Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220825


Dossier : IMM-471-21

Référence : 2022 CF 1225

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

SACHINI RANMADU ALUTHGE

LASITHA GAYAN GAJENDRA RAJAPAKSE MUDIYANSELAGE

demandeurs

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Sachini Ranmadu Aluthge (Mme Aluthge) et Lasitha Gayan Gajendra Rajapakse Mudiyanselage (M. Rajapakse Mudiyanselage), sont mariés. Un agent d’Immigration, Refugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] (l’agent), posté à Londres, a conclu qu’ils étaient interdits de territoire pour fausses déclarations au motif qu’ils n’avaient pas divulgué l’expulsion d’Australie de M. Rajapakse Mudiyanselage dans leur demande de résidence permanente.

[2] Une conclusion de fausse déclaration entraîne de graves conséquences. Elle a occasionné le rejet des demandes de résidence permanente et a assujetti les demandeurs à une interdiction d’entrée au Canada de cinq ans ainsi qu’à celle de présenter une demande de résidence permanente pendant la même période.

[3] Les demandeurs contestent par deux moyens la conclusion de fausse déclaration. Premièrement, ils font valoir que l’incompétence de leur ancienne représentante a entraîné un manquement à la justice naturelle : n’eût été celle-ci, il existe une probabilité raisonnable qu’ils aient divulgué le renseignement et qu’aucune conclusion de fausse déclaration n’ait été tirée à leur encontre. Deuxièmement, ils plaident que l’agent a déraisonnablement analysé leur explication relative à la fausse déclaration.

[4] Je conclus que le manquement à la justice naturelle permet de trancher la demande. Je suis convaincue que l’ancienne représentante des demandeurs a fait preuve d’incompétence en leur conseillant de ne pas divulguer l’expulsion d’Australie de M. Rajapakse Mundiyanselage sur les formulaires relatifs à leur demande de résidence permanente. En outre, je souscris à la thèse des demandeurs voulant que, n’eût été cette incompétence, il existe une probabilité raisonnable que la fausse déclaration n’aurait pas été faite, et que leur demande de résidence permanente n’aurait pas été rejetée pour ce motif.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[6] Mme Aluthge est citoyenne du Sri Lanka. Elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie de l’immigration économique du programme d’Entrée express. Son époux, M. Rajapakse Mudiyanselage, était désigné à titre de personne à charge dans cette demande.

[7] En juillet 2017, Mme Aluthge a engagé une consultante en immigration agréée (la consultante) pour la représenter ainsi que son époux dans le cadre de leur demande de résidence permanente. La demande a d’abord été rejetée en février 2018 parce que les certificats de police des autorités sri lankaises ne couvraient pas l’ensemble de la période visée. Mme Aluthge a été invitée à présenter de nouveau une demande de résidence permanente en septembre 2018.

[8] Elle allègue qu’elle a plusieurs fois demandé aux membres du personnel de la consultante, à leur bureau, s’il était nécessaire qu’elle divulgue les antécédents en matière d’immigration de son époux en Australie, et plus particulièrement le fait qu’il avait indûment prolongé son séjour et avait été expulsé de ce pays. La consultante a contesté certaines des allégations de Mme Aluthge dans sa réponse déposée dans le cadre du présent contrôle judiciaire, notamment sur le moment et la nature de la divulgation. Je présente mes conclusions sur ce litige dans mon analyse.

[9] Quelques mois après le dépôt de la demande de résidence permanente, l’agent a demandé, dans une lettre datée du 8 octobre 2019, davantage de renseignements concernant les antécédents en matière d’immigration de l’époux de Mme Aluthge en Australie. Mme Aluthge a répondu par courriel, le 11 octobre 2019 et par un affidavit supplémentaire le 13 octobre 2019. Elle a donné des renseignements quant aux antécédents en matière d’immigration de M. Rajapakse Mudinyanselage. Plus précisément, les demandeurs ont divulgué que M. Rajapakse Mudinyanselage avait indûment prolongé son séjour et a été expulsé d’Australie. Mme Aluthge a également informé IRCC qu’elle ne voulait plus que la consultante agisse en son nom.

