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Date : 20220831


Dossier : T‑1375‑21

Référence : 2022 CF 1249

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2022

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

HAIDA TOURISM LIMITED PARTNERSHIP, FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE DE WEST COAST RESORTS

appelante

et

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’un appel d’une décision de l’administrateur [l’administrateur] de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires [la CIDPHN], interjeté en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001 c 6 [la LRM]. L’administrateur a rejeté une demande en recouvrement de créance déposée par Haida Tourism Limited Partnership [Haida] en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM, relativement aux frais qu’elle a supportés pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par un navire.

Survol

[2] Haida a été, pendant toute la période pertinente, la propriétaire et l’exploitante d’une barge d’hébergement, la « Tasu I » (West Island 395, O.N. 323291) [le navire], utilisée comme pavillon pour amateurs de pêche sportive. Selon la demande que Haida a présentée à l’administrateur le 8 septembre 2018, le navire s’est détaché de sa bouée d’amarrage dans la baie d’Alliford, dans l’archipel Haida Gwaii, et a dérivé jusqu’à un point d’échouage dans la baie de Bearskin, sur l’île de Lina, en Colombie‑Britannique, où elle a rejeté un mélange d’essence ou de carburant diesel [l’incident]. Le navire a été le seul impliqué dans l’incident. Haida est entrée en contact avec la Garde côtière canadienne [la GCC] pour l’informer de l’incident et, le 9 septembre 2018 ou aux environs de cette date, elle a fait des efforts pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages potentiellement dus à la pollution par les hydrocarbures causée par l’échouage.

[3] Le 27 décembre 2018, les avocats de Haida ont déposé une demande auprès de la CIDPHN en vertu de l’alinéa 101(1)b) de la LRM (cette demande a par la suite été reformulée comme une demande déposée en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM) en vue de recouvrer les frais que Haida avait supportés pour atténuer les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Haida a soutenu que la preuve révélait qu’une tierce partie avait trafiqué de manière intentionnelle et délibérée les câbles d’amarrage du navire dans le but de causer des dommages. Elle a prétendu de plus que cette situation factuelle lui procurait, à titre de propriétaire du navire, une défense fondée sur l’alinéa 77(3)b) de la LRM. Elle estimait donc qu’elle était en droit d’être indemnisée par la CIDPHN pour les frais qu’elle disait avoir supportés en vue d’atténuer les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par son propre navire.

[4] Par une lettre de rejet datée du 4 août 2021, l’administrateur a refusé la demande de Haida.

[5] Le présent appel de la décision de l’administrateur n’a trait qu’à une question de droit. Plus précisément, il concerne la manière dont l’administrateur a interprété l’article 103 de la LRM et le fait de savoir si cette disposition confère à un propriétaire de navire le droit de recouvrer les frais qu’il a supportés pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un incident attribuable uniquement à son navire.

[6] L’administrateur n’a pas évalué la question de savoir si Haida dispose d’une défense valide contre la responsabilité par ailleurs stricte d’un propriétaire de navire à l’égard de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ainsi que des frais supportés pour prévenir ou atténuer ces dommages. Les parties conviennent toutefois que cette question, ainsi que d’autres aspects de nature factuelle, ne sont pas pertinents à l’égard de la question de droit qui se pose dans le présent appel.

Le régime législatif applicable

[7] Pour mettre quelque peu en perspective la décision de l’administrateur sur laquelle porte le présent appel, de même que les positions des parties en appel et mes motifs subséquents, il est utile de faire tout d’abord un bref survol du régime législatif de la LRM. Au moment où l’incident est survenu, la version de la LRM qui est entrée en vigueur le 8 juin 2015 et qui est demeurée applicable jusqu’au 12 décembre 2018 avait force exécutoire et c’est elle qui s’applique au présent appel. Sauf indication contraire, c’est à cette version qu’il est fait référence dans les présents motifs.

[8] La LRM traite de manière exhaustive de questions relatives aux créances maritimes et aux responsabilités connexes. Par exemple, la partie 1 porte sur les blessures corporelles et les accidents mortels, la partie 2 sur le partage de la responsabilité, la partie 3 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, la partie 4 sur la responsabilité en matière de transport de passagers par eau, et la partie 5 sur la responsabilité en matière de transport de marchandises par eau.

[9] Le présent appel met en cause la partie 6 (Responsabilité et indemnisation en matière de pollution) et la partie 7 (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires) de la LRM.

i. La partie 6 de la LRM

La partie 6 – Section 1

[10] La section 1 de la partie 6 (Responsabilité et indemnisation en matière de pollution) a trait aux conventions internationales. La section 1 donne force de loi à certaines conventions internationales à l’égard desquelles le Canada est un État contractant, et trois d’entre elles s’appliquent à la présente affaire.

a) La Convention sur les hydrocarbures de soute

[11] La Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute, conclue à Londres le 23 mars 2001 [la Convention sur les hydrocarbures de soute]. Les 10 premiers articles de la Convention sur les hydrocarbures de soute, lesquels figurent à l’annexe 8 de la LRM, ont force de loi au Canada (LRM, art 47(1), art 69). La Convention sur les hydrocarbures de soute s’applique à tout navire de mer et concerne les « dommages par [la] pollution » causée par « les hydrocarbures de soute », lesquels s’entendent de « tous les hydrocarbures minéraux, y compris l’huile de graissage, utilisés ou destinés à être utilisés pour l’exploitation ou la propulsion du navire, et les résidus de tels hydrocarbures ». C’est‑à‑dire que la Convention sur les hydrocarbures de soute ne s’applique pas uniquement aux pétroliers, ni uniquement aux hydrocarbures persistants (Convention sur les hydrocarbures de soute, article premier, para 5 et 9).

[12] Aux termes de l’alinéa 71a) de la LRM, la responsabilité du propriétaire d’un navire vis‑à‑vis des mesures de sauvegarde prévues par la Convention sur les hydrocarbures de soute englobe les frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d’intervention au sens de l’article 165 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26 [la LMMC] et toute autre personne au Canada ou toute personne d’un État étranger partie à cette convention pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par le navire, y compris les mesures prises en prévision de rejets d’hydrocarbures de soute causés par le navire, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables, de même que les pertes ou dommages causés par ces mesures.

b) La Convention sur la responsabilité civile

[13] La Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclue à Londres le 27 novembre 1992 et dont l’article V a été modifié par la résolution adoptée par le Comité juridique de l’Organisation maritime internationale le 18 octobre 2000 [la Convention sur la responsabilité civile]. Les articles I à XI, XII bis et 15 de la Convention sur la responsabilité civile sont énoncés à l’annexe 5 de la LRM et ont force de loi au Canada (LRM, art 47(1), art 48). La Convention sur la responsabilité civile s’applique aux bâtiments de mer construits ou adaptés pour le transport des hydrocarbures en vrac en tant que cargaison (les pétroliers, principalement), relativement à un « dommage par pollution » causé par les « hydrocarbures », lesquels s’entendent de « tous les hydrocarbures minéraux persistants, notamment le pétrole brut, le fuel‑oil, l’huile diesel lourde et l’huile de graissage, qu’ils soient transportés à bord d’un navire en tant que cargaison ou dans les soutes de ce navire » (art 1(1), 1(5) et 1(6)).

[14] Aux termes de l’article 51 de la LRM, la responsabilité du propriétaire d’un navire vis‑à‑vis des mesures de sauvegarde prévues par la Convention sur la responsabilité civile vise les frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d’intervention au sens de l’article 165 de la LMMC, toute autre personne au Canada ou toute personne d’un État étranger partie à la Convention pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par le navire, y compris les mesures en prévision de rejets d’hydrocarbures causés par le navire, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables, de même que les pertes ou dommages causés par ces mesures.

c) La Convention sur le Fonds international

[15] La Convention internationale de 1992 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclue à Londres le 27 novembre 1992 et dont l’article 4 a été modifié par la résolution adoptée par le Comité juridique de l’Organisation maritime internationale le 18 octobre 2000 [la Convention sur le Fonds international]. Les articles 1 à 4, 6 à 10, 12 à 15, 36 ter, 29, 33 et 37 de la Convention sur le Fonds international sont énoncés à l’annexe 6 de la LRM et ont force de loi au Canada (LRM, art 47(1) et 57). Le Protocole portant création d’un Fonds complémentaire signifie le Protocole de 2003 à la Convention internationale de 1992 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclu à Londres le 16 mai 2003 (para 47(1)). Les articles 1 à 15, 18, 20, 24, 25 et 29 du Protocole portant création d’un Fonds complémentaire sont énoncés à l’annexe 7 de la LRM et ont force de loi au Canada (art 63). Le Fonds complémentaire d’indemnisation de 2003 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures [le Fonds complémentaire] est établi par l’article 2 du Protocole portant création d’un Fonds complémentaire.

La Partie 6 – Section 2

[16] La section 2 de la partie 6 de la LRM porte sur les responsabilités non visées à la section 1. C’est‑à‑dire celles qui ne tombent pas sous le coup des conventions internationales mentionnées à la section 1 de cette même partie.

[17] L’article 76 indique que la section 2 s’applique aux dommages – réels ou prévus – dus à la pollution qui ne sont pas visés à la section 1, et ce, quel que soit l’endroit où le rejet du polluant a lieu ou risque de se produire et celui où sont prises des mesures préventives sur le territoire canadien ou en eaux canadiennes, ou dans la zone économique exclusive du Canada.

[18] L’article 77 de la LRM impose au propriétaire d’un navire la stricte responsabilité des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par son navire, de même que des frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d’intervention au sens de l’article 165 de la LMMC, ou toute autre personne au Canada pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire, y compris les mesures en prévision de rejets d’hydrocarbures causés par le navire, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables, de même que des pertes ou dommages causés par ces mesures (art 77(1)). Les propriétaires sont également strictement responsables des dommages à l’environnement (art 77(2)).

[19] La responsabilité stricte que l’article 77 de la LRM impose au propriétaire d’un navire est soumise à certaines exceptions restreintes :

(3) La responsabilité du propriétaire prévue aux paragraphes (1) et (2) n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute ou d’une négligence, mais le propriétaire n’est pas tenu pour responsable s’il démontre que l’événement :

a) soit résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, de guerre civile ou d’insurrection ou d’un phénomène naturel d’un caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible;

b) soi est entièrement imputable à l’acte ou à l’omission d’un tiers qui avait l’intention de causer des dommages;

c) soi est entièrement imputable à la négligence ou à l’action préjudiciable d’un gouvernement ou d’une autre autorité dans le cadre des responsabilités qui lui incombent en ce qui concerne l’entretien des feux et autres aides à la navigation.

[20] Des dispositions semblables en matière de responsabilité du propriétaire d’un navire figurent à la fois dans la Convention sur la responsabilité civile et la Convention sur les hydrocarbures de soute :

L’article III de la Convention sur la responsabilité civile indique ce qui suit :

1 Le propriétaire du navire au moment d’un événement ou, si l’événement consiste en une succession de faits, au moment du premier de ces faits, est responsable de tout dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causé par le navire et résultant de l’événement, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article.

2 Le propriétaire n’est pas responsable s’il prouve que le dommage par pollution :

a) résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, d’une guerre civile, d’une insurrection, ou d’un phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible, ou

b) résulte en totalité du fait qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage, ou

c) résulte en totalité de la négligence ou d’une autre action préjudiciable d’un gouvernement ou autre autorité responsable de l’entretien des feux ou autres aides à la navigation dans l’exercice de cette fonction.

