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Date : 20220906


Dossier : IMM-5870-21

Référence : 2022 CF 1255

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2022

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

ABADALLAH BEN ABDALLA GADIAGA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, M. Abadallah Ben Abdalla Gadiaga, est un citoyen du Sénégal. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 août 2021 [décision], par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté sa demande d’asile et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés rendue le 17 mars 2021, à l’effet que le demandeur n’est ni réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Le demandeur affirme craindre notamment (i) deux de ses oncles et l’une de ses tantes en raison d’un conflit sur l’héritage de son père qui est décédé en 2015; et (ii) les gens de son voisinage, montés contre lui par ses oncles et sa tante, avec des rumeurs que le demandeur serait homosexuel, fondées sur les voyages du demandeur en Europe en lien avec son implication professionnelle dans l’industrie de la mode.

[3] La SAR a conclu que la question déterminante pour les fins de l’appel était celle de la crédibilité des allégations du demandeur, ainsi que le fondement objectif de la demande d’asile. La SAR a conclu que le demandeur n’a pas démontré de manière crédible que le conflit sur l’héritage de son père entraine une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités par ses oncles et sa tante. Il n’a pas non plus démontré une crainte bien fondée de persécution en raison de la perception qu’il soit homosexuel.

[4] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que la SAR a erré dans l’évaluation de sa crédibilité.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question en litige et norme de contrôle

[6] La seule question que la Cour est appelée à décider est si la décision de la SAR est déraisonnable.

[7] Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019, CSC 65 au para 85 [Vavilov]). Il incombe au demandeur, la partie qui conteste la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit juste être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov aux para 102, 104).

III. Analyse

[8] Les deux questions soulevées par le demandeur concernent la crédibilité. Comme l’ont indiqué mes collègues, les juges Simon Fothergill, Shirzad A. Ahmed et Nicholas McHaffie, l’appréciation de la crédibilité fait partie du processus de recherche des faits, et les décisions quant à la crédibilité appellent la déférence dans le cadre du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 FC 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoiyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les décisions quant à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits [...] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir au para 29; Tran au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22).

A. Crainte en raison du conflit sur l’héritage

[9] Le demandeur estime que la SAR a erré, car les omissions et contradictions identifiées ne justifiaient pas le rejet des déclarations provenant d’un témoignage sous serment, sans preuve contradictoire. Le demandeur fait valoir que ses explications aux contradictions sont « logiques et raisonnables » et que la SAR devait tenir compte des explications du demandeur puisqu’elles n'étaient pas manifestement invraisemblables. Le demandeur argumente que la SAR, en concluant à l’existence du problème d’héritage, sans qu’il n’ait démontré une menace pour sa vie, la SAR a fait une erreur d’appréciation des faits.

[10] Le défendeur soutient que la SAR a bien expliqué son raisonnement logique et raisonnable en concluant à l’absence de crédibilité du demandeur que le conflit entrainerait une menace pour sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le défendeur prétend que le demandeur n’a présenté à cette Cour aucun argument concernant le caractère raisonnable de la décision de la SAR, et que son désaccord avec la conclusion de la SAR n’est pas un motif de contrôle judiciaire, car cette Cour n’a pas pour rôle de soupeser à nouveau la preuve.

[11] Je suis d’accord avec le défendeur. Il est bien établi que, à défaut de circonstances exceptionnelles, les cours de révision doivent s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov au para 125). À mon avis, le demandeur demande à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente. Le demandeur peut ne pas être d’accord avec les conclusions de la SAR sur la question du conflit sur l’héritage de son père, mais il n’appartient pas à la Cour de réexaminer ou de soupeser à nouveau la preuve afin de tirer des conclusions qui lui seraient favorables.

B. Crainte en raison d’être perçu comme homosexuel

[12] La SAR a constaté que le demandeur, appart de son témoignage, n’a amené aucune preuve selon laquelle il existe une perception qu’il serait homosexuel. La SAR conclut que le demandeur « n’a pas démontré de manière crédible, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est perçu comme homosexuel par sa communauté. Il n’a pas démontré qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution pour ce motif. Je suis prête à accepter que certains membres de sa famille voient son implication dans le milieu de la mode d’un mauvais œil, mais cela est insuffisant pour conclure à une possibilité sérieuse de persécution. »

[13] Le demandeur affirme que le raisonnement de la SAR à l’effet que le demandeur ne ferait pas face à une persécution par la perception qu’il est homosexuel parce qu’il n’a jamais vécu cette persécution est incompatible avec les allégations du demandeur qu’il fera face à cette persécution à son retour au Sénégal. Le demandeur affirme que l’absence de crédibilité fondée sur le comportement du demandeur ne devait pas empêcher la SAR de considérer le risque relié à son profil.

[14] Le défendeur fait valoir que le simple désaccord du demandeur avec les conclusions tirées par la SAR est nettement insuffisant pour démontrer que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence ». Le défendeur affirme que le demandeur n'a pas le profil d'une personne perçue comme homosexuel, car il n'a pas prouvé que cette perception existe ou s'applique à lui.

[15] Comme indiqué ci-dessus, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire de soupeser à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente. Dans les affaires où la SAR est appelée à évaluer et à soupeser un nombre de variables, il y a manifestement place à des désaccords quant au poids à accorder à chacune d’elles, de même qu’à la conclusion finale de la SAR. Un simple désaccord sur ces questions n’est pas un motif de contrôle. Ayant examiné le dossier et les éléments de preuve présentés à la SAR, ainsi que les observations des parties, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur. La SAR, sur la base du dossier dont elle disposait, a raisonnablement conclu que le demandeur n'a pas démontré qu’il est perçu comme homosexuel par sa communauté.

IV. Conclusion

[16] Pour conclure, j’estime que le demandeur n’a pas réussi à démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR. Je suis convaincue que, lorsque lue de façon globale et contextuelle, la décision satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[17] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que la cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-5870-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée; et

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5870-21

INTITULÉ :

ABADALLAH BEN ABDALLA GADIAGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 6 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Mohamed Diaré

Pour le demandeur

Julien Primeau-Lafaille

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mohamed Diaré

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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