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Date : 20220722


Dossier : IMM-2767-18 et autres

Référence : 2022 CF 1089

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE:

(TOUTES LES DEMANDES GÉRÉES CONJOINTEMENT AVEC CES HUIT CAUSES TYPES FIGURENT À L’ANNEXE A)

Dossier: IMM-2767-18

SANAM NEZAMI TAFRESHI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE:

Dossier : IMM-148-20

ASGHAR HASHEMI SARACHEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE:

Dossier : IMM-5019-18

MEHRNEGAR HARIRFOROUSH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : IMM-5020-18

NAVID FARAHANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : IMM-6473-18

ABDOLRASOUL DARYOUSH KARIMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : IMM-1164-19

SAEID TAGHIZADEH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : IMM-3166-18

RAMIN MAZAHERI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ET ENTRE :

Dossier : IMM-6476-18

NAHID HEIDARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. L’historique des procédures

[1] Les huit demandes de contrôle judiciaire en l’espèce sont des causes types concernant 107 décisions rendues par la Section des visas d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] à Varsovie, en Pologne. Dans chacune de ces décisions, le décideur a rejeté la demande présentée par un ressortissant iranien en vue d’obtenir le statut de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs autonomes [CTA]. Les 107 demandes de visa qui ont été présentées dans le cadre de cette catégorie visaient trois activités économiques : les activités culturelles, les activités sportives ainsi que l’achat et la gestion d’une ferme (pour les demandeurs ayant présenté une demande avant le 10 mars 2018). Dans chaque cas, la Section des visas de Varsovie n’était pas convaincue que le demandeur répondait à la définition de « travailleur autonome » pour l’application de l’alinéa 12a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et des paragraphes 88(1) et 100(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-27 [le RIPR].

[2] Par ordonnance du juge en chef, les huit causes types ont fait l’objet d’une gestion de l’instance dès le départ, initialement assurée par le juge Boswell de 2018 à septembre 2020, puis par le juge adjoint Aalto [le juge responsable de la gestion de l’instance]. L’audience s’est déroulée sur quatre jours à Ottawa, en juin 2022.

[3] L’autorisation a été accordée dans les huit causes types en l’espèce. Elle ne l’a pas été dans les 102 autres affaires pour lesquelles la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sera guidée par la décision de la Cour dans les présentes causes types.

[4] Beaucoup de nouveaux éléments de preuve ont été déposés. Le dossier dont la Cour comprend 4 434 pages. Il se peut qu’une grande partie, sinon la plupart, des nouveaux éléments de preuve en l’espèce n’aient pas été pris en considération par notre Cour dans le contrôle judiciaire d’autres demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs autonomes [demandes CTA] par des Iraniens. Il semble que, dans ces affaires, la Cour disposait de certains des éléments de preuve déposés par le ministre en l’espèce, et il se peut que certains des éléments de preuve présentés en l’espèce par les demandeurs aient aussi été présentés dans certaines de ces affaires. On ne m’a pas demandé de faire un examen ou de rendre une ordonnance à cet égard, et je ne prononce pas sur la question.

[5] La question déterminante commune aux huit causes types est le manquement à l’équité procédurale. Il est à noter que les nouveaux éléments de preuve concernent des procédures nouvelles et différentes mises en place par le bureau des visas à Varsovie pour traiter les demandes CTA présentées par des Iraniens qui lui ont été transférées du bureau des visas d’IRCC à Ankara, où elles étaient antérieurement traitées. Ils portent également sur des événements contextuels et sur des procédures visant le traitement des demandes CTA en général.

[6] Bien que les causes types soulèvent de nombreuses questions procédurales, deux principaux changements dans la procédure d’IRCC sont à l’origine des allégations de manquement à l’équité procédurale et de mes conclusions en ce sens en l’espèce.

[7] Le premier changement dans la procédure a eu lieu en 2016 lorsqu’IRCC a voulu remplacer son guide opérationnel conçu pour orienter les agents des visas chargés de traiter les demandes CTA. Ce guide opérationnel est appelé le « guide OP 8 » et s’applique aux demandes CTA provenant de tous les pays. Bien que le guide OP 8 soit encore sur le site Web d’IRCC sous la section des guides « actifs », IRCC l’a remplacé par les Instructions relatives à l’exécution des programmes [les Instructions] en 2016.

[8] Le deuxième changement majeur touchant aux droits procéduraux des demandeurs iraniens a eu lieu le 7 mars 2018. Avant cette date, toutes les demandes CTA présentées par des Iraniens étaient traitées par des agents des visas d’IRCC à Ankara. Toutefois, comme le bureau des visas à Ankara était aux prises avec un important arriéré, IRCC a transféré presque toutes les demandes CTA au bureau des visas à Varsovie pour qu’il les traite. Le transfert visait également toutes les demandes CTA présentées subséquemment par des. Comme il en est question plus loin, le transfert d’Ankara à Varsovie a eu pour effet de diminuer considérablement l’équité procédurale à laquelle ont eu droit les Iraniens ayant présenté une demande CTA. Par conséquent, et sans surprise, le nombre de demandes qui ont été accueillies a diminué dramatiquement après le transfert des demandes d’Ankara à Varsovie.

[9] Je dois dire tout de suite qu’IRCC n’est pas légalement tenu d’accorder un degré élevé d’équité procédurale aux demandeurs de visas; en effet, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’obligation d’équité procédurale se situe à l’extrémité inférieure du registre, voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 CAF 55 au para 10; Rezaei c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 444 [motifs du juge LeBlanc, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] au para 11; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 [motifs de la juge Bédard] au para 23; Tollerene c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 538 [motifs du juge Fothergill] au para 15 [Tollerene]; Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1275 [motifs du juge Roy] au para 16 [Gur].

[10] Cela dit, IRCC devait et doit néanmoins faire preuve d’équité procédurale dans le traitement des demandes CTA.

[11] Je conclus, principalement pour ces deux motifs, mais aussi pour d’autres motifs, que l’équité procédurale accordée à ces huit demandeurs ne satisfaisait pas à la norme juridique requise. Par conséquent, j’accueillerai les demandes de contrôle judiciaire et j’ordonnerai le réexamen des huit causes types, comme il est indiqué plus loin.

II. La norme de contrôle et les dispositions applicables

A. Les principes en matière d’équité procédurale

(1) La portée de l’obligation d’équité procédurale et ses conséquences

[12] L’arrêt de principe en matière d’équité procédurale est l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], de la Cour suprême du Canada. Il est important de noter en l’espèce que l’arrêt Baker reconnaît le principe de l’attente légitime, qui peut servir à déterminer quelles sont les procédures à suivre dans des circonstances données étant donné l’obligation d’équité procédurale. Selon ce principe, si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera l’utilisation de cette procédure. Fait important, les circonstances à examiner comprendront les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs. Il serait généralement injuste s’ils agissaient en contravention d’assurances données en matière de procédures ou revenaient sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants : voir Baker, au para 26 :

26 Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l’attente légitime fait partie de la doctrine de l’équité ou de la justice naturelle, et qu’elle ne crée pas de droits matériels : Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‐B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure : Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‐être social) (1995), 98 F.T.R. 36; Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). [...] Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

[Non souligné dans l’original.]

[13] De plus, pour déterminer quelles procédures sont requises par l’obligation d’équité, la cour dans son analyse devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, comme c’est le cas en l’espèce. Ce principe est énoncé au paragraphe 27 de l’arrêt Baker :

27 Cinquièmement, l’analyse des procédures requises par l’obligation d’équité devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui-même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances : Brown et Evans, op. cit., aux pp. 7‐66 à 7‐70. Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l’organisme lui-même et à ses contraintes institutionnelles : IWA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, le juge Gonthier.

[14] L’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, rendu subséquemment par la Cour suprême, va dans le même sens. Cet arrêt réitère le principe de l’attente légitime. La Cour suprême a conclu que, si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement :

[94] La théorie des attentes légitimes constitue la facette particulière de l’équité procédurale qui nous occupe dans le présent pourvoi. Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans Baker, où la Cour a statué qu’il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale de la common law. Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. De même, si un organisme a fait une représentation à une personne relativement à l’issue formelle d’une affaire, l’obligation de cet organisme envers cette personne quant à la procédure à suivre avant de rendre une décision en sens contraire sera plus rigoureuse.

[Non souligné dans l’original.]

[15] L’équité procédurale exige que le demandeur connaisse la preuve à réfuter, voir l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 56, motifs du juge Rennie [Canadien Pacifique] :

[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Voir également la décision Alabi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1163, au paragraphe 27 :

[27] Comme l’a conclu le juge Rennie dans l’arrêt Canadien Pacifique (au paragraphe 56), au moment d’évaluer si un processus était équitable, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ». En l’espèce, le demandeur ne connaissait pas la preuve qu’il devait réfuter.

[Non souligné dans l’original.]

[17] La jurisprudence de notre Cour confirme deux autres principes, auxquels je souscris.

[18] Premièrement, les demandeurs qui déposent leur demande avant que le décideur opère des changements importants dans la procédure ont le droit d’en être avisés et d’avoir la possibilité de déposer à nouveau leur demande pour se conformer aux nouvelles procédures (voir Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1096 [motifs de la juge Walker] aux para 25-27 [Kandiah]). C’est d’autant plus le cas lorsque le changement peut engendrer des conséquences potentiellement « fatal[e]s » (Popova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 326 [motifs du juge Diner] au para 11 [Popova]).

[19] Deuxièmement, le décideur qui n’avise pas le demandeur de la preuve à réfuter commet un manquement à l’équité procédurale qui exigera vraisemblablement le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision (voir Khadr c Canada (Procureur général), 2006 CF 727 [motifs du juge Phelan] au para 132 [Khadr]; Edison c MRN, 2001 CFPI 734 [motifs du juge Blanchard] aux para 37-39; Khandiah, aux para 25‐27).

[20] Au paragraphe 11 de la décision Popova, le juge Diner a affirmé :

[11] Cependant, malgré le fait que l’obligation d’équité soit moins stricte dans le cas des permis d’études, elle subsiste néanmoins. Il existe des circonstances où un agent des visas est tenu d’informer un demandeur des doutes soulevés par sa demande, même si ces doutes proviennent de la propre preuve du demandeur (Rukmangathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 284, aux paragraphes 22 et 23, précité dans Hassani, au paragraphe 23). C’est le cas en l’espèce. Compte tenu des conclusions du rejet de 2016, je conclus que Mme Popova n’avait aucune raison de croire que ses antécédents d’études seraient fatals à sa nouvelle demande; elle devrait donc avoir eu l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent.

[21] Au paragraphe 132 de la décision Khadr, le juge Phelan a écrit ce qui suit :

[132] La doctrine de l’attente légitime constitue une importante protection procédurale pour le public en général à l’encontre des mesures gouvernementales arbitraires. Le but en est de placer l’intéressé, du moins au plan de la procédure, dans la même position où il se serait trouvé si la décision ou l’acte contesté n’avait pas eu lieu. Or, le seul moyen d’y parvenir est de renvoyer l’affaire au Bureau des passeports pour qu’il la traite conformément au Décret sur les passeports canadiens en sa teneur au moment de la présentation de la demande de passeport.

[22] Aux paragraphes 25 à 27 de la décision Kandiah, la juge Walker a écrit ce qui suit :

[25] Le quatrième facteur de l’arrêt Baker est celui de l’attente légitime de la personne (Baker, au par. 26). Le principe de l’attente légitime découle des exigences de l’équité procédurale. Si une entité publique ou un fonctionnaire a, de par sa conduite, amené une personne à s’attendre à ce qu’un processus soit mené d’une certaine manière, la Cour protégera l’attente de la personne. [...]

[26] Je conclus que le défendeur a privé injustement le demandeur de l’attente légitime selon laquelle il passerait une entrevue et qu’il y a eu manquement à son droit à l’équité procédurale. Entre les mois de mars 2010 et de juin 2016, le demandeur, ses répondants et son conseil présumaient raisonnablement que l’agent ferait passer une entrevue au demandeur avant de se prononcer sur sa demande. Ils se fiaient aux observations claires et répétées de CIC à cet effet. Le demandeur a ensuite reçu la lettre d’équité procédurale en octobre 2016, lui demandant de fournir des observations à jour sur sa situation personnelle, la situation au Sri Lanka et toute considération CH. Cette lettre ne contenait aucune indication qu’on lui demandait de fournir des observations écrites, plutôt que de passer une entrevue. Elle n’indiquait pas ou ne laissait pas entendre que CIC changeait le processus d’examen qu’il avait établi et communiqué au demandeur. Il se peut fort bien que l’agent présumait véritablement que ce changement était implicite dans la lettre d’équité procédurale. Aux yeux du demandeur, ce ne l’était pas.

[27] Selon le défendeur, un processus administratif peut être changé tant que le changement est équitable et convenablement communiqué. Je suis d’accord avec lui. Mais je conclus que l’on n’a pas avisé de manière suffisante le demandeur du changement dans le processus.

[Non souligné dans l’original.]

[23] Aux paragraphes 37 à 39 de la décision Edison, le juge Blanchard a affirmé :

[37] Dans la décision Apotex, précitée, le juge Evans a souligné l’intérêt public que la doctrine de l’attente légitime vise à protéger, à savoir la protection de l’individu contre l’abus de pouvoir résultant de la violation d’un engagement. L’engagement implicite en l’espèce se rapporte à l’application non discriminatoire des normes procédurales énoncées dans les lignes directrices publiées en ce qui concerne l’application de la disposition législative relative à l’équité.

[38] Les demandeurs s’attendaient légitimement, au sens juridique du terme, à ce que les normes procédurales énoncées par le ministre dans les lignes directrices publiées soient suivies et, en particulier, qu’un deuxième examen impartial soit effectué sans que le décideur initial soit en cause. Or, on ne peut pas dire que pareil examen a été effectué eu égard aux faits qui m’ont été soumis en l’espèce. À mon avis, le manquement à l’obligation d’équité qui existe envers les demandeurs en vertu des règles de justice naturelle et de l’équité procédurale découle de l’omission du défendeur de suivre les lignes directrices procédurales qu’il a lui-même publiées.

