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Date : 20220830


Dossier : T‐259‐20

Référence : 2022 CF 1241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 août 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

GARRY HART

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une réponse finale au grief du délinquant datée du 13 décembre 2019 [la décision finale] rendue par un conseiller spécial auprès du commissaire [le CS] du Service correctionnel du Canada [le SCC]. Dans sa décision, le CS rejetait le grief du demandeur concernant une suspension de son affectation de travail à la cuisine, assortie d’une période de 10 jours sans rétribution.


[2] Pour les motifs énoncés ci‐après, je conclus que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision finale, selon laquelle la suspension avait été imposée conformément aux politiques et aux règlements du SCC, était déraisonnable. L’autre argument du demandeur fondé sur la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‐U), 1982, c 11 [la Charte] n’a pas été présenté au CS ou dans l’avis de demande, et ne peut donc pas être examiné par notre Cour. Par conséquent, la demande est rejetée.

I. Le contexte

[3] Le demandeur, Garry Hart, est détenu à l’Établissement de Bath. Entre le 20 novembre 2018 et le 23 mai 2019, il était affecté à un programme de travail dans la cuisine de l’établissement.

[4] Le 22 mai 2019, un certain nombre d’articles provenant de la cuisine de l’établissement ont été retrouvés dans la cellule de M. Hart. Le 23 mai 2019, M. Hart a été suspendu de son affectation de travail. La suspension du demandeur a été confirmée par le Comité d’intervention correctionnelle [le CIC] le 13 juin 2019 [la décision du comité des programmes]. Après avoir fait observer que M. Hart avait refusé un autre emploi qui lui avait été offert dans la cuisine, le CIC a jugé que la suspension était justifiée et a imposé une sanction supplémentaire de 10 jours sans rétribution.

[5] Le 20 juin 2019, M. Hart a formulé une plainte dans laquelle il alléguait que la suspension et les 10 jours sans rétribution constituaient des sanctions inappropriées imposées sans compétence en vertu du régime disciplinaire énoncé dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC], ainsi qu’en vertu du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‐620 [le RSCMLC]. Il a demandé à être réintégré ainsi qu’à obtenir un salaire rétroactif.

[6] La plainte a été rejetée par le directeur adjoint, Interventions [le DAI] le 26 juin 2019 [la réponse à la plainte], qui a confirmé, après examen de la plainte, consultation du demandeur et discussions entre le gestionnaire du programme et le personnel de la cuisine, qu’on avait offert à M. Hart d’autres postes dans la cuisine avant sa suspension, mais que ce dernier avait refusé. Compte tenu de ce refus, le DAI a conclu que la suspension avait été confirmée à juste titre et a rejeté la plainte.

[7] Le 16 juillet 2019, la plainte de M. Hart a fait l’objet d’un grief. M. Hart a fait valoir que la suspension a été imposée sans compétence et en contravention de l’article 104 du RSCMLC, qui régit les situations où un détenu peut être suspendu d’une affectation de programme, et de l’article 39 de la LSCMLC, qui se rapporte aux mesures disciplinaires.

[8] Il a aussi affirmé que la réponse à la plainte allait à l’encontre de la Directive du commissaire 081, Plaintes et griefs des délinquants [la DC 081] et des Lignes directrices 081‐1, qui disposent que les décideurs du SCC doivent fournir aux auteurs de griefs « une réponse complète, étayée et compréhensible à toutes les questions soulevées dans leur plainte ou leur grief original » (au paragraphe 2). M. Hart a déclaré que la réponse à la plainte ne donnait pas suite aux questions soulevées et qu’elle s’appuyait sur des considérations non pertinentes.

[9] Le grief initial a été rejeté par le directeur intérimaire [le DI] le 31 juillet 2019 [la réponse au grief], qui concluait que toutes les politiques et procédures pertinentes avaient été respectées, et que la suspension et les conditions imposées à M. Hart étaient adéquates.

[10] Le 6 août 2019, M. Hart a présenté son grief final. M. Hart a affirmé que la réponse au grief ne donnait pas suite aux questions qu’il avait soulevées. Il a demandé que le grief soit renvoyé au DI avec un nouveau numéro de grief.

