Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220815


Dossier : T‑321‑22

Référence : 2022 CF 1202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DAMON ATWOOD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, contre le jugement daté du 13 juin 2022 par lequel la protonotaire a radié la demande de contrôle judiciaire du demandeur, sans autorisation de la modifier.

[2] La demande de contrôle judiciaire vise [traduction] « la décision de Rakhi Dhawan (la décision de refus), en sa qualité de directrice du Bureau de la coordination des griefs et des appels (le BCGA), de refuser au demandeur et à d’autres personnes l’accès aux décisions antérieures rendues par les arbitres de griefs de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) (les décisions antérieures) ».

[3] Le demandeur sollicite :

1. une ordonnance enjoignant à la GRC de donner à ses membres un accès immédiat aux décisions antérieures, sous forme anonymisée, et de communiquer ces décisions, sur demande, aux membres qui sont visés par la procédure applicable aux griefs prévue par Loi sur la GRC;

2. subsidiairement, une déclaration selon laquelle les parties du Manuel d’administration de la GRC qui ont pour effet d’exclure les décisions, les actes ou les omissions du BCGA de la procédure applicable aux griefs prévue dans la Loi sur la GRC et les Consignes du commissaire sont ultra vires et inopérantes;

3. une ordonnance de mandamus obligeant les arbitres de la GRC, exerçant les pouvoirs du commissaire de la GRC qui leur sont délégués, de rendre une décision sur la qualité pour agir dans le dossier de grief du demandeur, tel qu’il est décrit dans la présente demande, dans les trente (30) jours civils de la date de l’ordonnance de la Cour.

[4] Il n’est pas contesté que, le 4 octobre 2021, après avoir reçu la décision de refus, le demandeur a déposé un grief à l’égard de cette décision. Il n’est pas contesté non plus que le BCGA estime que la décision de refus ne peut faire pas l’objet d’un grief, que les parties ont présenté des observations à l’arbitre de premier niveau concernant la question préliminaire de la qualité pour présenter le grief, qu’aucune décision n’a été rendue à cet égard et qu’aucun délai n’a été fixé pour la prise d’une décision.

[5] Dans son affidavit déposé en réponse à la requête en radiation du défendeur, le demandeur a fait référence à une demande introduite devant la Cour, qui concerne la GRC : Baldwin et al c Procureur général du Canada, dossier de la Cour T‑1017‑21. Le demandeur atteste que le dossier du défendeur contenait [traduction] « des données liées au délai moyen pour qu’une décision soit rendue sur le fond lorsqu’un arbitre reçoit un dossier; la moyenne pour 2020 était de 824 jours ».

[6] Les parties conviennent que la norme à appliquer dans le présent appel est celle qui a été établie dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira]. La décision de la protonotaire ne devrait être infirmée que « si [elle] a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante en ce qui concerne une question de fait ou une question mixte de fait et de droit » (Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230 au para 4 [Maximova]). Une erreur manifeste et dominante est « une erreur qui est évidente et apparente, dont l’effet est de vicier l’intégrité des motifs » (Maximova, au para 5).

[7] Selon le demandeur, la protonotaire a commis plusieurs erreurs en l’espèce. Je n’ai pas à examiner tous ses arguments, car je suis convaincu qu’il y a une erreur manifeste et dominante qui justifie qu’il soit fait droit à l’appel.

[8] La protonotaire a souligné à juste titre que le défaut d’un demandeur d’épuiser toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes constitue un vice fatal qui, à défaut de circonstances exceptionnelles, justifie le rejet de la demande : Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 au para 31 [CB Powell]. Elle a rejeté l’argument du demandeur selon lequel le grief déposé n’est pas un recours utile et efficace. Elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 23 et 24 :

[23] Même si le demandeur a déposé un grief, il soutient que cela ne constitue pas un recours adéquat, en raison de l’existence d’une politique interne qui protège le directeur du BCGA contre tout grief. Cette politique figure dans le Manuel d’administration de la GRC et prévoit ce qui suit : [traduction] « Les décisions, actes ou omissions faites de bonne foi attribuables à une personne agissant à titre d’arbitre, de gestionnaire de cas du BCGA ou d’agent en charge du BCGA ne peuvent faire l’objet d’une plainte de harcèlement ou d’un grief ». Nonobstant cette politique, les parties (le demandeur et [la directrice] du BCGA) ont préparé des observations sur la question de la qualité pour déposer le grief et ces observations ont été présentées à un arbitre de premier niveau. Aucune décision n’a été rendue par l’arbitre de premier niveau ou le commissaire aux termes de la Loi sur la GRC.