[39] Je répète les remarques que j’ai ci‐dessus faites, à savoir que la disposition relative à l’équité est de nature discrétionnaire et qu’il n’appartient pas à la présente Cour de substituer sa décision à celle du ministre. Les lignes directrices procédurales qu’il faut suivre relèvent également du pouvoir discrétionnaire du ministre. Toutefois, une fois qu’elles sont établies, pareilles lignes directrices doivent être respectées de façon du moins à répondre à l’attente légitime à laquelle donnent lieu lesdites normes procédurales.

[Non souligné dans l’original.]

(2) La norme de contrôle applicable en matière d’équité procédurale est celle de la décision correcte

[24] Les paragraphes qui suivent portent sur l’obligation d’équité procédurale et les conséquences possibles d’un manquement à l’équité procédurale.

[25] En ce qui concerne la norme de contrôle, les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Cela dit, je souligne qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, la Cour d’appel fédérale, dans des motifs du juge Stratas, affirme qu’il peut être de mise d’appliquer la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42 ». Voir également l’arrêt Canadien Pacifique, motifs du juge Rennie. À cet égard, je souligne aussi un arrêt récent où la Cour d’appel fédérale a conclu que le contrôle judiciaire d’une question d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motifs du juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc y souscrivant] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte.

[26] Je comprends également, selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 23 [Vavilov], que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[27] Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada explique ce qui est attendu d’une cour qui procède au contrôle selon la norme de la décision correcte :

[50] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[Non souligné dans l’original.]

III. Le cadre législatif applicable à la catégorie des travailleurs autonomes

[28] Le paragraphe 12(2) de la LIPR dispose que la sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait « en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada » :

Immigration économique

Economic immigration

12(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

12(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[29] Selon l’article 100 du RIPR, la catégorie des travailleurs autonomes est un sous‐ensemble de la catégorie « immigration économique », qui vise un type précis de gens d’affaires, à savoir ceux qui ont la capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1) du RIPR :

Qualité

Members of the class

100 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

100 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the self-employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self-employed persons within the meaning of subsection 88(1).

Exigences minimales

Minimal requirements

(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

(2) If a foreign national who applies as a member of the self-employed persons class is not a self-employed person within the meaning of subsection 88(1), the application shall be refused and no further assessment is required.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[30] Selon le paragraphe 88(1) du RIPR, « travailleur autonome » s’entend d’une personne qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada :

travailleur autonome Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada. (self-employed person)

self-employed person means a foreign national who has relevant experience and has the intention and ability to be self-employed in Canada and to make a significant contribution to specified economic activities in Canada. (travailleur autonome)

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[31] Le paragraphe 88(1) du RIPR définit ensuite les expressions « expérience utile » et « activités économiques déterminées » comme s’entendant, s’agissant d’un travailleur autonome, de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans dans l’activité au titre de laquelle il présente sa demande, soit les activités culturelles, les activités sportives ou l’achat et la gestion d’une ferme :

Expérience utile

Relevant experience, in respect of

a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle-ci, composée :

(a) a self-employed person, other than a self-employed person selected by a province, means a minimum of two years of experience, during the period beginning five years before the date of application for a permanent resident visa and ending on the day a determination is made in respect of the application, consisting of

(i) relativement à des activités culturelles :

(i) in respect of cultural activities,

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités culturelles,

(A) two one-year periods of experience in self-employment in cultural activities,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités culturelles à l’échelle internationale,

(B) two one-year periods of experience in participation at a world class level in cultural activities, or

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(C) a combination of a one-year period of experience described in clause (A) and a one-year period of experience described in clause (B),

(ii) relativement à des activités sportives :

(ii) in respect of athletics,

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités sportives,

(A) two one-year periods of experience in self-employment in athletics,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités sportives à l’échelle internationale,

(B) two one-year periods of experience in participation at a world class level in athletics, or

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(C) a combination of a one-year period of experience described in clause (A) and a one-year period of experience described in clause (B), and

(iii) relativement à l’achat et à la gestion d’une ferme, de deux périodes d’un an d’expérience dans la gestion d’une ferme;

(iii) in respect of the purchase and management of a farm, two one-year periods of experience in the management of a farm; and

[...]

[...]

activités économiques déterminées

specified economic activities, in respect of

a) S’agissant d’un travailleur autonome, autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend, d’une part, des activités culturelles et sportives et, d’autre part, de l’achat et de la gestion d’une ferme;

(a) a self-employed person, other than a self-employed person selected by a province, means cultural activities, athletics or the purchase and management of a farm; and

b) s’agissant d’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend au sens du droit provincial. (specified economic activities)

(b) a self-employed person selected by a province, has the meaning provided by the laws of the province. (activités économiques déterminées)

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[32] IRCC a donné des précisions sur les activités culturelles et sportives (ainsi que l’achat et la gestion d’une ferme) dans deux documents d’orientation préparés pour les agents des visas, à savoir le guide OP 8 publié en 2008 et les Instructions relatives à l’exécution des programmes publiées en 2016. Ces documents d’orientation sont analysés en détail plus loin, mais pour les besoins de la présente discussion, chacun comporte le passage suivant :

Expérience de travail autonome dans des activités culturelles ou sportives. Cela couvre les personnes qui présentent une demande dans cette catégorie. Par exemple, les professeurs de musique, les peintres, les illustrateurs, les cinéastes et les journalistes à la pige. Au-delà de ces professionnels, la catégorie vise à couvrir les personnes qui travaillent dans l’ombre, par exemple, les chorégraphes, les décorateurs, les entraîneurs et les soigneurs. Si vous souhaitez présenter une demande dans le cadre du programme des travailleurs autonomes, vérifiez si votre profession peut être considérée comme du travail autonome. Ceci n’est pas une liste définitive ou exhaustive.

L’aspect participation à des activités culturelles ou sportives à l’échelle internationale vise à couvrir les artistes du spectacle. Cela décrit les personnes qui jouent dans le monde des arts et dans le monde du sport. « À l’échelle internationale » vise les personnes reconnues dans le monde entier. Il s’agit aussi de personnes qui ne sont peut-être pas reconnues à l’échelle internationale, mais qui ont atteint les sommets de leur discipline.

[33] De plus, selon la preuve par affidavit du défendeur : [TRADUCTION] « Les activités culturelles englobent les emplois généralement considérés comme faisant partie des domaines artistiques et culturels du Canada. Parmi ces emplois, on retrouve par exemple : les auteurs et les écrivains; les artistes-créateurs et les artistes du spectacle; les musiciens; les peintres; les sculpteurs et autres concepteurs en arts visuels; le soutien technique et les autres emplois dans le domaine du cinéma; les concepteurs graphiques et les artisans. Selon la Classification nationale des professions (CNP), ces emplois font partie de la catégorie 5 – Arts, culture, sports et loisirs. »

[34] Si l’on juge que le demandeur a l’expérience, la capacité et l’intention requises, il sera évalué afin de déterminer s’il peut « réussir [son] établissement économique au Canada » conformément au paragraphe 102(1) du RIPR. Cette évaluation est basée sur des points attribués en fonction de divers critères de sélection, comme l’âge, les études, la langue, l’expérience et la capacité d’adaptation, conformément aux articles 102 à 108 du RIPR.

[35] À titre subsidiaire, si l’on juge que le demandeur n’a pas l’expérience, la capacité et l’intention requises d’un travailleur autonome, « l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette » conformément au paragraphe 100(2) du RIPR.

[36] Comme je l’indique plus haut, outre les dispositions légales et réglementaires, deux ensembles de lignes directrices ont été publiés par IRCC à l’intention des agents des visas qui traitent des demandes CTA. Le premier document, publié en 2008, est le guide OP 8. Bien que ce guide soit encore sur le site Web d’IRCC dans la section des guides « actifs », IRCC avait l’intention de le remplacer par les Instructions en 2016. Je discute des deux documents en détail dans mon analyse.

IV. La preuve à l’appui des demandes

[37] Les deux parties ont présenté des éléments de preuve en l’espèce. Pour le compte des demandeurs, deux témoins ont présenté une preuve par affidavit et des pièces – M. Alireza Parsai et M. Ramin Asadi. Ces deux témoins sont des consultants en immigration chevronnés et dûment autorisés par le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [CRCIC]. M. Parsai a de l’expérience dans des affaires comme les causes types, puisqu’il a représenté environ 500 demandeurs d’origine iranienne appartenant à la CTA. M. Asadi possède également une vaste expérience dans des affaires comme les causes types, puisque ses services ont été retenus par plus de 60 demandeurs iraniens appartenant à la CTA. Ensemble, ils ont représenté quelque 560 demandeurs iraniens appartenant à cette catégorie. Ils ont parlé de leur expérience relativement à ces demandeurs, qu’ils connaissaient personnellement. Ni l’un ni l’autre n’a été contre‐interrogé.

[38] Le ministre défendeur a présenté l’affidavit de Thomas Richter. Conformément au paragraphe 6(1) de la LIPR, M. Richter est désigné à titre d’agent d’immigration par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration pour délivrer des visas sous le régime de la LIPR, et ses fonctions consistent notamment à examiner les demandes de visa d’entrée au Canada, y compris les demandes de résidence permanente. M. Richter a notamment été chargé de gérer la décision d’IRCC de transférer la quasi‐totalité des demandes CTA présentées par des Iraniens du bureau des visas d’IRCC à Ankara à celui de Varsovie. Il occupait le poste de [traduction] « gestionnaire du programme de migration » à IRCC. M. Richter a été contre‐interrogé.

[39] J’admets en preuve le témoignage des témoins des demandeurs et du défendeur puisqu’il tombe sous le coup de l’exception bien établie à la règle générale selon laquelle la Cour procède au contrôle judiciaire sur la foi du dossier dont disposait le décideur. Je l’admets dans la mesure où il porte sur les questions de manquement à l’équité procédurale en l’espèce et contient des informations générales : voir Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Connolly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294 au para 7; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 13-28; Bell Canada c 7262591 Canada Ltd. (Gusto TV), 2016 CAF 123 aux para 7-11; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 74.

[40] À cet égard, je m’appuie sur l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, de la Cour d’appel fédérale, dans laquelle le juge Stratas a affirmé ce qui suit :

[20] La première exception reconnue est celle des renseignements généraux. Dans une affaire de contrôle judiciaire, les parties déposent parfois un affidavit avec des résumés et des indications de contexte visant à aider la cour de révision à comprendre le dossier qui lui est présenté. Devant un dossier volumineux comptant des milliers de documents, il est admissible, par exemple, qu’une partie dépose un affidavit qui relève, récapitule et met en lumière, sans argumenter, les documents essentiels à la compréhension du dossier que doit acquérir la cour de révision.

[21] Dans Delios, précité, je l’exprime ainsi (au paragraphe 45) :

L’exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position — rôle de l’exposé des faits et du droit —, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.

[...]

[25] La troisième exception reconnue porte sur la preuve sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond; voir Keeprite et Access Copyright, précités, ainsi que Mr. Shredding Waste Management Ltd. c. Nouveau‐Brunswick (Ministre de l’Environnement et des Gouvernements locaux), 2004 NBCA 69, 274 N.B.R. (2nd) 340 (but illégitime), et St. John’s Transportation Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 1662, 1998 CanLII 18670, 161 Nfld. & P.E.I.R. 199 (fraude). En guise d’illustration, supposons que, après qu’une décision administrative a été prise et que le décideur a été dessaisi, une partie découvre que la décision a été amenée par un pot‐de‐vin. Supposons également que l’avis de demande de cette partie invoque une atteinte à la justice naturelle à cause de ce pot‐de‐vin. La preuve du pot‐de‐vin est recevable par voie d’affidavit déposé auprès du juge de révision.

[26] Notons en passant que, si un élément de preuve était disponible au moment de l’instance administrative en ce qui concerne la justice naturelle, l’équité procédurale, le but illégitime ou la fraude, la partie lésée devait s’opposer et présenter cet élément de preuve devant le décideur administratif. Lorsqu’une partie peut raisonnablement être considérée comme ayant eu la capacité de s’opposer devant le décideur administratif sans l’avoir fait, l’opposition ne peut être faite par la suite lors d’un contrôle judiciaire : voir Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), 2000 CanLII 16575, ainsi que In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.).

[27] La troisième exception reconnue s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. La preuve en question n’aurait pu être présentée au juge du fond et, ainsi, l’exception n’intervient en rien dans le rôle du décideur administratif à titre de juge du fond. Elle se trouve aussi à faciliter à la Cour la tâche de contrôler le décideur administratif à l’égard d’un motif admissible (tâche d’application de la primauté du droit).

[41] Aucun de ces témoins n’avait la qualité d’expert. J’admets le témoignage des témoins des demandeurs sur le fondement de la quantité de dossiers qu’ils ont traités et sur l’issue de ces dossiers : cet élément de preuve n’a pas été sérieusement contesté et pourrait vraisemblablement être vérifié par le défendeur quoi qu’il en soit. J’émets toutefois une mise en garde, car les témoins des demandeurs en l’espèce représentaient les demandeurs dans les dossiers dont ils ont parlé, mais je ne remets pas en question le nombre de dossiers qu’ils ont traités ni les documents qu’ils ont présentés comme pièces. J’admets également le témoignage du témoin du défendeur sous réserve de la même mise en garde.

[42] En retenant leur témoignage, je n’ai pas tenu compte des opinions exprimées, interprétations tendancieuses, prises de position ou tout autre contenu non pertinent ou inadmissible.

V. Analyse de l’équité procédurale

[43] Je me penche maintenant sur les questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce. La première porte sur la décision d’IRCC de remplacer le guide OP 8 par les Instructions et sur les conséquences de cette décision. La deuxième, la plus importante, concerne la décision d’IRCC de transférer toutes les demandes CTA présentées par des Iraniens qui étaient alors traitées par son bureau des visas à Ankara à celui de Varsovie.

