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Date : 20220902


Dossier : IMM‐3010‐21

Référence : 2022 CF 1253

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

FABIAN ANDRES ALFEREZ MONSALVE

GINNA FERNANDA CABELLERO JOVEN

MARTIN ALFEREZ CABALLERO (MINEUR)

JULIETA ALFEREZ CABALLERO (MINEURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, en date du 27 avril 2021, par laquelle un agent principal a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs à partir du Canada. L’agent, au nom du ministre, a conclu, après avoir apprécié l’intérêt supérieur des enfants, le degré d’établissement, le risque et la situation dans le pays, que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Faits

[2] Le demandeur et la demanderesse adultes sont conjoints. Ensemble, ils ont trois enfants d’âge mineur; la plus jeune étant née au Canada et par conséquent ayant la citoyenneté canadienne, n’est pas partie à la présente demande. Les demandeurs sont entrés au Canada le 8 août 2018 pour demander l’asile. Ils ont comparu à une audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR) le 10 octobre 2019, et une décision défavorable a été rendue, mais l’affaire a fait l’objet d’un contrôle judiciaire et a été renvoyée à la SPR pour une nouvelle audience. Il semble que les demandeurs ont été à nouveau déboutés. Les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada au titre de l’article 25 de la LIPR. Leur demande de résidence permanente a été rejetée, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[3] Un agent principal a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée à partir du Canada. Les demandeurs ont énoncé les facteurs suivants à prendre en considération : le degré d’établissement, les liens familiaux au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et les difficultés qu’entraînerait un retour en Colombie.

A. Degré d’établissement au Canada

[4] Le demandeur principal a suivi des cours d’anglais langue seconde à l’école Wheable de septembre 2018 à juillet 2020. Il a commencé à travailler à temps partiel à titre de manœuvre en août 2020. Il occupe toujours cet emploi. La conjointe du demandeur principal a aussi suivi des cours d’anglais langue seconde de juillet 2019 à juillet 2020, après un congé de maternité d’une durée de dix mois. Elle a aussi travaillé à titre de manœuvre d’août à octobre 2020. Elle n’a inscrit aucun autre emploi.

[5] Les demandeurs fréquentent la Redemption Bible Chapel Church et ont des amis dans la communauté. Ils ont également produit une preuve d’assurance‐automobile, un bail de location et des photos de famille pour établir plus solidement leur degré d’établissement.

[6] Après avoir reconnu que les demandeurs ont atteint un [traduction] « degré d’établissement » au Canada et noué des amitiés profondes, l’agent n’était pas convaincu que ces liens [traduction] « sont plus étroits que leurs liens avec la Colombie ». Il a estimé que le degré d’établissement des demandeurs était celui auquel on s’attendrait de personnes dans leur situation. De plus, l’agent a souligné que les relations ne sont pas restreintes par les frontières géographiques et qu’[traduction] « il est loisible aux demandeurs de rester en contact avec leurs amis au Canada par la poste, par téléphone et en ligne ». Pour cette raison, il a accordé peu de poids à ce facteur.

B. Liens familiaux au Canada

[7] Le demandeur principal a une sœur, un beau‐frère, des nièces et des neveux à proximité, qu’il fréquente. La sœur et la nièce du demandeur principal ont écrit des lettres décrivant en détail leur relation avec le demandeur et sa famille, en soulignant à quel point elles étaient heureuses de les avoir retrouvés et de passer du temps de qualité avec eux.

[8] L’agent reconnaît les difficultés émotionnelles et psychologiques que pourrait entraîner une nouvelle séparation d’avec leur famille élargie, mais il estime que cela n’équivaudrait pas à des difficultés importantes. Il souligne que rien ne donne à penser que [traduction] « les familles ne pourraient pas, fortes du temps qu’elles ont passé ensemble au Canada, rester en contact par téléphone, par la poste et en ligne ».

C. Intérêt supérieur des enfants

[9] Les demandeurs ont trois enfants, qui sont âgés de 6, 5 et 2 ans. Les deux enfants plus âgés vont à l’école, prennent part à des activités parascolaires et ont des amis. Les demandeurs soutiennent que les enfants ne connaissent pas la Colombie et qu’ils seraient exposés à la faim, à la pauvreté, à la criminalité, à la peur et à la violence de même qu’à la persécution constante à laquelle sont exposés leurs parents. La plus jeune est une citoyenne canadienne.