[10] Le 17 octobre 2019, Mme Aluthge a porté plainte auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, l’organe chargé à l’époque de la réglementation des consultants en immigration du Canada. Au moment où Mme Aluthge a déposé un affidavit dans le présent contrôle judiciaire, elle attendait toujours l’issue de sa plainte presque trois ans après son dépôt.

[11] Le 4 novembre 2019, elle a reçu une lettre relative à l’équité procédurale de la part de l’agent, selon laquelle les demandeurs pourraient être interdits de territoire pour fausses déclarations. Mme Aluthge a retenu les services d’un nouveau conseil, qui incidemment n’est pas l'avocate qui la représente dans le présent contrôle judiciaire, pour répondre à l’allégation de fausse déclaration. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, elle a expliqué que son ancienne représentante l’avait informée qu’il n’était pas nécessaire de divulguer les circonstances entourant le départ de son époux de l’Australie. Elle a également produit des éléments de preuve relatifs à ses échanges sur la question avec celle-ci.

[12] Dans une lettre d’IRCC datée du 10 décembre 2020, les demandeurs ont appris le rejet de leur demande de résidence permanente parce que l’agent avait conclu qu’ils étaient interdits de territoire pour fausses déclarations. Les demandeurs ont déposé la présente demande pour contester cette décision.

[13] Ils ont notamment allégué l’incompétence de la consultante dans leurs arguments déposés à l’étape de la demande d’autorisation devant la Cour. Ils ont avisé la consultante de la teneur de ces allégations et l’ont fait conformément au protocole procédural Concernant les allégations formulées contre des avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger. La consultante a répondu par lettre et a contesté certaines des allégations des demandeurs.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[14] Comme je l’ai mentionné plus haut, la question décisive est celle de savoir s’il y a eu manquement à la justice naturelle en raison de l’inefficacité de l’assistance de l’ancienne représentante des demandeurs dans la préparation de leur demande de résidence permanente. La présomption générale d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne s’applique pas en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77 [Vavilov]). La question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si la procédure était équitable au regard des circonstances de l’espèce (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

[15] Les intérêts en jeu sont appréciables compte tenu des conséquences sévères pour les demandeurs d’une conclusion de fausse déclaration, y compris une période d’interdiction de territoire de cinq ans durant laquelle ils ne peuvent pas présenter de demande de résidence permanente et doivent obtenir la permission du ministre pour entrer au Canada (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art 40(2) et (3) [la LIPR]). La Cour a conclu que ces graves répercussions commandent un degré plus strict d’équité procédurale (Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 au para 27).

IV. Question préliminaire

[16] L’avocate des demandeurs a signalé, dans sa réponse écrite produite à l’étape de la demande d’autorisation, et à l’amorce de l’audience sur le contrôle judiciaire, que le défendeur n’avait pas fait valoir son point de vue au regard de l’argument central des demandeurs, à savoir qu’il y avait eu manquement à la justice naturelle en raison de l’assistance inefficace de leur ancienne représentante. Le plaidoyer écrit du défendeur se concentrait sur l’argument subsidiaire des demandeurs, soit le caractère raisonnable de la décision de l’agent de ne pas retenir leur explication concernant la fausse déclaration. Le défendeur n’a pas déposé de mémoire supplémentaire. Les demandeurs ont sollicité de la Cour qu’elle interdise au défendeur de présenter de nouveaux arguments quant à la question de la justice naturelle au motif qu’il ne s’est pas prononcé à cet égard avant l’audience.

[17] L’avocate du défendeur a expliqué qu’elle venait de prendre en main le dossier. Toutefois, je constate l’absence de demande présentée avant l’audience visant le dépôt de nouvelles observations suivant la récente prise en charge du dossier.

