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Date : 20220826


Dossier : T‐347‐22

Référence : 2022 CF 1233

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 août 2022

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

CANADIAN CONSTITUTION FOUNDATION

demanderesse/

partie requérante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur/

partie intimée

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant/

sur demande seulement

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Présentation

[1] Il s’agit d’une requête présentée par la demanderesse, la Canadian Constitution Foundation (la demanderesse ou la CCF), à la suite de sa demande de contrôle judiciaire relative à la Proclamation déclarant une urgence d’ordre public, DORS/2022‐20 [Proclamation d’urgence], publiée le 14 février, 2022 en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, LRC 1985, c 22 (4e suppl) (la Loi). Dans la Proclamation d’urgence, il est déclaré « qu’il se produit dans tout le pays un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire ».

[2] La demande de contrôle judiciaire sous‐jacente conteste la légalité de la Proclamation d’urgence et des mesures connexes. Dans son avis de demande, la demanderesse a demandé la production de documents liés à la Proclamation d’urgence en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (la demande en vertu de l’article 317).

[3] Certains documents ont d’abord été produits en réponse à la demande en vertu de l’article 317. Le défendeur a récemment divulgué des versions caviardées de documents du Cabinet portant sur les discussions qui ont mené à la décision de publier la Proclamation d’urgence. Des parties des documents ont été caviardées en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‐5 [LPC] et d’autres revendications de privilège.

[4] Dans la présente requête, la demanderesse cherche à obtenir une déclaration portant que la réponse à sa demande en vertu de l’article 317 des Règles est incomplète et sert à mettre la décision à l’abri du contrôle judiciaire. Elle demande une ordonnance enjoignant à la défenderesse de fournir, sous une forme non caviardée et aux fins de consultation par l’avocat seulement, les points pour lesquels le secret du Cabinet a été invoqué, sous réserve d’un engagement de confidentialité.

[5] Les documents ayant récemment été fournis par le défendeur, la Cour n’est pas en mesure de conclure que l’affirmation du privilège en vertu de l’article 39 a pour effet de mettre la décision de publier la Proclamation d’urgence à l’abri du contrôle judiciaire. Pour cette raison, la requête est rejetée. Toutefois, l’affirmation d’éléments de privilège supplémentaires relativement à d’autres parties des documents du Cabinet nécessitera un examen plus approfondi par la Cour pour déterminer si ces demandes sont valides.

II. Contexte

A. Manifestations et réponse du gouvernement

[6] Le 28 janvier 2022, des convois de camions et d’autres véhicules de partout au Canada, appelés « Convoi de la liberté », sont arrivés à Ottawa dans le cadre d’un mouvement de protestation contre la réponse du gouvernement fédéral en matière de santé publique à la pandémie de COVID‐19. Le mouvement de protestation s’est répandu dans différentes régions du pays, y compris aux points d’entrée comme le pont Ambassador à Windsor, en Ontario, et le poste frontalier de Coutts, en Alberta.

[7] Le 10 février 2022, le premier ministre Trudeau a convoqué le Groupe d’intervention en cas d’incident (GII) afin de s’attaquer aux blocus en cours partout au pays. Selon une annonce de changements à la structure et au mandat des comités du Cabinet le 28 août 2018, le GII est un « comité formé spécialement pour réagir aux urgences. Il se réunira dans l’éventualité d’une crise nationale ou lors d’incidents survenus ailleurs et ayant des conséquences importantes pour le Canada. [...] Le Groupe sera formé de ministres concernés et de hauts dirigeants du gouvernement qui seront chargés de coordonner promptement l’intervention fédérale et de prendre des décisions rapides et efficaces pour assurer la sûreté et la sécurité des Canadiens, au pays et à l’étranger ».

[8] En plus de sa réunion du 10 février 2022, le GII s’est réuni les 12 et 13 février 2022. Le Cabinet s’est également réuni le 13 février 2022. Au cours de ses trois réunions, le GII a tenu ce que l’on a décrit comme une « discussion approfondie » sur la question de savoir s’il fallait publier un avis d’urgence d’ordre public : « Déclaration d’état d’urgence du 14 février 2022 : Explication conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur les mesures d’urgence », à la page 4 [Explication conformément à l’article 58].

[9] La Proclamation d’urgence précise que l’urgence d’ordre public a la forme suivante :

i) les blocages continus mis en place par des personnes et véhicules à différents endroits au Canada et les menaces continues proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages, notamment par l’utilisation de la force, lesquels blocages ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada;

ii) les effets néfastes sur l’économie canadienne — qui se relève des effets de la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID‐19) — et les menaces envers la sécurité économique du Canada découlant des blocages d’infrastructures essentielles, notamment les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux;

iii) les effets néfastes découlant des blocages sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États‐Unis, lesquels effets sont préjudiciables aux intérêts du Canada;

iv) la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels causée par les blocages existants et le risque que cette rupture se perpétue si les blocages continuent et augmentent en nombre;

v) le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens.

[10] La Proclamation d’urgence a été suivie de la publication du Règlement sur les mesures d’urgence, CP 2022‐107, DORS/2022‐21 et du Décret sur les mesures économiques d’urgence, CP 2022‐108, DORS/2022‐22 [collectivement, le Règlement sur les mesures d’urgence] le 15 février 2022. Les trois instruments forment collectivement la décision qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire dans la demande sous‐jacente.

[11] Le 16 février 2022, l’Explication conformément à l’article 58 a été déposée à la Chambre des communes, accompagnée d’une motion de ratification de la Proclamation d’urgence. La Chambre des communes a ratifié la motion le 21 février. Peu après le début du débat sur la motion au Sénat, le 23 février 2022, la Proclamation d’urgence a été abrogée conformément à l’article 22 de la Loi. En conséquence directe de l’abrogation, le Règlement sur les mesures d’urgence a expiré le 23 février 2022, conformément au paragraphe 26(2) de la Loi. L’abrogation de la Proclamation d’urgence a eu lieu avant que le Sénat puisse se prononcer sur la ratification de la motion.

B. Demandes de contrôle judiciaire

[12] La CCF est un organisme de bienfaisance enregistré qui présente sa demande de contrôle judiciaire fondée sur une allégation de qualité pour agir dans l’intérêt public. La mission officielle de l’organisation est de protéger les libertés constitutionnelles par l’éducation, la communication et les litiges. Le 22 février 2022, la FCC a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire dans lequel elle demandait que lui soient fournies, avec d’autres mesures de redressement, des déclarations selon lesquelles la Proclamation d’urgence et le Règlement sur les mesures d’urgence étaient illégaux.

[13] Des demandes semblables de contrôle judiciaire sont en instance devant la Cour dans les dossiers T‐316‐22, Canadian Civil Liberties Association v Attorney General of Canada (CCLA), T‐306‐22, Canadian Frontline Nurses et al. v. Attorney General of Canada (CFN) et T‐382‐22, Jost et al. v. Attorney General of Canada (Jost et coll.)

(1) Requête fondée sur l’article 317 des Règles et réponse

[14] Dans son avis de demande, la CCF a demandé, en vertu de l’article 317 des Règles, des copies certifiées des documents suivants, lesquels étaient en possession du défendeur :

1. Le dossier de documents présenté au gouverneur en conseil relativement à la Proclamation d’urgence.

2. Le dossier de documents présenté au gouverneur en conseil relativement au Règlement sur les mesures d’urgence.

3. Le dossier de documents présenté au gouverneur en conseil relativement au Décret sur les mesures économiques d’urgence.

[15] Le 15 mars 2022, le greffier adjoint du Conseil privé a remis à la Cour fédérale un dossier comprenant les documents suivants :

– Décret : Ordre de publier une proclamation, CP 2022‐0106

– Proclamation déclarant une urgence d’ordre public, DORS/2022‐20

– Décret : Règlement sur les mesures d’urgence, CP 2022‐0107

– Règlement sur les mesures d’urgence, DORS/2022‐21, annexé

– Décret : Décret sur les mesures économiques d’urgence, CP 202‐0108

– Décret sur les mesures économiques d’urgence, DORS/2022‐22, annexé

[16] D’autres documents présentés au gouverneur en conseil ont été retenus pour des raisons de confidentialité du Cabinet, car la lettre du greffier adjoint affirmait qu’il s’agissait de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Ces documents comprenaient les suivants :

– Trois présentations du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au gouverneur en conseil, datées de février 2022 : une sur la Proclamation d’urgence; une sur le Règlement sur les mesures d’urgence et une sur le Décret sur les mesures économiques d’urgence; « y compris la recommandation ministérielle signée, un projet de décret concernant une proclamation proposée, un projet de proclamation et les documents à l’appui. »

– Le dossier consignant la décision du gouverneur en conseil concernant la Proclamation d’urgence et les deux règlements sur les mesures d’urgence.

(2) Premier certificat délivré en vertu de l’article 39

[17] Le 31 mars 2022, le greffier par intérim du Conseil privé a signé un certificat revendiquant la présence de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada dans les documents suivants figurant à l’annexe du certificat :

  • 1)Présentation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au gouverneur en conseil, datée de février 2022, concernant le projet de décret ordonnant qu’une proclamation d’urgence soit publiée en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, y compris la recommandation ministérielle signée, un projet de décret concernant une proclamation proposée, un projet de proclamation et les documents à l’appui.