[24] Même si le demandeur affirme que l’issue de son grief est prédéterminée par l’existence de la politique, j’estime qu’il s’agit là d’une pure conjecture. Le défendeur souligne à juste titre que [la directrice] du BCGA, en tant que personne visée par le grief et non en tant qu’arbitre du grief, est d’avis qu’un grief à l’encontre de sa décision ne peut être déposé aux termes de la politique. Quoi qu’il en soit, l’affaire est maintenant dans les mains de l’arbitre de premier niveau qui doit rendre une décision. Dans les circonstances, je conclus que le demandeur dispose d’une procédure adéquate et efficace, peu importe qu’il soit possible ou certain que son grief sera rejeté. [Non souligné dans l’original.]

[9] Il est regrettable que le demandeur, qui n’était pas représenté par un avocat, n’ait pas porté à l’attention de la protonotaire le fait que le caractère inévitable de l’issue de son grief est attribuable non seulement à une « politique », mais également au paragraphe 16(2) des Consignes du commissaire (griefs et appels), DORS/2014‑289 [les CC (griefs et appels)]. Une décision d’arbitrage jointe au dossier de requête du demandeur le mentionnait. Voici un extrait de cette décision d’arbitrage :

[traduction]

[13] À titre de rappel au plaignant, le législateur a limité mon pouvoir au paragraphe 16(2) des CC (griefs et appels). Cette disposition me permet seulement d’établir si une décision, un acte ou une omission est conforme à la politique. Aucune disposition ne me permet de décider qu’une politique est invalide.

[10] Le paragraphe 16(2) des CC (griefs et appels) est ainsi libellé :

16 (2) Lorsqu’il rend la décision, l’arbitre évalue si la décision, l’acte ou l’omission qui fait l’objet du grief est conforme à la législation pertinente ou à la politique pertinente du Conseil du Trésor ou de la Gendarmerie et si, en cas de non‑conformité, un préjudice a été causé au plaignant.

16 (2) An adjudicator, when rendering the decision, must consider whether the decision, act or omission that is the subject of the grievance is consistent with the relevant law, or the relevant Treasury Board or Force policy and, if it is not, whether it has caused a prejudice to the grievor.

[11] Il n’est pas contesté qu’une politique a été appliquée pour arriver à la décision visée par la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, l’issue du grief n’est pas que « pure conjecture » – il s’agit d’une certitude.

[12] À la lumière de cette appréciation, la protonotaire devait examiner la question de savoir si un grief « tigre de papier » qui prendrait vraisemblablement plus de deux ans pour aboutir à une décision nécessairement défavorable constitue une « autre voie de recours adéquate » au sens de l’arrêt CB Powell. Au paragraphe 31 de l’arrêt CB Powell, le juge Stratas a écrit : « [À] défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. » [Non souligné dans l’original.]

[13] À mon avis, à la lumière de la preuve et du droit, la procédure applicable au grief n’offre aucun recours efficace au demandeur en l’espèce. Par conséquent, il peut soumettre l’affaire aux tribunaux.

[14] Pour ces motifs, je suis convaincu qu’il faut faire droit à l’appel et permettre à la demande de contrôle judiciaire de suivre son cours.

[15] Le demandeur a droit à ses dépens, tant en appel qu’en première instance, que j’évalue à 1 000 $, débours et taxes compris.


ORDONNANCE dans le dossier T‑321‑22

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel est accueilli.

  2. La décision du 13 juin 2022 de la protonotaire est annulée.

  3. Le demandeur a droit à ses dépens, tant en appel qu’en première instance, fixés à 1 000 $, débours et taxes compris, montant que le défendeur doit verser immédiatement au demandeur.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑321‑22

 

INTITULÉ :

DAMON ATWOOD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 août 2022

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Damon Atwood

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Amanda Neudorf

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.