[18] L’avocate du défendeur s’est servie d’un paragraphe tiré de son mémoire déposé à l’étape de la demande d’autorisation pour plaider qu’elle s’était penchée sur l’argument relatif à l’incompétence du conseil. Le libellé du paragraphe renvoie à la décision Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 prononcée par la Cour : « [d]ans les instances tenues en vertu de la LIPR, l’incompétence de l’avocat ne constituera un manquement aux principes de justice naturelle que dans les cas les plus extraordinaires ». Comme je l’ai mentionné lors de l’audience, bien que ce paragraphe renvoie de façon générale à la question de l’incompétence, aucune observation directe n’a été présentée concernant les faits de l’espèce et le critère relatif à l’assistance inefficace du conseil.

[19] L’avocate du défendeur a produit des observations durant l’audience sur les deux volets au fond du critère relatif à l’assistance inefficace du conseil, lesquelles observations ne se trouvaient pas dans les actes de procédure de la défense. Je les ai acceptées pour les raisons qui suivent.

[20] Sur le premier volet, qui portait sur la question de savoir si les actes ou omissions constituaient de l’incompétence de la part de l’ancienne représentante, l’avocate du défendeur a renvoyé aux arguments présentés par celle-ci dans sa lettre à ce sujet. Comme ces arguments n’étaient pas nouveaux pour les demandeurs et qu’ils y avaient en fait répondu par écrit dans leur réponse et leurs mémoires supplémentaires, je n’ai décelé aucun problème avec le fait d’entendre l’avocate du défendeur sur ce point.

[21] En ce qui concerne le deuxième volet, soit l’existence d’un préjudice pour les demandeurs, l’argument de l’avocate du défendeur était nouveau et a été soulevé pour la première fois à l’audience. J’ai avisé les parties que j’allais entendre les observations, mais que j’étais prête à me pencher sur toute demande de l’avocate des demandeurs visant à disposer de plus de temps pour répondre à l’argument. Aucune demande de délai supplémentaire n’a été présentée et l’avocate des demandeurs a traité des observations de la défense dans sa réponse à l’audience.

V. Analyse

A. Le critère relatif à l’assistance inefficace du conseil

[22] La Cour a statué que trois volets doivent être satisfaits pour établir l’existence d’un manquement à la justice naturelle attribuable à l’assistance inefficace du conseil dans les instances d’immigration :

  1. les omissions ou les actes allégués contre le représentant constituaient de l’incompétence;

  2. il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent;

  3. le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 11; R c GDB, 2000 CSC 22 au para 26 [GDB]).

[23] Les parties conviennent que le troisième volet du critère a été satisfait. La consultante a été avisée et a eu la possibilité raisonnable de répondre aux allégations des demandeurs.

B. L’incompétence est établie

(1) Le contexte factuel dans lequel s’inscrit l’allégation d’incompétence

[24] Les demandeurs prétendent qu’ils ont été représentés d’une manière incompétente par la consultante au regard de leur demande de résidence permanente. Ils allèguent que l’entreprise de la consultante les a informés que l’expulsion d’Australie de M. Rajapakse Mudiyanselage n’avait pas à être divulguée en réponse à cette question, posée dans la demande de résidence permanente :

Est-ce que vous-même ou, si vous êtes le requérant principal, l’un des membres de votre famille nommés sur la demande de résidence permanente au Canada : [...] [a] déjà reçu le refus d’admission au Canada ou dans tout autre pays ou territoire, ou reçu l’ordre de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire?

[25] Dans son affidavit déposé dans le présent contrôle judiciaire, Mme Aluthge énumère les faits suivants quant à l’allégation d’incompétence :

  • Avant de présenter la première demande de résidence permanente, elle a informé l’entreprise de la consultante que son époux avait été expulsé d’Australie et a demandé si ce renseignement devait être divulgué. Un membre du personnel de la consultante l’a avisée lors d’un appel téléphonique que ce fait n’avait pas besoin de l’être.

  • Avant de présenter la seconde demande de résidence permanente, Mme Aluthge a encore une fois demandé si l’expulsion de son époux devait être dévoilée. Elle a expressément soulevé ce point parce qu’elle se doutait que ce fait pourrait être découvert par IRCC lorsque son époux présenterait ses renseignements biométriques. Plusieurs membres du personnel de la consultante lui ont affirmé, par messagerie texte et lors de conversations téléphoniques, que ce renseignement n’avait pas besoin d’être divulgué.

