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Date : 20220822


Dossier : IMM‑6527‑20

Référence : 2022 CF 1220

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 août 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

NANDIPA JORDAN MUNDANGEPFUPFU

RORISANG LISA‑RAYE MUNDANGEPFUPFU, PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE

NANDIPA JORDAN MUNDANGEPFUPFU

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses sont une mère, Nandipa Jordan Mundangepfupfu (Mme Mundangepfupfu) et sa fille d’âge mineure. Mme Mundangepfupfu a demandé un permis d’études en vue de devenir étudiante au Humber College de Toronto. Elle a également présenté une demande de permis d’études connexe pour sa fille. Ces demandes de permis d’études ont été refusées le 15 décembre 2020 par un agent de la Section des visas du Haut‑commissariat du Canada en Afrique du Sud (l’agent). Mme Mundangepfupfu sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2] Mme Mundangepfupfu a soulevé divers arguments pour contester la décision de l’agent. Dans l’ensemble, je conclus que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve centraux figurant dans la demande et qu’il s’est fondé sur des conditions générales du pays qui ne s’appliquaient pas aux circonstances particulières de Mme Mundangepfupfu.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[4] Mme Mundangepfupfu est une citoyenne de 28 ans du Zimbabwe. Elle est mère monoparentale d’une fille d’environ huit ans. Mme Mundangepfupfu a terminé ses études secondaires et a suivi un cours de gestion des affaires en Afrique du Sud. Elle est retournée au Zimbabwe en mars 2018 et y demeure depuis lors. Elle vit au domicile de sa grand‑mère, sans loyer et sans hypothèque, avec sa fille. Les deux autres membres de sa fratrie étudient au Royaume‑Uni; sa mère est décédée; et son père, qui ne vit pas dans le même pays qu’elle depuis plus de 16 ans, est résident permanent au Canada. Mme Mundangepfupfu a une relation étroite, analogue à une relation père‑fille, avec son oncle (le frère de son père), qui vit au Zimbabwe et s’est engagé à appuyer financièrement les études de la demanderesse au Canada.

[5] Mme Mundangepfupfu tente d’étudier au Canada depuis 2018. Elle a présenté une première demande de permis d’études afin d’étudier dans un programme menant à un diplôme en gestion des affaires à Toronto. Cette demande a été refusée. Elle a présenté une autre demande en novembre 2018 dans le but de répondre aux préoccupations de l’agent. Cette deuxième demande a été refusée en janvier 2019.

[6] Mme Mundangepfupfu n’a pas contesté le deuxième refus. Plutôt, en septembre 2019, elle a demandé un permis d’études en vue d’étudier dans un autre programme où elle pourrait combiner deux de ses intérêts, la mode et les affaires. Elle a été admise dans un programme de deux ans d’arts de la mode et d’éducation au Humber College de Toronto. Cette demande de permis d’études a été refusée en novembre 2019 parce que l’agent n’était pas convaincu que Mme Mundangepfupfu quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. L’agent a exprimé des réserves concernant les perspectives en matière d’établissement et d’emploi au Zimbabwe; les liens avec le Zimbabwe par rapport aux liens avec le Canada; la situation qui règne au Zimbabwe; et les conjectures au sujet des autres obligations financières potentielles de l’oncle de Mme Mundangepfupfu.

[7] Mme Mundangepfupfu a contesté le refus de novembre 2019 devant la Cour. Avant qu’une décision en matière d’autorisation soit rendue, les parties ont convenu que le refus devait être annulé et que la question devait être soumise à nouveau au bureau des visas en Afrique du Sud afin qu’un autre agent rende une décision. Mme Mundangepfupfu s’est vu accorder l’occasion de déposer d’autres observations et éléments de preuve, ce qu’elle a fait en octobre 2020.

[8] Le 15 décembre 2020, la demande de permis d’études de Mme Mundangepfupfu et la demande de permis d’études connexe pour sa fille mineure ont été refusées. C’est cette décision de décembre 2020 qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. L’agent a refusé les demandes parce qu’il n’était pas convaincu que Mme Mundangepfupfu et sa fille retourneraient au Zimbabwe à la fin de la période de séjour autorisée.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[9] La principale question qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que les demanderesses quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisée était raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est la norme qui est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[10] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme une forme de contrôle empreinte de déférence, mais néanmoins « rigoureuse », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (Vavilov, aux para 13 et 84). Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Le décideur administratif doit veiller à ce que l’exercice de tout pouvoir public soit « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

[11] Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit tenir compte du cadre institutionnel dans lequel a été rendue la décision (Vavilov, aux para 91 et 103). Les agents des visas sont chargés d’examiner un très grand nombre de demandes de permis d’études. Malgré tout, bien que les motifs n’aient pas à être approfondis, la décision de l’agent doit être transparente, justifiée et intelligible (Vavilov, au para 15). Il doit y avoir une « analyse rationnelle » de sorte que la personne concernée par la décision puisse en comprendre le fondement (Vavilov, au para 103; voir aussi Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17 [Patel]; Samra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 157 au para 23; et Rodriguez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 293 aux para 13‑14).