3 Si le propriétaire prouve que le dommage par pollution résulte en totalité ou en partie, soit du fait que la personne qui l’a subi a agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage, soit de la négligence de cette personne, le propriétaire peut être exonéré de tout ou partie de sa responsabilité envers ladite personne.

[…]

[21] L’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute indique ce qui suit :

Responsabilité du propriétaire du navire

1 Sauf dans les cas prévus aux paragraphes 3 et 4, le propriétaire du navire au moment d’un événement est responsable de tout dommage par pollution causé par des hydrocarbures de soute se trouvant à bord ou provenant du navire, sous réserve que, si un événement consiste en un ensemble de faits ayant la même origine, la responsabilité repose sur le propriétaire du navire au moment du premier de ces faits.

2 Lorsque plus d’une personne sont responsables en vertu du paragraphe 1, leur responsabilité est conjointe et solidaire.

3 Le propriétaire du navire n’est pas responsable s’il prouve :

a) que le dommage par pollution résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, d’une guerre civile, d’une insurrection ou d’un phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible; ou

b) que le dommage par pollution résulte en totalité du fait qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage; ou

c) que le dommage par pollution résulte en totalité de la négligence ou d’une autre action préjudiciable d’un gouvernement ou d’une autre autorité responsable de l’entretien des feux ou d’autres aides à la navigation dans l’exercice de cette fonction.

4 Si le propriétaire du navire prouve que le dommage par pollution résulte en totalité ou en partie soit du fait que la personne qui l’a subi a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage, soit de la négligence de cette personne, le propriétaire du navire peut être exonéré intégralement ou partiellement de sa responsabilité envers ladite personne.

[…]

[22] Je signale en passant que le propriétaire d’un navire a également le droit de limiter sa responsabilité, suivant la jauge du navire (LRM, partie 3, où il est fait référence à la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes conclue à Londres le 19 novembre 1976 et modifiée par le Protocole, et dont les articles 1 à 15 sont reproduits à la partie 1 de l’annexe 1 de la LRM, et l’article 18 à la partie 2 de la même annexe).

ii. La partie 7 de la LRM

[23] La partie 7 de la LRM proroge la CIDPHN et prévoit la nomination, par le gouverneur en conseil, de son administrateur et de son administrateur adjoint. Cette partie s’applique aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, et ces dommages sont définis comme suit : « [S]’agissant d’un navire, pertes ou dommages extérieurs au navire et causés par une contamination résultant du rejet d’hydrocarbures par ce navire ». Quant aux « hydrocarbures », il s’agit des « […] hydrocarbures de toutes sortes sous toutes leurs formes, notamment le pétrole, le fioul, les boues, les résidus d’hydrocarbures et les hydrocarbures mélangés à des déchets, à l’exclusion des déblais de dragage » (art 91(1)).

[24] Pour ce qui est des responsabilités de la CIDPHN, la LRM indique ceci :

Responsabilités de la Caisse d’indemnisation

101 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, la Caisse d’indemnisation assume les responsabilités prévues aux articles 51, 71 et 77 en rapport avec les hydrocarbures, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute dans les cas suivants :

a) malgré la prise de toutes les mesures raisonnables dans les circonstances, il a été impossible d’obtenir une indemnité de la part du propriétaire du navire ou, dans le cas d’un navire au sens de l’article premier de la Convention sur la responsabilité civile, de la part du Fonds international et du Fonds complémentaire;

b) d’une part, le propriétaire du navire n’est pas responsable en raison de l’une des défenses mentionnées au paragraphe 77(3), à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute et, d’autre part, le Fonds international et le Fonds complémentaire ne sont pas responsables non plus;

c) la créance excède :

(i) dans le cas d’un navire au sens de l’article premier de la Convention sur la responsabilité civile, la limite fixée à la responsabilité du propriétaire du navire en vertu de cette convention, dans la mesure où l’excédent ne peut être recouvré auprès du Fonds international ni auprès du Fonds complémentaire,

(ii) dans le cas de tout autre navire, la limite fixée à la responsabilité du propriétaire du navire en vertu de la partie 3;

d) le propriétaire du navire est incapable financièrement de remplir les obligations que lui imposent l’article 51 et l’article III de la Convention sur la responsabilité civile, dans la mesure où le Fonds international et le Fonds complémentaire ne sont pas tenus de remplir l’une quelconque de ces obligations;

e) le propriétaire du navire est incapable financièrement de remplir les obligations que lui imposent l’article 71 et l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute;

f) le propriétaire du navire est incapable financièrement de remplir les obligations que lui impose l’article 77;

g) la cause des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures est inconnue et l’administrateur est incapable d’établir que l’événement qui est à l’origine des dommages n’est pas imputable à un navire;

h) l’administrateur est partie à la transaction d’une affaire conclue en vertu de l’article 109.

[…]

Action intentée par l’administrateur

102 (1) En cas d’événement dont la responsabilité est imputable au propriétaire d’un navire au titre des articles 51, 71 ou 77, de l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou de l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, l’administrateur peut, même avant d’avoir reçu la demande visée à l’article 103, intenter une action réelle contre le navire qui fait l’objet de la demande ou à l’égard du produit de la vente de celui‑ci déposé au tribunal, et, à cette occasion, peut, sous réserve du paragraphe (3), demander une garantie d’un montant au moins égal à la responsabilité maximale cumulée du propriétaire calculée conformément aux articles 71 ou 77 ou à l’article V de la Convention sur la responsabilité civile.

Subrogation

(2) L’administrateur ne peut continuer cette action que s’il est subrogé dans les droits du demandeur aux termes de l’alinéa 106(3)c).

[…]

Dépôt des demandes auprès de l’administrateur

103 (1) En plus des droits qu’elle peut exercer contre la Caisse d’indemnisation en vertu de l’article 101, toute personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais mentionnés aux articles 51, 71 ou 77, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute à cause de dommages – réels ou prévus – dus à la pollution par les hydrocarbures peut présenter à l’administrateur une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, pertes et frais.

[…]

Fonctions de l’administrateur

105 (1) Sur réception d’une demande en recouvrement de créance présentée en vertu de l’article 103, l’administrateur :

a) enquête sur la créance et l’évalue;

b) fait une offre d’indemnité pour la partie de la demande qu’il juge recevable.

Pouvoirs de l’administrateur

(2) Aux fins d’enquête et d’évaluation, l’administrateur a les pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes.

Facteurs à considérer

(3) Dans le cadre de l’enquête et de l’évaluation, l’administrateur ne prend en considération que la question de savoir :

a) d’une part, si la créance est visée par le paragraphe 103(1);

b) d’autre part, si la créance résulte, en tout ou en partie :

(i) soit d’une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage,

(ii) soit de sa négligence.

Cause de l’événement

(4) Bien que le demandeur ne soit pas tenu de démontrer que l’événement a été causé par un navire, l’administrateur rejette la demande si la preuve le convainc autrement.

Partage de la responsabilité

(5) L’administrateur réduit proportionnellement ou éteint la créance s’il est convaincu que l’événement à l’origine de celle‑ci est attribuable :

a) soit à une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage;

b) soit à sa négligence.

Offre d’indemnité

106 (1) Le demandeur a soixante jours, à compter de la réception de l’offre d’indemnité visée à l’alinéa 105(1)b), pour l’accepter ou la refuser; si l’administrateur n’est pas avisé du choix du demandeur dans ce délai, celui‑ci est présumé avoir refusé.

Appel à la Cour d’amirauté

(2) Le demandeur peut, dans les soixante jours suivant la réception de l’offre d’indemnité ou de l’avis de rejet de sa demande, interjeter appel devant la Cour d’amirauté; dans le cas d’un appel du rejet de la demande, la Cour d’amirauté ne prend en considération que les faits mentionnés aux alinéas 105(3)a) et b).

Acceptation de l’offre

(3) L’acceptation par le demandeur de l’offre d’indemnité entraîne les conséquences suivantes :

a) l’administrateur ordonne sans délai que la somme offerte soit versée au demandeur par prélèvement sur la Caisse d’indemnisation;

b) le demandeur ne peut plus faire valoir les droits qu’il peut avoir contre qui que ce soit à l’égard des questions visées aux articles 51, 71 et 77, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute en ce qui concerne l’événement auquel se rapporte l’offre d’indemnité;

c) dans la limite de la somme versée au demandeur, l’administrateur est subrogé dans les droits de celui‑ci visés à l’alinéa b);

d) l’administrateur prend toute mesure raisonnable pour recouvrer auprès du propriétaire du navire, du Fonds international, du Fonds complémentaire ou de toute autre personne responsable la somme qu’il a versée et, à cette fin, peut notamment intenter une action en son nom ou au nom du demandeur, réaliser toute garantie donnée à celui‑ci ainsi qu’intenter une action contre le fonds du propriétaire constitué aux termes de la Convention sur la responsabilité civile.

[…]

Action en responsabilité contre le propriétaire d’un navire

Action contre le propriétaire d’un navire

109 (1) À l’exception des actions fondées sur l’alinéa 77(1)c) intentées par le ministre des Pêches et des Océans à l’égard d’un polluant autre que les hydrocarbures, les règles ci‑après s’appliquent aux actions en responsabilité fondées sur les articles 51, 71 ou 77, l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute intentées contre le propriétaire d’un navire ou son garant :

a) l’acte introductif d’instance doit être signifié à l’administrateur — soit par la remise à celui‑ci d’une copie en main propre, soit par le dépôt d’une copie au lieu de sa dernière résidence connue — qui devient de ce fait partie à l’instance;

b) l’administrateur doit comparaître et prendre les mesures qu’il juge à propos pour la bonne gestion de la Caisse d’indemnisation, notamment conclure une transaction avant ou après jugement.

Règlement d’une affaire

(2) Dans le cas où il conclut une transaction en application de l’alinéa (1)b), l’administrateur ordonne le versement au demandeur, par prélèvement sur la Caisse d’indemnisation, du montant convenu.

[25] Il convient de signaler ici, par souci de commodité, que les questions visées aux articles 51, 71 ou 77 de la LRM, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute sont souvent mentionnées ensemble à la partie 7 de la LRM. Chacune de ces dispositions porte sur la responsabilité du propriétaire d’un navire à l’égard de la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par le navire [dans les présents motifs, ces dispositions sont également appelées, collectivement, les « dispositions en matière de responsabilités et de dommages »] :

Article 51 de la LRM : la responsabilité du propriétaire d’un navire à l’égard des mesures de sauvegarde prévues par la Convention sur la responsabilité civile vise les frais supportés (par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d’intervention, ou toute autre personne indiquée) pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par le navire, y compris les mesures [de nature préventive] (al. 51a));

Article 71 de la LRM : la responsabilité du propriétaire d’un navire à l’égard des mesures de sauvegarde prévues par la Convention sur les hydrocarbures de soute vise également les frais supportés (par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d’intervention, ou toute autre personne indiquée) pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par le navire, y compris les mesures [de nature préventive]; les frais supportés pour la prise de mesures de prévention ou de réponse (al. 71(a));

Article 77 de la LRM : le propriétaire d’un navire est responsable des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire, ainsi que des frais supportés pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire, y compris des mesures en prévision de rejets d’hydrocarbures causés par le navire (al. 77(1)a)‑b));

Paragraphe III(1) de la Convention sur la responsabilité civile : à l’exception de ce qui est prévu aux paragraphes III(2) et (3), le propriétaire d’un navire est responsable de tout dommage par pollution causé par le navire et résultant de l’incident;

Paragraphe 3(1) de la Convention sur les hydrocarbures de soute : à l’exception de ce qui est prévu aux paragraphes 3(3) et (4), le propriétaire d’un navire est responsable de tout dommage par pollution causé par des hydrocarbures de soute se trouvant à bord ou provenant du navire.