A. Le remplacement du guide OP 8 d’IRCC par les Instructions relatives à l’exécution du programme sur la catégorie des travailleurs autonomes

[44] Le guide OP 8 est un ensemble de lignes directrices préparé par IRCC à l’intention des agents des visas qui traitent des demandes CTA ainsi que d’autres demandes. Il a été établi en 2008. Il est demeuré en vigueur au moins jusqu’en 2016. Selon la preuve du défendeur, à compter du 2 août 2016, IRCC a remplacé « la section 11 » du guide OP 8 par les Instructions relatives à l’exécution des programmes d’IRCC sur les travailleurs autonomes [les Instructions]. Les éléments de preuve d’IRCC montrent que [traduction] « les agents qui traitent des demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs autonomes après le 2 août 2016 consultent seulement les Instructions » (affidavit de M. Richter, au para 17).

[45] Selon le paragraphe 15 de l’affidavit de M. Richter :

[traduction]
Les Instructions sont des directives consultées par les employés d’IRCC et de l’Agence des services frontaliers du Canada dans l’exercice de leurs fonctions sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur la citoyenneté et le Règlement sur la citoyenneté. Elles sont accessibles au public.

[46] Au vu de la preuve dont je dispose, je conclus que le passage du guide OP 8 aux Instructions a sensiblement restreint les droits procéduraux des demandeurs de la CTA. Je conclus que, comme IRCC utilise depuis longtemps et régulièrement le guide OP 8 et suit constamment et régulièrement les pratiques procédurales qui y sont énoncées, les demandeurs iraniens pouvaient légitimement s’attendre à ce qu’IRCC continue d’examiner leurs demandes CTA en fonction du guide OP 8, au moins pour un certain temps après août 2016. J’arrive à cette conclusion en suivant l’enseignement de l’arrêt Baker, au paragraphe 26, et de l’arrêt Agraira, au paragraphe 94.

[47] Je conclus également dans les circonstances en l’espèce que le passage du guide OP 8 aux Instructions a eu pour effet de priver les demandeurs de leur possibilité de connaître la preuve à réfuter et d’avoir une possibilité complète et équitable d’y répondre, en contravention de l’arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56. Le changement de guide a également eu pour effet de rehausser les exigences de fond auxquelles devaient satisfaire les demandeurs de visas appartenant à la CTA. Ainsi, il était plus difficile pour eux d’obtenir un visa dans cette catégorie.

(1) Observations préliminaires

[48] J’aimerais formuler deux observations préliminaires au sujet du guide OP 8 et de sa pertinence.

[49] Premièrement, peu importe la déclaration de M. Richter selon laquelle [traduction] « la section 11 » du guide OP 8 a été remplacée le 2 août 2016, je conclus qu’IRCC a remplacé ou, du moins, avait l’intention de remplacer l’entièreté du guide OP 8 par les Instructions. J’arrive à cette conclusion en raison de l’élément de preuve d’IRCC selon lequel [traduction] « les agents qui traitent des demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs autonomes après le 2 août 2016 consultent seulement les Instructions ». Ma conclusion à cet égard concorde avec d’autres décisions de notre Cour : voir Azani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 99 [motifs du juge Favel] au para 11; Kucukerman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 50 [motifs du juge McHaffie] au para 18; Mahmoudzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 453 [motifs de la juge Strickland] au para 24, citant Jumalieva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 385 [motifs de la juge Heneghan].

[50] Deuxièmement, il est important de noter que le guide OP 8 est encore, c’est‐à‐dire « actuellement », affiché sur le site Web d’IRCC selon le témoignage de M. Parsai. IRCC explique qu’il en est ainsi parce qu’il [traduction] « traite des demandes qui ont été présentées lorsque le guide OP 8 était pertinent sur le plan opérationnel ». Je souligne que le guide OP 8, tel qu’il était rédigé avant le 2 août 2016, s’applique à au moins une des huit causes types (Heidari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)) et peut‐être à d’autres parmi les 102 autres demandes faisant l’objet de la gestion de l’instance.

[51] À mon sens, IRCC a engendré une situation de confusion pour les demandeurs de la CTA en continuant de présenter le guide OP 8 dans la section des guides « actifs » sur son site Web, tout en y publiant également les Instructions. Ni l’un ni l’autre des documents ne dit clairement lequel des deux s’applique. À mon avis, ce n’est pas clair du tout, que l’on regarde l’un ou l’autre de ces deux documents, que les Instructions ont remplacé le guide OP 8. Cette information n’est mentionnée nulle part dans ces documents.

[52] À cet égard, il est intéressant de souligner qu’une recherche de l’expression « catégorie des travailleurs autonomes IRCC » sur Google nous mène directement à une page Web sur laquelle figure en haut à gauche un hyperlien vers les « Instructions et lignes directrices opérationnelles ».

Une image contenant texte, Appareils électroniques, capture d’écran, Police

Description générée automatiquement

[53] Un clic sur le lien « Instructions et lignes directrices opérationnelles » nous mène à une page Web qui indique que le guide OP 8 est un « guide actif » sous la catégorie « guides opérationnels » :

Une image contenant texte, capture d’écran, Police

Description générée automatiquement

[...]

[54] Toutefois, comme je le mentionne plus haut, les pages du site Web d’IRCC où figure le guide OP 8 n’indiquent pas que ce guide est remplacé par les Instructions. En réalité, c’est plutôt l’inverse : IRCC a continué de présenter le guide OP 8 comme une « instruction et ligne directrice opérationnelle » « active », et c’est encore le cas actuellement. Fait important, le défendeur a affirmé en contre‐interrogatoire que, tant le guide OP 8 que les Instructions sont des [traduction] « documents de référence qui peuvent être utilisés, mais qui ne sont pas obligatoires » pour examiner les demandes. M. Richter a expliqué que, « l’un est un guide et [...] l’autre est une instruction ». Au vu du dossier, je conclus que les deux sont encore utilisés.

[55] À mon avis, pour éviter le risque de manquement à l’équité procédurale, et pour que les demandeurs connaissent la preuve à réfuter, les documents figurant sur le site Web d’IRCC qui ne sont plus généralement applicables devraient l’indiquer expressément. Cela n’a pas été fait pour le guide OP 8. De même, les documents sur le site Web d’IRCC qui en remplacent d’autres devraient indiquer expressément qu’ils sont des documents de remplacement, particulièrement lorsque (comme c’est le cas en l’espèce) les documents originaux figurent toujours dans la liste des documents « actifs ». Cela n’a pas été fait non plus. Prendre l’une ou l’autre de ces mesures pourrait contribuer à éliminer la confusion pour les demandeurs appartenant à la CTA quant à la preuve qu’ils doivent réfuter : s’agit‐il des Instructions ou du guide OP 8?

[56] En tout respect, je suis d’avis que la façon dont IRCC présente le guide OP 8 et les Instructions a créé et continue de créer de la confusion, dont je ne peux faire fi dans mon examen des allégations de manquement à l’équité procédurale des demandeurs, car elle empêche les demandeurs appartenant à la CTA de connaître la preuve à réfuter.

(2) Le passage du guide OP 8 aux Instructions a réduit l’équité procédurale

[57] Nul ne conteste que le guide OP 8 a été établi en 2008. Il a donc été appliqué pendant environ huit ans avant 2016. Selon sa déclaration, que j’admets sous réserve de ce qui précède, IRCC a remplacé le guide OP 8 par les Instructions le 2 août 2016.

[58] Le dossier en l’espèce démontre, et je n’en doute pas, qu’IRCC a utilisé le guide OP 8 pour évaluer les demandes CTA d’Iraniens pendant une très longue période. Il est clair que le guide OP 8 a été initialement rédigé et donné aux agents des visas d’IRCC en 2008. Bien que, évidemment, le pouvoir discrétionnaire des agents des visas ne doive pas être entravé (voir, par exemple, Ching-Chu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 855 [motifs du juge Kelen] au para 25), le dossier ne fait que confirmer que les agents des visas d’IRCC suivaient régulièrement et constamment le guide OP 8 dans l’examen des demandes CTA, qu’ils proviennent d’Iran ou d’ailleurs. De plus, il ne fait aucun doute que le guide OP 8 était en vigueur au moins jusqu’au 2 août 2018 – une période de presque exactement huit ans.

[59] Pour ces motifs, je conclus que, comme IRCC utilise depuis longtemps et régulièrement le guide OP 8 et suit constamment et régulièrement les pratiques procédurales qui y sont énoncées, les demandeurs de la CTA originaires d’Iran (et probablement d’ailleurs) pouvaient légitimement s’attendre à ce que les agents des visas d’IRCC continuent d’examiner leurs demandes CTA en fonction du guide OP 8, au moins jusqu’au 2 août 2016, et pour un certain temps après août 2016 : Baker, au para 26, et Agraira, au para 94.

[60] J’estime également que le guide OP 8 fournit des renseignements importants aux demandeurs concernant la preuve qu’ils doivent réfuter. À mon sens, les demandeurs de visa peuvent légitimement inférer de ces guides et documents d’orientation fournis aux agents des visas et publiés sur le site Web d’IRCC au moins une partie de la preuve qu’ils doivent réfuter. Cette réalité semble avoir été connue des parties en l’espèce et acceptée.

[61] Je conclus également que le passage du guide OP 8 aux Instructions dans les circonstances de l’espèce a eu pour effet de priver les demandeurs de leur possibilité de connaître la preuve à réfuter et d’avoir une possibilité complète et équitable d’y répondre : Canadien Pacifique, au para 56.

[62] Je parviens à cette conclusion en raison des différences importantes entre le guide OP 8 et les Instructions tant en ce qui concerne les considérations procédurales que le contenu des demandes CTA. Selon moi, il y a trois différences principales.

[63] Premièrement, la section 5.5 du guide OP 8 indique qu’il peut y avoir des entrevues. Elle précise que le demandeur appartenant à la CTA (ou à la catégorie des gens d’affaires) peut être appelé à passer une entrevue. Elle ajoute toutefois qu’il « peut y avoir lieu de laisser tomber l’entrevue » dans certains cas. Selon les demandeurs, cela veut dire que la norme serait de faire les entrevues et l’exception serait de les laisser tomber. Bien que cette observation ait du vrai, la preuve ne me convainc pas que les entrevues étaient la norme pendant la période en cause. Toutefois, et quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que, dans les Instructions, toute référence aux entrevues a été éliminée. Bien que le guide OP 8 puisse avoir créé une attente légitime quant à la possibilité, à tout le moins, qu’une entrevue soit tenue, les Instructions ne peuvent avoir créé pareille attente étant donné qu’elles sont totalement muettes sur cette question. La question des entrevues devait être tranchée en appliquant la règle générale selon laquelle les entrevues ne sont nécessaires que par souci d’équité procédurale pour évaluer la crédibilité (Tollerene, précitée, au para 16, citant Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 620 au para 7), sous réserve du principe de l’attente légitime, bien entendu.

[64] Dans l’ensemble, je suis d’avis que les demandeurs ont raison de dire que le guide OP 8 a créé une attente légitime plus élevée que les Instructions en ce qui concerne les entrevues.

[65] Deuxièmement, la section 11.7 du guide OP 8 portait sur les plans d’affaires et en fait donnait aux agents la directive de ne « pas encourager » les travailleurs autonomes à présenter un plan d’affaires officiel qui « entraînerait des dépenses inutiles et un fardeau administratif ». Je ne vois pas cette directive comme une façon de dissuader les travailleurs autonomes de présenter toute forme de plan d’affaires. Toutefois, éviter d’insister sur des plans d’affaires coûteux ou contraignants est bel et bien une directive précise qu’IRCC a donnée à ses agents des visas qui traitent des demandes CTA. Ce type de plans pourrait être nécessaire pour d’autres demandes présentées dans la catégorie de l’immigration économique ou des gens d’affaires, mais pas pour les demandes CTA relatives à des activités culturelles ou sportives ou à l’achat et la gestion d’une ferme. Je souscris aux observations des demandeurs selon lesquelles cette directive témoigne de la volonté d’IRCC de ne pas décourager les demandeurs de la CTA en fixant la barre trop haut, particulièrement parce que, pour avoir gain de cause, ceux‐ci devaient démontrer qu’ils avaient eu du succès dans les activités de leur domaine.

[66] Comme l’a témoigné le défendeur en contre‐interrogatoire, par exemple, si le demandeur a déjà réussi dans un domaine culturel, comme l’écriture de livres, et qu’il a plusieurs publications bien connues à son actif et l’intention de continuer à écrire de telles publications au Canada, les prévisions de revenus [traduction] « seraient quasiment superflues », c’est‐à‐dire que le plan d’affaires ne nécessiterait guère plus de renseignements, car le demandeur se serait acquitté de son fardeau (contre‐interrogatoire de M. Richter, à la p 95).

[67] Voir également les interrogatoires de M. Richter – jour 1, p 95 : [TRADUCTION] « Puisque chaque demande est examinée selon les faits qui lui sont propres, si par exemple une personne est un auteur réputé ayant plusieurs publications reconnues à son actif et qu’elle a l’intention de continuer à écrire de telles publications au Canada, et que je suis convaincu que ces publications existent réellement, les prévisions de revenus seraient quasiment superflues, car cette personne se serait acquittée de son fardeau de démontrer son expérience antérieure, ainsi que son intention et sa capacité. Ainsi, il ne serait pas vraiment nécessaire de demander d’autres renseignements pour prendre une décision, puisque la décision serait déjà très claire. »

[68] Voir également les interrogatoires de M. Richter – jour 1, p 97 : [TRADUCTION] « Subsidiairement, un autre cas que nous avons eu est celui d’une personne qui était un distributeur nord-américain d’un grand nombre d’artistes iraniens ou qui détenait les droits de distribution de ceux‐ci et qui était en mesure de présenter un nombre limité de contrats avec Sony et d’autres grandes maisons de disque comme preuve de son établissement déjà existant au Canada. Nous n’avions donc pas exigé beaucoup de documents à l’appui dans ce cas, de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir un plan d’affaires officiel. »

[69] Dans les Instructions, en revanche, il n’est plus du tout question de ne « pas encourager » les travailleurs autonomes à présenter des plans d’affaires coûteux ou contraignants.

[70] À mon avis, le fait que la directive de ne pas encourager la présentation de plans d’affaires coûteux ou contraignants ne figurait plus dans les Instructions pouvait signifier que les demandeurs de la CTA seraient plus nombreux à devoir présenter des plans d’affaires. Il s’agit d’un autre changement important dans la preuve que les demandeurs de la CTA avaient à réfuter.