  • 2)Dossier consignant la décision du gouverneur en conseil concernant la Proclamation d’urgence, datée de février 2022, signée par le Conseil;

  • 3)Présentation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au gouverneur en conseil, datée de février 2022, concernant le décret proposé en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur les mesures d’urgence et portant sur le Règlement sur les mesures d’urgence, y compris la recommandation ministérielle signée, un projet de décret concernant le règlement sur les mesures d’urgence proposé, le projet de règlement et les documents à l’appui;

  • 4)Dossier consignant la décision du gouverneur en conseil concernant le règlement sur les mesures d’urgence, datée de février 2022;

  • 5)Présentation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au gouverneur en conseil, datée de février 2022, concernant le décret proposé en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi sur les mesures d’urgence et concernant un décret sur les mesures économiques d’urgence, y compris la recommandation ministérielle signée, un projet de décret pour une proposition de décret sur les mesures économiques d’urgence, un projet d’ordre et des documents à l’appui.

  • 6)Dossier consignant la décision du gouverneur en conseil concernant un décret sur les mesures économiques d’urgence, datée de février 2022.

[18] Le greffier par intérim a déterminé que les trois présentations demandées constituaient des notes destinées à soumettre des propositions ou des recommandations au gouverneur en conseil, et qu’elles relevaient donc de l’alinéa 39(2)a) de la LPC.

[19] En ce qui concerne les trois documents demandés, le greffier par intérim a déterminé qu’ils constituent des ordres du jour du Conseil ou des procès‐verbaux de ses délibérations ou de ses décisions et qu’ils relèvent donc de l’alinéa 39(2)c) de la LPC.

[20] Le greffier par intérim a en outre certifié que l’alinéa 39(4)a) – le délai de prescription de vingt ans – et l’alinéa 39(4)b) – l’exception relative au document de travail – ne s’appliquaient pas à l’égard des renseignements.

[21] Dans une lettre datée du 4 avril 2022, le défendeur a fait part de sa position à la partie requérante, à savoir la CCF, la CCLA, CFN et Jost et coll., selon laquelle le certificat en vertu de l’article 39 interdit toute divulgation des renseignements demandés. Le 12 avril 2022, le défendeur a déposé une requête en radiation des quatre demandes au motif que la partie requérante n’avait pas qualité pour agir et que ses demandes de contrôle judiciaire étaient sans objet. Sur consentement, la requête en radiation du défendeur sera entendue lorsque le bien‐fondé des quatre demandes sera inscrit au rôle pour débat.

(3) Requête de la demanderesse

[22] Dans la présente requête, ainsi qu’elle a été déposée, la demanderesse a demandé une déclaration selon laquelle le défendeur avait soumis un dossier incomplet en réponse à la requête présentée en vertu de l’article 317 des Règles en omettant d’inclure les éléments suivants :

  1. Procès‐verbaux des réunions du Groupe d’intervention en cas d’incident des 10, 12 et 13 février 2022.

  2. Procès‐verbal de la réunion du gouverneur en conseil (le Cabinet fédéral) du 13 février 2022.

  3. Documents électroniques, notamment les courriels, les textes et toute autre correspondance électronique « faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique » [alinéa 39(2)d] de la Loi sur la preuve au Canada).

[23] Les observations écrites de la demanderesse pour étayer la requête ne contiennent pas d’allégations de fait ni d’arguments relatifs aux dossiers électroniques décrits au point ci‐dessus, et n’inscrivent pas cette requête parmi l’une des déclarations demandées, et cette question n’a pas été soulevée à l’audience.

[24] La demanderesse a également demandé une ordonnance enjoignant au défendeur de livrer les trois ensembles de documents décrits ci‐dessus conformément au paragraphe 318(1) des Règles de la Cour fédérale, et des ordonnances pour que soient livrés les documents figurant à l’annexe du premier certificat délivré en vertu de l’article 39, au titre des articles 151 et 152 des Règles et/ou des pleins pouvoirs de la Cour fédérale en vertu de la common law, de son statut de « cour » en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 et/ou du principe constitutionnel non écrit de la primauté du droit.

[25] Dans une requête connexe déposée le 1er avril 2022, la demanderesse a cherché à modifier son avis de demande afin d’obtenir des documents relatifs à la décision du 23 février 2022, dans laquelle le gouverneur en conseil, sur la recommandation du Cabinet, a publié la Proclamation abrogeant la déclaration d’état d’urgence, DORS/2022‐26 [Proclamation d’abrogation], qui abrogeait la Proclamation d’urgence. Conformément au paragraphe 15(2) de la Loi, tous les décrets et règlements pris en vertu de la déclaration antérieure ont donc été abrogés.

[26] La présente requête et la requête visant à modifier l’avis de demande de la demanderesse ont été inscrites au rôle en vue d’une audience le 8 août 2022, à la suite de plusieurs reports attribuables aux étapes procédurales en cours dans le dossier sous‐jacent et les dossiers connexes, ainsi qu’une indication de la part du défendeur qu’un autre certificat en vertu de l’article 39 de la LPC serait bientôt délivré. Les requêtes présentées par la CCF devaient être entendues conjointement avec une requête présentée par la CCLA qui portait également sur l’application de l’article 39 de la LPC au dossier produit par le défendeur relativement à la Proclamation d’urgence.

(4) Remise des dossiers caviardés

[27] Le 19 juillet 2022, le défendeur a remis aux parties des quatre demandes les procès‐verbaux caviardés des réunions du GII des 10, 12 et 13 février 2022 et de la réunion du Cabinet du 13 février 2022. Les ordres du jour annotés et caviardés du président pour les réunions du GII ont été remis aux parties le 22 juillet 2022. Les documents portent des notes indiquant que les caviardages ont été effectués conformément à des revendications de privilège en vertu des articles 37, 38 et 39 de la LPC, relativement au secret professionnel et au manque de pertinence. Les documents caviardés ont également été remis à la Cour et déposés dans les dossiers publics pour chacune des demandes de contrôle judiciaire.

[28] Dans une lettre du 22 juillet 2022 adressée à la Cour, la demanderesse a reconnu que sa requête pour obtenir une déclaration portant que le défendeur avait déposé un dossier certifié du tribunal incomplet en omettant les procès‐verbaux des réunions du GII et du Cabinet des10, 12 et 13 février 2022 était sans objet après que les documents ont été déposés au greffe du tribunal.

[29] Vu les éléments caviardés dans les dossiers remis, la demanderesse a demandé l’autorisation de modifier sa requête afin de demander les recours suivants :

  1. Une ordonnance enjoignant au PGC de remettre immédiatement sous scellé les versions non caviardées des documents suivants au greffe du tribunal : a) les points énumérés à l’annexe du certificat délivré en vertu de l’article 39; b) les procès‐verbaux des réunions du GII tenues les 10, 12 et 13 février 2022; c) le procès‐verbal de la réunion du Cabinet tenue le 13 février 2022; d) les ordres du jour annotés du président pour les trois réunions du GII tenues le 10, le 12 et le 13 février 2022; e) le DCT de la proclamation d’abrogation (si la requête en modification du demandeur est accueillie); f) les documents énumérés à l’annexe du deuxième certificat délivré en vertu de l’article 39 (si délivré).

  2. La nomination d’un amicus curiae ayant pleinement accès à ces documents pour présenter des observations ex parte à huis clos sur le bien‐fondé de la demande.

(5) Deuxième certificat délivré en vertu de l’article 39

[30] Le 4 août 2022, le greffier du Conseil privé a signé un deuxième certificat auquel était jointe une annexe faisant référence aux sections des documents remis aux parties et à la Cour pour lesquelles le secret du Cabinet et d’autres privilèges ont été revendiqués. Il s’agissait des procès‐verbaux des réunions du GII et du Cabinet des 10, 12 et 13 février et les ordres du jour annotés des réunions du GII pour ces dates.

[31] Le certificat délivré en vertu de l’article 39, daté du 4 août, indique que le greffier a examiné les renseignements décrits dans l’annexe ci‐jointe afin de déterminer s’ils constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada et s’ils doivent être protégés contre la divulgation en vertu de l’article 39 de la LPC. L’annexe comprend un tableau qui indique la date et le type de document, l’auteur et le destinataire, la décision du greffier et une description des renseignements contenus dans chaque document pour lequel le privilège prévu à l’article 39 est invoqué. La colonne sous la rubrique « Determination » [décision] indique quelles parties des documents sont visées par les alinéas 39(2)d) ou e), ou les deux. Une entrée cite l’alinéa 39(2)c). La colonne décrivant l’information suit le libellé de l’alinéa pertinent de l’article 39.

[32] À la réception du deuxième certificat délivré en vertu de l’article 39, la CCLA a choisi de ne pas donner suite à sa requête, mais a demandé la possibilité de présenter des observations pendant l’audition de la requête de la CCF concernant les certificats délivrés en vertu de l’article 39 de la LPC. La Cour a accueilli cette demande. La CCLA n’a présenté aucune observation concernant la requête aux fins de modification de la CCF. Les demandeurs CFN et Jost et coll., ainsi que le procureur général de l’Alberta, ne disposant que du statut d’intervenant en ce qui concerne l’audition des demandes, n’ont pas participé à l’audition des requêtes de la CCF.