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[26] La décision de l’administrateur s’étend sur 28 pages, dont une bonne part est consacrée à une description de l’historique procédural de la demande d’indemnisation de Haida, à l’application de la partie 6 de la LRM et des conventions internationales connexes, à la partie 7 de la LRM, de même qu’à la manière dont l’administrateur conçoit l’application du régime de responsabilité dans son ensemble.

[27] L’administrateur a signalé que Haida avait formulé au départ sa demande en vertu de l’article 101 mais qu’elle a plus tard affirmé que cela découlait de son opinion que les demandeurs visés au paragraphe 103(1) étaient tenus d’établir qu’ils satisfaisaient aux critères énoncés à l’article 101. L’administrateur a autorisé Haida à catégoriser à nouveau sa demande sous la forme d’une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1), mais il a conclu que l’opinion de Haida selon laquelle un demandeur visé au paragraphe 103(1) est tenu de satisfaire à l’un quelconque des critères énoncés à l’article 101 était inexacte. Il a fait remarquer que le paragraphe 103(1) de la LRM procure expressément aux demandeurs un moyen d’avoir accès à une indemnité qui [traduction] « [s’ajoute aux] droits susceptibles d’être exercés contre la [CIDPHN] en vertu de l’article 101 ». Pour cette raison, et d’autres, l’administrateur a conclu que le paragraphe 103(1) constitue pour les demandes d’indemnisation un mécanisme indépendant et distinct. Par ailleurs, l’interprétation de Haida signifierait qu’un demandeur serait tenu d’établir l’un des critères prévus au paragraphe 101(1) pour pouvoir présenter une demande en vertu du paragraphe 103(1). Cela réduirait nettement les circonstances dans lesquelles le régime prévu au paragraphe 103(1) est accessible aux personnes touchées par la pollution par les hydrocarbures et, du même coup, l’accès à la justice en imposant aux demandeurs un fardeau supplémentaire. L’administrateur a rejeté la manière dont Haida interprétait la corrélation entre le paragraphe 101(1) et le paragraphe 103(1) en se fondant sur le texte de ces dispositions ainsi que sur l’objet et les fonctions des parties 6 et 7 de la LRM dans leur ensemble.

[28] L’administrateur a décrété que le paragraphe 103(1) autorise les personnes touchées par un rejet d’hydrocarbures qui ont subi des pertes, des dommages ou des frais décrits dans certaines dispositions de la partie 6 de la LRM (faisant apparemment référence aux articles 51, 71 et 77 de la LRM, à la Convention sur la responsabilité civile ou à la Convention sur les hydrocarbures de soute) à présenter une demande. Comme il l’a déclaré : [traduction] « dans tous les cas, les dispositions auxquelles renvoie le paragraphe 103(1) sont axées sur les responsabilités d’un propriétaire de navire. Il est de ce fait difficile de saisir d’un point de vue conceptuel comment le propriétaire d’un navire pourrait avoir le droit de présenter une demande fondée sur le paragraphe 103(1) ».

[29] L’administrateur a noté la réponse apparente de Haida à cette remarque, soit l’argument de ses avocats selon lequel [traduction] « il ne faut pas confondre les responsabilités du propriétaire d’un navire que prévoit l’article 77 en faisant référence aux “frais” dont il est question dans ce même article. Il s’agit de deux choses différentes ». L’administrateur a considéré que cette interprétation proposée était problématique.

[30] L’administrateur a conclu que, pour autant que la Convention sur les hydrocarbures de soute s’appliquait, l’article 3, qui prévoit que « le propriétaire du navire au moment d’un événement est responsable de tout dommage par pollution », ne pouvait pas être interprété comme dissociant la responsabilité du propriétaire d’un navire de tout dommage par pollution. Il n’a pas admis qu’en faisant référence à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute au paragraphe 103(1) de la LRM, le législateur entendait que les pertes, les dommages et les frais pouvaient être dissociés de la responsabilité du propriétaire du navire. C’est‑à‑dire que, pour les besoins des demandes déposées en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM, les pertes, les dommages et les frais [traduction] « mentionnés » à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute ne pouvaient pas être dissociés de la responsabilité du propriétaire du navire. Par ailleurs, étant donné que le propriétaire du navire ne peut pas être responsable envers lui‑même, il ne peut pas engager [traduction] « les frais mentionnés à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute ». L’article 3 n’offre donc pas à un propriétaire de navire un moyen de présenter une demande à l’administrateur en vertu du paragraphe 103(1).

[31] L’administrateur a jugé, dans le même ordre d’idées, que les références explicites qui sont faites aux « frais » à l’article 77 de la LRM, lorsqu’elles sont lues dans leur contexte global, et en tenant compte de toutes les caractéristiques de ces frais, ne procurent pas aux propriétaires de navire un moyen de présenter une demande en vertu du paragraphe 103(1), car cela obligerait à interpréter d’une manière arbitrairement sélective l’article 77 en retranchant toutes les références faites à la responsabilité du propriétaire de navire. Le propriétaire peut certes subir des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et supporter les frais liés aux mesures d’intervention prises à la suite d’un incident causé par son propre navire, mais il ne peut pas subir [traduction] « les pertes, les dommages et les frais mentionnés aux alinéas 77(1)a) à c) parce qu’il s’agit de dommages pour lesquels le propriétaire serait présumé responsable, et aucune entité ne peut être responsable envers elle‑même ».

[32] Pour ce qui est de la corrélation entre le paragraphe 77(5) et le paragraphe 103(1) de la LRM, l’administrateur a signalé que le paragraphe 77(5) autorise un propriétaire de navire qui a constitué un fonds de limitation à déduire de la limite fixée à sa responsabilité envers autrui certains des frais de réponse qu’il a lui-même engagés. Le paragraphe 77(5), en soi, ne fait rien pour conférer à un propriétaire le droit de recouvrer quoi que ce soit d’une autre partie. L’administrateur a toutefois conclu qu’il y avait une certaine ambiguïté dans la corrélation entre les paragraphes 77(5) et 103(1) de la LRM, et il a donc décidé d’interpréter ces dispositions, citant la démarche suivie dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 RCS 27, au paragraphe 21 [Rizzo & Rizzo].

[33] L’administrateur a considéré que si Haida avait raison de dire que les propriétaires de navire étaient autorisés à présenter une demande en vertu du paragraphe 103(1), cela, dans ce cas, ne se limiterait pas aux propriétaires [traduction] « innocents » parce que le paragraphe 105(3) limite les facteurs que l’administrateur peut prendre en considération dans le cadre de son enquête et de son évaluation à la question de savoir si la demande en question concerne des pertes, des dommages ou des frais visés au paragraphe 103(1) et si la demande résulte, en tout ou en partie, d’une action ou d’une omission du demandeur visant à causer un dommage, ou de sa négligence. C’est donc dire que, sous le régime de la LRM, l’administrateur n’est pas autorisé à examiner si le propriétaire de navire peut avoir droit à une défense en matière de responsabilité, c’est‑à‑dire s’il est [traduction] « innocent » ou non. Cela voudrait donc dire que même un propriétaire de navire [traduction] « non innocent » serait en droit de présenter une demande par cette voie.

[34] L’administrateur a fait remarquer que l’interprétation que fait Haida nuirait à l’application d’autres aspects du régime législatif, tant dans le cadre de la LRM qu’en dehors de celle-ci. À titre d’exemple, les propriétaires de navire de grande taille sont tenus par l’article 167 de la LMMC de conclure une entente permanente d’intervention en cas de pollution par les hydrocarbures avec un organisme d’intervention agréé par Transports Canada. Il y a de fortes chances que les propriétaires des navires de ce type aient à supporter des frais d’intervention à la suite d’un incident, et ces frais sont habituellement assurés (l’administrateur a fait remarquer qu’il est obligatoire de détenir une assurance‑responsabilité pour les navires dont la jauge brute est supérieure à 1 000 tonnes, et que de nombreux navires de plus petite taille acquièrent de leur propre gré une telle assurance). Il ne serait pas sensé de permettre aux propriétaires de navire de présenter à l’administrateur des demandes d’indemnisation pour des frais contre lesquels il est obligatoire de s’assurer. De plus, si l’interprétation de Haida était correcte, tout propriétaire de navire contraint à payer les frais d’un organisme d’intervention pourrait demander que ces frais lui soient remboursés en vertu du paragraphe 103(1), alors que l’organisme d’intervention lui‑même ne le pourrait pas parce que le paragraphe 103(3) interdit aux organismes d’intervention de présenter des demandes fondées sur l’article 103. L’administrateur a conclu que le fait de privilégier les intérêts des propriétaires de navire polluants (même ceux qui sont innocents) plutôt que ceux des organismes d’intervention était contraire à l’objet de la LRM.

[35] L’administrateur a jugé que l’interprétation que faisait Haida de l’article 103 éclipserait également l’application du paragraphe 77(5), selon lequel les frais qu’ont à supporter les propriétaires de navire sont du même rang que les autres créances vis‑à‑vis des garanties qu’ils ont eux-mêmes données. Si l’interprétation de Haida était correcte, les propriétaires de navire n’auraient aucunement besoin de présenter une demande d’indemnisation vis‑à‑vis de leurs garanties, et ils pourraient plutôt présenter une demande d’indemnisation complète à l’administrateur. Celui-ci a conclu que cela ne pouvait pas être l’intention qu’avait le législateur en adoptant le paragraphe 77(5), qui [traduction] « semble être le seul point d’accès possible pour les propriétaires de navire en vertu du paragraphe 103(1) ». Il a également signalé qu’un résultat encore plus incongru qui découlerait de l’interprétation de Haida serait le cas où un propriétaire de navire répondrait à un incident de pollution par les hydrocarbures et indemniserait entièrement les parties touchées, car il n’y aurait rien pour empêcher ce propriétaire, ou son assureur, d’accepter de payer les demandes d’indemnisation, d’obtenir une cession des droits des parties indemnisées et de présenter ensuite à l’administrateur, en vertu du paragraphe 103(1), une demande en recouvrement de créance qui couvrirait la totalité du coût de ses propres mesures de réponse ainsi que les demandes d’indemnisation dont la partie 6 de la LRM le rendait responsable. L’administrateur conclut donc que [traduction] « dans la mesure où les parties 3 et 6 de la LRM sont conçues pour que les propriétaires de navire paient jusqu’à la limite de leur responsabilité, indépendamment de leur négligence, cet objectif échouerait dans les cas de non‑négligence ».