[10] L’agent a accordé peu de poids à l’intérêt supérieur des enfants sur la foi des éléments de preuve. Il a invoqué le fait que les deux enfants plus âgés ont résidé en Colombie avant leur arrivée au Canada et, pour cette raison, qu’il serait [traduction] « raisonnable de supposer que les enfants ont été exposés quotidiennement à la langue espagnole, aux coutumes et à la culture colombiennes pendant qu’ils étaient en Colombie, ainsi que par leurs contacts avec leurs parents et avec la famille élargie au Canada ». Même s’il admet que la plus jeune, qui est née au Canada, a le droit de rester au pays, l’agent souligne qu’[traduction] « il serait dans son intérêt supérieur qu’elle suive sa famille ». En dépit des difficultés que rencontrerait la plus jeune pour s’adapter à la vie en Colombie, l’agent soutient que [traduction] « les enfants sont résilients face au changement, et les trois enfants auront leur mère, leur père, leurs frère et sœurs, leurs grands‐parents maternels et paternels et leur(s) tante(s) pour les soutenir devant les difficultés sur les plans linguistique, social et émotionnel qu’ils pourraient éprouver ».

[11] L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas décrit en quoi leurs enfants seraient exposés à la faim, à la pauvreté, à l’insécurité, à la criminalité, à la peur, à la violence, ainsi qu’au manque de soins médicaux de qualité, de sécurité, de nourriture, de soins de santé ou d’attention en Colombie. Il a accordé peu de poids à ce facteur.

D. Difficultés liées au retour en Colombie

[12] Plus précisément, l’agent souligne que les demandeurs mentionnent des difficultés auxquelles ils pourraient être confrontés s’ils devaient retourner en Colombie en raison d’un risque de persécution aux mains de Los Urabenos, groupe et cartel de drogue néo‐paramilitaire de premier plan en Colombie. La SPR a conclu dans ses motifs que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable ailleurs en Colombie, où ils ne seraient pas exposés à des risques et où il ne serait pas déraisonnable pour eux de se réinstaller. L’agent conclut que les demandeurs n’ont pas présenté beaucoup d’éléments de preuve pour faire valoir les difficultés auxquelles ils seraient exposés s’ils retournaient dans la PRI ou ailleurs en Colombie. Pour cette raison, il a accordé peu de poids à ce facteur.

[13] En général, les demandeurs ont mentionné la criminalité, les vols à main armée, les enlèvements, le terrorisme, la violence faite aux femmes, et la drogue, entre autres éléments, comme sources de difficultés supplémentaires. L’agent a répondu en soulignant que le recours au paragraphe 25(1) de la LIPR n’avait pas pour but de compenser la différence de niveau de vie, mais plutôt de permettre une mesure d’exception lorsque des motifs d’ordre humanitaire le justifient. Il est conscient de ce que les demandeurs peuvent ne pas vouloir quitter le Canada, mais cela n’est pas une raison suffisante pour qu’ils y restent. De plus, l’agent souligne le fait que les parents ont résidé en Colombie pendant toute leur vie, abstraction faite du temps qu’ils passent au Canada, et qu’ils n’ont pas fait valoir dans les éléments de preuve en quoi ils ont été exposés à l’une quelconque des difficultés qu’ils ont mentionnées. Pour cette raison, il a également accordé peu de poids à ce facteur.

[14] Les demandeurs ont aussi souligné qu’ils ne sauraient pas où s’établir s’ils retournaient en Colombie. L’agent a répondu à cet argument en soulignant qu’ils n’avaient pas démontré avec des éléments de preuve suffisants qu’ils ne pourraient pas obtenir un soutien jusqu’à ce qu’ils puissent subvenir à leurs besoins.

IV. Questions en litige

[15] Les demandeurs soutiennent que les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

  • 1)La décision tient‐elle suffisamment compte de l’intérêt supérieur des enfants?

  • 2)Une analyse raisonnable a‐t‐elle été effectuée au sujet du degré d’établissement des demandeurs au Canada?

  • 3)Une analyse raisonnable a‐t‐elle été effectuée au sujet du risque et des conditions défavorables dans le pays?

[16] Le défendeur soutient que les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :

  • 1)L’analyse qu’a faite l’agent d’immigration de l’intérêt supérieur des enfants était‐elle raisonnable?