[12] Mme Mundangepfupfu a également soulevé une préoccupation en matière d’équité procédurale concernant le fait que l’agent s’est fondé sur ses propres recherches sur la situation qui règne au Zimbabwe. Je n’ai pas eu besoin d’examiner la question de l’équité procédurale dans mon exposé des motifs puisque j’ai conclu que la décision devait être annulée pour d’autres motifs.

IV. Analyse

[13] L’exigence selon laquelle un agent doit être convaincu qu’une personne présentant une demande en vue d’étudier au Canada n’y restera pas au‑delà de la période de séjour autorisée qui lui est applicable est énoncée aux paragraphes 11(1) et 20(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et à l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. La LIPR prévoit également que l’intention d’un demandeur de s’établir au Canada ne peut servir de fondement à une conclusion selon laquelle le demandeur restera au Canada au‑delà de la période de séjour autorisée qui lui est applicable. (Le concept de la « double intention » est établi au paragraphe 22(2) de la LIPR.)

[14] L’unique fondement du refus, par l’agent, des demandes de permis d’études des demanderesses était que Mme Mundangepfupfu et sa fille ne [traduction] « quitteraient pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ». Plusieurs facteurs ont influé sur le refus des demandes par l’agent : 1) la situation qui règne au Zimbabwe; 2) le peu de liens familiaux qu’ont les demanderesses au Zimbabwe; 3) l’établissement économique limité des demanderesses au Zimbabwe; et 4) des doutes au sujet du plan d’études. Concernant chacun de ces facteurs, je conclus que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve dont il disposait ou les a mal interprétés, ou encore a omis de justifier ses conclusions par des motifs transparents et intelligibles.

A. La situation régnant au Zimbabwe

[15] Une grande partie de la décision de l’agent était axée sur la situation qui règne au Zimbabwe. Sur la foi de quelques articles trouvés lors de recherches qu’il a effectuées en 2018 et 2019, l’agent a dressé une longue liste de faits décousus tirés de ces articles, lesquels portaient généralement sur l’instabilité économique et politique au Zimbabwe. La pertinence de certains détails n’est pas claire. Par exemple, l’agent a souligné qu’une éclosion de choléra est survenue en raison d’une fuite d’eaux usées depuis une canalisation rompue, cette éclosion ayant entraîné plus de 30 décès.

[16] Aucun lien n’est établi entre cette liste disparate de faits relatifs à la situation régnant dans le pays et la situation personnelle de Mme Mundangepfupfu. La seule fois que l’agent mentionne un lien, c’est pour dire qu’il a conclu ce qui suit : [traduction] « vu la situation politique et économique actuelle dans le pays d’origine qui a été décrite ci‑dessus, je ne suis pas convaincu que la demanderesse principale quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée conformément à l’article 216 du RIPR ». L’agent n’explique nullement en quoi ces faits généraux sur un vaste éventail de questions politiques et économiques conduisent à la conclusion que Mme Mundangepfupfu ne retournerait pas au Zimbabwe à la fin de sa période de séjour autorisée.

[17] Le défendeur a évoqué la longueur des motifs de l’agent comme un indicateur de l’exhaustivité de l’examen effectué par celui‑ci. Or, une grande partie de ces motifs est consacrée à la relation de ces faits décousus sur la situation régnant dans le pays, comme je l’ai souligné ci‑dessus. La Cour a expliqué que le caractère adéquat d’une justification n’est pas tributaire de la longueur d’un exposé des motifs; ce qui importe, c’est de savoir si le raisonnement est expliqué d’une manière intelligible et transparente (Patel, aux para 15‑16).