III. Questions en litige

[33] La CCF demande une ordonnance de la Cour pour la remise de copies non caviardées de tout élément énuméré dans les certificats délivrés en vertu de l’article 39 aux fins de consultation par l’avocat seulement et sous réserve d’un engagement de confidentialité. Elle soutient qu’il s’agit du seul moyen par lequel un contrôle judiciaire valable de la décision de publier la Proclamation d’urgence peut être entrepris dans le cadre d’un processus accusatoire.

[34] Dans le plaidoyer limité pour lequel l’autorisation a été accordée, la CCLA a appuyé la requête de la CCF dans la mesure où elle a exhorté la Cour à élaborer une approche souple pour assurer un contrôle judiciaire efficace des décisions prises en vertu de la Loi.

[35] Compte tenu du changement de position du défendeur à l’égard des documents qu’il était prêt à produire en réponse à la demande présentée en vertu de l’article 317 des Règles, une grande partie de ce que la CCF cherchait à obtenir avec cette requête est devenue sans objet. Cependant, la CCF soutient que les ordres du jour et les procès‐verbaux annotés des réunions du GII et le procès‐verbal de la réunion du Cabinet demeurent une réponse inadéquate à sa demande en vertu de l’article 317 des Règles en raison des nombreux éléments caviardés dans le texte des documents.

[36] Il est évident, à la lecture des ordres du jour et des procès‐verbaux remis, qu’il y a un nombre important de passages caviardés sous des éléments de privilège autres que ceux pour lesquels le secret du Cabinet est invoqué. Dans la description de chacun des dossiers, l’annexe faisant partie du certificat indique que [TRADUCTION]°« certaines parties sont visées par l’alinéa 39(2)c) » ou les alinéas d) et e), selon le cas. Les éléments caviardés dans chaque dossier contiennent des notes semblables ainsi que des références à d’autres revendications de privilège.

[37] La question déterminante de la présente requête est celle de savoir si le dossier dont la Cour est saisie est complet. En corollaire, il y a la question de savoir si le dossier dans son ensemble, y compris la remise des documents caviardés du Cabinet, a mis la décision à l’abri du contrôle judiciaire.

IV. Cadre juridique

[38] Les dispositions législatives s’appliquant à la présente requête sont les articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales et les articles 37 à 37.3, 38 à 38.15 et 39 de la LPC. Seul le libellé de l’article 39 sera reproduit ici en entier. Les autres dispositions peuvent être résumées.

[39] L’article 317 des Règles des Cours fédérales permet à une partie de demander des documents pertinents en la possession d’un office fédéral en déposant une demande écrite, soit dans un avis de demande de contrôle judiciaire, soit séparément. Dans la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, le terme « office fédéral » a le même sens que « conseil, bureau, commission ou autre organisme censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ». Aux fins de la présente instance, il ne fait aucun doute que cela s’applique au Cabinet fédéral et au Bureau du Conseil privé. La pertinence des documents en question dans le cadre des présentes procédures n’a pas été contestée. Les procès‐verbaux du GII et du Cabinet sont pertinents et peuvent donc être produits en vertu de l’article 317 des Règles, car ils fournissent un compte rendu du processus de raisonnement collectif engagé par les membres de ces deux organismes pour rendre la décision faisant l’objet du contrôle.

[40] L’article 318 des Règles établit un processus de traitement des oppositions aux demandes de transmissions présentées en vertu de l’article 317. Lorsqu’un office fédéral ou une partie s’oppose à une demande de transmission présentée en vertu de l’article 317 des Règles, il doit en informer toutes les parties et la Cour. La Cour peut donner des directives sur la procédure à suivre pour présenter des observations à l’égard de l’opposition et, après avoir entendu ces observations, la Cour peut ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original de tout ou partie des documents demandés soit transmis au greffe.

[41] Les articles 37 à 37.3 de la LPC prévoient un mécanisme pour la formulation et la détermination des oppositions à la divulgation de renseignements pour des motifs d’intérêt public précis. Une opposition a pour effet d’empêcher la divulgation des renseignements, à moins que l’instance révisionnelle, qui peut être une cour supérieure provinciale ou la Cour fédérale, ne l’autorise.

[42] Les oppositions à la communication de renseignements qui pourraient nuire aux relations internationales, à la défense nationale et à la sécurité nationale sont traitées en vertu des articles 38 à 38.15 de la LPC. Ces dispositions constituent un régime complet et autonome distinct de la procédure prévue à l’article 37. En bref, le régime exige qu’un avis soit donné au procureur général du Canada pour l’informer que des renseignements susceptibles de porter préjudice aux trois intérêts nationaux protégés peuvent être divulgués dans le cadre d’une procédure, dans une décision du procureur général quant à la divulgation et, en l’absence de divulgation, dans une demande à la Cour fédérale pour déterminer si les renseignements peuvent être divulgués et, le cas échéant, sous quelle forme.

[43] L’article 39 de la LPC permet à un ministre de la Couronne ou au greffier du Conseil privé de s’opposer à la divulgation de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada devant un tribunal. Cela oblige le greffier ou le ministre à examiner deux questions. La première est celle de savoir si l’information constitue un document confidentiel du Cabinet au sens de l’article. La deuxième est celle de savoir s’il s’agit de renseignements que le gouvernement devrait protéger en tenant compte d’intérêts opposés voulant, d’une part, qu’ils soient divulgués et, d’autre part, que la confidentialité soit préservée (Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57 au para 22 [Babcock]). Le texte intégral de la disposition est le suivant :

Renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada

Opposition relative à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada

39 (1) Le tribunal, l’organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas où un ministre ou le greffier du Conseil privé s’opposent à la divulgation d’un renseignement, tenus d’en refuser la divulgation, sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

Définition

(2) Pour l’application du paragraphe (1), un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada s’entend notamment d’un renseignement contenu dans :

a) une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;

b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l’examen du Conseil;

c) un ordre du jour du Conseil ou un procès‐verbal de ses délibérations ou décisions;

d) un document employé en vue ou faisant état de communications ou de discussions entre ministres sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;

e) un document d’information à l’usage des ministres sur des questions portées ou qu’il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l’objet des communications ou discussions visées à l’alinéa d);

f) un avant‐projet de loi ou projet de règlement.

Définition de Conseil

(3) Pour l’application du paragraphe (2), Conseil s’entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.

Exception

(4) Le paragraphe (1) ne s’applique pas :

a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l’existence remonte à plus de vingt ans;

b) à un document de travail visé à l’alinéa (2)b), dans les cas où les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.

Confidences of the Queen’s Privy Council for Canada

Objection relating to a confidence of the Queen’s Privy Council

39 (1) Where a minister of the Crown or the Clerk of the Privy Council objects to the disclosure of information before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information by certifying in writing that the information constitutes a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada, disclosure of the information shall be refused without examination or hearing of the information by the court, person or body.

Definition

(2) For the purpose of subsection (1), a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada includes, without restricting the generality thereof, information contained in

(a) a memorandum the purpose of which is to present proposals or recommendations to Council;

(b) a discussion paper the purpose of which is to present background explanations, analyses of problems or policy options to Council for consideration by Council in making decisions;

(c) an agendum of Council or a record recording deliberations or decisions of Council;

(d) a record used for or reflecting communications or discussions between ministers of the Crown on matters relating to the making of government decisions or the formulation of government policy;

(e) a record the purpose of which is to brief Ministers of the Crown in relation to matters that are brought before, or are proposed to be brought before, Council or that are the subject of communications or discussions referred to in paragraph (d); and

(f) draft legislation.

Definition of Council

(3) For the purposes of subsection (2), Council means the Queen’s Privy Council for Canada, committees of the Queen’s Privy Council for Canada, Cabinet and committees of Cabinet.

Exception

(4) Subsection (1) does not apply in respect of

(a) a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada that has been in existence for more than twenty years; or

(b) a discussion paper described in paragraph (2)(b)

(i) if the decisions to which the discussion paper relates have been made public, or

(ii) where the decisions have not been made public, if four years have passed since the decisions were made.

V. Analyse

[44] Comme je l’ai indiqué précédemment, la présente requête a changé depuis qu’elle a été déposée il y a plusieurs mois. D’entrée de jeu, la CCF a demandé l’intervention de la Cour parce que le défendeur avait initialement adopté la position selon laquelle seuls les renseignements dont le gouverneur en conseil était officiellement saisi relativement aux motifs d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pouvaient être divulgués. Cela ne comprenait pas la composition du GII, les renseignements soumis à ce comité ou au Cabinet qui ont mené à la décision d’invoquer la Loi ni le compte rendu de leurs délibérations.

[45] Le défendeur a soutenu que le dossier visé par l’article 317 des Règles ne comportait que des documents remis à la Cour et aux parties le 15 mars 2022 par le greffier adjoint du Conseil privé. Selon le défendeur, les autres renseignements dont le GII et le Cabinet étaient saisis ne faisaient pas partie du dossier dont disposait le gouverneur en conseil à titre de décideur et étaient protégés à titre de document confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada en vertu de l’article 39.

[46] Le contexte dans lequel la Cour doit maintenant examiner la requête a été modifié de façon importante par la remise des procès‐verbaux du GII et du Cabinet et des ordres du jour annotés du GII et par la délivrance du deuxième certificat en vertu de l’article 39. Ces faits nouveaux ont fait en sorte qu’une grande partie de ce que la CCF cherchait à accomplir par la requête est désormais sans objet, comme elle l’a reconnu dans sa correspondance à la Cour le 22 juillet 2022. Les parties ont maintenant beaucoup plus d’information sur le dossier menant à la décision qu’elles en avaient avant la remise de ces documents.