[71] Selon moi, les Iraniens et les autres personnes ayant présenté une demande au titre de la CTA pouvaient légitimement s’attendre à ce qu’ils ne soient pas encouragés à présenter des plans d’affaires coûteux ou contraignants suivant le guide OP 8. À mon sens, le fait de passer du guide OP 8 aux Instructions constituait un manquement à l’équité procédurale, puisque les demandeurs qui avaient déposé leur demande avant le 2 août 2016, ou après pendant une période raisonnable, pouvaient légitimement s’attendre à ce qu’elle soit examinée en fonction du guide OP 8 et non des Instructions. Toute autre interprétation priverait ces demandeurs de leur droit de connaître la preuve à réfuter, ce qui constituerait un manquement à l’équité procédurale selon les arrêts Baker, Agraira et Canadien Pacifique, comme je le mentionne plus haut.

[72] Troisièmement, la section 5.14 du guide OP 8 portait précisément sur la question de l’équité procédurale et indiquait expressément que, lorsque l’agent des visas « s’interroge sur la recevabilité de la demande ou l’admissibilité du demandeur, il doit donner au demandeur la possibilité de corriger ou de contredire ses interrogations. [...] L’agent est tenu de procéder à une évaluation juste et approfondie conformément au libellé et à l’esprit de la législation et selon les exigences de l’équité procédurale » [non souligné dans l’original]. Le sens du mot « interrogations » est très large et n’est pas limité par exemple aux questions de crédibilité. À mon avis, cette disposition avait pour but d’inciter les agents des visas à respecter l’équité procédurale dans l’examen des demandes CTA.

[73] Aucune disposition semblable dans d’autres guides d’IRCC n’a été portée à mon attention, et j’y vois la preuve qu’IRCC souhaitait que les demandeurs de la CTA – exerçant des activités culturelles, sportives ou agricoles – bénéficient d’un traitement particulièrement équitable. D’après moi, cette disposition visait surtout à obliger les agents des visas à tenter d’obtenir réponse à leurs interrogations au moyen de lettres d’équité procédurale, ou même au moyen d’entrevues.

[74] Fait le plus important, cette disposition axée sur l’équité procédurale a été entièrement supprimée dans les Instructions. Sa suppression totale ne peut être considérée autrement que comme une diminution délibérée et importante des attentes légitimes en matière d’équité procédurale par rapport à celles créées par le guide OP 8.

[75] À cet égard, le fait qu’IRCC ait passé d’un ensemble de lignes directrices, de guides ou d’instructions à un autre n’est pas répréhensible en soi. IRCC est libre de publier et de modifier ses lignes directrices, ses instructions et ses guides non contraignants qui indiquent comment ses agents des visas peuvent appliquer et interpréter la loi (LIPR) et le règlement (RIPR) pertinents de la manière qu’il juge la plus appropriée, dans les limites, bien entendu, du raisonnable et de l’équité procédurale et sans entraver le pouvoir discrétionnaire. C’est ce qu’IRCC a fait en publiant le guide OP 8, et qu’il a tenté de faire en voulant le remplacer par les Instructions.

[76] La difficulté en l’espèce réside dans le fait que le défendeur a entrepris de remplacer le guide OP 8, qui existait depuis longtemps et qui avait indubitablement créé des attentes légitimes, sans toutefois prévenir les demandeurs de la CTA qui étaient déjà dans le système ou les demandeurs de la CTA éventuels. IRCC n’a pas donné aux demandeurs l’occasion de déposer à nouveau leurs demandes afin de répondre à ces exigences très différentes. En effet, comme je le note plus haut, IRCC a laissé et continue de laisser le guide OP 8 affiché sur son site Web dans la section des guides « actifs ». À mon avis, pour ces raisons, certains demandeurs ont vu leurs attentes légitimes frustrées et aussi ont été privés de leur droit de connaître la preuve à réfuter et des protections procédurales qu’ils s’attendaient légitimement à recevoir.

[77] Par conséquent, le remplacement du guide OP 8 par les Instructions a eu pour effet de créer une catégorie de demandeurs déjà présents dans le système, c’est-à-dire ceux qui avaient déposé leur demande CTA le 2 août 2016 ou avant, dont les droits procéduraux ont été violés si leur demande a été examinée conformément aux Instructions plutôt qu’au guide OP 8. Je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie dans tous ces cas, avec la directive que les demandes soient examinées conformément au guide OP 8, comme cela aurait été le cas avant le 2 août 2016, et non conformément aux Instructions. Un de ces demandeurs est celui dans la huitième cause type, Heidari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-6476-18, dont la demande CTA a été déposée le 6 mai 2016. Il pourrait y en avoir d’autres parmi les 102 autres affaires faisant l’objet de la gestion d’instance dans le présent contrôle.

[78] Je tiens à préciser que je ne considère pas le 2 août 2016 comme une date butoir. Comme je l’ai déjà dit, les demandeurs ont le droit de connaître la preuve qu’ils ont à réfuter, y compris leurs avantages procéduraux (Canadien Pacifique, précité, au para 56, motifs du juge Rennie). La jurisprudence impose également à IRCC l’obligation de traiter les demandes conformément aux procédures correspondant aux attentes légitimes des demandeurs (Baker, précité, au para 26). Normalement, les demandes déposées dans un délai raisonnable après le passage du guide OP 8 aux Instructions devraient être réexaminées si elles n’ont pas été examinées conformément au guide OP 8, à moins qu’un avis contraire ait été donné.

[79] La question consiste alors à savoir en quoi consiste un délai raisonnable. Compte tenu de l’absence d’avis, la réponse dépendra des circonstances, notamment si le demandeur agissait pour son propre compte ou s’il avait retenu les services d’un consultant en immigration, et du temps que cela a pris pour rendre une décision relativement à ces demandes présentées par des Iraniens.

[80] Je me serais attendu à ce que les consultants en immigration prennent connaissance du changement dans un délai raisonnable après que les décisions d’IRCC ont commencé à refléter ce changement.

[81] Compte tenu des délais très longs à l’époque (2016), et en supposant que le demandeur ait retenu les services d’un consultant en immigration (ou d’un avocat), j’estime que six mois après le 2 août 2016 serait un délai raisonnable, de sorte que les dossiers déposés auprès d’IRCC au plus tard le 2 février 2017 auraient dû être examinés sur le plan de la procédure et du fond conformément au guide OP 8.

[82] S’agissant des demandes présentées par des demandeurs non représentés, j’estime que neuf mois après le changement serait un délai raisonnable, de sorte que les dossiers déposés auprès d’IRCC au plus tard le 2 mai 2017 auraient dû être examinés sur le plan de la procédure et du fond conformément au guide OP 8.

B. Le transfert du traitement des demandes CTA présentées par des Iraniens du bureau des visas d’IRCC à Ankara à celui de Varsovie

[83] Le deuxième manquement à l’équité procédurale, plus important, découle de la décision d’IRCC de transférer toutes les demandes CTA présentées par des Iraniens qui étaient alors traitées par son bureau des visas à Ankara à celui de Varsovie.

[84] Je rappelle que toutes les demandes CTA présentées par des Iraniens étaient traitées par le bureau des visas à Ankara depuis au moins 2015. Je ne dispose d’aucun renseignement indiquant que ces demandes ont commencé à cette date; il se pourrait que le bureau des visas à Ankara en ait traité bien avant 2015.

[85] Cette procédure a changé en mars 2018. Pour l’exposé qui suit, je m’appuie sur le témoignage du témoin du défendeur, sur son contre-interrogatoire et sur les nombreux documents que le défendeur a produits en application de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1.

[86] Il ressort clairement de la preuve que le bureau des visas à Ankara accumulait un arriéré de demandes CTA non traitées présentées par des ressortissants iraniens. À un certain moment en 2017 ou 2018, il y avait près de 500 demandes CTA non traitées à Ankara présentées par des Iraniens relativement aux catégories des activités culturelles et sportives et de l’achat et la gestion d’une ferme.

[87] Les délais étaient importants, atteignant des années dans de nombreux cas. Selon le témoignage de M. Parsai, les délais de traitement des demandes CTA en 2016 étaient de 96 mois (8 ans). Il a déclaré que, d’après sa propre expérience, les délais de traitement étaient d’environ 28 mois pour la plupart des demandes. Une capture d’écran du site Web d’IRCC datant du 10 janvier 2021 montre que le délai de traitement des demandes CTA est de 23 mois dans l’ensemble du système d’IRCC.

[88] Selon le dossier, le bureau des visas d’IRCC à Varsovie pouvait traiter davantage de demandes de visas à cette même période. Le bureau de Varsovie avait déjà traité par le passé des demandes présentées au titre de la catégorie économique, en particulier les travailleurs qualifiés. Rappelons que la catégorie des travailleurs autonomes fait partie de la catégorie de l’immigration économique ou des gens d’affaires. Bien que le bureau de Varsovie ait déjà traité des demandes CTA, celui d’Ankara avait plus d’expérience avec les demandeurs iraniens, mais était submergé par l’important arriéré.

[89] IRCC a donc décidé de transférer le traitement des demandes CTA présentées par des ressortissants iraniens de son bureau à Ankara à celui de Varsovie. Des instructions à ce sujet ont été données en 2018. En conséquence, le bureau d’Ankara a transféré la quasi-totalité de son inventaire de demandes CTA provenant de ressortissants iraniens au bureau de Varsovie. Au total, 479 demandes CTA présentées par des demandeurs iraniens au avaient été transférées du bureau d’Ankara à celui de Varsovie en date du 7 mars 2018. Toutes les nouvelles demandes CTA présentées par des Iraniens après cette date ont également été traitées par le bureau d’IRCC à Varsovie.

[90] Selon les éléments de preuve produits par les demandeurs, immédiatement après le transfert d’Ankara à Varsovie, le nombre de demandes CTA présentées par des Iraniens qui ont été accueillies est passé d’environ 80 % à 85 % entre 2015 et 2017, lorsqu’elles étaient traitées par le bureau à Ankara, à moins de 50 % lorsqu’elles étaient traitées par le bureau de Varsovie, ce qui a mené au dépôt des demandes de contrôle judiciaire en l’espèce et à la décision de la Cour de faire une gestion de l’instance pour ces 107 demandes.

[91] Le transfert d’Ankara à Varsovie a donné lieu à plusieurs changements procéduraux. Ces changements ont fait l’objet de demandes de réexamen infructueuses et de plusieurs lettres de la part des témoins des demandeurs adressées au bureau des visas de Varsovie, à des députés, au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté M. John McCallum, ainsi qu’à des fonctionnaires d’IRCC à Ottawa. Comme l’indique le dossier, toutes les demandes de réexamen ont été rejetées jusqu’à maintenant.

(1) Le bureau d’IRCC à Varsovie met fin à la pratique consistant à envoyer des demandes de documents supplémentaires

[92] Le changement procédural le plus préoccupant concernait les demandes sollicitant des documents supplémentaires. La réception des demandes traitées par le bureau d’Ankara était attestée par une lettre ou un courriel d’accusé de réception. Les documents présentés par le défendeur en réponse à une demande d’accès à l’information indiquent que l’accusé de réception [traduction] « avise les clients de ne pas formuler d’autres observations tant qu’on ne leur demande pas de le faire ». De plus, la liste de contrôle des documents générale déposée par les demandeurs à l’appui de leurs demandes initiales indique ce qui suit : [TRADUCTION] « N’envoyez pas de documents supplémentaires lorsque vous présentez votre demande au Bureau de réception centralisée des demandes. »

[93] Comme je l’ai déjà dit, les délais étaient importants en raison de l’arriéré – de 28 à 96 mois selon la preuve. Par conséquent, lorsque les agents des visas d’Ankara se préparaient à commencer leur examen, ils envoyaient systématiquement une lettre de demande de documents supplémentaires assez détaillée accordant au demandeur de la CTA 60 jours pour déposer des documents à jour (Ankara accordait 90 jours jusqu’en 2015). La lettre de demande de documents du bureau des visas d’Ankara était souvent accompagnée d’une liste de contrôle détaillée dans laquelle des renseignements supplémentaires précis étaient demandés.

[94] À mon avis, l’envoi de ces demandes de documents supplémentaires et listes de contrôle donnant aux demandeurs la possibilité de mettre à jour leur demande était une mesure équitable et nécessaire sur le plan procédural, étant donné l’arriéré et les délais importants.

[95] Je suis de cet avis parce que, en tout respect, il me semble évident que pour bon nombre de demandeurs, voire la plupart, de nombreux changements peuvent avoir eu lieu dans leur carrière culturelle ou sportive entre le moment où ils déposent leur demande et le moment où leur demande est enfin examinée par un agent des visas. Examiner ces demandes sur le fondement de documents désuets depuis longtemps, compte tenu notamment de l’interdiction d’IRCC faite aux demandeurs de fournir des renseignements à jour à moins d’y être invités, pouvait nuire inutilement et, dans de nombreux cas, allait nuire inutilement, voire fatalement, à ces demandeurs. Par exemple, ces demandeurs auraient pu avoir récemment donné des spectacles et des concerts; avoir reçu des prix nationaux et internationaux; avoir présenté des films; avoir conçu des décors retenus; avoir présenté des œuvres cinématographiques; avoir créé ou diffusé des œuvres télévisuelles; avoir signé des contrats fructueux; avoir écrit, vendu ou publié des livres; avoir participé à des tournois et les avoir remportés; et leur réussite financière ou autre pourrait s’être accrue. Il s’agit d’exemples clairs d’événements nouveaux démontrant la nécessité de mettre à jour les dossiers obsolètes.

[96] À mon sens, comme le bureau d’Ankara a constamment et régulièrement envoyé des demandes de documents supplémentaires souvent accompagnées d’une liste détaillée des documents requis, les demandeurs pouvaient légitimement s’attendre à ce que des demandes de documents supplémentaires et, dans certains cas, des listes de contrôle supplémentaires soient toujours envoyées. IRCC devait continuer à répondre à cette attente légitime pour respecter les exigences de l’équité procédurale : Baker, au para 26.