[11] Le CS a rejeté le grief final le 13 décembre 2019. Les paragraphes clés de la décision finale sont rédigés en ces termes :

[traduction]

[...] l’examen des documents dans votre dossier du [Système de gestion des délinquants] nous a permis de confirmer que vous étiez employé comme aide de cuisine à l’Établissement de Bath. Après examen des documents à votre dossier, il a été déterminé qu’une perquisition de votre cellule a été menée le 2019‐05‐2022 [sic], au cours de laquelle vous avez été découvert en possession d’articles volés provenant de la cuisine. Par la suite, vous n’avez plus été autorisé à occuper votre poste dans la cuisine. Pour vous permettre de conserver votre affectation de programme, d’autres postes dans la cuisine vous ont été offerts, conformément au paragraphe 47 de la Directive du commissaire (DC) 730, Affectations des délinquants aux programmes et rétribution des détenus (2016‐08‐22). Vous avez refusé ces postes. Par conséquent, vous avez été suspendu de votre poste dans la cuisine, et ce, à compter du 2019‐05‐23. Le CIC a confirmé la suspension le 2019‐06‐13 et a imposé une sanction de dix (10) jours sans rétribution.

Suivant le paragraphe 104(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (RSCMLC), un délinquant peut être suspendu d’une affectation de programme s’il refuse de participer au programme sans motif valable. En outre, le paragraphe 2 de la Directive du commissaire 081, Plaintes et griefs des délinquants (2019‐06‐28), prévoit qu’il faut fournir aux délinquants des décisions complètes et compréhensibles qui sont liées à leur grief.

Après avoir examiné les renseignements susmentionnés, il a été déterminé que, avant la suspension de votre poste à la cuisine, d’autres emplois vous ont été offerts dans la même affectation de programme dans des lieux où votre présence était autorisée. Vous les avez tous refusés. Le refus de travailler dans les lieux dans lesquels votre présence est autorisée constitue un refus de travailler au sens du paragraphe 46 de la Directive du commissaire (DC) 730. En conséquence, il était raisonnable que vous fassiez l’objet d’une suspension et que le CIC confirme la suspension en imposant une sanction en vertu du paragraphe 104(1) du RSCMLC. De ce fait, cette partie de votre grief est rejetée.

En ce qui concerne les réponses à votre plainte ainsi qu’à votre grief initial, après examen des renseignements susmentionnés, il a été déterminé que le DAI et le directeur de l’établissement ont tous deux répondu clairement à vos préoccupations, puisque les circonstances qui ont mené à votre suspension vous ont été présentées clairement et qu’une justification précise vous a été donnée pour les refus. Ainsi, les décisions qui vous ont été fournies ont été rendues conformément aux dispositions législatives et aux politiques applicables. Cette partie de votre grief est donc rejetée.

Dans l’ensemble, votre grief est rejeté.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12] Les parties contestent la qualification de la principale question en litige dans le présent contrôle judiciaire. Le demandeur affirme que la principale question consiste à déterminer si le SCC a agi hors de sa compétence en vertu du RSCMLC et de la LSCMLC lorsqu’il a imposé la suspension et la période sans rétribution. Il fait valoir qu’il en résulte une erreur de droit assujettie à la norme de la décision correcte.

[13] Le défendeur affirme que la question principale ne touche pas véritablement à la compétence, mais qu’elle porte plutôt sur l’interprétation de la loi et des politiques propres au SCC. Il soutient, et je suis d’accord, que l’accent porte sur la décision finale. La question principale consiste à trancher si le CS a commis une erreur en concluant que la suspension et la période de dix jours sans rétribution imposées au demandeur relèvent de l’article 104 du RSCMLC et des paragraphes 46 et 47 de la Directive du commissaire 730, Affectations des délinquants aux programmes et rétribution des détenus (2016‐08‐22) [DC 730].

[14] La norme de contrôle applicable à la procédure de règlement de griefs du SCC est celle de la décision raisonnable : Henry c Canada (Procureur général), 2021 CF 31, au para 19. Aucune des situations qui permettraient de réfuter la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable ne se présente en l’espèce : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16‐17, 25.

[15] Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 67 de l’arrêt Vavilov :

[...] Le contrôle judiciaire selon [la norme de la décision raisonnable] est à la fois rigoureux et adapté au contexte. En l’appliquant adéquatement, les cours de justice sont en mesure d’accomplir leur devoir constitutionnel de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen préliminaire pour établir si une interprétation particulière soulève une question touchant « véritablement » et « étroitement » à la compétence et sans avoir à recourir à la norme de la décision correcte.