[36] L’administrateur a ensuite fait une comparaison entre la CIDPHN et la Convention sur le Fonds international de 1992, un exercice qu’il a qualifié d’instructif mais d’intrinsèquement restreint. Essentiellement, il a conclu qu’il n’a pas le pouvoir d’examiner si le propriétaire d’un navire peut avoir droit à une défense dans le cadre de l’évaluation et de l’enquête relatives à une demande fondée sur le paragraphe 103(1), indépendamment du régime de responsabilités sur lequel repose cette demande. Par contraste, le Fonds international est clairement mandaté pour prendre en considération [traduction] « l’innocence » du propriétaire, aux termes de l’alinéa 4(1)a) de la Convention sur le Fonds international de 1992. La structure mécanique qui est nécessaire pour examiner les demandes d’indemnisation de propriétaires de navire innocents n’est pas présente à la partie 7 de la LRM.

[37] Enfin, l’administrateur a traité de la possibilité d’arriver à des résultats disparates suivant le genre de navire visé par une demande fondée sur le paragraphe 103(1). Il n’a pas admis qu’il s’agissait là de l’intention du législateur et il a conclu qu’il est plus probable qu’aucun propriétaire de navire n’est censé être admissible à présenter une demande d’indemnisation à l’administrateur pour les frais qu’il a engagés en répondant à un incident impliquant uniquement son propre navire.

La question en litige et la norme de contrôle applicable

[38] Le point en litige dans le présent appel est une question distincte qui, selon moi, peut être formulée comme celle de savoir si l’administrateur a commis une erreur en considérant que le paragraphe 103(1) de la LRM n’autorise pas un propriétaire de navire à présenter une demande d’indemnisation pour les frais qu’il a supportés en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un incident exclusivement attribuable à son propre navire.

[39] Les parties conviennent que la seule question de fond dont la Cour est saisie est une question de droit et que c’est la norme de la décision correcte qui s’y applique.

[40] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a décrété qu’un mécanisme d’appel prescrit par la loi dénote l’intention du législateur que les normes applicables en appel entrent en jeu lorsqu’une cour de justice est saisie d’un appel d’un tribunal administratif (Vavilov, au para 17). « Ainsi, la norme de contrôle applicable doit être déterminée eu égard à la nature de la question et à la jurisprudence de notre Cour en la matière » (Vavilov, aux para 37, 49). La norme de la décision correcte est celle qui convient pour répondre aux pures questions de droit, notamment les questions d’interprétation législative (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux para 8‑9).

[41] En conséquence, étant donné que la présente affaire a été déposée dans le cadre d’un mécanisme d’appel exposé au paragraphe 106(2) de la LRM, je conviens avec les parties que la norme applicable est la décision correcte.

Analyse

La position de Haida

[42] La position de Haida repose sur son argument selon lequel il existe une corrélation entre l’article 101 et le paragraphe 103(1) de la LRM.

[43] Haida soutient qu’il ressort d’une simple lecture du paragraphe 103(1) de la LRM que rien n’empêche un propriétaire de navire qui dispose d’un moyen de défense contre la responsabilité de présenter une demande en vertu de cette disposition. L’article 101 énonce les responsabilités de la CIDPHN, qui englobent des questions mentionnées à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute et aux articles 71 et 77 de la LRM, si le propriétaire de navire n’est pas responsable de l’incident du fait de l’une quelconque des défenses décrites au paragraphe 77(3). C’est‑à‑dire que le propriétaire n’est pas tenu pour responsable s’il établit que l’événement est entièrement imputable à l’acte ou à l’omission d’un tiers qui avait l’intention de causer des dommages (art 77(3)b)) et, aux termes de l’alinéa 3(3)b) de la Convention sur les hydrocarbures de soute, un propriétaire de navire ne sera pas tenu pour responsable d’un dommage par pollution s’il prouve que ce dommage résulte en totalité du fait qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage.

[44] Haida soutient que l’administrateur a commis une erreur en concluant, indépendamment du régime de responsabilité applicable, qu’il est incompatible avec les principes d’interprétation législative de lire le paragraphe 103(1) sans tenir compte des références faites à la responsabilité des propriétaires de navire. Elle ajoute que la responsabilité d’un propriétaire de navire aux termes de la Convention sur les hydrocarbures de soute et la responsabilité de la CIDPHN sont des questions distinctes, sauf pour ce qui est de l’article 102 de la LRM. Toujours selon Haida, la demande d’indemnisation qu’elle a présentée à la CIDPHN n’est fondée ni sur la Convention sur les hydrocarbures de soute ni sur l’article 77 de la LRM, qui, affirme Haida, ne s’appliquent qu’à la capacité de la CIDPHN d’obtenir un recouvrement en vertu de l’article 102.

[45] Haida est d’avis que l’interprétation que fait l’administrateur du paragraphe 105(3) de la LRM est erronée parce qu’elle n’intègre pas l’effet de l’article 102 de la LRM et que le fait de prendre en considération, aux termes de l’alinéa 105(3)a), la question de savoir si une demande d’indemnité s’applique à des pertes, des dommages ou des frais visés au paragraphe 103(1) inclut le fait de déterminer si ces frais sont visés à l’article 71 (Convention sur les hydrocarbures de soute) ou à l’article 77 qui permettent tous deux de déterminer la responsabilité du propriétaire de navire. De ce fait, selon Haida, les facteurs qu’il faut prendre en considération aux termes de l’alinéa 105(3)a) et du paragraphe 106(2) comprennent un examen des facteurs qui donnent naissance à la responsabilité de la CIDPHN en vertu de l’article 101. L’article 102 permet à la CIDPHN d’intenter une action par subrogation contre un propriétaire de navire qui n’a aucune défense, tandis qu’un propriétaire de navire qui dispose d’une défense ne peut faire l’objet d’une telle action. D’après Haida, l’article 102 [traduction] « boucle la boucle » dans le cas d’un propriétaire de navire qui ne dispose pas d’une défense fondée sur les articles 71 ou 77.

[46] Haida affirme que l’interprétation que fait l’administrateur des [traduction] « questions visées » aux articles 71 et 77 de la LRM et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, lesquelles questions figurent au paragraphe 101(1) de la LRM, en ce qui concerne la responsabilité du propriétaire de navire à l’égard de ces questions, est illogique. La bonne interprétation serait que dans les cas où un propriétaire de navire n’est pas tenu pour responsable, c’est la CIDPHN qui est responsable des questions visées, soit les frais raisonnables qui sont liés aux mesures de réponse prises à la suite d’un incident de pollution réelle ou potentielle.

[47] Haida soutient que l’interprétation de l’administrateur, qui empêche un propriétaire de navire innocent de présenter une demande d’indemnisation à la CIDPHN, va à l’encontre de l’objet de la LRM. Elle ajoute que l’objet général des parties 6 et 7 de la LRM est de protéger l’environnement marin et de s’assurer que l’on indemnise ceux qui sont victimes de pertes ou de dommages ou qui dépensent de leur plein gré des ressources pour éviter ou nettoyer tout dommage dû à la pollution par les hydrocarbures. Les propriétaires de navire sont habituellement les premiers à se présenter sur les lieux d’un incident de pollution mais ils ne sont pas obligés de conclure un contrat avec une autre partie et d’engager des frais, et, de ce fait, il y a peu de chances que les propriétaires de navire et leurs assureurs qui n’ont pas droit à une indemnisation engagent de tels frais. De plus, un propriétaire de navire qui a un moyen de défense prévu par la LRM n’est [traduction] « pas techniquement un pollueur », de sorte que le fait d’indemniser un propriétaire de navire innocent ne porte pas atteinte au principe du [traduction] « pollueur‑payeur ». Haida invoque en outre l’arrêt British Columbia v Administrator of the Ship‑source Oil Pollution Fund, 2019 BCCA 232 [BC v SOPF] pour faire valoir que la LRM n’est pas un pur régime de type « pollueur‑payeur ».

La position de la CIDPHN

[48] L’administrateur est d’avis que la partie 6 de la LRM impose aux propriétaires de navire une stricte responsabilité à l’égard des dommages causés par un incident de pollution par les hydrocarbures causée par leur navire – sous réserve de défenses limitées et de limites à la responsabilité qui sont fondées sur la jauge du navire.

[49] L’administrateur fait valoir que la partie 7 de la LRM prévoit d’autres voies d’indemnisation pour ceux qui subissent des dommages décrits à la partie 6. Au moment où est survenu l’incident dont il est question en l’espèce, il s’agissait des dispositions suivantes : l’article 109 de la LRM, qui fait de l’administrateur une partie aux poursuites engagées contre des propriétaires de navire de façon à traiter des responsabilités de la CIDPHN qu’établit le paragraphe 101(1), le paragraphe 103(1), qui permet aux demandeurs qui subissent des dommages décrits à la partie 6 ou dans les conventions de soumettre ces dommages directement à l’administrateur, de même qu’un mécanisme d’indemnisation en vertu de la partie 7 au paragraphe 107(3), relativement aux pertes liées au secteur des pêches.

[50] Selon l’administrateur, le paragraphe 101(1) n’a aucune incidence sur la fonction du paragraphe 103(1) et il est peu pertinent dans le cadre de l’appel.

[51] Cependant, en réponse aux arguments de Haida, l’administrateur signale que, ensemble, les articles 101 et 109 de la LRM mettent en œuvre ce que l’on appelle parfois le régime des demandes d’indemnisation « de dernier recours » [le régime de dernier recours], dans le cadre duquel un demandeur doit tout d’abord avoir échoué dans sa tentative de recouvrer des frais du propriétaire du navire avant d’avoir accès à une indemnisation de la CIDPHN. Le paragraphe 101(1) n’est pas, en soi, un moyen d’obtenir une indemnisation. Il lui manque un mécanisme d’accès interne. Bien que le paragraphe 101(1) rende la CIDPHN « responsable », la Caisse n’est pas une personne morale ayant la capacité de poursuivre ou d’être poursuivie. Cependant, par l’effet de l’article 109, l’absence de personnalité juridique de la CIDPHN n’empêche pas le régime de dernier recours de fonctionner. L’article 109 établit un moyen d’avoir accès à la responsabilité de la CIDPHN. Bien que les arguments de Haida donnent à penser qu’elle dispose d’un moyen de demande contre la CIDPHN sur le fondement du paragraphe 101(1), l’administrateur soutient qu’il n’est pas évident de savoir comment Haida, à titre de propriétaire du navire impliqué dans l’incident, pourrait intenter contre elle‑même une poursuite de manière à déclencher l’application de l’article 109 de la LRM, ce qui permettrait de trancher sa demande d’indemnisation.

[52] L’administrateur soutient que, en plus du régime de dernier recours, la partie 7 de la LRM prévoit ce que l’on appelle parfois le régime des demandes d’indemnisation de « premier recours » [le régime de premier recours], ainsi nommé parce que l’indemnisation pour dommages est soumise directement à l’administrateur sans avoir fait au préalable une tentative infructueuse auprès du propriétaire du navire. C’est par le truchement du paragraphe 103(1) que l’on accède au régime de premier recours. Les demandes fondées sur cette disposition sont examinées d’une manière conforme aux articles 105 et 106 de la LRM, lesquels énoncent la procédure à suivre, les droits fondamentaux et les obligations, les pouvoirs et les critères en matière d’évaluation et d’enquête qui concernent l’administrateur. Celui-ci soutient que les articles 105 et 106 ne s’appliquent qu’aux demandes d’indemnisation fondées sur l’article 103, ainsi qu’il est explicitement indiqué au paragraphe 105(1). L’article 106 dépend entièrement de l’article 105. De pair avec l’article 103, les articles 105 et 106 établissent un régime d’indemnisation complet. L’obligation qu’a l’administrateur d’indemniser les demandeurs dans le cadre du régime de premier recours ne découle pas des responsabilités que le paragraphe 101(1) confère à la CIDPHN. Elle découle plutôt de l’obligation d’arriver à une décision et, peut‑être, de faire une offre d’indemnité au sens de l’alinéa 105(1)b). Dans ce contexte, soutient l’administrateur, il est difficile de comprendre comment Haida s’attend à profiter de l’alinéa 101(1)b) de la LRM dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 103. Il n’existe à l’article 105 aucun mécanisme par lequel l’administrateur peut prendre en considération l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 101(1). Essentiellement, Haida demande que sa responsabilité, ou son absence de responsabilité, soit prise en considération dans le cadre d’un régime qui vise directement les dommages.