[97] Toutefois, le dossier démontre que dès le transfert, le bureau des visas d’IRCC à Varsovie a immédiatement et complètement arrêté de demander des documents supplémentaires et d’envoyer des listes de contrôle avant de terminer l’examen des demandes. En effet, la première série de décisions refusant les visas qu’IRCC a rendues sans envoyer de demandes de documents supplémentaires ou de listes de contrôle a été reçue au cours des deuxième et troisième semaines d’avril 2018.

[98] De plus, les documents obtenus à la suite de demandes d’accès à l’information confirment que des fonctionnaires d’IRCC ont discuté des renseignements supplémentaires qui devaient être demandés aux demandeurs de la CTA après le transfert des dossiers à Varsovie.

[99] Au cours de ces discussions, les fonctionnaires d’IRCC ont tenu compte d’avis juridiques et non juridiques, lesquels sont expurgés des documents obtenus à la suite de demandes d’accès à l’information.

[100] À noter, les fonctionnaires d’IRCC ont en fait examiné une ébauche de document que les agents des visas à Varsovie devaient envoyer aux demandeurs dont la demande CTA avait été transférée à ce bureau.

[101] Au vu du dossier dont je dispose, je n’ai aucune difficulté à conclure que la haute direction d’IRCC – son témoin n’a pas pu dire qui en particulier – a pris la décision délibérée et calculée de mettre fin à la pratique du bureau d’Ankara consistant à envoyer des demandes de documents supplémentaires et des listes de contrôle lorsque les demandes CTA ont été transférées au bureau de Varsovie.

[102] Il convient également de souligner que cette décision a été prise en dépit de ce qui semble avoir été un avis contraire, à savoir continuer à envoyer des demandes de documents supplémentaires [traduction] « pour éviter des poursuites » [d.d. 888].

[103] Après les observations de M. Parsai, et deux ans après le dépôt des demandes de contrôle judiciaire devant notre Cour, le ou vers le 30 septembre 2020, le bureau de Varsovie a commencé à envoyer des lettres ou courriels concis de trois ou quatre lignes pour demander des documents à jour. Nombre d’entre eux ont été envoyés sans numéro de client, bien que ce renseignement semble avoir été ajouté ultérieurement.

[104] Ainsi, au vu du dossier dont je dispose, je conclus que les demandes CTA présentées par des ressortissants iraniens (et probablement d’autres ressortissants traités par le bureau des visas à Varsovie) au ont été examinées pendant environ deux ans et demi après le transfert de mars 2018 sur la foi de renseignements de plus en plus obsolètes.

[105] Pire encore, comme je le note plus haut, on a en réalité empêché ces demandeurs de déposer de leur propre chef des documents à jour, tant par le libellé des accusés de réception d’IRCC que de celui de sa liste de contrôle générale des documents exigés avec les demandes initiales.

[106] À mon avis, les demandes de contrôle judiciaire doivent être accueillies dans les causes types où les agents des visas de Varsovie n’ont pas demandé de documents supplémentaires à jour avant de terminer leur examen. C’est le cas de la cause type numéro 2, Asghar Hashemi Saracheh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), et de la cause type numéro 6, Saied Taghizadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Dans les sept autres, des demandes de documents supplémentaires ont été envoyées par le bureau d’Ankara avant que les dossiers soient transférés à Varsovie.

(2) Changement important dans le traitement des plans d’affaires et de la preuve de l’intention et de la capacité

[107] Un deuxième changement dans les pratiques de traitement habituelles, mis en œuvre après le transfert à Varsovie des demandes CTA présentées par des Iraniens, concernait l’attention que les agents des visas accordaient aux plans d’affaires et à la preuve quant à l’intention et à la capacité. Notre Cour a conclu au paragraphe 21 de la décision Mohitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1393, que les agents des visas, en ce qui concerne la CTA, ne pouvaient exiger de plan d’affaires détaillé, celui qui est coûteux et contraignant. Cette directive a été intégrée dans le guide OP 8 de 2008 (qui reprenait le libellé du guide OP 6 au moins depuis que la décision Dalanguerban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1081, a été rendue par le juge McKeown), qui indiquait précisément que les agents des visas ne devaient « pas encourager » le travailleur autonome à présenter un plan d’affaires officiel « qui entraînerait des dépenses inutiles et un fardeau administratif ».

[108] Tout cela a changé par la mise en œuvre des Instructions en 2016.

[109] Cela dit, et bien que le bureau des visas à Ankara ait commencé à demander des plans d’affaires même avant le mois d’août 2016 lorsque les Instructions ont été instaurées, ses agents [traduction] « n’ont jamais remis en question le niveau de détails » des plans d’affaires pour les demandeurs de la CTA, puisqu’ils demandaient seulement des plans d’affaires généraux pour l’activité concernée (affidavit de M. Parsai, au para 12). Ce disant, je reconnais que la jurisprudence plus ancienne permettait aux tribunaux d’examiner les plans d’affaires des demandeurs appartenant à la CTA, voir Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 399 [motifs de la juge Dawson] au para 9.

[110] Toutefois, les demandeurs font valoir que l’examen et la procédure régulièrement suivie par le bureau d’Ankara ont considérablement changé lorsque les demandes CTA présentées par des Iraniens ont été transférées à Varsovie. En tout respect, je suis du même avis. Au vu du dossier dont je dispose, je suis d’avis que les agents du bureau d’Ankara n’ont jamais vraiment remis en question la capacité ou l’intention des demandeurs de la CTA de s’établir au Canada puisqu’ils n’exigeaient qu’un plan d’affaires général pour le type d’activité précis. À cet égard, le témoin des demandeurs a déclaré que [traduction] « la preuve de la capacité et de l’intention de devenir travailleur autonome au Canada [qu’il a] présentée pour plus de 500 clients dans la catégorie des travailleurs autonomes ne comprenait que des plans d’affaires généraux pour le type d’activité précis ».

[111] À mon avis, il ne fait aucun doute qu’IRCC a abordé les plans d’affaires de ces demandeurs de la CTA, ainsi que les renseignements pris en considération relativement à la question de l’intention et de la capacité visée au paragraphe 88(1) du RIPR, d’une manière considérablement différente.

[112] Je suis convaincu que le bureau des visas à Ankara avait l’habitude d’approuver les demandes CTA de ressortissants iraniens sans exiger de nombreux détails en ce qui concerne les plans d’affaires. À mon avis, cette pratique régulière a créé une attente légitime selon laquelle on n’exigerait pas de plans d’affaires très détaillés et que, pour démontrer leur capacité et leur intention de devenir travailleurs autonomes au Canada, les demandeurs ne devaient déposer que des plans d’affaires généraux pour le type d’activité précis. Les agents du bureau des visas à Varsovie n’ont pas répondu à cette attente légitime, puisqu’ils ont rejeté bon nombre de demandes CTA de ressortissants iraniens sur le fondement, en tout ou en partie, de l’insuffisance des plans d’affaires que ces derniers avaient présentés pour démontrer leur capacité et leur intention.

[113] Voici quelques exemples de nouveaux critères, qui ont souvent causé le rejet des demandes, imposés à ces demandeurs iraniens dans le cadre de « la preuve à réfuter » :

  • a)[traduction] « Le plan d’affaires fourni par la demanderesse comprend des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie dans son ensemble au Canada et ne présente qu’une petite quantité de renseignements sur Toronto et la région environnante où elle a l’intention de s’établir »;

  • b)[traduction] « La preuve de l’intéressée ne suffit pas à démontrer qu’elle a étudié en profondeur le marché canadien, en particulier celui de Toronto (sa région de destination), concernant le domaine d’activité commerciale qu’elle proposait, ni qu’elle a adopté un plan dont il est raisonnable de croire qu’il lui permettrait de créer son propre emploi et de pénétrer le marché dans ce domaine »;

  • c)[traduction] « Il n’est pas clair si le demandeur, hormis énumérer ses renseignements, a communiqué avec l’une ou l’autre des entreprises mentionnées dans le plan pour déterminer si ses services permettraient de répondre à un besoin »;

  • d)[traduction] « Les observations indiquent en outre que la principale source de renseignements dans le plan provient d’un rapport de marché réalisé par IBIS World, et il n’est pas clair s’il a validé ce rapport pour l’endroit proposé ou s’il a entrepris ses propres recherches sur l’activité commerciale proposée ».

[114] À mon avis, ajouter ces nouveaux critères dans la procédure d’examen constituait un manquement aux attentes légitimes des demandeurs, et en plus leur imposition soudaine les a empêchés de connaître la preuve à réfuter et les a privés de la possibilité complète et équitable d’y répondre, en contravention de l’arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56.

[115] Si je reconnais que la jurisprudence autorise les agents des visas à s’enquérir des plans d’affaires pour évaluer la capacité et l’intention, il n’en demeure pas moins que les agents à Ankara n’ont pas insisté sur ce point comme l’ont fait ceux de Varsovie, qui ont relevé et jugé fatales ces prétendues fautes. Il s’agit plutôt d’un changement important dans la pratique et la procédure habituelles : Baker, au para 26. Les demandes ont donc été rejetées sans que les demandeurs connaissent la preuve à réfuter ou sans qu’ils aient eu la possibilité complète et équitable d’y répondre, comme l’exige l’arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56.

[116] Pour ce motif également, je conclus que les demandes CTA présentées par des ressortissants iraniens qui ont été traitées à Varsovie auraient dû être traitées comme elles l’auraient été si elles avaient été traitées à Ankara, à tout le moins celles qui ont été déposées avant le 7 mars 2018 ou après dans un délai raisonnable.

[117] Là encore, la question consiste à savoir en quoi consiste un délai raisonnable. Compte tenu de l’absence d’avis, cela dépendrait des circonstances, y compris si le demandeur agissait pour son propre compte ou s’il a retenu les services d’un consultant en immigration, et du temps pris pour rendre une décision relativement à ces demandes. Comme je le dis plus haut, je me serais attendu à ce que les consultants en immigration et la communauté juridique prennent connaissance du changement dans un délai raisonnable après que les décisions d’IRCC ont commencé à refléter ce changement. Cette période serait plus longue dans le cas de demandeurs qui ne sont pas représentés.

[118] En supposant que le demandeur ait retenu les services d’un consultant en immigration (ou d’un avocat), j’estime que six mois après le 7 mars 2018 serait un délai raisonnable, de sorte que les plans d’affaires des dossiers déposés auprès d’IRCC au plus tard le 7 septembre 2018 auraient dû être évalués sur le plan de la procédure et du fond comme ils l’auraient été par le bureau des visas à Ankara.

[119] Pour les demandes présentées par des demandeurs non représentés, j’estime que neuf mois après le changement serait un délai raisonnable, de sorte que les plans d’affaires des dossiers déposés auprès d’IRCC au plus tard le 7 décembre 2018 auraient dû être évalués sur le plan de la procédure et du fond comme ils l’auraient été par le bureau des visas à Ankara.

VI. Application des principes qui précèdent aux huit causes types

A. Cause type no 1 : IMM-2767-18 (Sanam Nezami Tafreshi)

[120] La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleuse autonome au motif qu’elle voulait devenir [traduction] « entraîneuse et arbitre » de basketball au Canada. Elle a présenté sa demande le 24 février 2017 et était représentée par M. Parsai. Le 16 mars 2017, le bureau des visas à Ankara lui a envoyé une [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES », à laquelle était jointe une liste de contrôle des documents requis.

[121] Le 11 avril 2018, la demande a été rejetée par le bureau des visas à Varsovie au motif que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[122] L’agent a examiné les observations et le plan d’affaires de la demanderesse et a estimé que le plan contenait des renseignements de sources publiques très généraux au sujet de l’industrie du conditionnement physique au Canada dans son ensemble et très peu de renseignements sur Toronto, où la demanderesse avait l’intention de s’établir.

[123] L’agent a considéré comme un facteur défavorable l’échange de courriels entre la sœur de la demanderesse et Clifton Grant, le président de l’Association des arbitres de basketball de la région de York. Cette brève communication indique que toute réponse définitive exigerait d’abord une rencontre en personne avec la demanderesse.

[124] L’agent a également souligné que la demanderesse n’avait pas communiqué avec d’autres entités au Canada afin d’explorer la faisabilité du travail autonome qu’elle entendait réaliser. Comme il n’était pas convaincu que la demanderesse avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada, l’agent a rejeté la demande.

[125] La demanderesse a déposé sa demande avant les dates limites pertinentes concernant les plans d’affaires à la suite du transfert d’Ankara à Varsovie (le 7 septembre 2018). L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara, étant donné les attentes légitimes créées par la pratique de ce dernier : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[126] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

B. Cause type no 2 : IMM-148-20 (Asghar Hashemi Saracheh)

[127] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome au motif qu’il voulait faire [traduction] « de la peinture artistique et du design graphique » au Canada. Il a présenté sa demande le 18 juillet 2019 et était représenté par M. Parsai.

[128] Le demandeur N’a PAS reçu de [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES » ni de liste de contrôle des documents requis, car sa demande a été traitée par le bureau des visas à Varsovie. Il n’a pas non plus reçu de lettre brève de trois ou quatre lignes exigeant des documents à jour du bureau de Varsovie.

[129] Le 14 novembre 2018, la demande a été rejetée au motif que l’agent des visas à Varsovie n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[130] L’agent a souligné que le demandeur, comme preuve de son expérience professionnelle, avait notamment présenté de nombreuses factures, plusieurs contrats et lettres de recommandation, ainsi que des relevés de fonds de pension indiquant le nombre d’employés assurés. Les contrats indiquaient que le demandeur était le gestionnaire d’une société et les relevés de fonds de pension indiquaient clairement qu’il employait des graphistes/opérateurs d’impression et d’autres employés de soutien. Toutefois, l’agent a conclu que les observations ne suffisaient pas à démontrer qu’il était personnellement impliqué dans l’industrie du graphisme ou de l’impression autrement qu’en gérant une entreprise.

[131] L’agent a également examiné le plan d’affaires et n’a pas été convaincu que le demandeur avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada. Il a noté ce qui suit :

[traduction]

  1. Le plan contient des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie au Canada, et aucun renseignement précis sur le marché dans la destination proposée (Toronto) ne figure dans l’analyse;

  2. Il n’est pas clair si l’une des entreprises mentionnées dans le plan a communiqué avec lui pour déterminer si ses services pouvaient répondre à un besoin;

  3. Il n’est pas clair s’il a validé l’étude de marché réalisée par IBIS World, sur laquelle il s’est grandement appuyé relativement à la destination proposée, ou s’il a entrepris ses propres recherches sur l’activité commerciale proposée;

  4. Les prévisions financières n’avaient pas de source et il n’est pas clair si les ventes représentant plus de 200 000 CDN avec un profit de 80 000 CDN la première année étaient réalistes.