[16] Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85‐86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov aux paras 91‐95, 99‐100.

[17] Le demandeur fait aussi valoir qu’il y a eu violation de l’article 7, de l’alinéa 32(1)a) et de l’article 26 de la Charte. La Cour est aussi saisie de la question de savoir si elle doit entendre cet argument fondé sur la Charte et, le cas échéant, s’il y a eu violation de celle‐ci. Étant donné que cet argument n’a pas été soulevé devant le CS, il n’est pas assujetti à une analyse relative à la norme de contrôle.

III. Les dispositions législatives applicables

[18] En vertu des paragraphes 104(1) et (2) du RSCMLC, un délinquant peut être suspendu d’une affectation de programme sans rétribution s’il refuse de participer au programme sans motif valable. Les paragraphes 104(1) et 22(2) du RSCMLC sont ainsi libellés :

Rétribution des détenus

Inmate Pay

104 (1) Sous réserve du paragraphe (3), lorsque le détenu, sans motif valable, refuse de participer à un programme pour lequel il est rétribué selon l’article 78 de la Loi ou qu’il l’abandonne, le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut :

104 (1) Subject to subsection (3), where an inmate, without reasonable excuse, refuses to participate in a program for which the inmate is paid pursuant to section 78 of the Act or leaves that program, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may

a) soit suspendre sa participation au programme pour une période déterminée, qui ne doit pas excéder six semaines;

(a) suspend the inmate’s participation in the program for a specified period of not more than six weeks; or

b) soit mettre fin à sa participation au programme.

(b) terminate the inmate’s participation in the program.

(2) Le détenu dont la participation à un programme a été suspendue en application du paragraphe (1) ne reçoit aucune rétribution pour la période de suspension.

(2) Where the institutional head or staff member suspends participation in a program under subsection (1), the inmate shall not be paid during the period of the suspension.

[. . .]

[. . .]

[19] Selon le paragraphe 47 de la DC 730, avant d’imposer une suspension, le superviseur de programme tente de régler avec le détenu les problèmes liés à un comportement négatif :

47. Lorsque les circonstances s’y prêtent, le surveillant de programme/des travaux tentera habituellement de régler les problèmes d’assiduité du détenu ou de mettre fin à son comportement négatif de façon informelle avant de le suspendre de l’affectation au programme. Les mécanismes informels peuvent comprendre, entre autres, l’établissement d’un contrat de comportement avec le délinquant.

[20] Aux termes du paragraphe 46 de la DC 730, un détenu peut être suspendu lorsqu’il refuse, sans excuse valable, de participer à son affectation de programme :

46. Le surveillant de programme/des travaux peut suspendre un délinquant qui quitte le lieu de son affectation sans excuse valable ou dont la conduite démontre un refus de participer au programme auquel il est affecté.

[21] Les détenus dont l’affectation à un programme est suspendue ne toucheront aucune rétribution pendant 10 jours ouvrables et ne seront pas autorisés à travailler durant la période où ils ne sont pas rétribués (paragraphe 51 de la DC 730).

[22] Suivant l’article 39 de la LSCMLC, « [s]euls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline ». Les infractions disciplinaires sont définies à l’article 40 de la LSCMLC et la procédure à suivre pour porter des accusations est énoncée aux articles 41 et 42. Les modalités relatives à la tenue d’une audition figurent à l’article 43 et celles relatives au prononcé des décisions après audition à l’article 44.

IV. Analyse

A. Le CS a‐t‐il commis une erreur en concluant que la suspension et la sanction de dix jours sans rétribution imposées au demandeur relevaient des politiques du SCC et des dispositions du RSCMLC?

[23] M. Hart fait valoir que sa suspension a été imposée sans compétence, car il n’y a pas eu de refus de travail dans la cuisine conformément aux exigences de l’article 104 du RSCMLC et qu’en vertu de la LSCMLC, il est interdit au SCC d’imposer des mesures disciplinaires en dehors du cadre de cette même loi. M. Hart s’appuie sur le document de suspension initial, selon lequel il a été suspendu parce qu’il avait été trouvé en possession d’articles non autorisés qui provenaient de la cuisine. Il conteste que le vol ait été établi, qu’il ait refusé de travailler et qu’il s’est vu offrir un autre poste dans la cuisine qu’il a refusé. Il fait valoir qu’il n’existe aucun élément de preuve permettant d’établir l’un de ces faits.