[53] L’administrateur fait valoir qu’à titre de propriétaire du seul navire impliqué dans l’incident, Haida n’aurait pas pu subir les dommages dont il est question au paragraphe 103(1) de la LRM. L’article 103 n’indique pas en soi quels types de dommages sont admissibles à une indemnisation. Il renvoie plutôt à d’autres dispositions – qui sont les mêmes que celles qui établissent le régime de responsabilité stricte qui s’applique aux propriétaires de navire. Plus précisément, l’article 103 autorise les demandes d’indemnisation de la part de toute personne « qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais visés aux articles 51, 71 ou 77 [de la LRM], à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute » (les dispositions en matière de responsabilités et de dommages), lesquels rendent tous les propriétaires de navire strictement responsables envers d’autres parties des dommages dus à la pollution. Le paragraphe 103(1) fait référence à la partie 6 et aux conventions, qui servent de point d’entrée à un droit à indemnisation. Le paragraphe 103(1) ne crée pas en soi une nouvelle catégorie de personnes qui peuvent obtenir un recouvrement. Il élargit plutôt les voies de recouvrement pour une catégorie existante de personnes – celles qui pourraient par ailleurs obtenir un recouvrement d’un propriétaire de navire. Selon l’administrateur, l’interprétation que fait Haida du paragraphe 103(1) vise à dissocier les dommages dont il est question dans ces dispositions de leur contexte – la responsabilité d’un propriétaire de navire – mais cela va à l’encontre de la méthode moderne d’interprétation législative. S’il était prévu que le paragraphe 103(1) s’applique de la manière dont l’interprète Haida, il n’y aurait aucune raison pour qu’on y fasse référence aux dispositions en matière de responsabilités et de dommages si la définition plus large des « dommages dus à la pollution » était suffisante, voire préférable.

[54] L’administrateur soutient également que le paragraphe 105(3) l’empêche d’évaluer l’« innocence » du propriétaire de navire dans le cadre du régime de premier recours et que ce fait pose problème pour l’interprétation de Haida. Aucun cadre n’est prévu pour cette évaluation au sein du régime de premier recours. La solution que propose Haida – que l’administrateur pourrait intenter une action par subrogation contre les propriétaires de navire – signifierait que, dans la présente affaire, l’administrateur aurait à payer près de 2 millions de dollars aux assureurs de Haida au Royaume‑Uni, l’idée étant de les poursuivre ensuite pour déterminer si le paiement avait été fait comme il faut. Cela fait violence au sens du mot « subrogation » ainsi qu’au texte du paragraphe 106(3). Il y a subrogation quand une partie subit une perte et qu’elle est indemnisée pour cette perte par une autre partie. L’indemnisateur acquiert ensuite les droits de la partie indemnisée contre des tiers, relativement à la perte subie. Un propriétaire de navire demandeur ne détient aucun droit de recouvrement contre lui‑même qu’il peut céder à l’administrateur – la subrogation n’est donc pas une solution.

[55] L’administrateur est également d’avis qu’en l’absence d’une véritable ambiguïté entre deux interprétations vraisemblables d’une loi ou plus il n’est pas nécessaire que la Cour recoure à des outils d’interprétation externes (renvoyant à l’arrêt Canadian Oxy Chemicals Ltd. c Canada (Procureur général), [1999] 1 RCS 743). En l’espèce, Haida n’a pas relevé de véritable ambiguïté dans le texte de la partie 7 et, de ce fait, elle avance indûment des arguments de principe. L’administrateur estime que sa propre interprétation est cohérente, qu’elle concorde avec les objets des parties 6 et 7 de la LRM et que, de ce fait, c’est cette interprétation que la Cour devrait faire sienne.

Analyse

[56] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’administrateur a interprété correctement le paragraphe 103(1) de la LRM; c’est‑à‑dire que les propriétaires de navire n’ont pas droit de demander une indemnité à la CIDPHN en vertu du paragraphe 103(1) lorsqu’ils sont propriétaires du seul navire impliqué dans un incident. C’est donc dire que l’administrateur a eu raison aussi de rejeter la demande de Haida.

[57] La Cour suprême du Canada a décrété que la méthode moderne qu’a exprimée Elmer Drieger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983) à la page 87 est la méthode d’interprétation législative qu’elle privilégie; plus précisément :

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Rizzo & Rizzo, au para 21; Bell ExpressVu Ltd Partnership c Rex, 2002 CSC 42, au para 26 [Bell ExpressVu]; Trustco c Canada, 2005 CSC 54, au para 10 [Trustco]).

[58] L’« interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » (Trustco, au para 10). De plus, la méthode moderne « reconnaît le rôle important que joue inévitablement le contexte dans l’interprétation par les tribunaux du texte d’une loi » (Bell ExpressVu, au para 27).

[59] Il faut également prendre en compte le contexte entier d’une disposition avant de pouvoir déterminer si elle peut raisonnablement faire l’objet de multiples interprétations (autrement dit, elle est ambiguë). Toutefois, « [c]’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes » (Bell ExpressVu, au para 29, citant l’arrêt Canadian Oxy Chemicals Ltd c Canada (Procureur général), 1999 1 RCS 743, au para 14 (souligné dans Bell ExpressVu)).

[60] Le libellé du paragraphe 103(1) est le suivant :

103 (1) En plus des droits qu’elle peut exercer contre la Caisse d’indemnisation en vertu de l’article 101, toute personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais mentionnés aux articles 51, 71 ou 77, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute à cause de dommages — réels ou prévus — dus à la pollution par les hydrocarbures peut présenter à l’administrateur une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, pertes et frais.

[61] Dans sa décision, l’administrateur a reconnu que les propriétaires de navire ne sont pas explicitement exclus en tant que « personnes » pouvant demander une indemnisation en vertu du paragraphe 103(1). Il a examiné le contexte du paragraphe 103(1) dans la LRM, les conventions et d’autres lois connexes en vue d’interpréter cette disposition; c’est‑à‑dire que son analyse a reposé sur des « cercles contextuels successifs », (Bristol‑Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, aux para 43‑44).

L’objet de la LRM

[62] L’administrateur a estimé que les parties 6 et 7 de la LRM ont pour objet d’établir la responsabilité des propriétaires de navire à l’égard de la pollution par les hydrocarbures causée par un navire et d’indemniser les personnes qui subissent des dommages dus à cette pollution selon un modèle fondé sur le principe du « pollueur‑payeur ».

[63] À mon avis, c’est ce qui ressort très clairement d’une simple lecture des parties 6 et 7 de la LRM. Autrement dit, il existe un fondement textuel à l’interprétation de l’administrateur. Les dispositions en matière de responsabilités et de dommages (les articles 51, 71 et 77 de la LRM, l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute) qui figurent à la partie 6 créent un régime de responsabilité stricte interdépendant et international dans le cadre duquel les propriétaires de navire sont présumés – c’est‑à‑dire strictement – responsables des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et des frais connexes, ce qui inclut les mesures de prévention ou d’atténuation, qui résultent d’un rejet réel ou prévu dont leur navire est la cause. Il est également fait référence à ces dispositions à la partie 7 de la LRM, à l’article 101 et au paragraphe 103(1), lesquels permettent aux personnes qui subissent des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un navire de solliciter une indemnité auprès du propriétaire du navire ou de la CIDPHN.

[64] En ce qui concerne la partie 7, dans l’arrêt Adventurer Owner Ltd c Canada, 2018 CAF 34 [Adventurer Owner Ltd] la Cour d’appel fédérale a décrété :

[44] La partie 7 de la LRMM est intitulée « Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires ». Son principal objet est de constituer (ou de proroger, puisque la CIDPHN existe depuis 1989) un régime d’indemnisation canadien fondé sur le principe du « pollueur‑payeur » visant à indemniser les victimes de la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, qui comprend un délai fixé pour la présentation de leur réclamation.

[65] L’administrateur soutient qu’il s’agit là du principe qui sous‑tend le régime législatif dans son ensemble.

[66] Invoquant l’arrêt BC v SOPF, Haida semble contester ce point de vue. Dans cet arrêt, l’administrateur avait demandé un remboursement à la province de la Colombie‑Britannique [la province], à titre de propriétaire d’un navire polluant, pour les frais que la CIDPHN avait supportés conformément à la LRM. La propriété du navire avait été dévolue à la province quand l’entreprise qui en était propriétaire avait été dissoute. L’affaire avait principalement trait à la question de savoir si le juge du procès avait commis une erreur au sujet de la dissolution de l’entreprise qui possédait auparavant le navire.

[67] La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a fait remarquer que l’argument de la province reposait sur l’acceptation de la thèse selon laquelle la LRM avait pour but d’établir un régime fondé sur le principe du « pollueur‑payeur ». La province faisait valoir, en partie, qu’il aurait fallu que le juge du procès exerce son pouvoir discrétionnaire pour ordonner le rétablissement de l’entreprise dissoute, sans réserve, en se fondant sur l’objet de la LRM, lequel objet, toujours selon la province, consistait à faire appliquer une approche fondée sur le principe du « pollueur‑payeur » vis-à-vis de la protection de l’environnement. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a déclaré :

[TRADUCTION]

[22] À mon avis, le juge en chambre a eu raison de rejeter cette thèse. Le libellé clair de la Loi impose au propriétaire une responsabilité à l’égard du coût des mesures préventives au moment où celles-ci sont prises. Contrairement aux dispositions législatives qui étaient en litige dans Tundra Turbos, la Loi n’impose pas aux personnes responsables une responsabilité « de manière absolue, rétroactive et conjointe et séparée ». Bien que la Loi sur la responsabilité en matière maritime impose une responsabilité aux personnes dont la faute ou la négligence cause la mort, des blessures corporelles ou des dommages matériels (partie 1 et 2, sous réserve des limites décrites aux parties 3 à 5), la responsabilité du coût des mesures prises pour éviter ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution n’est pas décrite en lien avec la faute ou la négligence, il s’agit d’un attribut de propriété. Le fait d’imposer une responsabilité à la personne qui détient les droits du propriétaire du navire en ce qui concerne sa possession et son usage au moment où les frais de nettoyage sont engagés concorde avec l’objectif qui consiste à prévenir et à réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

[68] La Cour d’appel a de plus décrété que la province était responsable des dommages causés par le navire, malgré le fait qu’elle n’en était propriétaire que par seule application de la loi et qu’elle n’avait joué aucun rôle dans les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

[69] À mon avis, l’arrêt BC v SOPF étaye la position de l’administrateur, dans l’affaire qui m’est soumise, à savoir que les parties 6 et 7 de la LRM sont axées sur la responsabilité des propriétaires de navire, non pas à cause d’une faute qu’ils ont commise ou de leur « non‑innocence », mais plutôt à cause de leur statut de propriétaire de navire. C’est‑à‑dire que leur responsabilité stricte à l’égard des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, tels que décrits dans les dispositions en matière de responsabilités et de dommages, dérive du fait qu’ils sont propriétaires d’un navire.