[18] Les circonstances personnelles de Mme Mundangepfupfu n’ont pas été prises en considération. Il est difficile d’établir en quoi la situation régnant dans le pays qui a été décrite par l’agent se répercuterait sur Mme Mundangepfupfu, compte tenu de ses conditions de vie et du soutien familial qu’elle a mentionnés dans ses demandes. L’agent n’a pas tenu valablement compte de questions et d’éléments de preuve importants soulevés par les demanderesses, comme il était tenu de le faire (Vavilov, aux para 127‑128). Je souscris à l’opinion des demanderesses selon laquelle la récitation de faits généraux de ce type sur la situation dans le pays qui ne s’appliquent pas aux circonstances personnelles d’un demandeur pourrait servir à rejeter toute demande de statut de résident temporaire présentée par un citoyen du Zimbabwe. Cette approche est déraisonnable.

B. Établissement économique limité au Zimbabwe

[19] Ayant déterminé que Mme Mundangepfupfu avait un établissement économique limité au Zimbabwe, l’agent s’est fondé sur ce constat pour conclure que celle‑ci resterait probablement au Canada au‑delà de la période de séjour autorisée qui lui est applicable. Je suis d’avis que cette conclusion était déraisonnable puisque l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve, les a mal interprétés et s’est appuyé sur des facteurs non pertinents.

[20] Mme Mundangepfupfu a été franche dans son témoignage, mentionnant que ses perspectives d’emploi étaient actuellement limitées au Zimbabwe. Elle a expliqué que son intention consistait à se servir de ses études pour se créer un emploi et, en particulier, qu’elle espérait mettre sur pied une entreprise de mode au Zimbabwe. Elle espérait pouvoir réaliser cet objectif après avoir obtenu soit son diplôme en mode et en affaires du Humber College, soit une maîtrise en administration des affaires.

[21] Mme Mundangepfupfu a un foyer qu’il l’attend au Zimbabwe, où elle vit depuis des années, sans loyer et hypothèque, et sans difficulté économique grâce à la situation financière et au soutien de sa famille. Elle explique dans son affidavit qu’elle pourra retourner dans ce domicile lorsqu’elle reviendra au Zimbabwe. L’agent n’a pas fait référence à cette partie de son témoignage qui s’applique directement à son établissement économique au Zimbabwe. Il n’a pas non plus abordé l’argument de Mme Mundangepfupfu selon lequel, à l’instar de bon nombre de jeunes étudiants, elle souhaitait poursuivre ses études pour améliorer ses perspectives d’emploi et parfaire ses connaissances. Le soutien familial dont jouit Mme Mundangepfupfu et sa situation économique n’ont pas été pris en compte par l’agent en dépit de leur grande pertinence, dans les présentes circonstances, à l’égard de l’établissement économique de Mme Mundangepfupfu.

[22] Je suis également d’accord avec les demanderesses pour dire que l’agent a mal interprété leurs témoignages. À mon avis, c’est cette mauvaise interprétation qui a amené l’agent à se méprendre sur la nature des projets d’avenir de Mme Mundangepfupfu après l’obtention de son diplôme et à évaluer comme il l’a fait la probabilité que celle‑ci reste au Canada au‑delà de la période de séjour autorisée pour ses études. L’agent a conclu que Mme Mundangepfupfu avait déclaré avoir l’intention [traduction] « d’établir une entreprise au Zimbabwe qui cadre avec l’éminente industrie textile et de la mode du pays » pour ensuite lui reprocher de ne pas avoir fourni de preuve de la présence de cette [traduction] « éminente industrie textile et de la mode » au Zimbabwe. Comme l’indiquent clairement l’affidavit de Mme Mundangepfupfu et les observations de son avocate, cette mention ne se rapportait pas à une éminente industrie de la mode qui est présente actuellement au Zimbabwe, mais à l’industrie éminente qu’on y trouvait auparavant et au retour de laquelle Mme Mundangepfupfu est désireuse de contribuer.

[23] L’agent a également exprimé des réserves au sujet de la déclaration de Mme Mundangepfupfu concernant son choix de programme, particulièrement l’idée selon laquelle faire des études dans un pays du Commonwealth élargirait ses perspectives d’emploi dans son pays d’origine. L’agent a souligné que Mme Mundangepfupfu n’a pas expliqué [traduction] « en quoi faire des études au Canada, parce qu’il est un pays du Commonwealth, serait plus profitable que d’étudier dans un autre pays du Commonwealth de la région, comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, qui offrent des cours comparables à ceux donnés au Canada, mais à un prix bien moindre ».