[132] Dans l’ensemble, l’agent n’a pas été convaincu que le demandeur avait l’expérience utile ou avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[133] Ce demandeur aurait dû recevoir une demande de documents supplémentaires, mais il n’en a pas reçu, pas même la demande de trois ou quatre lignes pour obtenir des documents que le bureau de Varsovie avait commencé à envoyer aux alentours de septembre 2020, qui lui aurait permis de mettre à jour son dossier compte tenu de l’attente légitime créée par la pratique du bureau à Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[134] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

C. Cause type no 3 : IMM-5019-18 (Mehrnegar Harirforoush)

[135] La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleuse autonome au motif qu’elle voulait être [traduction] « entraîneuse de karaté » au Canada. Elle a présenté sa demande le 23 septembre 2016 et était représentée par M. Parsai. Le 26 juillet 2017, le bureau des visas à Ankara lui a envoyé une [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES », à laquelle était jointe une liste de contrôle des documents requis. Sa réponse a été reçue le 22 septembre 2017.

[136] Le 13 juin 2018, la demande a été rejetée par le bureau à Varsovie au motif que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[137] L’agent a souligné ce qui suit :

[TRADUCTION]

  • La demanderesse n’a pas participé à des événements de karaté de niveau international;

  • Le plan d’affaires de la demanderesse contient des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie au Canada, et aucun renseignement précis sur le marché dans la ville de destination ne figure dans l’analyse;

  • Il n’est pas clair si la demanderesse, hormis énumérer ses renseignements, a communiqué avec l’une ou l’autre des entreprises mentionnées dans le plan pour déterminer si ses services pouvaient répondre à un besoin;

  • La preuve présentée par la demanderesse ne suffisait pas à démontrer qu’elle avait étudié le marché canadien concernant l’activité commerciale proposée, ni qu’elle avait adopté un plan dont il est raisonnable de croire qu’il lui permettrait de créer son propre emploi.

[138] Dans l’ensemble, l’agent n’a pas été convaincu que la demanderesse avait l’expérience utile ou avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[139] La demanderesse a déposé sa demande avant les dates limites pertinentes concernant les plans d’affaires à la suite du passage du guide OP 8 aux Instructions (le 2 février 2017) et le transfert d’Ankara à Varsovie (le 7 septembre 2018). L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara. Neuf mois s’étaient écoulés entre la réception de la demande de documents supplémentaires et le refus. À mon avis, la demanderesse n’a pas eu droit à l’équité procédurale compte tenu des attentes légitimes créées par la pratique du bureau d’Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[140] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

D. Cause type no 4 : IMM-5020-18 (Navid Farahani)

[141] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome au motif qu’il voulait être un [traduction] « athlète professionnel » (joueur de basketball) au Canada. Il a présenté sa demande le 16 novembre 2016 et était représenté par M. Parsai. Le 18 août 2017, le bureau des visas à Ankara lui a envoyé une [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES », à laquelle était jointe une liste de contrôle des documents requis. Sa réponse a été reçue le 15 novembre 2017. Il a également présenté une déclaration à jour le 4 mai 2018 et a présenté des documents supplémentaires le 26 juin 2018.

[142] Le 4 octobre 2018, la demande a été rejetée par le bureau de Varsovie au motif que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[143] L’agent a fait remarquer qu’au cours des cinq années précédant sa demande, le demandeur avait participé à des compétitions uniquement en Iran, et la preuve ne démontrait pas qu’il avait participé à des activités sportives de niveau international.

[144] L’agent a également fait remarquer que le plan d’affaires contenait des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie au Canada et qu’il n’y avait aucune analyse des conditions du marché précises dans la destination proposée (Toronto). Dans son plan d’affaires, le demandeur a énuméré des clubs canadiens comme les Raptors de Toronto à titre d’entreprise parallèle, déclarant [traduction] « [qu’] il y a de nombreux clubs canadiens pour lesquels [il pouvait] jouer au basketball ou signer un contrat », mais rien ne prouvait qu’il avait communiqué avec l’une ou l’autre des entreprises mentionnées pour déterminer si ses services pouvaient répondre à un besoin.

[145] Dans l’ensemble, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait l’expérience utile ou avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[146] Le demandeur a déposé sa demande avant les dates limites pertinentes concernant les plans d’affaires à la suite du passage du guide OP 8 aux Instructions (le 2 février 2017) et le transfert d’Ankara à Varsovie (le 7 septembre 2018). L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara. Le demandeur n’a pas eu droit à l’équité procédurale compte tenu des attentes légitimes créées par la pratique du bureau d’Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[147] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

E. Cause type no 5 : IMM-6473-18 (Abdolrasoul Daryoush Karimi)

[148] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome au motif qu’il voulait faire [traduction] « l’élevage de poissons, de canards et d’animaux et de l’agriculture » au Canada. Il a présenté sa demande le 12 janvier 2017 et était représenté par M. Parsai. Le 23 août 2017, le bureau des visas à Ankara lui a envoyé une [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES », à laquelle était jointe une liste de contrôle des documents requis. Sa réponse a été reçue le 18 octobre 2017.

[149] Le 20 octobre 2018, un an plus tard, la demande a été rejetée au motif que l’agent des visas à Varsovie n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[150] L’agent a souligné ce qui suit :

[TRADUCTION]

  • Le plan d’affaires du demandeur contient des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie au Canada;

  • Aucun renseignement précis sur le marché dans la destination proposée (Winnipeg) ne figure dans l’analyse;

  • Hormis énumérer des entreprises ou institutions parallèles liées à l’industrie, il n’est pas clair s’il a communiqué avec elles pour établir la demande ou déterminer la faisabilité de son plan proposé;

  • Dans ses observations, le demandeur n’indique pas s’il a tenu compte de la concurrence dans le domaine d’activité proposé, ce qui est un facteur très important, ou s’il a eu l’occasion de se familiariser avec le niveau de mécanisation que l’on trouve dans l’agriculture canadienne;

  • La preuve du demandeur ne suffisait pas à démontrer qu’il a étudié en profondeur le marché canadien, en particulier celui de sa destination proposée de Winnipeg, dans son domaine d’activité commerciale, ni qu’il a adopté un plan dont il est raisonnable de croire qu’il lui permettrait de créer son propre emploi.

[151] Dans l’ensemble, l’agent n’a pas été convaincu que le demandeur avait l’expérience utile ou avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[152] Le demandeur a déposé sa demande avant les dates limites pertinentes concernant les plans d’affaires à la suite du passage du guide OP 8 aux Instructions (le 2 février 2017) et le transfert d’Ankara à Varsovie (le 7 septembre 2018). L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara. De plus, étant donné le délai d’un an qui s’était écoulé entre le moment où il avait fourni ses documents supplémentaires et la décision, j’estime respectueusement qu’une nouvelle demande de documents supplémentaires aurait dû lui être envoyée. Le demandeur n’a pas eu droit à l’équité procédurale compte tenu des attentes légitimes créées par la pratique du bureau d’Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[153] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

F. Cause type no 6 : IMM-1164-19 (Saied Taghizadeh)

[154] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome. Il a indiqué que sa profession actuelle était [traduction] « entraîneur de lutte » et qu’il avait l’intention d’occuper « n’importe quel poste lié à [son] domaine d’emploi ». Il a présenté sa demande le 27 mars 2017 et était représenté par M. Parsai.

[155] Le demandeur N’a PAS reçu de [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES » ni de liste de contrôle des documents requis, car sa demande a été traitée par le bureau des visas à Varsovie. Il n’a pas non plus reçu de lettre brève de trois ou quatre lignes exigeant des documents à jour du bureau de Varsovie.

[156] Le 19 janvier 2019, la demande a été rejetée au motif que l’agent des visas à Varsovie n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[157] L’agent a conclu que la proposition d’entreprise n’avait aucun sens, car le demandeur serait le seul entraîneur et effectuerait toutes les tâches administratives et de gestion nécessaires pour faire fonctionner l’entreprise au quotidien. Bien honnêtement, et en tout respect, je suis d’avis que cette évaluation est plutôt déraisonnable étant donné que les entrepreneurs sont souvent capables d’accomplir plusieurs tâches, du moins au début de leur carrière.

[158] L’agent a également souligné ce qui suit :

[TRADUCTION]

  • Le plan d’affaires indique que le demandeur a l’intention d’ouvrir un club de lutte à New Market, en Ontario. Il a l’intention d’utiliser une partie de sa propriété résidentielle comme bureau. Cet espace sera loué pour 1 000 $ par mois et servira de bureau et peut-être de lieu de combat pour permettre à six personnes de recevoir des services d’entraînement dans l’établissement;

  • Tous les services d’entraînement doivent être fournis par le demandeur. En plus de l’entraînement, il sera responsable de la gestion, des ventes, de l’éducation et de la formation, d’un service à la clientèle de la plus haute qualité, de la gestion de toutes les transactions financières, des ventes quotidiennes et des comptes créditeurs;

  • L’analyse de l’industrie figurant dans le plan d’affaires contient des informations très générales qui ne sont pas étayées par des données de recherche, et il n’est pas clair d’où viennent les statistiques qu’il a fournies.

[159] Dans l’ensemble, l’agent n’a pas été convaincu que le demandeur avait l’expérience utile ou avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[160] Le demandeur a déposé sa demande avant la date limite pertinente du 7 septembre 2018 concernant les plans d’affaires. L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara. Il aurait dû recevoir une demande de documents supplémentaires, mais n’en a pas reçu, ni non plus la demande de trois ou quatre lignes pour obtenir des documents que le bureau de Varsovie avait commencé à envoyer aux alentours de septembre 2020, qui lui aurait permis de mettre à jour son dossier. Le demandeur n’a pas eu droit à l’équité procédurale compte tenu des attentes légitimes créées par la pratique du bureau d’Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[161] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

G. Cause type no 7 : IMM-3166-18 (Ramin Mazaheri)

[162] Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome au motif qu’il voulait être [traduction] « ingénieur du son et producteur de musique » au Canada. Il a présenté sa demande le 5 août 2016 et était représenté par M. Parsai. Le 21 juillet 2017, le bureau des visas à Ankara lui a envoyé une [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES », à laquelle était jointe une liste de contrôle des documents requis. Sa réponse a été reçue le 27 septembre 2017.

[163] Le 26 avril 2018, le bureau des visas à Varsovie a rejeté la demande au motif que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[164] Dans son examen du plan d’affaires, l’agent a également souligné ce qui suit :

[TRADUCTION]

  • Le plan d’affaires fourni par le demandeur présente des renseignements dont une partie importante a été copiée d’un rapport de l’industrie préparé par IBISWorld : https://www.ibisworld.ca/industry-trends/marketresearch-reports/information/music-publishing.html;

  • Ce plan contient des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie au Canada, et aucun renseignement précis sur le marché dans la destination proposée (Toronto) ne figure dans l’analyse;

  • Dans son plan d’affaires, le demandeur indique ce qui suit : [traduction] « Bien que je prévoie mettre sur pied mon propre studio de musique, je peux travailler avec ces studios de musique pour commencer. » Il n’est pas clair si le demandeur, hormis énumérer ses renseignements, a communiqué avec l’une ou l’autre des entreprises mentionnées dans le plan pour déterminer si ses services pouvaient répondre à un besoin;

  • De plus, le demandeur affirme qu’il [traduction] « embauchera des Canadiens pour travailler dans [son] studio », ce qui tend à démontrer qu’il n’a pas l’intention ou la capacité d’être travailleur autonome.

[165] Dans l’ensemble, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait l’expérience utile ou avait l’intention et la capacité de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[166] Le demandeur a déposé sa demande avant les dates limites pertinentes concernant les plans d’affaires à la suite du passage du guide OP 8 aux Instructions (le 2 février 2017) et le transfert d’Ankara à Varsovie (le 7 septembre 2018). L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara. Le demandeur n’a pas eu droit à l’équité procédurale compte tenu des attentes légitimes créées par la pratique du bureau d’Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[167] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

H. Cause type no 8 : IMM-6476-18 (Nahid Heidari)

[168] La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleuse autonome au motif qu’elle voulait [traduction] « continuer à travailler comme couturière et dessinatrice de vêtements » au Canada. Elle a présenté sa demande le 6 mai 2016 et était représentée par M. Parsai. Le 14 mars 2017, le bureau des visas à Ankara lui a envoyé une [traduction] « DEMANDE DE DOCUMENTS À JOUR – CATÉGORIE DES GENS D’AFFAIRES », à laquelle était jointe une liste de contrôle des documents requis. Sa réponse a été reçue le 4 mai 2017.

[169] Le 3 décembre 2018, dix‐neuf mois plus tard, la demande a été rejetée par le bureau des visas à Varsovie au motif que l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[170] L’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas d’expérience utile dans une activité culturelle. Plus précisément, la demanderesse a présenté sa demande à titre de patronnière correspondant à la CNP 5245, qui fait partie du grand groupe 52 de la CNP, « Personnel technique des arts, de la culture, des sports et des loisirs ». Or, comme elle a de l’expérience dans la vente de robes, et non dans la conception de patrons pour des robes, son emploi correspond davantage à la CNP 6342, « Tailleurs/tailleuses, couturiers/couturières, fourreurs/fourreuses et modistes », qui ne fait pas partie du grand groupe 52 et n’est donc pas une activité culturelle.

[171] L’agent a également conclu que le plan d’affaires de la demanderesse contenait des renseignements de sources publiques très généraux sur l’industrie au Canada et qu’aucun renseignement précis sur le marché de la destination proposée (Toronto) ne figurait dans l’analyse. Il n’était pas clair si la demanderesse, hormis énumérer ses renseignements, avait communiqué avec l’une ou l’autre des entreprises mentionnées dans le plan pour déterminer si ses services pouvaient répondre à un besoin.