[70] Je ne suis pas tout à fait sûre non plus que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a bel et bien conclu que le principe du pollueur‑payeur n’est pas un principe sous‑jacent de la LRM. Quoi qu’il en soit, je conviens avec ce que la Cour d’appel fédérale a décrété dans l’arrêt Adventurer Owner Ltd, à savoir que l’objet principal de la partie 7 de la LRM est de permettre à la CIDPHN d’administrer un régime d’indemnisation qui repose sur le principe du pollueur‑payeur.

[71] À cet égard, dans les observations écrites où elle fait référence à l’arrêt BC v SOPF, Haida indique que les dispositions de la LRM qui concernent la CIDPHN [traduction] « ne doivent pas être interprétées comme étant, à strictement parler, un régime fondé sur le principe du pollueur‑payeur ». Devant moi, il est devenu évident que, de l’avis de Haida, le principe du pollueur‑payeur ne pourrait s’appliquer que dans les situations de responsabilité absolue et non de responsabilité stricte, comme c’est le cas des parties 6 et 7 de la LRM. Il s’agit peut‑être là de la distinction qu’a évoquée la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt BC v SOPF.

[72] L’opinion de Haida selon laquelle le régime que créent les parties 6 et 7 n’est pas fondé sur le principe du pollueur‑payeur semble avoir pour but d’étayer son argument que, dans le cadre du régime de responsabilité stricte, elle dispose d’une défense et que, de ce fait, elle n’est pas un « pollueur » et, cela étant, qu’elle n’a pas à « payer ». Subsidiairement, comme il est mentionné dans ses observations écrites, cet argument est destiné à renforcer la position selon laquelle un propriétaire de navire qui dispose d’une défense sous le régime de la LRM n’est [traduction] « pas techniquement “un pollueur” et le fait d’indemniser un tel propriétaire innocent ne saurait porter atteinte au principe du pollueur‑payeur ». Pourtant, ce dernier argument semble dénoter que Haida admet bel et bien que le principe du pollueur‑payeur s’applique. De plus, l’idée que Haida n’est pas techniquement un pollueur est sans fondement. Haida ne nie pas que le rejet provenait de son navire.

[73] Comme l’a conclu l’administrateur, la responsabilité d’un propriétaire de navire à l’égard de la pollution par les hydrocarbures est stricte, sous réserve de certaines défenses limitées que peuvent invoquer les propriétaires de navire contre de telles demandes d’indemnisation. Il n’est pas du tout évident à mes yeux qu’un régime de responsabilité stricte ne peut pas être fondé lui aussi sur le principe du pollueur‑payeur. Dans la mesure où c’est ce que Haida laisse entendre, je ne suis pas d’accord.

[74] À mon avis, l’administrateur a interprété correctement l’objet des parties 6 et 7 de la LRM, c’est‑à‑dire que celles-ci établissent la responsabilité stricte des propriétaires de navire à l’égard de la pollution par les hydrocarbures causée par un navire et qu’elles prévoient l’octroi d’une indemnisation aux personnes qui subissent des dommages dus à cette pollution en prenant pour base un modèle fondé sur le principe du « pollueur‑payeur ».

[75] Les parties 6 et 7 ne sont pas, comme le laisse entendre Haida, principalement axées sur une protection anticipée de l’environnement. À cet égard, elle soutient également qu’il faut prendre en considération la question de savoir si l’on sert l’objet de la LRM ou si on y porte atteinte en recourant à une interprétation qui empêcherait un propriétaire de navire « innocent » (c’est-à-dire, qui dispose de l’une des défenses dont il est question à l’alinéa 101(1)b)) de présenter une demande d’indemnisation en vertu de la LRM. Haida laisse entendre, notamment, que les propriétaires de navire et leurs assureurs qui n’ont pas droit à une indemnisation sont peu susceptibles d’engager des frais d’intervention en cas de pollution et font ainsi courir un risque à l’environnement.

[76] L’administrateur soutient que Haida invoque en fait un argument de principe inadmissible. J’incline à partager cet avis. Cependant, dans la mesure où Haida laisse entendre que les propriétaires de navire et leurs assureurs ne prendraient pas de mesures d’intervention immédiates contre la pollution par les hydrocarbures causée par leur navire – en présumant que l’incident a été entièrement causé par une action ou une omission d’un tiers dans l’intention de causer des dommages, mais que le propriétaire du navire ne serait pas en mesure de recouvrer les frais connexes auprès de la CIDPHN – cela ne semble pas être la démarche qu’entreprendrait soit un propriétaire de navire responsable soit un assureur responsable. Cela n’a pas été le cas de Haida non plus.

[77] Plus important encore, et comme l’a fait remarquer l’administrateur lorsqu’il a comparu devant moi, aux termes du paragraphe 180(1) de la LMMC, si le ministre des Pêches et des Océans a des motifs raisonnables de croire qu’un navire a rejeté, rejette ou pourrait rejeter un polluant, il peut prendre les mesures prévues, lesquelles consistent à ordonner à toute personne ou tout navire de prendre les mesures requises pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution causée par ce navire. Les personnes ou les navires qui se conforment à une telle directive seront indemnisés par le Canada – à l’exception de l’exploitant du navire qui a rejeté les hydrocarbures. Commet une infraction la partie qui ne répond pas à une telle ordonnance (LMMC, art 183(1)l)). Par ailleurs, si un navire est tenu de disposer d’un plan d’urgence de bord contre la pollution par les hydrocarbures, ce navire est dans ce cas tenu de prendre les mesures voulues pour mettre ce plan à exécution en cas d’incident de pollution par les hydrocarbures, et toute omission à cet égard constitue là aussi une infraction (LMMC, art 188, art 191(1)b)).

[78] En bref, je ne suis pas d’accord avec Haida que l’objet principal des parties 6 et 7 de la LRM est la protection anticipée de l’environnement. La LRM n’est pas une loi vouée à la protection de l’environnement. L’argument de Haida selon lequel on porterait atteinte à l’objet des parties 6 et 7 de la LRM si les propriétaires de navire et leurs assureurs, qui sont exclus de toute indemnisation parce qu’ils seraient peu susceptibles d’engager des frais d’intervention en cas de pollution et qu’ils feraient ainsi courir un risque à l’environnement, fait abstraction du fait que les propriétaires de navire qui refusent d’intervenir à la suite d’un incident de pollution par les hydrocarbures causée par leur propre navire s’exposent potentiellement à un éventail nettement plus large de risques que le simple fait de ne pas pouvoir présenter à la CIDPHN une demande d’indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM.

Des processus de demande d’indemnisation distincts – Le paragraphe 101(1) et l’article 103

[79] L’administrateur a également considéré que le paragraphe 101(1) et le paragraphe 103(1) offrent à toute personne qui subit des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un navire, y compris les frais connexes, des mécanismes distincts pour solliciter une indemnisation, car ces deux dispositions ne sont pas interdépendantes et s’appliquent de façon indépendante l’une de l’autre. C’est‑à‑dire que même si Haida, comme elle le soutient, dispose d’une défense, aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LRM, contre sa responsabilité stricte à l’égard de la pollution par les hydrocarbures, cela ne lui donne pas droit à une indemnisation pour les frais qu’elle a elle‑même supportés pour répondre à l’incident par la voie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM.

[80] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’administrateur a interprété correctement ces dispositions.

[81] Le paragraphe 101(1) énonce les circonstances dans lesquelles la CIDPHN assume les responsabilités prévues aux articles 51, 71 et 77 de la LRM, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute. Essentiellement, elle assume ce qui aurait été par ailleurs les responsabilités du propriétaire de navire polluant dans les cas où l’une quelconque des circonstances énumérées aux alinéas 101(1)a) à h) excluent tout recouvrement de la part du propriétaire de navire. Ces circonstances sont les suivantes : il a été impossible d’obtenir une indemnité de la part du propriétaire du navire polluant, le propriétaire du navire dispose d’une défense précisée, la créance excède la limite fixée à la responsabilité du propriétaire du navire, ou le propriétaire du navire est incapable financièrement de remplir les obligations qui lui sont imposées. En fait, le paragraphe 101(1) sert à protéger et à indemniser les demandeurs au cas où le propriétaire du navire polluant ne remplit pas ou, s’il dispose d’une défense, n’est pas tenu de remplir les obligations que lui impose le régime de responsabilité stricte à l’égard de l’atténuation de la pollution par les hydrocarbures.

[82] Comme le fait remarquer l’administrateur, le paragraphe 101(1) ne comporte pas le mécanisme ou le processus par lequel une telle demande d’indemnisation peut être présentée à la CIDPHN. Ce mécanisme figure plutôt au paragraphe 109(1), qui précise que si un demandeur engage une action contre le propriétaire d’un navire à l’égard d’une question mentionnée aux articles 51, 71 ou 77 de la LRM (à l’exception de l’alinéa 77(1)c), qui n’est pas pertinent en l’espèce), de l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou de l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, il s’ensuit que l’acte introductif d’instance doit être signifié à l’administrateur, qui est tenu de comparaître et de prendre les mesures qu’il juge à propos pour la bonne gestion de la CIDPHN, notamment conclure une transaction avant ou après jugement.

[83] Je ne souscris pas à l’argument de Haida selon lequel, aux termes du paragraphe 101(1) de la LRM, il est possible d’engager directement une action contre la CIDPHN pour les questions mentionnées dans les dispositions en matière de responsabilités et de dommages si le propriétaire du navire n’est pas tenu responsable en raison de l’une quelconque des défenses dont il dispose, notamment l’alinéa 77(3)b) de la LRM ou l’alinéa 3(3)b) de la Convention sur les hydrocarbures de soute.

[84] Les responsabilités qu’assume la CIDPHN, aux termes du paragraphe 101(1), prennent naissance lorsqu’un demandeur a intenté une action contre le propriétaire de navire polluant en vue d’obtenir une indemnisation mais que, pour les raisons énoncées aux alinéas 101(1)a) à h), le demandeur ne peut pas recouvrer ce qu’il demande. Dans ce contexte, comme le décrit l’administrateur, il s’agit d’une demande d’indemnisation de dernier recours car le demandeur doit tout d’abord tenter d’obtenir une indemnité du propriétaire de navire avant de pouvoir s’adresser à la CIDPHN. Cependant, comme l’a conclu l’administrateur, Haida, en tant que propriétaire du navire polluant, ne peut pas engager une action contre elle‑même. De ce fait, elle ne peut pas déclencher l’application de l’article 109 – qui constitue le point d’entrée pour l’administrateur – ce qui lui permettrait de participer à l’action engagée par le demandeur et de répondre aux responsabilités que la CIDPHN assume en vertu du paragraphe 101(1).

[85] En revanche, le paragraphe 103(1) porte sur les demandes d’indemnisation qui sont soumises directement à l’administrateur.