[47] La demanderesse soutient toutefois que le dossier remis ne répond toujours pas à sa demande présentée en vertu de l’article 317 des Règles en raison des passages caviardés dans les documents du GII et du Cabinet. La CCF soutient que le contrôle judiciaire efficace et significatif de la décision d’invoquer la Loi ne peut être entrepris que dans le cadre d’un processus accusatoire et que cela exige que des copies non caviardées du dossier soient remises aux parties aux fins de consultation par l’avocat seulement et sous réserve d’un engagement de confidentialité de sa part.

[48] Le défendeur soutient que, dans son ensemble, le dossier est suffisant pour un contrôle judiciaire valable et qu’il n’y a pas de disposition législative prévoyant le recours que sollicite la demanderesse. La CCLA, qui n’est pas partie à la requête, mais qui est autorisée à présenter de brèves observations de vive voix, soutient que, comme il s’agit de la première fois que la Loi est invoquée depuis son adoption en 1981, la Cour devrait trouver un moyen novateur et souple de procéder au contrôle judiciaire de ces décisions à l’avenir.

[49] Après avoir examiné les arguments de l’avocat à l’audience du 8 août 2022, la Cour estime qu’elle doit se pencher sur plusieurs questions avant de tirer une conclusion sur la présente requête. Il s’agit de déterminer si la distinction en droit entre le Cabinet fédéral et le gouverneur en conseil a une incidence sur la décision à rendre et de déterminer l’effet des autres revendications de privilège soulevées par le défendeur en plus des revendications fondées sur l’article 39.

A. La distinction entre le Cabinet et le gouverneur en conseil est‐elle utile à la présente requête?

[50] Le défendeur soutient que les documents demandés en vertu de l’article 317 des Règles doivent provenir de « l’office fédéral » responsable de la décision contestée, et que la demande présentée par la demanderesse en vertu de l’article 317 des Règles portait sur des documents dont le gouverneur en conseil était saisi en tant qu’« office fédéral », et non le Cabinet, en vertu de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Cet argument est fondé sur la distinction constitutionnelle entre le gouverneur en conseil et le Cabinet, en vertu de laquelle les pouvoirs juridiques de l’État sont conférés au gouverneur en conseil à titre d’exécutif et de décideur officiel, tandis que le Cabinet est le forum de délibération politique.

[51] La position du défendeur est étayée par l’article 13 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3, qui définit le gouverneur en conseil, et non le Cabinet, comme une institution juridique, et par le libellé de l’article 39 de la LPC, qui reconnaît la distinction entre les organismes. Voir aussi Colombie‐Britannique (Procureur général) c. Provincial Court Judges’ Association of British Columbia, 2020 CSC 20, aux paragraphes 95 à 97 [Juges de la Colombie‐Britannique], citant Nicholas d’Ombrain, « Cabinet Secrecy » (2004), 47(3) Administration publique du Canada 332, p 335.

[52] De l’avis de la Cour, bien que cet argument soit conforme à la Constitution, il ne tient pas compte du fait que le Cabinet, s’appuyant sur les discussions devant le GII, était le décideur responsable de la déclaration de la Proclamation d’urgence et des règlements subséquents.

[53] La tentative du défendeur de distinguer le Cabinet et le GII du gouverneur en conseil est dissociée de la convention constitutionnelle et du fonctionnement pratique de l’exécutif.

[54] Dans Tsleil‐Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, au paragraphe 19 [TWN], la Cour d’appel fédérale a jugé que les termes « Cabinet » et « gouverneur en conseil » étaient interchangeables dans son analyse de l’effet de l’article 39 de la LPC :

S’intègrent à sa requête des questions portant sur l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), ch. C‐5, une disposition qui autorise le Canada à attester que certains renseignements examinés par le gouverneur en conseil, communément appelé le Cabinet, sont confidentiels.

[Non souligné dans l’original.]

[55] Comme l’a fait remarquer Peter Hogg, [TRADUCTION]°« [l]es lois modernes [...] accordent toujours des pouvoirs au gouverneur général en conseil [...] lorsqu’elles ont l’intention d’accorder des pouvoirs au Cabinet [...] en sachant pertinemment que les conventions de gouvernement responsable transféreront le pouvoir effectif entre les mains du ministère élu, comme il se doit » : Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., Toronto : Thomson Reuters Canada, 2021), § 1:14, Convention et droit [Hogg]. Ainsi, [TRADUCTION« [l]orsque la Constitution ou une loi exige qu’une décision soit prise par le “ gouverneur général en conseil ” [...] [l]e Cabinet (ou un comité du Cabinet auquel des affaires courantes du Conseil privé ont été déléguées) prendra la décision et enverra une « ordonnance » ou un « procès‐verbal » de la décision au gouverneur général pour signature (qui, par convention, est automatiquement donnée) : Hogg, § 9:5, Le Cabinet et le Conseil privé [non souligné dans l’original].

[56] Les décisions du gouverneur en conseil sont toujours prises de facto par le Cabinet et non par le gouverneur en conseil lui‐même. Le fait de conclure autrement empêcherait effectivement la Cour d’examiner les documents sur lesquels le Cabinet s’est fondé, quelles que soient les circonstances, même si la confidentialité en vertu de l’article 39 n’est jamais invoquée. Par conséquent, lorsque le paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence autorise le gouverneur en conseil à déclarer une urgence d’ordre public, cela signifie qu’un pouvoir est conféré au Cabinet ou à ses comités.

[57] Dans son plaidoyer écrit, la CCLA s’est demandé si le GII était un comité du Cabinet. La CCF n’a pas adopté cette position lorsqu’elle lui a été soumise directement au cours de l’audience. En fait, elle a soutenu le contraire, ce qui était nécessaire pour étayer sa demande.

[58] Bien que je ne considère pas qu’il soit nécessaire de trancher la question, il me semble que la proposition selon laquelle le GII n’est pas un comité du Cabinet est douteuse compte tenu de sa composition et de son mandat. Il est clair que l’examen par le GII des rapports sur la situation à l’échelle du pays et les tentatives pour y remédier ont directement influencé la décision prise par le Cabinet le 13 février 2022 d’invoquer la Loi. À cet égard, il n’était pas différent des autres comités du Cabinet qui examinent les questions, les options et les recommandations avant qu’elles ne soient présentées au Cabinet aux fins de décision.

[59] Les participants aux réunions du GII, en plus des ministres, étaient tous de hauts fonctionnaires fédéraux. Le GII n’était pas un organisme consultatif auquel participaient des tiers de l’extérieur du gouvernement, contrairement à ce que la CCLA pensait au départ. Bien entendu, cela aurait pu être précisé au début de la présente instance si le défendeur avait été disposé à divulguer la composition du GII.

[60] Bien qu’à l’audience, le défendeur ait maintenu son argument au sujet de la distinction juridique à faire entre le Cabinet et le gouverneur en conseil, la remise des documents caviardés a rendu cette distinction juridique sans importance.

B. Portée de la requête

[61] Comme il est mentionné ci‐dessus, la CCF sollicite une ordonnance de la Cour pour la remise de copies non caviardées de tout élément énuméré dans les certificats délivrés en vertu de l’article 39 aux fins de consultation par l’avocat seulement et sous réserve d’un engagement de confidentialité. Le deuxième certificat délivré en vertu de l’article 39 décrit chacun des procès‐verbaux du Cabinet et du GII, les ordres du jour annotés du GII et les revendications de privilège sur le contenu de chacun.

a) Pertinence des procès‐verbaux du Cabinet et du GII et des ordres du jour annotés du GII.

[62] La pertinence des documents demandés en vertu de l’article 317 des Règles est définie par les motifs énoncés dans l’avis de demande : Athletes 4 Athletes Foundation c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 41 au paragraphe 26, citant TWN, au paragraphe 109.

[63] Les procès‐verbaux du GII et du Cabinet sont pertinents et peuvent donc être produits en vertu de l’article 317 et 318 des Règles, car ils fournissent un compte rendu du processus de raisonnement collectif engagé par les membres de ces deux organismes pour rendre la décision faisant l’objet du contrôle. Le GII a joué un rôle central dans la décision du Cabinet de déclarer une urgence d’ordre public, comme l’indique l’Explication conformément à l’article 58, qui précise que cette décision a été éclairée par une « discussion approfondie » qui a eu lieu au cours des réunions du GII.

[64] Le caractère raisonnable de la décision sera déterminé ultérieurement. Sans l’inclusion des procès‐verbaux du GII et du Cabinet, caviardés tels quels, la Cour pourrait avoir conclu que le dossier était incomplet.

b) Demande de production de dossiers électroniques

[65] Comme il a été mentionné ci‐dessus, les observations écrites de la demanderesse ne contiennent pas d’allégations de fait ni d’arguments concernant les dossiers électroniques mentionnés dans la demande présentée en vertu de l’article 317 des Règles, et ne citent pas cette demande comme figurant parmi les déclarations demandées. Contrairement aux procès‐verbaux du Cabinet et du GII, l’existence des documents électroniques demandés est spéculative et leur portée n’est pas définie. La référence aux dossiers électroniques n’est pas suffisamment précise pour une requête en vertu de l’article 317 des Règles : Maax Bath Inc c. Almag Aluminum Inc, 2009 CAF 204, aux paragraphes 10 à 11.