[172] Dans l’ensemble, l’agent n’était pas convaincu que la demanderesse avait l’expérience utile des activités culturelles ou avait l’intention et était en mesure de créer son propre emploi au Canada, et il a rejeté la demande.

[173] La demanderesse a déposé sa demande avant les dates limites pertinentes concernant les plans d’affaires à la suite du passage du guide OP 8 aux Instructions (le 2 février 2017) et le transfert d’Ankara à Varsovie (le 7 septembre 2018). L’examen du plan d’affaires par le bureau de Varsovie n’était pas conforme aux procédures générales suivies par le bureau d’Ankara. De plus, étant donné le délai de 19 mois qui s’était écoulé entre le moment où elle avait fourni ses documents supplémentaires et la décision, j’estime respectueusement qu’une nouvelle demande de documents supplémentaires aurait dû lui être envoyée pour lui permettre de mettre son dossier à jour. Elle n’a pas eu droit à l’équité procédurale compte tenu des attentes légitimes créées par la pratique du bureau d’Ankara : Baker, au para 26, Agraira, au para 94, et Canadien Pacifique, au para 56.

[174] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

VII. L’admissibilité de certains éléments de contre‐preuve

[175] À l’audience, les demandeurs ont demandé à la Cour d’admettre d’autres éléments de preuve à l’appui d’allégations de mauvaise foi et de crainte raisonnable de partialité. J’avais initialement dit que j’examinerais l’affaire « comme si » les éléments étaient admis, mais que je réserverais ma décision. Toutefois, à mesure que l’instruction avançait, et après avoir entendu les avocates des deux parties, j’ai conclu que la requête serait rejetée, pour les motifs qui seraient exposés plus tard. Voici mes motifs.

[176] Une mise en contexte s’impose. Voici en ordre chronologique les documents utiles qui ont été déposés :

  • 9 février 2021 : Les demandeurs déposent le dossier de demande [3 712 pages]

  • 28 mai 2021 : Le défendeur dépose son mémoire [59 pages]

  • 15 novembre 2021 : Les demandeurs déposent l’avis de requête visant la présentation d’éléments de preuve supplémentaires à l’appui des allégations de mauvaise foi et de crainte raisonnable de partialité

  • 13 janvier 2022 : Le juge Aalto, responsable de la gestion de l’instance, rend son ordonnance dans laquelle il accorde certaines réparations (qui ne sont plus en litige), mais rejette la requête concernant la preuve relative aux allégations de mauvaise foi et de crainte raisonnable de partialité

  • 12 mai 2022 : Les demandeurs déposent un autre dossier de demande [619 pages] sans la nouvelle preuve contestée

  • 24 mai 2022 : Le défendeur dépose un mémoire supplémentaire [25 pages]

  • 6 juin 2022 : Les demandeurs déposent leur mémoire supplémentaire en réponse [19 pages]

[177] À l’audience, l’avocate des demandeurs a présenté une requête orale informelle en vue d’interjeter appel de l’ordonnance du 13 janvier 2022 rendue par le juge Aalto, responsable de la gestion de l’instance. Dans l’intervalle, elle n’avait pas demandé cette autorisation à un juge lors des séances générales et n’avait pas non plus demandé de séance spéciale. Elle n’avait pas déposé d’avis de requête, de dossier de requête ni d’affidavit à cet égard. Par conséquent, je ne disposais pas des documents que l’avocate souhaitait produire en preuve.

[178] Toutefois, il est apparu clairement que les demandeurs souhaitaient verser au dossier certains éléments de preuve que le juge Aalto avait refusé d’admettre, au motif qu’il s’agissait d’éléments de preuve à l’appui de nouvelles allégations [traduction] « cruciales » de mauvaise foi ou de crainte raisonnable de partialité.

[179] Il convient toutefois de noter que la demande principale des huit causes types dont je suis saisi a été déposée le 13 juin 2018 (il y a près de quatre ans) et que l’avis de requête initial visant la présentation de ces nouveaux éléments de preuve a été déposé le 15 novembre 2021, soit près de deux ans et demi plus tard. De plus, cette requête intervient après le contre‐interrogatoire du témoin du défendeur.

[180] À l’audience, j’ai demandé aux demandeurs comment je pouvais rendre une décision infirmant celle du juge responsable de la gestion de l’instance sans disposer des documents qu’ils voulaient que j’admette. L’avocate des demandeurs a invoqué la [traduction] « complexité de l’affaire » et a fait valoir que l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance ne répondait pas aux observations.

[181] L’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance a été rendue le 13 janvier 2022. L’avocate a déclaré que les nouveaux éléments de preuve montraient la crainte raisonnable de partialité, à savoir que les décideurs avaient fait preuve de fermeture d’esprit, comme le prouvait la rapidité avec laquelle les décisions avaient été prises par le bureau de Varsovie. Elle a souligné qu’il devrait y avoir une requête, mais a indiqué qu’elle était incapable d’obtenir les instructions de plus de 100 clients. L’avocate a invoqué le préjudice causé par la difficulté d’étayer l’allégation de crainte raisonnable de partialité et le caractère unique du litige. Elle a indiqué que, sans cette preuve, il serait difficile de satisfaire à la norme élevée requise pour établir la partialité.

[182] À titre subsidiaire, l’avocate m’a demandé de créer un nouveau principe juridique qui autoriserait l’admission d’éléments de contre‐preuve sur une nouvelle question lorsque l’impossibilité d’obtenir des documents est attribuable à des facteurs indépendants de la volonté des avocats. L’avocate soutient que la présente affaire offre des « circonstances spéciales » et elle invoque les articles 3 et 55 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ainsi que les pleins pouvoirs de la Cour sur ses procédures :

Principe général

General principle

3 Les présentes règles sont interprétées et appliquées :

3 These Rules shall be interpreted and applied

a) de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

(a) so as to secure the just, most expeditious and least expensive outcome of every proceeding; and

b) compte tenu du principe de proportionnalité, notamment de la complexité de l’instance ainsi que de l’importance des questions et de la somme en litige.

(b) with consideration being given to the principle of proportionality, including consideration of the proceeding’s complexity, the importance of the issues involved and the amount in dispute.

Modification de règles et exemption d’application

Varying rule and dispensing with compliance

55 Dans des circonstances spéciales, la Cour peut, dans une instance, modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application.

55 In special circumstances, in a proceeding, the Court may vary a rule or dispense with compliance with a rule.

[183] Les demandeurs renvoient à l’arrêt Amgen Canada Inc. c Apotex Inc., 2016 CAF 121 [le juge Stratas] [Amgen], qui établit le critère concernant l’admission de nouveaux affidavits dans des demandes :

[13] Plusieurs lignes directrices utiles ont été établies dans la jurisprudence portant sur l’article 312 au sujet de l’admissibilité des affidavits supplémentaires lors des demandes. Des affidavits supplémentaires ne seront autorisés que s’ils « vont dans le sens des intérêts de la justice » : Lapointe Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503, [2003] 3 C.F. D‐27, aux paragraphes 8 et 9. De ce fait, la Cour doit tenir compte des éléments suivants :

• si l’élément de preuve aidera la Cour (plus particulièrement sa pertinence et sa valeur probante suffisante);

• si l’admission de l’élément de preuve causera un préjudice grave à l’autre partie;

• si l’élément de preuve était disponible lors du dépôt des affidavits ou s’il aurait pu être découvert en démontrant une diligence raisonnable.

(Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 101, au paragraphe 2; Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, au paragraphe 6; Canada (Ministre des Pêches et des Océans) c. Gwasslaam, 2009 CAF 25, au paragraphe 4.) Je constate que la Cour s’est servie des mêmes facteurs pour décider si elle devrait permettre qu’un affidavit en réplique soit déposé lors d’une requête en autorisation d’interjeter appel aux termes de l’article 355, qui, comme le paragraphe 369(3), n’autorise pas explicitement les affidavits en réplique : Quarmby c. Office national de l’énergie, 2015 CAF 19.

[184] Les demandeurs renvoient également au paragraphe 22 de la décision Canada (Revenu national) c Edward Enterprise International Group Inc., 2020 CF 1044 [motifs du juge Southcott], pour soutenir que cette preuve supplémentaire ne porte pas préjudice au ministre, car celui‐ci n’avait rien à déposer en réponse parce qu’il n’avait déposé aucun document en réponse auparavant. En outre, l’avocate soutient que le paragraphe 18 de la décision Merck-Frosst c Canada (Santé), 2009 CF 914, s’applique essentiellement à l’espèce :

[18] Ce qu’il faut, c’est une analyse des documents déposés et proposés afin de déterminer, au moyen d’une analyse objective, s’il aurait été raisonnablement possible de prévoir que la contre‐preuve proposée était pertinente. Cela n’a pas été fait dans ce cas-ci, car la savante protonotaire a permis à la forme de l’emporter sur la substance.

[185] Toutefois, les demandeurs ont déposé leur dossier de demande supplémentaire le 12 mai 2022 – quatre mois après l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance.

[186] Le défendeur s’est opposé au dépôt des nouveaux éléments de preuve parce que la demande dans la cause type principale a été déposée le 13 juin 2018, et le demandeur dans cette affaire avait préparé un énoncé des questions en août 2020 : la partialité n’en faisait pas partie. Le demandeur a déposé son avis de requête en vue de présenter les nouveaux éléments de preuve le 15 novembre 2021, le juge responsable de la gestion de l’instance a rejeté la requête le 13 janvier 2022, les demandeurs ont déposé le dossier de demande supplémentaire le 12 mai 2022, le défendeur a déposé son mémoire supplémentaire le 24 mai 2022 et les demandeurs ont déposé leur mémoire supplémentaire en réponse le 6 juin 2022. Par conséquent, le défendeur soutient, et je suis du même avis, qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux nouvelles allégations de mauvaise foi et de crainte raisonnable de partialité formulées par les demandeurs.

[187] Notamment, le défendeur a affirmé que l’ordonnance interlocutoire du juge responsable de la gestion de l’instance n’est pas susceptible d’appel selon l’alinéa 72(2)e) de la LIPR. De plus, son avocate a fait valoir, et je suis du même avis, que la requête informelle est une manière inadmissible de contester la décision du juge responsable de la gestion de l’instance.

[188] Quoi qu’il en soit, à mon sens, la norme applicable aux appels est très élevée, et il faut faire preuve d’une grande déférence envers le juge responsable de la gestion de l’instance, voir Apotex Inc c Canada (Santé), 2016 CF 776 [la juge Kane] aux para 13-15, citant J2 Global Communications Inc. c Protus IP Solutions Inc., 2009 CFA 41 :

[16] Notre Cour a maintes fois réaffirmé qu’en raison de leur connaissance intime du procès et de sa dynamique, les protonotaires et les juges de première instance doivent pouvoir jouir d’une grande latitude dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion des instances (voir également les articles 75 et 385 des Règles des Cours fédérales). Comme notre Cour se tient loin de la mêlée, elle ne doit intervenir que pour empêcher des injustices flagrantes et pour corriger des erreurs graves et évidentes. Or, aucune erreur de cette nature n’a été démontrée en l’espèce. Au contraire, l’ordonnance de la protonotaire Tabib me semble être une solution créative et efficace pour faire avancer un procès qui semble s’empêtrer depuis un bon moment.

[189] Pour ces motifs, j’ai rejeté la requête en présentation des nouveaux éléments de preuve.

VIII. Le fondement sur lequel le réexamen doit avoir lieu

[190] Les demandeurs ont demandé à la Cour, si la demande de contrôle était accueillie, d’ordonner que les agents des visas qui procèdent au réexamen ne tiennent compte que de la jurisprudence disponible au moment où le demandeur a déposé sa demande initiale (2016 à début 2017, à l’exception de la cause type no 2 : Asghar Hashemi Saracheh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), car la jurisprudence récente a [traduction] « soudainement établi qu’il est raisonnable pour les agents de s’attendre à ce que le demandeur fasse d’importants efforts avant son établissement ou fournisse des prévisions de coûts détaillées dans son plan d’affaires ».

[191] Comme je l’ai mentionné plus haut dans les présents motifs, les agents des visas à Varsovie se sont nettement écartés de la pratique du bureau à Ankara et ont commencé à invoquer plusieurs nouveaux motifs détaillés pour rejeter les demandes présentées par les travailleurs autonomes, en utilisant souvent des termes identiques ou très semblables d’une affaire à l’autre. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que, dans le cadre du réexamen à effectuer conformément au présent jugement, les agents des visas ne devraient pas simplement appliquer ces mêmes motifs de rejet : cela irait à l’encontre de l’objectif plus large de la Cour, exprimé dans le présent jugement, qui exige une « nouvelle décision sur le fondement des attentes légitimes des parties constatées dans les présents motifs ».

[192] Je n’ai pas besoin d’en dire plus, et je suis convaincu que les avocats régleront les détails en toute bonne foi dans chaque affaire.

IX. Conclusion

[193] À mon avis, les demandeurs ont démontré qu’il y a eu manquement à leur droit à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie dans les huit causes types. Ces affaires doivent être décidées sur le fondement des attentes légitimes constatées dans les présents motifs.

[194] Je demeurerai saisi des 102 autres affaires énumérées à l’annexe A au cas où des différends surviendraient concernant la mise en œuvre du présent jugement; ces 102 autres affaires doivent être examinées pour nouvelle décision conformément aux motifs du présent jugement rendu dans les huit causes types si possible, ce qui implique que les avocats devront discuter et, si possible, s’accorder sur une décision et m’en informer en conséquence, sauf si, après discussions de bonne foi, aucun accord n’est trouvé, auquel cas les avocats me feront part des divergences.

X. Question à certifier

[195] Les demandeurs ont présenté les questions à certifier suivantes :

[TRADUCTION]

1- Lorsque les conditions d’admissibilité à un régime administratif ne figurent pas dans les règlements, les directives opérationnelles, la liste de contrôle des documents, le guide du demandeur et les formulaires accessibles au public, le défendeur a‐t‐il l’obligation d’équité procédurale d’en informer le demandeur avant de prendre une décision?