  • On lui a dit qu’elle pouvait passer sous silence l’expulsion parce que : i) elle s’était produite il y a plus d’une décennie; ii) son époux n’avait pas de casier judiciaire du fait de cette expulsion.

[26] La consultante a contesté trois points saillants de la version de Mme Aluthge. Je prends note du fait qu’elle n’a pas déposé de déclaration sous serment en l’espèce, et que les membres de son personnel qui auraient parlé à Mme Aluthge sur les points en litige n’ont pas témoigné.

[27] Premièrement, la consultante a remis en cause le moment même où les demandeurs l’ont pour la première fois informée de l’expulsion, même si elle convient qu’une discussion sur les antécédents en matière d’immigration de M. Rajapakse Mudiyanselage s’est tenue avant le dépôt de la deuxième demande de résidence permanente. Deuxièmement, elle a contesté le nombre de fois où Mme Aluthge a communiqué ce renseignement aux membres de son personnel, ne concédant que le fait qu’elle l’avait dévoilé une fois par la messagerie WhatsApp, juste avant le dépôt de la deuxième demande de résidence permanente. Une copie de ces messages texte est versée au dossier de la Cour. Troisièmement, la consultante a démenti que Mme Aluthge a qualifié d’expulsion le départ d’Australie de son époux. Selon elle, les membres de son personnel auraient d’abord compris qu’il avait volontairement quitté l’Australie et n’avait pas été expulsé.

[28] Je ne pense pas qu’il soit nécessaire ni approprié pour moi de trancher tous les points litigieux qui opposent la consultante et les demandeurs. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt GDB : « [l]’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession » (GDB, au para 29).

[29] Je vais axer mon analyse sur la nature de la divulgation, à savoir si Mme Aluthge a avisé l’entreprise de la consultante que M. Rajapakse Mudiyanselage avait été expulsé. J’estime que ce point me permet de me prononcer sur le premier volet du critère puisque, même si je retenais la version des faits de la consultante quant au moment et au nombre de fois où ce sujet a été abordé, je conclus que des conseils malavisés ont été prodigués à au moins une reprise durant un échange dont la tenue n’est pas contestée. Comme je l’explique plus loin, j’ai tiré cette conclusion après avoir examiné les messages texte échangés entre Mme Aluthge et le personnel de la consultante.

[30] Nul ne conteste l’exactitude des copies de ceux-ci qui sont versées au dossier de la Cour. Je les ai examinées. Bien que Mme Aluthge ait dit aux membres du personnel de la consultante que son époux [traduction] « avait volontairement quitté le pays sans interjeter appel ni demander l’asile », il ressort clairement de l’ensemble de la conversation qu’elle parlait de l’expulsion de son époux de l’Australie après qu’il eut indûment prolongé son séjour. Cette déclaration quant au caractère volontaire de son départ est faite à la fin de la description par Mme Aluthge d’une série d’événements qui ont mené son époux à indûment prolonger son séjour, à être détenu et à finalement tomber sous le coup d’une mesure d'expulsion du pays.

[31] Dès le 5 septembre 2018, au début de l’échange de messages texte, Mme Aluthge a présenté la question comme portant sur l’expulsion de son époux. Elle a écrit : [traduction] « Y aura-t-il un problème concernant l’expulsion d’Australie [de mon époux]? » Le membre du personnel lui a demandé : [traduction] « [v]euillez fournir à nouveau des renseignements sur l’expulsion ». Mme Aluthge a ensuite fourni des renseignements sur les événements qui ont mené à la prolongation indue du séjour de son époux et à son expulsion, dont le fait que [traduction] « les autorités en immigration ont découvert [la prolongation indue de son séjour] et l’ont emmené dans l’un de leurs centres ».

[32] Le membre du personnel de la consultante ne l’a pas questionnée davantage à cet égard et a répondu ce qui suit : [traduction] « [j]’ai discuté de la question avec [un autre membre du personnel de l’entreprise et] selon lui, ce ne sera pas un problème ».