  • 2)L’appréciation des éléments de preuve par l’agent d’immigration était‐elle raisonnable?

  • 3)L’appréciation du risque et des conditions défavorables en Colombie effectuée par l’agent était‐elle raisonnable?

[17] Avec égards, la seule question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

V. Dispositions législatives pertinentes

[18] Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] est ainsi libellé :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25(1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25(1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[19] Le paragraphe 25(1.3) de la LIPR est ainsi libellé :

Non‐application de certains facteurs

Non‐application of certain factors

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

VI. Norme de contrôle

[20] Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, au para 84, citant Dunsmuir, au para 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, au para 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, au para 90). La cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99, citant Dunsmuir, aux para 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 RCS 5, au para 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience qu’invoque la partie [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre la décision déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[Non souligné dans l’original.]

[21] Je constate également qu’une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est une mesure « de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour » : Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335, décision rendue par le juge Zinn au para 30. Les appréciations effectuées selon des considérations d’ordre humanitaire sont de nature extrêmement discrétionnaire, ce qui « élargit la gamme d’issues possibles acceptables » : Holder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 337 au para 18, décision rendue par le juge Near; Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108 au para 13, décision rendue par le juge Phelan.

[22] Dans la décision Chaudhary c Canada (Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté), 2018 CF 128, la juge Anne‐Marie McDonald a écrit ce qui suit, et je suis du même avis :

[26] Dans une demande CH, l’agent est présumé avoir examiné tous les éléments de preuve. Dans une affaire semblable, la Cour, dans Guiseppe Ferraro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 801, au paragraphe 17, affirme ce qui suit [Ferraro] :

Il existe une présomption selon laquelle la responsable du dossier a considéré l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise. Cette présomption ne sera réfutée que si la preuve qui n’est pas analysée présente une forte valeur probante et porte sur une question qui intéresse au plus haut point la demande [...].

[27] En l’espèce, l’agent a traité directement la preuve contraire et a expliqué la raison pour laquelle la gravité de l’infraction l’emportait sur la situation du mari de la demanderesse. La demanderesse cherche à plaider de nouveau le bien‐fondé de la demande CH devant notre Cour. Le législateur a délégué au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir de statuer sur le bien‐fondé de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour ne peut intervenir pour accorder plus de poids à la preuve médicale, ou réévaluer les éléments de preuve (Leung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 636, au paragraphe 34 [Leung]), en l’absence des « traits distinctifs du caractère déraisonnable », qui éloignent la décision relative à une demande CH des issues possibles et raisonnables (Ré:Sonne c Association canadienne des radiodiffuseurs, 2017 CAF 138, au paragraphe 59).

[31] Une décision relative à une demande CH sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt des enfants touchés par la décision n’est pas suffisamment pris en compte (Kanthasamy, au paragraphe 39). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » (Kanthasamy, au paragraphe 39; Legault, aux paragraphes 12 à 31) et le décideur doit se montrer « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75). L’intérêt supérieur de l’enfant n’appelle pas un certain résultat (Legault, au paragraphe 12) parce que, généralement, l’intérêt supérieur de l’enfant militera en faveur d’un non‐renvoi (Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, au paragraphe 22).

[23] Je souscris également à la décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 265, dans laquelle le juge en chef Crampton a statué, au paragraphe 21 :

Je suis conscient que, dans la décision Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762, au paragraphe 23, la Cour a laissé entendre que ce serait une erreur de rejeter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au motif de l’absence de circonstances « exceptionnelles » ou « extraordinaires ». Dans la mesure où cet énoncé est incompatible ou en conflit avec les principes cités aux paragraphes 19 et 20 qui précèdent, de même qu’avec d’autres précédents qui peuvent être interprétés de manière raisonnable comme ayant adopté une approche semblable, je suis d’avis qu’il ne reflète pas de manière exacte l’état actuel du droit : voir, par exemple, Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187, aux paragraphes 25 et 26; L E c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 930, aux paragraphes 37 et 38; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1281, au paragraphe 31; Brambilla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1137, aux paragraphes 14‐15); Sibanda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 806, aux paragraphes 19‐20); Jani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1229, au paragraphe 25; Ngyuen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 29.