[66] De plus, les observations écrites de la demanderesse n’ont pas établi la pertinence de ces dossiers électroniques pour les besoins de la décision du gouverneur en conseil, puisque la décision d’adopter la Proclamation d’urgence a été prise par le Cabinet dans son ensemble et non par un ministre en particulier. La pertinence des communications électroniques des ministres individuels ne peut être considérée comme évidente étant donné la convention de la solidarité ministérielle et la responsabilité collective à l’égard des décisions du Cabinet : Hogg, paragraphe § 9:7, Responsabilité ministérielle.

c) Effet du caviardage

[67] La CCF souhaite que son avocat examine les copies non caviardées des documents remis afin d’étayer sa demande de contrôle judiciaire. Comme il a été mentionné ci‐dessus, les documents remis aux parties par le défendeur peuvent être caviardés au titre des revendications de privilège en vertu des articles 37 et 38 de la LPC, du secret professionnel et de l’absence de pertinence par rapport à la demande sous‐jacente, chacun devant être pris en considération en plus des revendications relatives aux documents confidentiels du Cabinet en vertu de l’article 39.

[68] L’argument sur la requête a porté principalement sur les passages caviardés en vertu de l’article 39, mais une bonne partie du texte caviardé semble relever des autres revendications de privilège. Par exemple, dans le procès‐verbal du 10 février 2022 du GII, identifié comme le document 1‐22IRG‐C, six des dix pages comportent des notes indiquant que des passages ont été caviardés en vertu d’au moins une des trois dispositions législatives et, dans certains cas, du secret professionnel. Certains passages caviardés du document sont exclusivement considérés comme des documents confidentiels du Cabinet; d’autres mentionnent l’article 39 ainsi que les articles 37 et 38 et le secret professionnel.

[69] L’ordre du jour annoté de la réunion du GII du 12 février 2022 est le seul document dont les passages caviardés sont attribués exclusivement à l’article 39. Le secret professionnel est invoqué comme motif de caviardage dans quatre documents qui chevauchent les revendications fondées sur les articles 39 et 38. L’article 38 est invoqué dans six documents, qui chevauchent souvent des revendications fondées sur l’article 39. Deux pages entières du procès‐verbal du Cabinet sont caviardées uniquement en vertu de l’article 38. Les revendications fondées sur l’article 37 figurent dans trois documents, notamment le procès‐verbal du GII du 12 février 2022, dans lequel les pages 11 à 13 sont entièrement caviardées sous cet élément de privilège.

[70] Mis à part les blocs de texte qui sont caviardés exclusivement au motif de privilèges, il n’est pas clair, d’après les notes inscrites sur les documents, où se situent les démarcations, le cas échéant, entre les revendications relatives au secret du Cabinet et les autres éléments de privilège. On ne sait pas s’il y a dédoublement des revendications sur le même texte caviardé ni dans quelle mesure les revendications relatives au secret du Cabinet à l’égard de parties du texte pourraient être séparées du texte faisant l’objet d’autres revendications.

[71] Lors de l’audience, la Cour a attiré l’attention de l’avocat sur la difficulté que cela présentait, particulièrement en ce qui concerne ce qu’on appelle souvent le « privilège de la sécurité nationale » au titre de l’article 38 de la LPC. Si les renseignements sont caviardés uniquement sur la base d’une demande fondée sur l’article 38, il existe une procédure bien établie pour traiter de telles revendications sur demande à la Cour fédérale.

[72] J’estime qu’il est nécessaire de commenter davantage les autres revendications de privilège et l’effet qu’elles ont sur la présente requête et la procédure sous‐jacente au profit des parties dans chacune des quatre demandes présentées à la Cour et pour tout lecteur de ces motifs non formé en droit.

[73] Quant aux quelques lignes caviardées par manque de pertinence, la Cour n’a aucune raison de remettre en question cette exclusion par le greffier. Il n’y a pas d’allégation de partialité ou de préjudice de la part du greffier ni de preuve de quoi que ce soit d’autre qu’un effort de bonne foi pour appliquer la loi au texte. De plus, l’emplacement et la juxtaposition des éléments caviardés pertinents par rapport à l’autre texte n’indiquent pas qu’ils sont d’une quelconque importance.

(2) Privilège de l’intérêt public fondé sur l’article 37

[74] Les renseignements pertinents sont généralement susceptibles d’être produits et admissibles en preuve, à moins qu’il y ait des motifs impérieux de les exclure. L’un de ces motifs, qui est reconnu depuis longtemps en common law et dans la LPC, est le concept de privilège de l’intérêt public. Bien que le terme ne soit pas défini, il s’applique à divers types de renseignements qui méritent d’être protégés, y compris en common law avant l’adoption de l’article 39. Lorsqu’un certificat prévu à l’article 39 n’est pas délivré, la common law s’applique tout de même à ces renseignements : Parker c. Canada (Procureur général), 2021 CF 496 au paragraphe 31. De plus, la liste des intérêts publics possibles que les tribunaux peuvent reconnaître n’est pas exhaustive : Commission canadienne des droits de la personne c. Territoires du Nord‐Ouest, 2001 CAF 259 au paragraphe 8.

[75] Dans les circonstances actuelles, lorsque deux certificats délivrés en vertu de l’article 39 ont été signés, la Cour peut déduire que les revendications de privilège fondées sur l’article 37 contenues dans les notes figurant sur les documents remis concernent des intérêts publics autres que ceux qui concernent les documents confidentiels du Cabinet. Cependant, il n’est pas évident de savoir de quoi il s’agit.

[76] L’immunité d’intérêt public « empêche la divulgation d’un document lorsque la cour est convaincue que l’intérêt public à garder le document confidentiel l’emporte sur l’intérêt public à le divulguer ». Pour ce faire, il faut trouver un juste équilibre entre les intérêts publics divergents, qui doivent être soupesés par rapport à un document particulier dans le contexte d’une instance particulière : Juges de la Colombie‐Britannique, aux paragraphes 99 et 100.

[77] Les principaux facteurs dont doit tenir compte une Cour qui soupèse des intérêts publics divergents ont été établis par la Cour suprême dans Carey c. Ontario, [1986] 2 RCS 637, p 670‐673 :

1) le « palier du processus décisionnel »;

2) la « nature de la politique en question »;

3) la « teneur précise des documents »;

4) le moment de la divulgation;

5) « l’importance qu’il y a à produire les documents dans l’intérêt de l’administration de la justice »;

6) la question de savoir si la partie qui demande la production des documents « allègue une conduite peu scrupuleuse de la part du gouvernement »

[78] Lorsqu’elle est saisie d’une opposition à la revendication d’un intérêt public déterminé en vertu de l’article 37, la Cour peut conclure que l’intérêt public déterminé n’est pas du tout en cause, auquel cas les renseignements peuvent faire l’objet d’une ordonnance de divulgation : Goguen c. Gibson, [1983] 1 CF 872. La Cour peut également interdire la divulgation des renseignements, autoriser la divulgation de tout ou partie des renseignements avec ou sans condition, ou autoriser la divulgation d’un résumé des renseignements ou une admission écrite des faits relatifs aux renseignements : Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 2 CF 316 au paragraphe 25.

[79] Si la Cour n’ordonne pas la divulgation conformément aux paragraphes 37(4.1) ou (5), elle doit interdire la divulgation des renseignements en litige conformément au paragraphe 37(6) : Wang c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 493 au paragraphe 38 [Wang]

[80] Il n’y a aucun processus précis à suivre pour statuer sur les oppositions fondées sur l’article 37. La Cour fédérale a soutenu qu’elle possède un pouvoir discrétionnaire absolu pour choisir sa propre procédure en fonction des circonstances dont elle est saisie : Canada (Procureur général) c. Chad, 2018 CF 319 au paragraphe 10 [Chad]. Au moment de choisir sa procédure, la Cour a déterminé qu’elle devait tenir compte de la nature de l’intérêt public en jeu, du contexte factuel et législatif dans lequel est faite l’opposition à la divulgation des renseignements, ainsi que du caractère délicat des documents caviardés : Chad, au paragraphe 10.

[81] Dans Wang, la juge Mactavish a déclaré ce qui suit au paragraphe 39 :

Lorsqu’elle est appelée à statuer sur une demande faite en vertu de l’article 37 de la LPC, la Cour doit tout d’abord déterminer si la demande peut être traitée en fonction des affidavits déposés ou si les demandeurs ont établi l’existence d’une « apparence de droit » à la divulgation; dans ce dernier cas, la Cour doit examiner les éléments de preuve en litige afin de décider de la validité de la revendication du privilège : Khan, précité, au paragraphe 24.

[82] Comme la Cour suprême a souligné à de nombreuses reprises, le principe de la publicité des débats judiciaires évoque l’importance de veiller à la transparence de la justice et constitue une caractéristique d’une société démocratique : Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43 au paragraphe 23. Par conséquent, les procédures judiciaires devraient censément être du domaine public : Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 RCS 1326, à la page 1361.