[24] Plusieurs problèmes entachent la conclusion défavorable tirée par l’agent sur ce point. Premièrement, comme la Cour l’a conclu dans Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 au paragraphe 21, il était déraisonnable pour l’agent de ne donner aucun exemple de programme en particulier qu’il considérait comme semblable et qui était offert à un prix moindre dans d’autres pays. Deuxièmement, l’agent n’a pas soulevé la question de la capacité d’assumer les coûts afférents au programme d’études au Canada étant donné le soutien financier assuré par la famille de Mme Mundangepfupfu. Troisièmement, Mme Mundangepfupfu a indiqué clairement dans son témoignage qu’elle a choisi le Canada puisque son père y réside et qu’en tant que mère monoparentale, elle pourrait obtenir son aide avec la garde de son enfant tandis qu’elle étudie à temps plein. Dans ces circonstances, il était déraisonnable pour l’agent d’évoquer la disponibilité de ces autres programmes, et il n’était pas fondé à en tirer une conclusion défavorable quant au projet d’avenir de Mme Mundangepfupfu d’étudier au Canada.

C. Doutes au sujet du plan d’études

[25] L’agent a également exprimé des doutes à propos de la principale raison qui a motivé Mme Mundangepfupfu à choisir Toronto pour effectuer des études à temps plein. L’agent a reconnu que Mme Mundangepfupfu avait choisi Toronto parce que son père y réside et pourrait l’aider avec la garde de son enfant, mais il a soulevé des doutes quant à ce projet : [traduction] « Je remarque que le père de la demanderesse principale a donné confirmation de son emploi à temps plein au sein [d’une banque]; dans ce contexte, il est à se demander comment il pourra participer à la garde de l’enfant pendant qu’il travaille lui‑même à temps plein. »

[26] L’examen de ce facteur de la demande par l’agent pose plusieurs difficultés. L’agent a fait fi de la partie de l’affidavit du père de Mme Mundangepfupfu dans laquelle celui‑ci précise qu’en tant que gestionnaire, son horaire de travail flexible lui permettrait de participer à la garde de la demanderesse d’âge mineure. De surcroît, l’idée n’était pas qu’il veille à temps plein sur la demanderesse d’âge mineure, qui, elle, fréquentera l’école élémentaire à temps plein. Nous pouvons présumer, sauf preuve du contraire, que la présence d’un autre adulte disposé à participer à la garde d’un enfant d’âge scolaire réduirait la charge de la mère, qui n’aurait pas à s’occuper de toutes les tâches par elle‑même, notamment de préparer les repas; de reconduire l’enfant à l’école et à ses activités et de la reprendre par la suite; d’aider avec le coucher de l’enfant, avec ses devoirs, etc. À la lumière de ce principe découlant du bon sens, le commentaire de l’agent sur cette question est illogique. Le rejet, par l’agent, de ce facteur, que les demanderesses ont présenté comme une raison clé derrière le choix de Toronto à titre de lieu d’études, était contraire à la preuve au dossier et au bon sens.

D. Liens familiaux limités au Zimbabwe

[27] La conclusion de l’agent concernant les liens familiaux de Mme Mundangepfupfu au Zimbabwe s’est réduite aux deux déclarations suivantes. Premièrement, au début des notes de l’agent : [traduction] « La source du financement est notée, dont la preuve des relations déclarées, et des affidavits confirment le soutien. » Secondement, dans la conclusion, à la fin des notes de l’agent : [traduction] « La double intention est, bien sûr, notée. Toutefois, je ne suis pas convaincu que les liens économiques et familiaux de la [demanderesse principale] avec [pays de référence, Zimbabwe] soient suffisants pour la motiver à partir à la fin de la période de séjour autorisée, ou si elle se voit refuser la résidence permanente ou n’est pas admissible à demander la résidence permanente. »

[28] L’agent n’explique nullement comment il est parvenu à la conclusion que les liens familiaux de Mme Mundangepfupfu au Zimbabwe sont insuffisants. Pour tirer cette conclusion, l’agent n’a pas apprécié les nombreux éléments de preuve figurant dans l’affidavit de Mme Mundangepfupfu et dans ceux de l’oncle et du père de celle‑ci, lesquels détaillent la nature de la relation qui existe entre Mme Mundangepfupfu et son oncle qui vit au Zimbabwe et qui s’est engagé à financer ses études au Canada. Cette relation y est décrite comme analogue à une [traduction] « relation père‑fille ».

[29] Mme Mundangepfupfu a également souligné qu’elle entretient des relations étroites avec des tantes, des oncles et d’autres membres de sa famille élargie qui demeurent au Zimbabwe. Elle a fait remarquer qu’elle a vécu la majeure partie de sa vie au Zimbabwe et que certains de ces proches constituent son seul lien avec sa mère décédée.