[86] Le paragraphe 103(1) indique explicitement : « [e]n plus des droits qu’elle peut exercer contre la Caisse d’indemnisation en vertu de l’article 101, toute personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais visés aux articles 51, 71 ou 77, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute pour tout type de frais, pertes ou dommages, en raison des dommages — réels ou prévus — dus à la pollution par les hydrocarbures peut présenter à l’administrateur une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, pertes et frais » (non souligné dans l’original).

[87] Le paragraphe 105(1) indique que lorsque l’administrateur reçoit une demande en recouvrement de créance en vertu de l’article 103, il fait enquête sur la créance et l’évalue (alinéa 105(1)a)) et il fait une offre d’indemnité au demandeur pour la partie de la demande qu’il juge recevable (alinéa 105(1)b)). Lorsqu’il fait enquête sur une demande en recouvrement de créance et qu’il l’évalue, l’administrateur ne peut prendre en considération que les aspects suivants : si la demande s’applique aux pertes, aux dommages ou aux frais mentionnés au paragraphe 103(1) et si la demande résulte, en tout ou en partie, soit d’une action ou d’une omission du demandeur visant à causer un dommage, soit de la négligence de ce dernier (paragraphe 105(3)).

[88] Si l’administrateur fait une offre d’indemnité à un demandeur en vertu de l’alinéa 105(1)b) et si cette offre est acceptée, alors, aux termes de l’alinéa 106(3)c), l’administrateur est, dans la limite de la somme versée au demandeur, subrogé dans les droits du demandeur qui sont visés à l’alinéa 106(3)b), c’est‑à‑dire les droits que le demandeur peut avoir par ailleurs contre qui que ce soit à l’égard des questions visées aux articles 51, 71 et 77 de la LRM, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute. L’administrateur doit ensuite prendre toutes les mesures raisonnables pour recouvrer la somme qu’il a versée auprès du propriétaire de navire, du Fonds international, du Fonds complémentaire ou de toute autre personne responsable, et il peut intenter une action en son nom ou au nom du demandeur à cette fin (alinéa 106(3)d)).

[89] Le régime d’indemnisation que prévoit le paragraphe 103(1) se compose donc des paragraphes 103(1) et 105(1) ainsi que des alinéas 106(3)c) et d). Il n’existe au paragraphe 103(1) aucune disposition par laquelle les critères énoncés au paragraphe 101(1) – qui engagent la responsabilité de la CIDPHN à l’égard des actions qu’intentent des demandeurs contre des propriétaires de navire – jouent un rôle dans les décisions que prend l’administrateur pour régler les demandes d’indemnisation qui lui sont présentées directement par le truchement du paragraphe 103(1).

[90] À mon avis, selon une simple lecture du paragraphe 101(1), du paragraphe 103(1) et des dispositions connexes que je viens de décrire, l’administrateur a considéré avec raison que le paragraphe 101(1) et le paragraphe 103(1) sont des voies séparées et distinctes par lesquelles les demandeurs peuvent demander une indemnisation pour les dommages dus à la pollution causée par les hydrocarbures et les frais connexes. Plus précisément, Haida a présenté sa demande d’indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM. Rien dans cette disposition ne donne à penser que l’affirmation de Haida selon laquelle elle dispose d’une défense évoquée à l’alinéa 101(1)b) est un facteur qui entre en jeu quand l’administrateur évalue une demande d’indemnisation présentée en vertu du paragraphe 103(1).

[91] Je suis d’accord avec l’administrateur que ce fait à lui seul permet de trancher l’appel de Haida.

[92] Je vais toutefois examiner certains des arguments que Haida a avancés quant à son avis qu’il y a une corrélation manifeste entre le paragraphe 101(1) et le paragraphe 103(1).

Aucune corrélation entre les paragraphes 101(1) et 103(1)

[93] Je signale tout d’abord que, au paragraphe 103(1), la seule référence qui est faite à l’article 101 est la mention selon laquelle en plus des droits qu’elle peut exercer contre la CIDPHN en vertu de cet article, toute personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais mentionnés dans les dispositions en matière de responsabilités et de dommages à cause de dommages – réels ou prévus – dus à la pollution par les hydrocarbures peut présenter à l’administrateur une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, ces pertes ou ces frais. Cela ne dénote pas que ces dispositions sont interdépendantes. En outre, même si les paragraphes 101(1) et 103(1) font tous deux référence aux dispositions en matière de responsabilités et de dommages, une telle structure serait inutile si le paragraphe 103(1) dépendait du paragraphe 101(1) ou s’il y était lié. Si telle était l’intention, le paragraphe 103(1) pourrait dans ce cas faire simplement référence aux « questions visées à l’article 101 ». Par exemple, c’est l’approche qui a été suivie au paragraphe 105(3) de la LRM, où l’alinéa 105(3)a) indique que, dans le cadre de son enquête et de son évaluation, l’administrateur ne prend en considération que la question de savoir « si la créance est visée par le paragraphe 103(1) ». L’emploi de ces termes montre la relation qui existe entre les articles 103 et 105 et que le régime que prévoit le paragraphe 103(1) s’applique séparément et s’ajoute aux responsabilités qu’assume la CIDPHN aux termes du paragraphe 101(1). Le paragraphe 103(1) ne dépend pas de ces responsabilités.

i. L’article 105

[94] Haida soutient que la manière dont l’administrateur interprète l’alinéa 105(3)a) est viciée. Selon elle, l’examen que fait l’administrateur d’une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1) consiste, notamment, à déterminer si les frais réclamés sont mentionnés à l’article 71 (Convention sur les hydrocarbures de soute) ou à l’article 77. Ces deux articles, soutient-elle, permettent de déterminer la responsabilité d’un propriétaire de navire. C’est donc dire que les « facteurs à considérer » en vertu de l’alinéa 105(3)a), et par notre Cour en vertu du paragraphe 106(2), consistent à prendre en considération les facteurs qui, d’après le paragraphe 101(1), donnent naissance aux responsabilités de la CIDPHN.

[95] Une simple lecture du paragraphe 105(3) n’étaye pas l’interprétation que fait Haida. Aux termes du paragraphe 105(1), quand l’administrateur reçoit une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1), il est tenu de faire deux choses : i) enquêter sur la demande et l’évaluer, et ii) faire une offre d’indemnité au demandeur pour la partie de la demande qu’il juge recevable. Le paragraphe 105(3) délimite la portée des facteurs que l’administrateur peut prendre en considération lorsqu’il le fait :

Facteurs à considérer

(3) Dans le cadre de l’enquête et de l’évaluation, l’administrateur ne prend en considération que la question de savoir :

a) d’une part, si la créance est visée par le paragraphe 103(1);

b) d’autre part, si la créance résulte, en tout ou en partie :

(i) soit d’une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage,

(ii) soit de sa négligence.

[…]

[96] Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 106(2) porte sur les appels des décisions que prend l’administrateur en vertu de l’article 103 :

106(2) Le demandeur peut, dans les soixante jours suivant la réception de l’offre d’indemnité ou de l’avis de rejet de sa demande, interjeter appel devant la Cour d’amirauté; dans le cas d’un appel du rejet de la demande, la Cour d’amirauté ne prend en considération que les faits mentionnés aux alinéas 105(3)a) et b).

[97] Le paragraphe 105(3) limite expressément les facteurs que l’administrateur peut prendre en considération pour évaluer une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1). La responsabilité du propriétaire d’un navire n’en fait pas partie. Le paragraphe 103(1) permet à une personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais visés aux articles 51, 71 ou 77 de la LRM, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute de déposer, directement auprès de l’administrateur, une demande en recouvrement de créance à l’égard de ces dommages, de ces pertes et de ces frais. Cela repose sur la responsabilité stricte du propriétaire de navire. C’est à cause de cette présomption de responsabilité stricte que l’administrateur, quand il examine une demande fondée sur le paragraphe 103(1), n’a pas besoin d’évaluer la responsabilité du propriétaire du navire. À l’inverse, pour déclencher la responsabilité de la CIDPHN et la participation de l’administrateur, la présentation d’une demande fondée sur le paragraphe 101(1) exige du demandeur qu’il engage tout d’abord une action contre le propriétaire de navire polluant en vue de régler la question de la responsabilité – une action au cours de laquelle le propriétaire de navire peut faire valoir toute défense disponible. Le paragraphe 103(1), contrairement au paragraphe 101(1), n’exige pas du demandeur qu’il établisse la responsabilité du propriétaire de navire. En fait, selon le paragraphe 105(4), le demandeur n’est même pas tenu de convaincre l’administrateur que l’incident a été causé par un navire – encore que celui-ci peut rejeter une demande s’il n’est pas convaincu par la preuve que cela n’a pas été le cas.

[98] Haida soutient également que l’argument selon lequel l’administrateur et la Cour sont, conformément aux paragraphes 105(3) et 106(2), sans compétence et donc incapables d’examiner si le propriétaire de navire a établi une défense visée au paragraphe 77(3) contre les obligations que lui impose le paragraphe 77(1) en matière de responsabilité stricte, est tout simplement erroné et contraire à la jurisprudence. À cet égard, Haida fait référence, dans une note de bas de page, à la décision L’Administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires c Beasse, 2018 CF 39 [Beasse].

[99] Cependant, dans l’affaire Beasse, l’administrateur avait déposé une requête en jugement sommaire à l’égard d’une action subrogée contre le propriétaire du navire. Le juge Manson a indiqué que les questions dont il était saisi consistaient à savoir s’il était approprié de tenir un procès sommaire selon l’article 216 des Règles des Cours fédérales et, dans l’affirmative, s’il convenait de rendre un jugement sommaire. En examinant si l’affaire devait procéder ou non par la voie d’un jugement sommaire, le juge Manson a conclu que l’administrateur avait établi que les frais engagés pour cause de pollution avaient été causés par le premier naufrage du navire [le premier naufrage]. Il a déclaré qu’il était d’accord avec l’administrateur pour dire qu’il incombait dans ce cas au défendeur – le propriétaire du navire – de prouver sa défense de responsabilité d’un tiers au sens de l’alinéa 77(3)b) de la LRM. Le juge Manson a conclu que « [l]e défendeur n’a pas réussi à soulever de véritable question litigieuse en s’appuyant sur une théorie purement spéculative voulant qu’une tierce partie soit à l’origine du premier naufrage, alors que les faits montrent que, selon la prépondérance des probabilités, une telle activité n’a pas eu lieu » (au paragraphe 42, non souligné dans l’original). Le propriétaire du navire défendeur ne s’était pas acquitté de son obligation de « présenter ses meilleurs arguments ». Le juge Manson a conclu que la tenue d’un procès ne servirait à rien d’utile car les éléments de preuve ne feraient pas davantage la lumière sur les faits relatifs au premier naufrage que ceux dont la Cour était déjà saisie. Aucun élément de preuve n’étayait une conclusion d’implication d’un tiers qui justifierait que l’on invoque la défense prévue à l’alinéa 77(3)b) de la LRM et, de ce fait, il était dans l’intérêt de la justice que la Cour tranche l’affaire par voie de jugement sommaire.

[100] Il est important de signaler que Beasse n’est pas une affaire dans laquelle une demande en recouvrement de créance a été présentée à l’administrateur en vertu du paragraphe 103(1) de la LRM et a été rejetée, donnant ainsi lieu à un appel devant la Cour aux termes du paragraphe 106(2) de la LRM, ce qui est la situation dont je suis présentement saisie. Dans Beasse, c’était plutôt la GCC qui avait présenté à l’administrateur une demande en recouvrement de créance pour les frais qu’elle avait engagés en répondant à l’incident. L’administrateur avait payé la créance et intenté une action subrogée contre le propriétaire du navire. Ce dernier, semble-t-il, avait alors invoqué une défense fondée sur l’alinéa 77(3)b) (à savoir que l’incident avait été entièrement causé par une action ou une omission d’un tiers dans l’intention de causer des dommages) contre sa responsabilité stricte en réponse à cette action subrogée.