[83] Le dépôt de l’opposition du défendeur à la production de documents en vertu de l’article 317 des Règles et la remise de documents caviardés accompagnés de notes indiquant des revendications de privilège d’intérêt public peuvent être interprétés comme une demande en vertu de l’article 37 de la LPC. Il existe peut‐être des explications pertinentes qui justifient la non‐divulgation de l’information, mais la Cour ne les connaît pas à l’heure actuelle. La Cour n’a devant elle aucun élément de preuve précisant l’intérêt public déterminé en ce qui concerne les documents caviardés au titre de cet élément de privilège ou indiquant ce qui justifie leur protection.

[84] De l’avis de la Cour, la CCF a établi l’existence d’une « apparence de droit » à la divulgation des renseignements caviardés dans le cadre de cette revendication, sous réserve d’un examen plus approfondi. Ainsi, afin de déterminer la validité de cette revendication de privilège, la Cour estime qu’elle pourrait devoir examiner les documents sous une forme non caviardée, au moyen des éléments de preuve présentés par le défendeur, pour expliquer la justification des revendications : Chad, aux paragraphes 15 et 40. Cela peut nécessiter le dépôt de versions non caviardées des dossiers sous scellé à la Cour et une audience à huis clos.

(3) Article 38 : Relations internationales et défense et sécurité nationales

[85] Comme il a été mentionné précédemment, les oppositions à la divulgation de renseignements relatifs aux relations internationales, à la défense nationale et à la sécurité nationale sont traitées conformément aux procédures énoncées aux articles 38 à 38.15 de la LPC. Le mécanisme est déclenché par un avis au procureur général du Canada de la divulgation possible de renseignements potentiellement préjudiciables ou sensibles. L’avis a pour effet d’empêcher la divulgation des renseignements, à moins que la divulgation ne soit autorisée par le procureur général ou par un juge désigné de la Cour fédérale sur demande, selon la procédure. La demande peut être présentée par le procureur général ou par la personne qui demande la divulgation des renseignements. Bien que le procureur général ait le droit de présenter des observations ex parte, la Cour s’efforce de mener le plus d’instances possible en public, conformément au principe de la publicité des débats judiciaires.

[86] Étant donné que le défendeur s’appuie sur des revendications de privilège prévues à l’article 38, il se peut que le procureur général ait reçu un avis et ait choisi d’interdire la divulgation au motif que cela porterait préjudice à un ou plusieurs des trois intérêts nationaux protégés. Le défendeur souligne à juste titre que la Cour n’est saisie d’aucune demande en vertu de l’article 38. Le procureur général peut corriger la situation en déposant une demande accompagnée d’une preuve par affidavit. Dans de telles circonstances, le procureur général a le droit d’être entendu à l’égard d’une telle demande ex parte et à huis clos. Il est possible d’organiser une audience accélérée dans les locaux sécurisés de la Cour.

(4) Secret professionnel

[87] Des parties du texte caviardé dans les documents remis indiquent qu’elles sont assujetties à des revendications du secret professionnel. Bien que certaines d’entre elles semblent être des références isolées, d’autres sont entremêlées avec les autres revendications.

[88] L’avocat comprendra que les renseignements protégés par le secret professionnel sont très rarement divulgués. Pour la gouverne des autres lecteurs des présents motifs, je pense qu’il est nécessaire d’en dire plus sur ce point et sur la façon dont il s’applique en l’espèce.

[89] Le privilège est aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 au paragraphe 36.

[90] Le secret professionnel est essentiel à l’administration efficace de la justice et vise à protéger la relation confidentielle entre l’avocat et son client. Sauf exceptions limitées qui ne s’appliquent pas en l’espèce, ces renseignements sont protégés de façon permanente contre la divulgation, à moins que le client n’y renonce expressément : Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 RCS 860 au paragraphe 398; Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 au paragraphe 26.

[91] Bien que le secret professionnel puisse être restreint ou outrepassé par la loi, cette loi doit être interprétée de façon restrictive. Comme l’a déclaré le juge Binnie dans l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, au paragraphe 11 [Blood Tribe] : « Le privilège ne peut être supprimé par inférence. On considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. » Cela comprendrait la production de documents en vertu de l’article 317.

[92] La divulgation de communications assujetties au secret professionnel, que ce soit en vertu de la common law ou d’exceptions législatives, ne sera ordonnée que lorsque cela est absolument nécessaire : Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31 au paragraphe 20.

[93] Cependant, tout ce qui est fait par un avocat du gouvernement au nom d’un client n’est pas protégé par le secret professionnel. Les conseils stratégiques, par exemple, ne relèvent pas du privilège.

[94] La Cour peut raisonnablement déduire des circonstances que la présence d’avocats du gouvernement aux réunions du GII visait à fournir aux ministres des conseils juridiques confidentiels. Il n’y a aucune allégation devant la Cour permettant de démontrer que le privilège n’a pas été dûment invoqué. Sinon, il existe une présomption de fait que toute communication entre les avocats du gouvernement et les membres du Conseil serait considérée à première vue comme confidentielle : Blood Tribe, au paragraphe 16.

[95] Néanmoins, il serait préférable d’avoir une confirmation écrite de ce fait de la part d’un avocat du gouvernement ayant une connaissance personnelle des circonstances dans lesquelles les communications ont eu lieu et de leur nature en tant que communications confidentielles.

(5) Article 39 : Renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada

[96] Comme il a été mentionné précédemment, deux certificats délivrés en vertu de l’article 39 ont été signés dans cette affaire : celui du greffier par intérim signé, le 1er avril 2022, auquel est jointe une annexe décrivant les documents auxquels le certificat s’applique; et le certificat signé le 4 août par le greffier (confirmé dans le poste intérimaire), auquel est jointe une annexe sous la forme d’un tableau décrivant les renseignements auxquels s’applique le certificat qui sont contenus dans les documents remis les 19 et 22 juillet 2022. Les deux certificats semblent à première vue conformes aux exigences officielles établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Babcock, au paragraphe 28.

[97] Bien que le deuxième certificat ait été signé après la remise des documents caviardés aux parties dans les quatre demandes, à mon avis, cela ne change rien. Il ne s’agit pas d’un cas où le défendeur a demandé la protection rétroactive de documents déjà divulgués. De plus, le deuxième certificat délivré en vertu de l’article 39 indique clairement qu’il ne s’applique qu’aux « parties » des documents remis.

[98] La demanderesse soutient que, dans le cas du contrôle judiciaire des décisions du Cabinet, les documents présentés au Cabinet, comme les présentations ministérielles et les projets de proposition, ne sont pas exclus de la portée de l’article 317 des Règles. À l’appui de cette affirmation, la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 87 [Vavilov], où la Cour suprême a souligné l’importance de tenir compte du processus de raisonnement ayant mené à la décision en question. La demanderesse établit une analogie avec la jurisprudence relative aux conseils municipaux pour affirmer que le dossier d’une décision du Cabinet doit également comprendre les procès‐verbaux qui consignent « les débats [et] les délibérations » entre ses membres ayant mené à sa décision : Vavilov, au paragraphe 137, citant Catalyst Paper Corp c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, au paragraphe 29. La demanderesse soutient qu’il est essentiel que le dossier complet soit divulgué à la Cour, car le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable exige que les motifs officiels d’une décision soient interprétés « en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus », c’est‐à‐dire le dossier : Vavilov, au paragraphe 94.

[99] L’analogie que le demandeur fait entre les comptes rendus des décisions collectives prises par les conseils municipaux et les décisions prises par le Conseil privé de la Reine pour le Canada ne tient pas compte des solides protections traditionnellement accordées au titre du privilège du Cabinet en vertu de la common law ainsi que dans le cadre de la LPC. Le fait que les conseils municipaux et le Cabinet soient des organes de délibération composés de plusieurs membres ne peut diminuer l’importance accordée au privilège du Cabinet dans notre système de droit. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Babcock, au paragraphe 15, « la confidentialité des délibérations du Cabinet est essentielle au bon gouvernement ».

[100] Cela dit, en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, les organismes « exerçant la compétence ou les pouvoirs conférés par une loi fédérale », au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, sont le Cabinet et le GII, même si la Loi ne fait explicitement référence qu’au gouverneur en conseil. Par conséquent, le dossier produit en réponse à la demande déposée par la demanderesse en vertu de l’article 317 des Règles devait comprendre des documents présentés au Cabinet et au GII, sous réserve ou non d’une revendication au titre de l’article 39 de la LPC ou d’une autre revendication de privilège. Sans cette information, une lacune dans le dossier persisterait, car il ne contiendrait pas suffisamment de renseignements sur le processus de raisonnement qui a mené à la publication de la Proclamation d’urgence, ce qui empêcherait la Cour d’examiner adéquatement la décision contestée.

[101] Le défendeur a évité de déclarer qu’il avait produit un dossier incomplet en remettant tardivement les procès‐verbaux et les ordres du jour des réunions du GII et du Cabinet. Cela aurait été conforme au plein pouvoir de la Cour de contrôler l’intégrité de sa propre procédure : Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‐vie RBC, 2013 CAF 50 au paragraphe 36. Dans Lukács c. Canada (Office des transports), 2016 CAF 103 au paragraphe 6 [Lukács], la Cour d’appel fédérale a conclu que les pleins pouvoirs permettent à un tribunal de veiller à ce que les documents qui font partie du dossier puissent être produits pour le demandeur, même en cas d’opposition en vertu du paragraphe 318(2) des Règles.