[30] Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent de conclure que Mme Mundangepfupfu avait peu de liens familiaux au Zimbabwe étant donné que les seuls parents qui lui restaient dans ce pays étaient membres de sa famille élargie et que son père biologique vivait au Canada. Au cours de la plaidoirie, le défendeur a insisté sur le fait que l’oncle de Mme Mundangepfupfu a deux enfants biologiques, laissant entendre, semble‑t‑il, que cela influait sur la nature de sa relation avec Mme Mundangepfupfu.

[31] Aucun de ces arguments n’aide le défendeur. Premièrement, ces motifs n’étaient pas ceux qu’a donnés l’agent. Malgré les observations centrales formulées au sujet de la relation étroite qu’entretient Mme Mundangepfupfu avec son oncle et d’autres membres de sa famille au Zimbabwe et la preuve déposée à cet égard, l’agent n’a tiré aucune conclusion sur ce point. Cela suffit à rendre la décision déraisonnable. Secondement, il n’est pas raisonnable de tirer une conclusion sur la base de suppositions à propos de la façon dont fonctionnent les familles, en dépit de la preuve du contraire. La preuve au dossier fait foi des liens étroits qui existent entre Mme Mundangepfupfu et les membres de sa famille au Zimbabwe.

V. Réparation

[32] Mme Mundangepfupfu a demandé que la Cour use du pouvoir que lui confère l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 pour ordonner à l’agent d’accepter les demandes de permis d’études des demanderesses. Cette demande est motivée par la similitude des refus qu’elle a reçus dans le passé et par la crainte que les mêmes erreurs soient commises si son dossier était renvoyé afin qu’une nouvelle décision soit rendue.

A. Similitude des refus antérieurs

[33] Les demanderesses soutiennent que, si l’affaire est renvoyée afin qu’une nouvelle décision soit rendue, je devrais tenir compte du fait que ce sera la cinquième fois que la demande de permis d’études de Mme Mundangepfupfu sera étudiée. Comme il a été mentionné ci‑dessus, Mme Mundangepfupfu a présenté une demande à deux reprises en 2018. Ni l’une ni l’autre de ces demandes n’a été contestée devant la Cour. La documentation déposée au soutien de ces demandes et les décisions de refus ne m’ont pas été soumises; un assistant juridique du cabinet de l’avocate des demanderesses a inséré un court résumé de la première décision de refus dans l’affidavit des demanderesses déposé aux fins du présent contrôle judiciaire. Ces éléments ne sont pas suffisants pour que je puisse tirer des conclusions sur la nature de ces refus.

[34] Les demanderesses font valoir que le fait que le défendeur a accepté que les décisions de refus de novembre 2019 soient renvoyées afin qu’une nouvelle décision soit rendue [traduction] « témoigne d’une reconnaissance que cette décision comportait des erreurs ». Le défendeur, quant à lui, soutient qu’il n’y a pas lieu de conjecturer sur les raisons ayant amené le ministre à accepter le renvoi de l’affaire par consentement et que le renvoi ne constitue pas nécessairement un aveu que la décision était déraisonnable. Les modalités du règlement sont muettes sur le caractère raisonnable de la décision.

[35] J’ai examiné la preuve déposée au soutien des demandes de 2019 et des demandes de 2020. La preuve est essentiellement identique, à cela près que la documentation a été mise à jour en raison du temps qui s’est écoulé depuis la décision de novembre 2019. Les mêmes lacunes que j’ai relevées dans la décision de 2020, qui fait l’objet du présent contrôle, étaient présentes dans la décision de novembre 2019. Le problème fondamental était le défaut de tenir compte des éléments suivants : i) la situation générale régnant dans le pays dans le contexte des circonstances personnelles des demanderesses; ii) la preuve des liens familiaux étroits des demanderesses au Zimbabwe; et iii) l’accès à un logement stable et à un soutien financier au Zimbabwe vu l’influence de ces facteurs sur l’établissement économique ou les perspectives d’emploi des demanderesses dans ce pays.

B. Réparation sous forme de substitution indirecte

[36] La substitution indirecte est considérée comme un pouvoir exceptionnel de la Cour et n’est généralement utilisée que lorsqu’il serait inutile de renvoyer le dossier pour nouvelle décision ou lorsqu’il n’y a qu’une seule issue possible (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux para 79‑82; Vavilov, au para 142).