[24] Le défendeur soutient que la décision finale était raisonnable, tout comme l’était la suspension. Il affirme que les actions du superviseur de programme et le CIC ne font pas intervenir le régime disciplinaire de la LSCMLC. M. Hart a été plutôt suspendu parce qu’il avait refusé d’occuper les postes offerts dans le cadre de son affectation de travail. Il prétend que les faits pertinents sont établis au vu du dossier et énoncés dans la décision finale et que de tels faits justifient l’imposition d’une suspension en vertu de l’article 104 du RSCLMC, ainsi que des paragraphes 46 et 47 de la DC 730.

[25] Je conviens qu’aucune erreur susceptible de contrôle ne découle de la décision finale et que la suspension n’équivaut pas une accusation d’infraction disciplinaire faisant intervenir le régime disciplinaire énoncé dans la LSCMLC.

[26] Bien que le formulaire de suspension initiale indique que M. Hart avait été [traduction] « trouvé en possession d’articles non autorisés qui provenaient de la cuisine » et qu’il s’agissait du motif de la suspension de son affectation de travail, la décision du comité des programmes établit que M. Hart s’est vu offrir un autre emploi dans la cuisine, mais qu’il l’avait refusé. C’était pour ce motif que sa suspension a été confirmée et que la période de dix jours sans rétribution a été imposée.

[27] Ces faits ont été confirmés par la suite par le DAI à la suite d’une consultation auprès de M. Hart et de discussions entre le gestionnaire du programme et le personnel de la cuisine dans le cadre du processus relatif aux plaintes.

[28] Au vu du dossier dont était saisi le CS, rien ne permet de contester ces faits, et aucun élément de preuve n’indique que pendant le processus de grief M. Hart a nié qu’un autre poste dans la cuisine était à sa disposition avant la suspension.

[29] Dans ses griefs, M. Hart a déclaré qu’il n’avait refusé aucun emploi à la cuisine. Dans son grief initial, il a dit au sujet de l’offre concernant un autre poste dans la cuisine qu’elle était [traduction] « intrigante », mais que ce n’était [traduction] « PAS LA QUESTION » dont le DI était saisi. Il n’a pas contesté que l’offre avait été formulée et n’a pas non plus été soulevé cette question devant le CS dans son grief final.

[30] M. Hart demande maintenant à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de conclure qu’une telle offre n’a pas été faite. Tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, au para 125.

[31] À mon avis, il était raisonnable que le CS conclue que les circonstances satisfaisaient au critère relatif à l’imposition d’une suspension en vertu de l’article 104 et des paragraphes 46 et 47 de la DC 730, et d’une période de 10 jours sans rétribution (paragraphe 51 de la DC 730).

[32] En raison de la découverte d’articles de cuisine non autorisés dans la cellule de M. Hart, ce dernier ne pouvait plus occuper son poste dans l’aire de préparation des aliments de la cuisine. D’autres postes à l’intérieur de la cuisine ont été offerts à M. Hart pour lui permettre de conserver son affectation de programme conformément au paragraphe 47 de la DC 730. Cependant, comme il avait refusé ces postes, M. Hart a été suspendu.

[33] À mon avis, il était raisonnable de la part du CS de conclure que le refus de travailler dans d’autres lieux à l’intérieur de la même affectation de programme constituait un refus de travailler dans le cadre du programme selon le paragraphe 46 de la DC 730. De manière similaire, il était raisonnable que le CS conclue qu’un refus de participer au programme sans une excuse valable satisfaisait aux exigences du paragraphe 104(1) du RSCMLC.

[34] La décision ne fait pas intervenir l’article 39 de LSCMLC, car aucune accusation d’infraction disciplinaire n’a été formulée.

[35] Comme il ressort de l’extrait reproduit au paragraphe 11 des présents motifs, dans la décision finale, le CS explique en détail la raison pour laquelle la suspension est confirmée, et donne un aperçu des antécédents factuels et du fondement juridique à l’appui. La décision présente les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et elle tient compte des observations de M. Hart : Vavilov, aux paras 99‐101, 127‐128. À mon avis, M. Hart n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

[36] L’autre plainte de M. Hart concernant le calendrier de la procédure de règlement des griefs n’est pas convaincante non plus. Le délai écoulé entre le moment où le CS a reçu les observations de M. Hart et celui où il a rendu sa décision était de 88 jours ouvrables. Il s’agit d’un délai légèrement plus long que celui de 80 jours énoncé dans la DC 081 (au paragraphe 12). Cependant, il est bien en deçà du délai de réponse moyen de 281 jours pour les cas ordinaires mentionné dans le Rapport annuel de 2017‐2018 du Bureau de l’enquêteur correctionnel. Je ne partage pas l’avis que le délai écoulé entre la réception des observations et le prononcé de la décision finale équivaut à un délai déraisonnable.