VII. Analyse

A. Intérêt supérieur de l’enfant

[24] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de la question de savoir si leurs enfants peuvent surmonter les difficultés s’ils devaient accompagner leurs parents en Colombie. Ils estiment que les motifs donnés par l’agent, soit que [traduction] « les enfants rencontreront certaines difficultés dans leur réadaptation à la vie en Colombie » et que l’enfant canadienne [traduction] « aura des problèmes d’adaptation », représentent tous des considérations relatives à des difficultés possibles si les enfants devaient retourner en Colombie avec leurs parents. Ils prétendent que les enfants doivent avoir préséance dans une appréciation de l’intérêt supérieur des enfants, plutôt que la question de savoir s’ils peuvent raisonnablement surmonter les difficultés d’une nouvelle vie en Colombie. Ils citent la décision Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008, pour faire valoir que la notion de difficultés doit être appliquée de façon différente aux enfants. Dans cette affaire, le juge Diner a statué :

[28] Tout résumer à la question de savoir si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la personne surmonte les inévitables difficultés d’une nouvelle vie, comme l’agent l’a fait en l’espèce, ressemble plutôt au critère qu’on applique pour les adultes. Puisque les enfants sont beaucoup plus malléables que les adultes, quiconque se pose au départ la question de savoir s’ils vont pouvoir s’adapter aboutira presque inévitablement à une conclusion affirmative comme quoi les enfants parviendront effectivement à surmonter les difficultés inhérentes au départ pour ensuite s’adapter à une nouvelle vie, avec entre autres l’apprentissage d’une toute nouvelle langue (le tagalog dans le cas présent). Procéder ainsi, c’est vider de son sens l’obligation de prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, comme le veut pourtant le paragraphe 25(1).

[25] Les demandeurs soutiennent que les motifs donnés par l’agent ne prennent pas en compte de façon déraisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant, mais plutôt la question de savoir si les enfants pourront s’adapter en Colombie.

[26] De plus, les demandeurs prétendent que l’appréciation effectuée par l’agent repose indûment sur le fait que les deux enfants plus âgés ont déjà résidé en Colombie, argument qu’il a maintes fois avancé. Ils estiment que ces facteurs se rapportent, logiquement, à la question des difficultés que pourraient rencontrer les enfants et vident l’expression « intérêt supérieur de l’enfant » de tout son sens. Les demandeurs reconnaissent que l’agent a compris que la plus jeune enfant était née au Canada, mais que, en mentionnant à deux reprises qu’elle était déjà retournée en Colombie, il a largement écarté le fait qu’elle n’est jamais allée dans ce pays; il s’agit manifestement d’un oubli à mon avis. En bref, les demandeurs soutiennent que l’analyse effectuée par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants était déraisonnable parce qu’elle n’était pas justifiée, intelligible et transparente.

[27] Le défendeur soutient que la position des demandeurs selon laquelle l’agent a commis une erreur en examinant la question de savoir si les demandeurs mineurs pourraient s’adapter à la vie en Colombie, plutôt que celle de savoir s’ils auraient une meilleure vie au Canada, n’est pas fondée.

[28] C’est aussi mon avis. Avec égards, la capacité d’adaptation est un élément essentiel d’une appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il n’y a aucune raison pour laquelle l’agent n’aurait pas dû la prendre en compte en l’espèce, et je ne suis pas non plus convaincu qu’il a examiné cet élément de façon déraisonnable en l’espèce. À cet égard, le défendeur cite les arrêts Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 et Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 de la Cour d’appel fédérale.

[29] Je me reporte également aux motifs du juge Favel dans la décision Aboubacar c  Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 839, à ce sujet :

[43] Je trouve que la présente affaire ressemble davantage à l’affaire Edo‐Osagie. Comme les demandeurs l’ont reconnu, la Cour dans cette affaire a souligné que les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve sur les « difficultés auxquelles les enfants pourraient être confrontés dans leur adaptation à une nouvelle culture » (au para 29). La Cour a ajouté que le dossier « contient peu de renseignements sur les antécédents de la famille, ses compétences linguistiques et culturelles, ses connaissances du Nigéria ou le séjour en Italie » (au para 29). Les demandeurs soutiennent que, en comparaison, ils ont expliqué que le demandeur mineur ne pouvait pas parler hindi. Pour les motifs déjà exposés précédemment, je conclus que l’agent s’est montré « réceptif, attentif et sensible » à cette observation (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75, 174 DLR (4th) 193). L’agent devait tenir compte « des répercussions concrètes de la décision sur l’intérêt supérieur des enfants » (Ahmed, au para 27). L’agent l’a fait et il a conclu de façon raisonnable que le demandeur mineur pourrait apprendre l’hindi de nouveau.