[102] Comme l’a fait remarquer le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale dans Lukács, au paragraphe 7 :

[...] Si la cour de révision n’a pas devant elle la preuve de ce que le décideur administratif a fait ou de ce sur quoi il s’est appuyé, elle peut ne pas être en mesure de détecter une erreur justifiant son intervention. Autrement dit, si le dossier de preuve soumis à la cour de révision est insuffisant, cela pourrait mettre le décideur administratif à l’abri du contrôle judiciaire à l’égard de certains des motifs. Notre jurisprudence en matière de droit administratif évolue de façon à rendre les décideurs publics plus responsables quant au processus décisionnel et à éviter de les mettre à l’abri, en l’absence des motifs les plus impérieux : Slansky c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 199, 364 D.L.R. (4th) 112, aux paragraphes 314 et 315 (motifs dissidents, mais non à cet égard).

[103] Toutefois, comme il a été mentionné dans l’arrêt Lukács, au paragraphe 15, lorsqu’on trouve une solution en vertu des pleins pouvoirs, il faut concilier l’impératif d’un contrôle judiciaire valable du processus décisionnel administratif avec la protection de tout intérêt légitime à l’égard de la confidentialité. Il s’agit d’un élément clé dans le contexte actuel.

[104] La demanderesse soutient que la Cour devrait ordonner au défendeur de remettre les éléments énumérés dans les certificats aux fins de consultation par l’avocat seulement et sous réserve d’un engagement de confidentialité, nonobstant l’article 39. La demanderesse soutient que le plein pouvoir de la Cour l’autorise à examiner en privé les documents protégés par les certificats, afin d’exercer sa compétence de surveillance sur l’exécutif fédéral. La demanderesse soutient également que le processus accusatoire, qui est essentiel à un contrôle judiciaire efficace, exige dans ce contexte que les documents soient également communiqués aux avocats, sous réserve de leur engagement à ne pas divulguer davantage les renseignements.

[105] La demanderesse s’appuie sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien des réfugiés, 2021 CAF 72, au paragraphe 99 [STCA], pour faire valoir que les documents visés par l’article 39 peuvent faire l’objet d’un examen privé par le tribunal afin qu’il puisse exercer sa compétence de surveillance sur le Cabinet, et soutient en outre que la Cour d’appel fédéral a rejeté l’existence d’un droit absolu et inconditionnel d’invoquer un privilège prévu à l’article 39 même si le recours à un tel droit a pour effet de mettre à l’abri du contrôle judiciaire le résultat de la prise de décision.

[106] La demanderesse établit une distinction d’avec deux décisions dans lesquelles une approche plus restrictive à l’égard de la communication de documents protégés par le privilège du Cabinet a été adoptée, Babcock, précité, et Singh c. Canada (Procureur général), [2000] 3 CF 185 [Singh]. La demanderesse insiste sur le fait que, dans ces deux cas, les documents sur lesquels le privilège du Cabinet a été invoqué étaient distincts de la décision faisant l’objet du contrôle, car aucun de ces cas ne portait sur une décision du Cabinet. Selon la demanderesse, aucune des deux décisions ne peut être interprétée comme interdisant les mécanismes élaborés par la Cour d’appel fédérale dans STCA pour concilier la confidentialité avec la compétence de surveillance des tribunaux, à savoir les résumés, la nomination d’un avocat spécial, et la consultation de documents par un avocat seulement sous réserve d’un engagement de confidentialité.

[107] Dans la décision Singh, au paragraphe 45, les appelants soutiennent que la Cour d’appel fédérale n’a pas écarté la possibilité que l’article 39 soit inapplicable, citant une déclaration dans le mémoire des appelants selon laquelle « le Parlement ne peut autoriser l’exécutif à soustraire ses agissements à l’examen à la lumière de la Constitution ». Au paragraphe 46 de son jugement, la Cour déclare ce qui suit : « À titre d’observation de portée générale, cet argument est bien convaincant et doit être examiné sérieusement. »

[108] La demanderesse soutient que la Cour devrait accorder à l’avocat seul l’accès aux éléments énumérés dans les certificats délivrés en vertu de l’article 39 afin de s’assurer que les motifs de la déclaration sont mis à l’épreuve dans le cadre d’une procédure accusatoire. De l’avis de la demanderesse, ni la nomination d’un amicus curiae pour examiner les documents protégés ni la divulgation d’un résumé, les autres mécanismes suggérés dans l’arrêt STCA, ne seraient appropriés. Selon la demanderesse, l’accès aux documents réservé à l’avocat serait conforme à la forte présomption de maintien des caractéristiques essentielles du processus accusatoire.

[109] Le défendeur affirme que la communication de renseignements visés par un certificat délivré en vertu de l’article 39 de la LPC à la Cour ou aux parties est interdite, comme le confirme le libellé simple de l’article 39 et les justifications politiques qui appuient la non‐divulgation – franchise (Babcock, au para 18) et solidarité (Juges de la Colombie‐Britannique, aux para 95 à 96). Le défendeur invoque l’arrêt Babcock, aux paragraphes 54 à 57, pour soutenir que les principes non écrits de la primauté du droit, de l’indépendance de la magistrature et de la séparation des pouvoirs doivent être mis en équilibre avec la suprématie parlementaire. Le défendeur fait remarquer que la confidentialité du processus décisionnel du pouvoir exécutif est essentielle au système canadien de démocratie représentative fondé sur la primauté du droit, le gouvernement responsable et le partage des pouvoirs.

[110] En fin de compte, le défendeur soutient que la convention de solidarité du Cabinet rend le point de vue de chaque membre du Cabinet non pertinent. C’est le caractère raisonnable de la décision collective qui doit être examiné par la Cour. La délivrance d’un certificat en vertu de l’article 39 ne porte pas atteinte à l’intégrité du processus de la Cour, car la question de la production est tranchée par le greffier, ou le ministre, selon le cas, qui est responsable de soupeser les intérêts publics, et non par la Cour : Babcock, au paragraphe 32. L’ordonnance d’un tribunal de produire des documents confidentiels en vertu de l’article 39 aux fins d’examen par la Cour ou d’inspection par l’avocat des demandeurs pour [TRADUCTION« s’assurer qu’ils sont mis à l’épreuve dans le cadre d’une procédure accusatoire » irait à l’encontre de l’objet de l’article 39 et équivaudrait à une erreur de droit.

[111] L’article 39 a généralement été interprété comme une interdiction absolue de communiquer des documents confidentiels du Cabinet devant une instance révisionnelle : Babcock, au paragraphe 23. Le libellé impératif de la disposition prévoit que, lorsque l’article 39 est invoqué, « la divulgation de renseignements doit être refusée sans examen ni audition de ceux‐ci par le tribunal, l’organisme ou la personne ». Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt TWN au paragraphe 27 :

Le rôle de notre Cour lorsqu’il s’agit d’examiner une attestation délivrée en application de l’article 39 dans le cadre d’un contrôle judiciaire est limité. Nous sommes tenus de refuser la communication d’un renseignement protégé par l’attestation « sans l’examiner ni tenir d’audition à son sujet » (voir Babcock, par. 38). Nous ne pouvons que vérifier si la décision de délivrer l’attestation et l’attestation elle‐même relèvent « d’un pouvoir clairement conféré par la loi et exercé de façon régulière » (voir Babcock, paragraphe 39, renvoyant à Roncarelli c. Duplessis, 1959 CanLII 50 (SCC), [1959] R.C.S. 121).

[112] Selon la jurisprudence relative à l’article 39, il a également été conclu que le caractère « draconien » de la protection des documents confidentiels du Cabinet ne contrevient pas à la primauté du droit, à la séparation des pouvoirs ou à l’indépendance de la magistrature, et n’empiète pas non plus de façon inadmissible sur la compétence centrale des cours supérieures : Babcock, aux paragraphes 39, 57 et 60; Singh, aux paragraphes 25 et 44.

[113] La CCF, appuyée à cet égard par la CCLA, fait valoir que l’examen d’une décision ayant une incidence sur l’équilibre des pouvoirs du fédéralisme canadien et sur les libertés civiles qui soit aussi importante que l’invocation de la Loi, exige qu’une instance révisionnelle adopte une approche plus large pour garantir qu’une telle décision soit assujettie à une procédure de surveillance et d’examen judiciaires valable. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt STCA, au paragraphe 104, les cours saisies d’un contrôle judiciaire « sont chargées d’assurer la primauté du droit », et donc d’assurer la responsabilité de l’exécutif devant l’autorité légale. La Cour a reconnu dans l’arrêt STCA qu’il pourrait y avoir des circonstances exceptionnelles qui ne sont pas envisagées dans l’arrêt Babcock, dans lesquelles le fait d’invoquer un certificat délivré en vertu de l’article 39 vise à mettre le processus décisionnel public à l’abri du contrôle judiciaire.

[114] Le juge Stratas a déclaré, au paragraphe 102 de la l’arrêt STCA, que [TRADUCTION]°« en érigeant par tous les moyens possibles des remparts contre toute surveillance judiciaire, elle s’exerce par la voie d’un contrôle judiciaire ou d’un appel, même lorsqu’il s’agit de décider si un administrateur a outrepassé ses compétences légales, on porte atteinte de manière injustifiée aux fonctions essentielles de la magistrature en matière constitutionnelle et au principe constitutionnel qu’est la primauté du droit ». Les cours de justice « ne se laissent pas leurrer par les organismes publics et les administrateurs qui tentent de soustraire leurs décisions au contrôle en refusant de communiquer certains documents ou renseignements essentiels au contrôle ou en ne justifiant pas leurs décisions » : STCA, au paragraphe 106.