[37] Dans Vavilov, la Cour suprême du Canada a formulé des commentaires sur les facteurs pertinents que doit prendre en compte une cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable et doit établir la réparation qu’il convient d’accorder dans le contexte d’un contrôle judiciaire. La présente affaire soulève une tension potentielle, analysée dans Vavilov, entre, d’une part, « le fait […] de reconnaître que le législateur a confié le règlement de l’affaire à un décideur administratif, et non à une cour » et, d’autre part, « les préoccupations liées à la bonne administration du système de justice » et « la volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique » (Vavilov, au para 140).

[38] La Cour suprême du Canada a souligné qu’« il conviendra le plus souvent de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie la décision, mais à la lumière cette fois des motifs donnés par la cour » (Vavilov, au para 141). Cela dit, une cour de révision ne saurait fermer les yeux sur les conséquences sur l’accès à la justice qu’aurait l’acceptation d’un « va‑et‑vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens » (Vavilov, au para 142).

[39] Je ne suis pas sans connaître le temps et les frais nécessaires pour s’engager dans un processus de contrôle judiciaire et de réexamen. Le fait qu’une personne passe par plusieurs rondes de contrôle judiciaire donnant lieu à une décision favorable pour finalement obtenir le même résultat pour des motifs très similaires suscite de graves préoccupations en matière d’accès à la justice et pourrait miner la confiance des plaideurs envers le système de justice.

[40] Cependant, eu égard au temps qui s’est écoulé depuis la présentation de la majeure partie des éléments de preuve, je ne suis pas en position d’ordonner, ainsi que me l’ont demandé les demanderesses, que les permis d’études soient délivrés. Il se peut que des éléments factuels pertinents relatifs à l’admissibilité des demanderesses à un permis aient changé et ne m’aient pas été présentés, ce qui m’empêche de conclure qu’il n’y a qu’une seule issue raisonnable possible et qu’il serait inutile de renvoyer le dossier pour nouvelle décision. Par exemple, il est possible que les demanderesses aient à fournir une nouvelle confirmation de leur admission à leurs programmes d’études, si l’acceptation antérieure est expirée, et une nouvelle confirmation de soutien financier.

[41] J’ai examiné la question d’un contexte factuel changeant relativement à une demande de substitution indirecte dans la décision que j’ai rendue dans l’affaire He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1027 [He]. Comme j’y ai fait référence dans He, le juge Barnes a expliqué dans Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 53 au paragraphe 33 que la substitution indirecte est inappropriée lorsque la décision « repose sur un contexte factuel susceptible de changer, dans lequel l’admissibilité continue [du demandeur] n’est pas garantie ».

[42] Je précise toutefois qu’il peut y avoir des situations où, malgré un contexte factuel susceptible de changer, il convient d’ordonner une substitution indirecte ou d’élaborer une mesure de réparation qui empêche le décideur d’apprécier à nouveau certains facteurs d’une décision. Tout dépendra des faits de l’affaire.

[43] En l’espèce, en vue d’éviter un « va‑et‑vient interminable » de contrôles judiciaires et de nouveaux examens, j’ai donné des motifs détaillés faisant état de plusieurs lacunes dans le raisonnement de l’agent et l’appréciation qu’il a faite de la preuve abondante déposée au soutien des demandes. Selon mon examen, les questions habituelles suivantes se posent en ce qui concerne la motivation des demanderesses à retourner au Zimbabwe à la fin de la période de séjour autorisée liée à leurs permis d’études : les perspectives économiques limitées au Zimbabwe, les liens familiaux limités au Zimbabwe et l’instabilité politique et économique au Zimbabwe. Dans mes motifs, je me suis penchée sur chacune de ces trois questions et sur les lacunes dans la décision sous‑jacente. Je m’attends à ce que le prochain décideur lise attentivement mes motifs et ne commette pas les mêmes erreurs.

[44] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6527‑20

LA COUR STATUE :

  1. Les refus, datés du 15 décembre 2020, des demandes de permis d’études des demanderesses sont annulés;

  2. Les permis d’études des demanderesses doivent faire l’objet d’un nouvel examen par un autre agent qui rendra une décision à la lumière des présents motifs;

  3. Les demanderesses devraient avoir la possibilité de fournir une mise à jour avant que la nouvelle décision soit rendue;

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6527‑20

 

INTITULÉ :

NANDIPA JORDAN MUNDANGEPFUPFU ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

Natalie Domazet

 

pour les demanderesses

Alex C. Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MATKOWSKY IMMIGRATION LAW PC

Toronto (Ontario)

pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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