2- Lorsque le décideur administratif a suivi un processus et une procédure en particulier dans son évaluation de l’admissibilité du demandeur à un régime administratif, l’obligation d’équité procédurale exige-t-elle que le décideur informe les futurs demandeurs des changements dans ce processus?

[196] Le défendeur n’a pas proposé de question grave de portée générale à certifier et s’est opposé aux questions des demandeurs parce qu’elles sont des arguments et ne permettent pas de trancher l’affaire.

[197] À mon avis, ces huit causes types supposent l’application de règles de droit établies aux circonstances propres à chaque affaire. Par conséquent, je ne certifierai pas de question de portée générale en l’espèce. Les questions proposées et celles sous-tendant les affaires en l’espèce ont déjà été posées et la jurisprudence y a déjà répondu, en particulier la Cour suprême du Canada dans les arrêts Baker et Agraira et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canadien Pacifique. Voir également la décision Mahjoub (Re), 2017 CF 334.

XI. Les dépens

[198] Les demandeurs sollicitent des dépens de 25 000 $ (plus la TVH) pour les honoraires et de 24 667,93 $ pour les débours (y compris les taxes). Le mémoire de dépens avocat-client en l’espèce s’élèverait à 166 369,93 $, ce qui comprend seulement 141 702 $ pour les honoraires (représentant 66 % du total des honoraires de l’avocate) et 24 667,93 $ pour les débours. Selon la colonne 5 du tarif B, les honoraires s’élèveraient à 18 400 $ avant taxes. Je suis d’accord que la colonne 5 est un point de référence approprié en l’espèce (voir Geza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1039), mais je l’augmenterais au montant demandé étant donné les circonstances, à savoir une audience de quatre jours, la preuve présentée à la suite de la demande d’accès à l’information et le nombre d’affaires. Je comprends que certains débours reflètent les coûts d’impression de certains documents provenant des 102 autres affaires, mais, en tout respect, je ne crois pas que ces demandes soient déraisonnables.

[199] L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés prévoit qu’aucuns dépens ne sont adjugés à moins que des raisons spéciales ne le justifient. Le seuil pour l’adjudication de dépens pour des raisons spéciales est élevé, voir Park c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 786 [motifs du juge Southcott], citant Balepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1104 [motifs du juge Boswell] aux para 35-41. Je suis d’avis que les demandeurs en l’espèce ont satisfait au seul élevé pour l’adjudication de dépens.

[200] Je conviens avec les demandeurs que l’espèce présente effectivement des « circonstances inhabituelles », lesquelles constituent des « raisons spéciales » pour adjuger des dépens, conformément à l’ordonnance de la juge Snider dans la décision Chirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 773 :

[4] La première raison spéciale – et la plus importante – est le contexte ayant entouré les quatre cas types. Ces cas étaient jugés représentatifs de plus de 40 affaires laissées en suspens en attendant qu’il soit statué sur les demandes de contrôle judiciaire dans les quatre cas types. On m’a récemment informée de l’acquiescement à jugement du ministre dans toutes les affaires restantes. Ces affaires, sans que de nouvelles procédures ne soient nécessaires, seront renvoyées pour nouvel examen. Il s’agit de circonstances inhabituelles, et grâce au choix attentif des quatre cas types et à la bonne préparation dans ces dossiers, les parties n’ont pas eu de part et autre, dans les dossiers restants, à longuement se préparer ni à engager des frais de litige additionnels. Ce contexte milite en faveur de l’attribution de dépens.

[201] À mon sens, les dépens raisonnables que le défendeur doit verser aux demandeurs sont ceux proposés par ces derniers, et j’ordonnerai qu’il en soit ainsi.



JUGEMENT dans les dossiers IMM-2767-18, IMM-148-20, IMM-5019-18, IMM-5020-18, IMM-6473-18, IMM-1164-19, IMM-3166-18, IMM-6476-18

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie dans chacune des huit causes types, à savoir SANAM NEZAMI TARFESHI c MCI (IMM-2767-18); ASGHAR HASHEMI SARACHEH c MCI (IMM-148-20); MEHRNEGAR HARIRFOROUSH c MCI (IMM-5019-18); NAVID FARAHANI c MCI (IMM-5020-18); ABDOLRASOUL DARYOUSH KARIMI c MCI (IMM-6473-18); SAEID TAGHIZADEH c MCI (IMM-1164-19); RAMIN MAZAHERI c MCI (IMM-3166-18); NAHID HEIDARI c MCI (IMM-6476-18); la décision faisant l’objet du contrôle est annulée dans chacune des huit causes types, et chacune d’elles est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision sur le fondement des attentes légitimes des parties constatées dans les présents motifs.

  2. Nonobstant le caractère général de ce qui précède, chaque demandeur dans le cadre de chacun de ces réexamens doit recevoir une demande de documents supplémentaires et une liste de contrôle de documents supplémentaires selon les modalités et la forme prévues par le bureau des visas d’IRCC à Ankara avant le transfert du traitement de ces affaires au bureau des visas d’IRCC à Varsovie, à laquelle chaque demandeur disposera de 90 jours pour répondre.

  3. En outre, les agents procéderont au réexamen dans les 90 jours suivant la réception des réponses des demandeurs aux demandes de documents supplémentaires et complémentaires, à moins que d’autres interrogations ne soient soulevées et que le décideur demande des renseignements supplémentaires, à fournir dans un délai raisonnable.

  4. Le défendeur verse aux demandeurs des dépens de 25 000 $ (plus la TVH) pour les honoraires et de 24 667,93 $ (y compris les taxes) pour les débours, tout compris.

  5. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

  6. Je demeure saisi des 102 autres affaires énumérées à l’annexe A au cas où des différends surviendraient concernant la mise en œuvre du présent jugement; les 102 autres affaires doivent être tranchées conformément aux motifs du présent jugement si possible et applicable, ce qui implique que les avocats devront discuter et, si possible, s’accorder sur une décision et m’en informer en conséquence, sauf si, après discussions de bonne foi, aucun accord n’est trouvé, auquel cas les avocats me feront part des divergences.

  7. Une copie du présent jugement et de ses motifs est versée dans chaque dossier de la Cour énuméré à l’annexe A.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


ANNEXE A

No DE DOSSIER :

INTITULÉ :

1.

IMM-3162-18

MINA PEZESHKI c MCI

2.

IMM-3163-18

MALEKMOHAMMAD TAVANA c MCI

3.

IMM-3167-18

SARA MONADIZADEH c MCI

4.

IMM-3168-18

BHEROOZ LOTFIPOUR c MCI

5.

IMM-3568-18

LEILA SADEGHI SOLOUJEH c MCI

6.

IMM-3569-18

MAHDI NEJADAKBARI MAHANI c MCI

7.

IMM-3570-18

DAVOOD MORADI c MCI

8.

IMM-3571-18

SHOKOUFEH FALLAH c MCI

9.

IMM-3572-18

MASOUD MORADI c MCI

10.

IMM-3573-18

SEYED JALAL HOSSEINI c MCI

11.

IMM-3574-18

NEDA GHOBADIHAFSHEJANI c MCI

12.

IMM-3575-18

SAEED MORADI c MCI

13.

IMM-3576-18

SEYED AMIR RAHMANYAN c MCI

14.

IMM-3577-18

MOHAMMADHOSSEIN EGHBAL c MCI

15.

IMM-3578-18

MASOUD FATEHAIN c MCI

16.

IMM-3579-18

ASAL HOOSHMANDGHOMI c MCI

17.

IMM-3580-18

EDRIS MORADI c MCI

18.

IMM-3581-18

ELHAMALSADAT SAJADI c MCI

19.

IMM-3583-18

GHAZALEH SAHRAEI KHANGHAH c MCI

20.

IMM-3584-18

FATEMEH MEMAR c MCI

21.

IMM-5016-18

SARA KESHAVARZI c MCI

22.

IMM-5017-18

MAHSA SADAT KHATAMI c MCI

23.

IMM-5018-18

MASOUMEH MASOUDI TAREMSARI c MCI

24.

IMM-5552-18

ALI BABAESFAHANI c MCI

25.

IMM-5555-18

MEHRDAD DARYOUSH KARIMI c MCI

26.

IMM-5556-18

RAMIN GALESHI c MCI

27.

IMM-5557-18

MASOUD POURREZA c MCI

28.

IMM-5558-18

BAHAREH TAVAKOLI GHEINANI c MCI

29.

IMM-5559-18

ROKHSAR MOUSAVINEZHAD c MCI

30.

IMM-5561-18

SEYEDJAMALEDDIN MOKHTARI RANG AMIZ c MCI

31.

IMM-5562-18

SHIVA HAGHGOSHA c MCI

32.

IMM-6016-18

ZOYA TAVAKOLII c MCI

33.

IMM-6017-18

HAMED POOYAN c MCI

34.

IMM-6018-18

SHAGHAYEGH MORADIANNEJAD c MCI

35.

IMM-6021-18

LEILA KHOSHSOWLAT c MCI

36.

IMM-6475-18

AFSHIN PARTOVI AZAR c MCI

37.

IMM-6478-18

SOMAYEH DADPEY c MCI

38.

IMM-51-19

SIRANOUSH AKHGARANDOUZ c MCI

39.

IMM-1421-19

LEILA ROOHBAKHSH c MCI

40.

IMM-1422-19

ALI MEHRVARZ c MCI

41.

IMM-1423-19

MOHSEN OLYAEI c MCI

42.

IMM-1424-19

MOZGHAN TALIAN NIKSEFAT RASHTI c MCI

43.

IMM-1425-19

MAHSHID POORSARTIP c MCI

44.

IMM-1426-19

MAHMOUD AGHAAMADI c MCI

45.

IMM-1427-19

SAMINEH SARVGHAD BATTN MOGHADAM c MCI

46.

IMM-1441-19

AMIRPOUYAN BIKLAR c MCI

47.

IMM-1862-19

MINOO IRANPOUR MOBARAKEH c MCI

48.

IMM-2402-19

SAMANEH NAJAFI c MCI

49.

IMM-2688-19

MOHSEN AHMADI c MCI

50.

IMM-2689-19

BEHZAD KHEIRY c MCI

51.

IMM-2691-19

SEYED MOHAMMAD ALI HOSSEINI NASAB c MCI

52.

IMM-2694-19

HOORAD GORJI c MCI

53.

IMM-2696-19

IRAJ DASHTIZADEH c MCI

54.

IMM-3501-19

ALIREZA SHAFIEI ROUDHENI c MCI

55.

IMM-3502-19

FERESHTEH MARDANEH c MCI

56.

IMM-3867-19

RAMIN DEHNAVI c MCI

57.

IMM-3868-19

SEPIDEH KASIRIAN c MCI

58.

IMM-3869-19

SAMAN SAMANDAR c MCI

59.

IMM-3870-19

REZA POURRAZAVI c MCI

60.

IMM-4104-19

MOHAMMADREZA AZIZI c MCI

61.

IMM-4996-19

ALIREZA GHASEMIAN c MCI

62.

IMM-4997-19

SHAYESTEH EBRAHIMI c MCI

63.

IMM-5258-19

MOHAMMADBAGHER GHANBARI c MCI

64.

IMM-5866-19

ALIREZA KHAGHANI c MCI

65.

IMM-7214-19

ZAHRA IRANPOUR c MCI

66.

IMM-144-20

MEHDI BEHROUZI VAJARI c MCI

67.

IMM-145-20

AFSHIN DEHGHANI c MCI

68.

IMM-146-20

FARHAD ALIZADEH PIRAGHAJI c MCI

69.

IMM-147-20

ROZ FATHI c MCI

70.

IMM-149-20

SAEED AGHAI c MCI

71.

IMM-152-20

ELHAM KAZEMI c MCI

72.

IMM-154-20

ALIREZA VAFAEE HOSSEINI c MCI

73.

IMM-2989-20

VAHID ZARRABI NASAB c MCI

74.

IMM-3668-20

MARJAN SADEGHI ZAHED c MCI

75.

IMM-5349-20

MILAD BAGHERI c MCI

76.

IMM-1134-21

ALIAKBAR MEHRAZAD c MCI

77.

IMM-1348-21

MASOUD ASGHARNEZHADNAMINI c MCI

78.

IMM-1738-21

MASOUD HASHEMIKHAHMASOULEH c MCI

79.

IMM-1739-21

REZA RAFIE c MCI

80.

IMM-2464-21

NARIMAN PIRASTEH BOROUJENI c MCI

81.

IMM-2470-21

BAHRAM HOSSEINZADEH FIROUZI c MCI

82.

IMM-2597-21

ALIREZA SALEHNIA c MCI

83.

IMM-2864-21

SASAN SALASALI c MCI

84.

IMM-2867-21

BEHNAZ BEHNAM NIA c MCI

85.

IMM-2971-21

MEYSAM KHATAMINIA c MCI

86.

IMM-2972-21

MAJID KOLIVAND c MCI

87.

IMM-3014-21

FARIDEH AMINROAYAYEJAZEH c MCI

88.

IMM-3630-21

EHSAN SHOKROLLAHI c MCI

89.

IMM-3631-21

ARTA DOKHT ZAHEDI c MCI

90.

IMM-3768-21

KEYVANI c MCI

91.

IMM-4068-21

MODARESSI YAZDI c MCI

92.

IMM-8239-21

POURAZARY DIZAJY c MCI

93.

IMM-9216-21

ZAKERAMELI RENANI c MCI

94.

IMM-9651-21

BORNA c MCI

95.

IMM-3367-22

NAZANIN KHOSRAVI c MIRCC

96.

IMM-3695-22

MOHAMMAD NASLESOHRAB c MCI

97.

IMM-4139-22

AHMAD KIA c MCI

98.

IMM-4248-22

AYOOB KHODAVERDIANDEHKORDI c MCI

99.

IMM-5469-22

NAFISEH SAADATI c MCI

100.

IMM-3731-22

HAMED HASSANI c MCI

101.

IMM-5278-22

SHIVA JAHANI GOLBAR c MCI

102.

IMM-5525-22

SEYED MILAD RAVANSHID SHIRAZI c MCI


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2767-18 ET AUTRES

 

INTITULÉ :

SANAM NEZAMI TAFRESHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 13 AU 16 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JUILLET 2022

COMPARUTIONS :

Pantea Jafari

POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jafari Law

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR


 

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