[30] En quelques mots, il incombait aux demandeurs d’établir les difficultés, s’il y a lieu, que rencontreront les enfants s’ils retournent en Colombie. Il s’agit tout simplement d’un facteur parmi d’autres que la famille qui présente la demande se devait d’établir. Avec égards, les demandeurs ont tort de reprocher à l’agent d’avoir apprécié la capacité d’adaptation des enfants.

[31] De plus, il va sans dire que pour un enfant, le fait de résider au Canada avec son ou ses parents est presque toujours la meilleure option; par conséquent, l’argument est presque toujours insuffisant pour justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Voir, parmi de nombreux exemples, le raisonnement de la Cour fédérale dans la décision Edo‐Osagie c Canada, 2017 CF 1084, rendue par le juge Manson. Les demandeurs doivent faire valoir davantage d’arguments :

[26] Bien que je ne sois pas d’accord avec l’appréciation par l’agent des différences entre le Canada et le Nigéria en matière d’éducation, et de leur incidence sur les enfants, l’agent a estimé de façon raisonnable que les différences sur le plan éducatif et socioéconomique entre le Nigéria et le Canada n’étaient pas des facteurs déterminants. Le simple fait qu’il soit plus souhaitable pour les enfants de vivre au Canada ne suffit pas, et ne constitue pas en soi une raison pour accueillir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Serda, au paragraphe 31).

[32] Les enfants plus âgés ont passé trois années de leur vie au Canada. Il n’est pas déraisonnable de mentionner que la Colombie est un lieu comparable en ce qui concerne les liens familiaux, la langue et la culture. À ce stade. l’agent, de façon raisonnable, met en lumière les membres de la famille et les proches qui résident encore dans le pays d’origine. Même la plus jeune, en dépit du fait qu’elle est née au Canada, peut avoir raisonnablement compris et conservé des éléments de ses origines et de sa culture au contact de ces membres de la famille. Il était raisonnablement dans son intérêt supérieur qu’elle reste avec ses parents et, en l’espèce, qu’elle les suive lors de leur retour en Colombie. J’estime que la décision de l’agent est raisonnable à cet égard : la décision est justifiée, transparente et intelligible, selon les critères établis dans l’arrêt Vavilov.

B. Degré d’établissement

[33] Les demandeurs prétendent, contrairement à ce qu’affirme l’agent, qu’il est déraisonnable d’exiger [traduction] « sans davantage d’explications un degré d’établissement extraordinaire ou exceptionnel ». Ils citent pour étayer leur position les motifs donnés par la Cour dans les décisions Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185, Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258 et Ndlovu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 878. Le juge Grammond a statué dans la décision Sivalingam :

13] Je suis d’accord avec M. Sivalingam qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le niveau d’établissement de M. Sivalingam au Canada n’était pas [traduction] « au‐delà de ce qu’on attend d’une personne qui arrive au Canada ou extraordinaire par rapport à ce qu’on en attend ». D’autres décisions de la Cour ont conclu qu’il n’est pas raisonnable d’exiger, sans davantage d’explications, un degré d’établissement « extraordinaire » (Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, [2014] 3 RCF 639, au paragraphe 80; « Ndlovu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 878, au paragraphe 14). En effet, « l’établissement » est examiné afin d’évaluer si le demandeur mérite une dispense pour motifs d’ordre humanitaire, et non un prix pour une contribution exceptionnelle à la société.

[...]

[18] [...] dans Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a rejeté l’idée que certains concepts d’ordre humanitaire créent des seuils séparés que les demandeurs d’ordre humanitaire doivent surmonter, et a conclu qu’un décideur doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes pour décider si une dispense est justifiée ou non (Kanthasamy, aux paragraphes 28, 33). En imposant des seuils ou des « fardeaux de la preuve » distincts à M. Sivalingam, l’agent n’a pas tenu compte de façon raisonnable des facteurs d’ordre humanitaire dans leur ensemble, contrairement à l’arrêt Kanthasamy.