[33] Après avoir examiné les messages texte, je suis convaincue que Mme Aluthge a divulgué à l’entreprise de la consultante que son époux a indûment prolongé son séjour et qu’on lui a ordonné de quitter l’Australie. De surcroît, les membres du personnel de la consultante n’ont pas du tout tenté de clarifier la nature de son expulsion d’Australie ni d’obtenir davantage de renseignements à cet égard.

[34] La consultante allègue également que les demandeurs n’ont rien dit de l’expulsion de M. Rajapakse Mudiyanselage dans les renseignements consignés au document intitulé [traduction] « Renseignements personnels » qui lui a été transmis. Ce formulaire semble être à remplir à l’écran et être utilisé par l’entreprise de la consultante pour aider à la préparation des formulaires de demande de résidence permanente. J’ai examiné ce document et les réponses des demandeurs. Je conviens avec ces derniers qu’il n’étaye pas la thèse de la consultante. Comme l’a relevé Mme Aluthge dans son affidavit : [TRADUCTION] « [a]ucune question n’est posée dans le formulaire concernant une détention antérieure aux fins d’immigration, une expulsion ou un séjour indûment prolongé. La seule question qui s’approchait de ces thèmes était ainsi formulée “[v]ous a-t-on auparavant déjà refusé un visa dans un pays — études, visa, affaires ou résidence permanente?” Nous avons correctement répondu “Non” puisque [mon époux] ne s’est jamais fait refuser un visa par l’Australie ».

[35] La question tirée du formulaire [traduction] « Renseignements personnels » n’aborde pas expressément la question de savoir si les clients sont déjà [traduction] « tombés sous le coup d’une mesure d’expulsion » d’un pays. Elle cherche uniquement à savoir s’ils se sont déjà fait refuser un visa d’admission par un pays. À mon avis, au lieu d’étayer la thèse de la consultante, le formulaire [traduction] « Renseignements personnels » appuie la version des demandeurs selon laquelle elle ne comprenait pas que les demandeurs de résidence permanente sont tenus de divulguer l’ordre donné par les autorités d’un pays de quitter le territoire.

(2) Le critère juridique de l’incompétence

[36] Pour satisfaire au premier volet du critère, il incombe aux demandeurs d’établir que la conduite de leur représentant ne se range pas dans l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. L’incompétence est établie au moyen de la norme de la décision raisonnable et il existe « une forte présomption que la conduite de l’ancien conseil se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au par. 27) ». Je conclus que les demandeurs se sont acquittés de leur fardeau.

[37] Ils ont sollicité les conseils de la consultante pour savoir s’ils étaient tenus de divulguer l’expulsion de M. Rajapakse Mudiyanselage en réponse à une question posée sur les formulaires de résidence permanente. La consultante a dit aux demandeurs qu’il n’était pas nécessaire de le faire. Il s’agit d’un avis malavisé qu’elle n’aurait pas dû prodiguer.

[38] Cet avis est particulièrement répréhensible compte tenu des graves conséquences associées à la non-divulgation, que la consultante aurait dû connaître, et du peu d’attention accordée à la question des demandeurs sur un point fondamental (voir Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 402 aux paras 41-42 [Yang]). Comme je l’ai déjà mentionné, je suis convaincue que les allégations d’incompétence des demandeurs sont « suffisamment précise[s] et nettement appuyée[s] par la preuve » (Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305 au para 56 [Brown]). La conduite de la consultante ne se range manifestement pas dans l’éventail de l’assistance professionnelle raisonnable.

C. Le préjudice subi du fait de l’incompétence est établi

[39] Le second volet du critère, celui qui porte sur le préjudice, est satisfait lorsque des demandeurs démontrent que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent (Guadron , au para 11; Brown au para 56; GDB, au para 26).

[40] Avant le dépôt de sa demande, Mme Aluthge a demandé à l’entreprise de la consultante si elle était tenue de divulguer l’expulsion de son époux d’Australie. Elle a déclaré dans son affidavit que, sans le conseil voulant qu’il ne soit pas nécessaire de divulguer ce renseignement, elle aurait dévoilé les antécédents en matière d’immigration de son époux dans leur demande de résidence permanente. Rien ne permet de douter de cette affirmation.