[101] Selon moi, la décision Beasse n’étaye pas la thèse que, dans un appel introduit en vertu du paragraphe 106(2) de la LRM, notre Cour peut prendre en considération la défense visée au paragraphe 77(3) ou d’autres défenses dont dispose le propriétaire de navire et, par extension, que l’administrateur peut considérer ces défenses comme des facteurs prévus au paragraphe 105(3).

[102] En résumé, l’argument de Haida, à savoir que les « facteurs à considérer » à l’alinéa 105(3)a) doivent inclure un examen des facteurs déclenchant les responsabilités de la CIDPHN que prévoit le paragraphe 101(1) parce que les articles 71 et 77 permettent de déterminer la responsabilité du propriétaire de navire, est directement contredit par le libellé explicite du paragraphe 105(3). Par ailleurs, la décision Beasse n’étaye pas l’argument de Haida. Cet argument va aussi à l’encontre de l’intention du paragraphe 103(1), qui est de permettre aux demandeurs de présenter directement une demande à l’administrateur. Les demandes de cette nature peuvent être rapidement tranchées en ne prenant en considération que les facteurs limités qui sont énoncés. Introduire une obligation selon laquelle l’administrateur doit également évaluer la responsabilité du propriétaire de navire et toute défense disponible contre sa responsabilité stricte serait contraire à l’intention du régime d’indemnisation que prévoit le paragraphe 103(1) et fait abstraction du fait que ce paragraphe repose sur la prémisse que la responsabilité stricte du propriétaire de navire est présumée. Le paragraphe 103(1) n’établit pas non plus un cadre en vertu duquel l’administrateur pourrait procéder à une telle évaluation.

ii. L’article 102

[103] Haida affirme que la manière dont l’administrateur interprète le paragraphe 103(1) omet de faire référence de quelque manière à l’article 102 de la LRM. Selon elle, cet article autorise un droit de recouvrement à l’encontre d’un propriétaire de navire qui n’a aucune défense contre une demande d’indemnisation. Elle soutient que l’article 102 [traduction] « fait perdre tout son sens à toute demande de la part d’un propriétaire de navire qui ne dispose d’aucune défense car une telle demande se heurterait à une action en subrogation fondée sur l’article 102 », tandis qu’un [traduction] « propriétaire de navire qui dispose d’une défense [un propriétaire “innocent”] ne peut faire l’objet d’une telle action ». De ce fait, soutient Haida, il est important de prendre en considération l’article 102 [traduction] « au moment d’évaluer la corrélation entre les articles 101 et 103 » et pourtant, l’administrateur, dans son interprétation du paragraphe 103(1) de la LRM, a omis de tenir compte de ce fait. Haida soutient que le droit de subrogation que prévoit l’article 102 [traduction] « boucle la boucle » pour les propriétaires de navire qui ne disposent pas d’une défense fondée sur les articles 71 ou 77.

[104] Comme je l’ai conclu plus tôt, il n’y a aucune corrélation entre le paragraphe 101(1) et le paragraphe 103(1) de la LRM.

[105] En tout état de cause, le paragraphe 102(1) prévoit que s’il survient un événement dont la responsabilité est imputable au propriétaire d’un navire au titre des articles 51, 71 ou 77 de la LRM, de l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou de l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, l’administrateur peut, avant ou après avoir reçu une demande d’indemnisation visée à l’article 103, intenter une action réelle contre le navire. Cependant, il ne peut continuer cette action que s’il est subrogé dans les droits du demandeur aux termes de l’alinéa 106(3)c). Cet alinéa précise que si le demandeur accepte une offre d’indemnité de l’administrateur, ce dernier est, dans la limite de la somme versée au demandeur, subrogé dans les droits de celui‑ci qui sont visés à l’alinéa 106(3)b) – c’est‑à‑dire les droits que le demandeur peut avoir par ailleurs contre qui que ce soit à l’égard des questions visées aux articles 51, 71 et 77 de la LRM, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute.

[106] L’administrateur fait remarquer que le paragraphe 105(3) empêche l’administrateur de déterminer la responsabilité d’un propriétaire d’un navire. Autrement dit, il n’existe aucun cadre pour évaluer la responsabilité de ce propriétaire dans le contexte de l’évaluation d’une demande d’indemnisation fondée sur le paragraphe 103(1). L’administrateur ne convient pas que cette absence de cadre est remédiée, comme le soutient Haida, par voie de subrogation.

[107] À mon avis, la manière dont Haida interprète le rôle et l’application de l’article 102 est artificielle et ne reflète pas l’objet et l’économie d’une demande d’indemnité fondée sur le paragraphe 103(1). Cette économie est que si l’administrateur, après avoir évalué une demande d’indemnisation qui lui a été présentée directement – laquelle évaluation n’inclut pas une prise en compte de la responsabilité – fait une offre d’indemnité, il devient dans ce cas subrogé dans les droits du demandeur et peut tenter de recouvrer la somme payée à titre d’indemnité (paragraphes 103(1), 105(1), 105(3) et 106(1), et alinéas 106(3)b)‑d)). Plus précisément, l’administrateur est tenu de prendre toutes les mesures raisonnables « pour recouvrer auprès du propriétaire du navire, du Fonds international, du Fonds complémentaire ou de toute autre personne responsable la somme qu’il a versée ». Par ailleurs, il peut introduire une action en son nom ou au nom du demandeur à cette fin (alinéa 106(3)d)). Habituellement, le propriétaire du navire sera la cible de l’action subrogée car c’est lui qui assume la responsabilité stricte des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, ainsi que des frais connexes. À ce stade, le propriétaire du navire pourrait faire valoir toutes les défenses dont il pourrait disposer (Beasse).

[108] Le paragraphe 103(1) constitue la première demande d’indemnité directe de premier recours à l’administrateur, et toute action par subrogation de la part de celui-ci ne fonctionne tout simplement pas dans la situation où le demandeur est le propriétaire du navire polluant qui est strictement responsable des dommages. Premièrement, il y a fort peu de chances que l’administrateur paie une demande d’indemnité à un propriétaire de navire polluant strictement responsable des dommages compte tenu du régime de responsabilité stricte que prévoient les parties 6 et 7 et du principe sous‑jacent du pollueur‑payeur. Deuxièmement, même si c’était le cas, le propriétaire du navire ne peut pas céder à l’administrateur son droit subrogé pour intenter une poursuite contre lui‑même. En fait, cela empêcherait l’administrateur d’engager une action subrogée et de s’acquitter de son obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour recouvrer les sommes payées à titre d’indemnisation. Troisièmement, laisser entendre que l’administrateur introduirait plutôt une action contre le propriétaire de navire polluant en vue de déterminer si, en vertu de l’article 77, ce propriétaire dispose d’une défense contre la demande d’indemnité et est donc en droit de conserver l’indemnité payée à l’égard de l’événement, déborde le cadre du régime des demandes d’indemnité fondées sur le paragraphe 103(1) et introduit à tort un critère et une évaluation de responsabilité qui ne font pas partie de ce processus. Il ne ressort pas clairement non plus de la loi que l’administrateur aurait le pouvoir de le faire.

[109] Je conclus donc que le fait d’avoir omis de faire référence à l’article 102 ne rend pas inexacte l’interprétation que fait l’administrateur du paragraphe 103(1). Étant donné qu’aux termes du paragraphe 105(3) l’administrateur ne peut pas déterminer la responsabilité d’un propriétaire de navire, l’article 102 ne s’applique pas, pas plus qu’il ne sert à introduire une détermination, après le règlement, de la responsabilité d’un propriétaire de navire polluant dans le processus direct de demande en recouvrement de créance que prévoit le paragraphe 103(1).

Conclusion

[110] Les parties ont invoqué divers autres arguments, mais il n’est nul besoin que je traite de chacune de ces questions car, essentiellement, les motifs qui précèdent les englobent ou les règlent. J’ajouterais également que l’administrateur a, dans sa décision, non seulement interprété correctement le paragraphe 103(1) mais aussi formulé un raisonnement exhaustif.

[111] Je conclus que l’administrateur a interprété correctement le paragraphe 103(1) de la LRM en le considérant comme un processus de demande d’indemnité distinct de celui qui est énoncé au paragraphe 101(1). Les demandes fondées sur le paragraphe 103(1) sont soumises directement à l’administrateur, qui est explicitement autorisé à faire enquête sur elles et à les évaluer, en ne prenant en considération que les deux facteurs mentionnés au paragraphe 105(3) – dont ni l’un ni l’autre n’inclut la question de savoir si le propriétaire d’un navire dispose d’une défense contre sa responsabilité stricte. Cette interprétation concorde également avec l’objet des parties 6 et 7 de la LRM. C’est‑à‑dire que les propriétaires de navire sont tenus pour strictement responsables de la pollution par les hydrocarbures causée par leur navire et sont assujettis au concept sous‑jacent du « pollueur‑payeur ». Le paragraphe 103(1) repose sur la prémisse que les propriétaires de navire sont présumés assumer une responsabilité stricte. Cette disposition sert de régime d’indemnisation de premier recours qui permet à ceux qui ont subi les pertes ou les dommages ou engagé les frais visés aux articles 51, 71 ou 77 de la LRM, à l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute de présenter une demande d’indemnisation directement à l’administrateur. Un propriétaire de navire polluant ne peut pas se prévaloir de l’une des défenses en matière de responsabilité qu’offre le régime d’indemnisation prévu au paragraphe 101(1) pour demander une indemnisation en vertu du paragraphe 103(1). L’administrateur a considéré avec raison que le paragraphe 103(1) de la LRM ne confère pas à un propriétaire de navire le droit de recouvrer les frais qu’il a engagés pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages potentiels dus à la pollution par les hydrocarbures qui découlent d’un incident causé uniquement par son propre navire.

Les dépens

[112] Les deux parties ont sollicité les dépens, mais ni l’une ni l’autre n’ont présenté d’observations quant à leur montant.

[113] Conformément au paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, la Cour peut prendre en considération les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, lesquels comprennent : le résultat de l’instance, l’importance et la complexité des questions en litige, le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens, la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance, de même que toute autre question que la Cour juge pertinente. La Cour peut fixer la totalité ou une partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés (paragraphe 400(4) des Règles).

[114] Je suis d’avis qu’il convient, dans la présente affaire, d’accorder à l’administrateur, la partie qui a eu gain de cause, des dépens fondés sur la colonne III du tarif B.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑1375‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’appel est rejeté;

  2. Les dépens, fondés sur la colonne III du tarif B, sont adjugés en faveur de l’administrateur.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1375‑21

 

INTITULÉ :

HAIDA TOURISM LIMITED PARTNERSHIP FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE DE WEST COAST RESORTS c L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉOCONFÉrence VIA Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2022

 

COMPARUTIONS :

W. Gary Wharton

Harry Ormiston

 

POUR L’APPELANTE

 

Cameron Grant

Ryan Gauvin

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

Bureau de l’administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

 

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