’opération, le système de détection de la voix évalue l’intensité sonore en fonction de plusieurs seuils afin de déterminer si un affaiblisseur est placé avant ou après l’annuleur d’écho.

[100] Même si M. Johnson a employé le terme [TRADUCTION] « affaiblisseurs de bruit », il a reconnu en contre‐interrogatoire que le brevet 871 vise uniquement les affaiblisseurs et que ces derniers visent à réduire l’intensité sonore dans l’ensemble du signal pour réduire du même coup la rétroaction acoustique lorsqu’il est déterminé que le signal ne contient aucune composante vocale. Ces affaiblisseurs ne distinguent pas le bruit de la portion utile du signal. Il n’y a aucune suppression du bruit et, par conséquent, aucun filtrage du signal.

[101] L’art antérieur en ce qui concerne le filtrage de signaux se fondait sur la disponibilité d’outils d’annulation d’écho et de suppression du bruit. La personne versée dans l’art savait que l’ordre d’exécution des fonctions présentait des avantages et des inconvénients lorsqu’on recourait aux deux. Toutefois, personne ne s’était demandé s’il existait un procédé pour modifier l’ordre en fonction de la quantité de bruit dans le signal.

[102] Même si le brevet 871 nous apprend comment activer et désactiver les affaiblisseurs en fonction du signal, il démontre seulement une méthode efficace pour abaisser l’intensité sonore et réduire la rétroaction acoustique. Cette méthode ne filtre pas le signal en recourant à l’annulation d’écho et à la suppression du bruit.

[103] Google souligne que, dans son premier rapport, M. Johnson explique, au sujet de la revendication 7, [TRADUCTION] « qu’il serait simple et évident pour une personne versée dans l’art d’envisager le remplacement des affaiblisseurs présentés dans le brevet 871 par un système de suppression du bruit afin d’obtenir une performance accrue ». Je souscris à l’observation de Google voulant que [TRADUCTION] « M. Johnson ne justifie pas la conclusion qu’il a tirée, n’explique pas le sens à donner aux mots “performance accrue” et ne précise pas ce qui conduirait la personne versée dans l’art à procéder au remplacement susmentionné ». Or, ces explications sont nécessaires, d’autant plus que la personne versée dans l’art est dépourvue d’esprit inventif à la quatrième étape de l’analyse.

[104] J’accepte l’explication de M. Kyriakakis selon laquelle la personne versée dans l’art n’envisagerait pas de remplacer l’affaiblisseur par un suppresseur de bruit :

[TRADUCTION]
385. Comme il a été expliqué précédemment, le brevet 871 n’a pas pour but l’élimination de l’écho et du bruit dans un signal d’entrée. Il vise plutôt la réduction de la rétroaction acoustique par la diminution de l’intensité sonore d’un signal capté par un microphone et acheminé à un émetteur lorsqu’un signal distinct transmis d’un récepteur vers un haut‐parleur contient une composante vocale, et vice versa. Le système décrit dans le brevet 871 ne tente aucunement d’éliminer le bruit dans un quelconque signal.

386. La rétroaction acoustique provient de n’importe quel signal amplifié localement, qu’il s’agisse ou non de bruit. Le destinataire versé dans l’art comprendrait que le remplacement d’un affaiblisseur par un suppresseur de bruit dans le système du brevet 871 nuirait en réalité à sa performance, car seule une partie donnée du signal serait traitée. Le destinataire versé dans l’art ne chercherait donc pas à effectuer ce remplacement pour obtenir une « performance accrue ».

[105] Quoi qu’il en soit, comme la juge Kane l’a fait dans l’affaire Teva, je conclus, étant donné la difficulté de trouver le brevet 871, que la personne versée dans l’art n’aurait pas été menée directement et sans difficulté à combiner ces antériorités.

[106] Pour ces motifs, je rejette l’argument de Sonos selon lequel le brevet 150 était évident sur le fondement d’une quelconque combinaison faisant intervenir le brevet 871. La demande reconventionnelle doit être rejetée.

[107] Même si Sonos n’a pas obtenu gain de cause dans sa demande reconventionnelle, elle a obtenu gain de cause quant à l’aspect le plus important de l’action : sa défense contre l’allégation de contrefaçon. La demande reconventionnelle recoupait également directement la défense de Sonos à l’allégation de Google, étant donné que Sonos a soutenu, entre autres choses, que le brevet 150 était invalide en raison de son évidence. Par conséquent, elle a droit à des dépens raisonnables, mais à un pourcentage quelque peu réduit.

[108] Les parties ont été invitées au procès à présenter des observations sur les dépens, mais la Cour n’a toujours pas reçu d’observations à cet égard. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur les dépens, Sonos devra fournir ses observations écrites sur cette question, dans un document d’une longueur maximale de 10 pages, dans les 10 jours suivant la réception des présents motifs, et les observations en réponse de Google devront être présentées dans les 10 jours suivants.

[109] Les motifs publics seront rendus après que les parties auront informé la Cour, dans les 10 jours suivant la réception des présents motifs confidentiels, des passages qu’elles aimeraient voir caviardés.


JUGEMENT dans le dossier T‐952‐20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée; les dispositifs Sonos ne contrefont pas la revendication 7 du brevet canadien no 2,545,150.

  2. La demande reconventionnelle est rejetée; la revendication 7 du brevet canadien no 2,545,150 n’est pas invalide pour cause d’évidence.

  3. Il sera statué ultérieurement sur les dépens.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐952‐20

 

INTITULÉ :

GOOGLE LLC c SONOS, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 13 au 17 JUIN, et les 20, 21 et 24 juin 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS :

LE 26 JUILLET 2022

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS :


LE 15 AOÛT 2022

COMPARUTIONS :

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

Sarah Stothart

 

Pour la demanderesse

(DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

Camille Aubin

Bob Sotiriadis

Catherine Thall Dubé

Elodie Dion

 

Pour LA DéfendeRESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

(DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

Robic S.E.N.C.R.L.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA DéfendeRESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

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