[41] Je suis persuadée qu’il existe une probabilité raisonnable que Mme Aluthge aurait divulgué le renseignement si la consultante ne lui avait pas dit que ce n’était pas nécessaire. Sans le silence des demandeurs à cet égard, l’agent n’aurait pas rejeté leur demande pour fausse déclaration et ils n’auraient pas été visés par une interdiction de territoire de cinq ans ni proscrits de présenter une demande de résidence permanente au Canada durant la même période. Dans la décision Yang, le juge Manson s’est penché sur une conclusion de fausse déclaration en raison d’une non-divulgation imputable à une représentation incompétente. Il a fait observer que : « [s]i le formulaire [...] mis à jour avait contenu les renseignements [omis du fait de l’incompétence de l’avocat], l’agent n’aurait pas été appelé à se pencher sur les questions du fondement de la lettre relative à l’équité procédurale et du rejet ultime de la demande ». La même conclusion s’applique en l’espèce.

[42] Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas démontré que l’issue aurait été différente, n’eût été l’incompétence, parce que la demande de résidence permanente aurait été refusée pour d’autres motifs que la fausse déclaration. Il s’est fondé sur la conclusion de l’agent selon laquelle la fausse déclaration portant sur l’expulsion de M. Rajapakse Mudiyanselage est capitale parce qu’elle pourrait avoir entraîné une erreur dans l’examen de l’admissibilité prévu aux articles 34-37 de la LIPR. Se fondant sur la conclusion relative à l’importance de la fausse déclaration, et sur la possibilité qu’elle ait pu entraîner un examen supplémentaire sur l’interdiction de territoire, le défendeur a tout de suite conclu que les demandeurs auraient été déclarés interdits de territoire et que leurs demandes auraient été rejetées même sans la conclusion de fausse déclaration. Rien n’appuie l’acte de foi du défendeur. Il n’a pas expliqué en vertu de quelle assise ni de quel motif précis d’interdiction de territoire le séjour indûment prolongé de M. Rajapakse Mudiyanselage aurait certainement entraîné le rejet de la demande de résidence permanente. La question de savoir si les demandeurs sont interdits de territoire pour d’autres motifs que la fausse déclaration peut être appréciée durant le nouvel examen du dossier. Rien ne m’incite à croire qu’il est garanti que leurs demandes seront rejetées pour un autre motif d’interdiction de territoire, ce qui ferait que les demandeurs n’auraient pas subi de préjudice du fait de l’incompétence de leur ancienne représentante.

[43] Dans tous les cas, comme je l’ai expliqué plus haut, si le renseignement relatif à l’expulsion de M. Rajapakse Mudiyanselage avait été dévoilé, les demandeurs n’auraient pas été déclarés interdits de territoire et n’auraient pas subi les conséquences associées à une telle conclusion. Je suis convaincue que les demandeurs ont satisfait à leur fardeau d’établir le préjudice selon le deuxième volet du critère relatif à la représentation inefficace.

VI. Les mesures de réparation demandées

[44] Les demandeurs ont établi que leurs droits procéduraux ont été bafoués par la représentation incompétente de la consultante. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de résidence permanente est renvoyée à un autre agent pour que celui-ci statue à nouveau. Comme j’ai conclu que le défaut initial de divulguer les antécédents en matière d’immigration de M. Rajapakse Mudiyanselage avait été provoqué par l’assistance inefficace de leur ancienne représentante, la question de la fausse déclaration n’a pas à être tranchée à nouveau.

[45] Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et j’estime que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-471-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision du 10 décembre 2020 par laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs et a prononcé l’interdiction de territoire pour fausses déclarations est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision;

  4. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Frédérique Bertrand-Le Borgne


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-471-21

 

INTITULÉ :

SACHINI RANMADU ALUTHGE ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Sumeya Mulla

 

Pour les demandeurs

Nimanthika Kaneira

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldwan & Associates

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.