[115] À la lumière de ces affaires, on peut conclure que la question déterminante est celle de savoir si le certificat délivré en vertu de l’article 39 exempte la décision contestée du contrôle judiciaire d’une manière incompatible avec la primauté du droit. Il convient de souligner qu’aucun certificat délivré en vertu de l’article 39 et visant à protéger les renseignements contre la communication n’a été annulé dans les affaires citées par la demanderesse. De plus, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt STCA n’a pas déclaré qu’un des trois mécanismes de divulgation proposés s’appliquerait pour annuler le libellé de l’article 39, à moins que le gouvernement n’ait pris des mesures pour soustraire la décision au contrôle judiciaire.

[116] Les préoccupations au sujet de la mise à l’abri de décisions administratives ressortent lorsque l’instance révisionnelle « ne dispose pas du dossier de preuve qui était devant le décideur administratif, c’est‐à‐dire en l’absence de résumé ou de toute indication sur la preuve soumise au décideur administratif, ou que le dossier est muet sur un élément essentiel » : TWN, au paragraphe 78. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[117] Les Cours fédérales ont annulé des décisions administratives où le « dossier de preuve, malgré toute inférence autorisée et présomption de preuve, empêche la cour saisie du contrôle de déterminer si la décision est raisonnable suivant une méthodologie acceptable » : TWN, au paragraphe 79, citant Leahy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 au paragraphe 137; Canada c. Kabul Farms Inc, 2016 CAF 143 aux paragraphes 31 à 39; Association canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique du Canada, 2006 CAF 337 au paragraphe 17. C’est le cas lorsqu’il y a « absence complète, dans le dossier, de renseignements sur un élément essentiel » : TWN, au paragraphe 79.

[118] L’exigence voulant que la décision administrative soit étayée par une explication motivée « s’examine en fonction du contexte, notamment la nature du décideur administratif et des contraintes qui lui sont imposées » : Portnov c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 171, au paragraphe 34 [Portnov], citant Vavilov, aux paragraphes 91 à 98.

[119] Lorsque des préoccupations relatives à la confidentialité sont soulevées au sujet du secret du Cabinet, le gouverneur en conseil « est limité quant aux explications qu’il peut fournir » pour des raisons pratiques et juridiques : Portnov, au paragraphe 53. Par conséquent, comme dans l’arrêt Portnov, « il ne saurait convenir que la cour de révision transforme l’exigence, énoncée dans l’arrêt Vavilov, de fournir une explication motivée en une obligation pour le gouverneur en conseil de fournir une explication complète, exhaustive et publique » des raisons pour lesquelles il a déclaré une urgence d’ordre public et pris des règlements sur les mesures d’urgence : Portnov, au paragraphe 54. La Cour devra plutôt « examiner le caractère raisonnable du résultat auquel en est arrivé le décideur administratif, en se fondant sur les documents à l’appui, les circonstances et tout élément de raisonnement, s’il y en a, dont elle dispose, y compris tout renseignement que le demandeur du contrôle judiciaire a pu obtenir » au titre d’une demande présentée en vertu de l’article 317 des Règles : Portnov, au paragraphe 54.

[120] La divulgation volontaire par le défendeur des procès‐verbaux et des ordres du jour caviardés en juillet mine l’argument selon lequel il a tenté de mettre la décision contestée à l’abri du contrôle judiciaire d’une manière incompatible avec la primauté du droit. Ces renseignements, ainsi que le dossier certifié du tribunal, l’Explication conformément à l’article 58, le Compte rendu présenté aux deux chambres du Parlement : Consultations prévues par la Loi sur les mesures d’urgence, les décrets pris en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence et d’autres renseignements contextuels figurant au dossier de la Cour constituent un fondement pour un contrôle judiciaire efficace, significatif et équitable de la décision. La question de savoir si la décision était raisonnable ou non sera tranchée selon le dossier complet.

[121] La barre qui a été fixée par la jurisprudence quant à la suffisance du dossier des décisions du gouverneur en conseil est assez basse : Portnov, au paragraphe 34 citant; Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 au paragraphe 74. En l’espèce, on ne peut pas dire qu’il n’y a absolument rien dans le compte rendu qui porte sur un élément essentiel. Par conséquent, rien ne permet de conclure qu’un recours comme celui dont il est question dans l’arrêt STCA devrait être utilisé pour assurer un contrôle valable.

[122] La CCLA a invité la Cour à examiner le raisonnement dans Canada (Environnement) c. Canada (Commissaire à l’information), 2003 CAF 68, confirmant Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CFPI 277 [Ethyl]. Dans l’affaire Ethyl, la controverse portait sur le refus du ministre de l’Environnement de divulguer certains documents de travail du Cabinet concernant les décisions au sujet d’un additif pour carburant. Il était question de l’exemption d’un document de travail à l’interdiction de communication de documents confidentiels du Cabinet, ce qui ne s’applique pas en l’espèce.

[123] Il se peut fort bien qu’il soit nécessaire de mettre en place un cadre accéléré pour faire face aux contestations de tout recours futur à la Loi sur les mesures d’urgence, comme le propose la CCLA. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour de trancher cette question. D’autres processus sont en cours pour formuler des recommandations à l’intention du Parlement. En l’absence d’une conclusion selon laquelle la décision a été soustraite au contrôle judiciaire, conclusion que je ne suis pas disposé à tirer, la Cour doit appliquer la loi telle qu’elle est actuellement, et non créer de nouveaux recours.

VI. Conclusion

[124] Après avoir examiné les arguments écrits et oraux des parties, le libellé des lois et la jurisprudence citée, je ne suis pas en mesure d’accorder la réparation demandée par la demanderesse. Je n’accepte pas que la décision de déclarer une urgence en matière de sécurité publique le 15 février 2022 soit soustraite au contrôle judiciaire par les revendications de privilège visant des parties du compte rendu des délibérations du Cabinet avant qu’il invoque la Loi sur les mesures d’urgence. Des renseignements suffisants ont maintenant été divulgués, en plus de ceux qui ont déjà été produits, pour permettre un contrôle judiciaire efficace, juste et significatif de la décision.

[125] Il reste des questions à régler concernant les revendications de privilège en vertu des articles 37 et 38 de la LPC. De telles revendications exigent un équilibre entre les intérêts publics divergents, et le législateur a laissé cette tâche aux tribunaux. Contrairement aux documents confidentiels du Cabinet, la tâche de déterminer si de tels privilèges s’appliquent n’est pas réservée à un ministre ou au greffier du Conseil privé.

[126] À la lumière de mes conclusions, je crois qu’il est nécessaire de donner au procureur général l’occasion de déterminer si les revendications au titre des articles 37 et 38 seront maintenues. D’après les commentaires que j’ai formulés lors des conférences de gestion des cas, l’avocat du défendeur est bien conscient que de telles revendications doivent être justifiées par un dossier de preuve. Il n’y en a actuellement aucun devant la Cour. Au besoin, la Cour ordonnera que le défendeur dépose des demandes ou communique les renseignements visés par ces revendications.

[127] Bien qu’il n’y ait actuellement aucune raison de croire que les revendications du secret professionnel ne sont pas fondées, comme il a été mentionné précédemment, il serait préférable que ce fait soit confirmé par écrit par un avocat du gouvernement, compte tenu des responsabilités éthiques que cela comporte, sous réserve d’une connaissance personnelle des circonstances dans lesquelles la communication de conseils juridiques a eu lieu.

[128] Le défendeur a sollicité les dépens afférents à la présente requête. Compte tenu de la nature de la demande sous‐jacente fondée sur la qualité pour agir dans l’intérêt public, qui sera tranchée à l’audience sur le fond, la Cour estime qu’il convient d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‐347‐22

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. La requête pour obtenir une déclaration portant que la réponse du gouverneur en conseil à la demande déposée par la demanderesse en vertu de l’article 317 des Règles est incomplète est rejetée;

  2. La requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de remettre des versions non caviardées des dossiers décrits dans les certificats délivrés en vertu de l’article 39 pour consultation par un avocat seulement et sous réserve d’engagements de confidentialité est rejetée;

  3. Le défendeur informera la Cour et les parties en l’espèce ainsi que les parties aux demandes de contrôle judiciaire connexes, dans les 14 jours suivant la réception de la présente ordonnance, de son intention de maintenir dans les documents divulgués les revendications de privilège en vertu des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada;

  4. La Cour convoquera une conférence de gestion des cas avec l’avocat à la réception de la position du défendeur pour discuter des prochaines étapes de la présente instance et des procédures connexes;

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐347‐22

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CANADIAN CONSTITUTION FOUNDATION C. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA C. PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence à Ottawa

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AOÛT 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 26 AOÛT 2022

COMPARUTIONS :

SUJIT CHOUDHRY

JANANI SHANMUGANATHAN

Pour la demanderesse

KATHLEEN KOHLMAN

CHRIS RUPAR

Pour le défendeur

MANDY ENGLAND

SHAHEER MEENAI

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CHOUDHRY LAW

TORONTO (ONTARIO)

GOODARD & SHANMUGANATHAN

TORONTO (ONTARIO)

 

Pour la demanderesse

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA, ONTARIO

 

Pour le défendeur

MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

EDMONTON (ALBERTA)

POUR L’INTERVENANT

 

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