B. Notre Cour devrait‐elle entendre les arguments fondés sur la Charte et, le cas échéant, y a‐t‐il eu violation de celle‐ci?

[37] En ce qui concerne la deuxième question, je conviens avec le défendeur que M. Hart ne devrait pas être autorisé à soulever des questions liées à la Charte pour la première fois devant notre Cour, car les arguments fondés sur la Charte n’ont pas été soulevés devant le CS ou ne l’ont été à aucun moment pendant la procédure de règlement des griefs. Ils ne figurent pas non plus dans l’avis de demande.

[38] Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt R c Conway, 2010 CSC 22, au paragraphe 79, « un tribunal administratif se prononce sur toutes les questions, y compris celles de nature constitutionnelle, dont le caractère essentiellement factuel relève de la compétence spécialisée que lui confère la loi. » Les questions liées à la Charte peuvent être tranchées dans le cadre de la procédure de grief du SCC : Fabrikant c Canada, 2012 CF 1496, au para 11.

[39] Dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, la Cour d’appel fédérale a formulé des observations sur l’importance de la présentation des arguments fondés sur la Charte devant des tribunaux administratifs. Comme il est énoncé au paragraphe 43 de cette décision :

La démarche consistant à saisir l’Office des questions constitutionnelles en première instance respecte la différence fondamentale entre un décideur administratif et une cour de révision, soit en l’espèce l’Office et la Cour. Le Parlement a confié à l’Office, et non à la Cour, la responsabilité de statuer sur le fond de questions factuelles et juridiques — y compris le fond de questions constitutionnelles. Les dossiers de preuve sont constitués devant l’Office, et non devant la Cour. En règle générale, la Cour se limite à contrôler les décisions de l’Office à travers la lentille de la norme de contrôle appropriée en utilisant le dossier de preuve constitué devant l’Office et transmis à la Cour. Voir, à titre général, Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

[40] En outre, aux termes de l’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106, l’avis de demande contient un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable. La Cour a établi, à maintes reprises, qu’elle ne se penchera pas sur les motifs qui n’ont pas été invoqués dans l’avis de demande, pour éviter que le défendeur soit lésé du fait de ne pas avoir eu la possibilité de répondre à un nouvel enjeu : Vézina c Canada (Défense), 2012 CF 625 au para 21; Canada (Procureur général) c Iris Technologies Inc 2021 CAF 244 au para 36. Ce principe a été jugé particulièrement important dans le contexte des prétentions fondées sur la Charte, lesquelles exigent une enquête contextuelle et une preuve convaincante : Hickey c Canada, 2006 CF 998 au para 35.

[41] En l’espèce, il n’y a pas de preuve convaincante au dossier dont dispose la Cour sur laquelle prenne appui l’argument du demandeur fondé sur la Charte. L’avis de demande ne soulève aucune question liée à la Charte. Je ne suis pas d’accord avec M. Hart pour dire que le paragraphe 2.14 passe‐partout, qui stipule que [traduction] « [l]es autres moyens que le demandeur pourra présenter » fournit un avis efficace, y compris les arguments fondés sur la Charte qu’il cherche maintenant à soulever.

[42] Par conséquent, l’argument du demandeur fondé sur la Charte est rejeté.

[43] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée dans son intégralité.

V. Les dépens

[44] Le défendeur a demandé que des dépens de 1 000 $ lui soient adjugés à l’égard de la demande en l’espèce. Cependant, après avoir entendu les arguments des parties sur cette question et après avoir examiné les contraintes financières imposées à M. Hart, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je n’accorde que des dépens symboliques pour la présente affaire. En conséquence, des dépens de 100 $ seront adjugés au défendeur.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‐259‐20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 100 $ sont adjugés au défendeur.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐259‐20

 

INTITULÉ :

GARRY HART c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Garry Hart

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Maryse Piché Bénard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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