[34] Les demandeurs soutiennent que l’agent a créé un fardeau distinct dont les demandeurs devaient s’acquitter et qu’il n’a pas expliqué de façon raisonnable les raisons pour lesquelles il estimait qu’ils ne s’en étaient pas acquitté. L’agent reconnaît que les demandeurs [traduction] « ont atteint un degré d’établissement par leur emploi au Canada, par la pratique de leur religion et par la création d’amitiés profondes dans leur communauté » en plus des liens familiaux existants, mais il estime que le tout correspond à un [traduction] « degré d’établissement auquel on s’attendrait ». Cependant, les demandeurs estiment qu’il s’agit d’une [traduction] « affirmation générique » qui n’est pas étayée par les motifs de l’agent.

[35] Avec égard, cette observation n’est pas fondée. L’agent a conclu que le degré d’établissement des demandeurs correspondait à ce à quoi on s’attendait en l’espèce. Il aurait pu conclure qu’il était en deçà de ce à quoi on s’attendait, ou supérieur aux attentes dans un cas donné. J’estime que l’agent a tout simplement conclu à un degré d’établissement entrant dans ce continuum. L’agent n’a pas tort; il n’était pas tenu par des principes juridiques contraignants de présenter des explications plus précises par rapport à ce que renfermait le dossier (et il n’avait pas à en citer tous les éléments) et aux facteurs qu’il a bel et bien pris en compte.

[36] De plus, l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‐Neuve‐et‐Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14. En fait, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ».

[37] Avec égards, j’estime que l’agent ne s’est pas borné à affirmer dans ses motifs que l’établissement des demandeurs correspondait au [traduction] « degré d’établissement attendu ». Dans le même ordre d’idées, je renvoie aux motifs du juge Manson (et du juge Roy) dans la décision Santos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1332 aux para 24‐25 :

[24] Mme Santos soutient que l’agent a mal appliqué le critère juridique pour trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, car il a exigé qu’elle démontre que son établissement était [traduction] « exceptionnel ». Le même argument a été présenté au juge Yvan Roy dans l’affaire De Sousa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 818 [De Sousa]. Celui‐ci l’a rejeté pour les motifs suivants (au par. 27) :

Les demandeurs font valoir que le décideur a placé très haut la barre lorsqu’il a examiné la question de l’établissement en exigeant qu’il s’agisse d’un établissement [traduction] « exceptionnel » (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 31). Je ne crois pas que cette analyse des termes employés reflète la conclusion effective du décideur. Il n’a pas fixé de seuil relevant du caractère exceptionnel. Dans sa décision, il a simplement considéré que l’établissement ne représentait pas un élément exceptionnel. En fait, lorsqu’on lit la phrase intégralement, il est évident que le décideur a simplement indiqué qu’[traduction] « il n’est pas rare que des personnes qui résident au Canada exercent un emploi, s’intègrent à leur collectivité, forgent des amitiés, paient leurs impôts, donnent de leur temps et maintiennent un bon dossier civil ». Cela est certainement vrai. En fait, le décideur a accordé dans une certaine mesure une pondération favorable à l’établissement au Canada. Il ne fait aucun doute que les demandeurs apportent une contribution à leur collectivité et qu’ils n’ont pas vécu au crochet de la société. Mais il demeure que l’établissement n’est pas extraordinaire au point qu’on lui accorde une pondération importante.

[25] Des considérations semblables s’appliquent en l’espèce. Comme dans l’affaire De Sousa, l’agent a accordé un poids favorable au degré d’établissement de Mme Santos au Canada.

[38] L’agent affirme ensuite qu’il n’est [traduction] « pas convaincu que les liens des demandeurs avec le Canada sont plus étroits que leurs liens avec la Colombie ». Lorsqu’ils sont lus dans leur ensemble, ces motifs établissent que les demandeurs ont noué des liens aussi étroits avec la Colombie et que, par conséquent, leur retour dans ce pays n’entraînerait pas de difficultés importantes dans les circonstances.

[39] Ces conclusions sont raisonnables, justifiées et intelligibles.

C. Risque et conditions défavorables dans le pays

[40] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en prenant en compte un facteur non applicable lorsqu’il a apprécié les conditions défavorables dans le pays, ce qui contrevient au paragraphe 25(1.3) de la LIPR.

Non‐application de certains facteurs

Non‐application of certain factors

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

[41] Plus particulièrement, les demandeurs contestent la mention de l’agent quant au fait que la SPR a estimé raisonnable dans sa décision que la famille se réinstalle dans une ville proposée comme possibilité de refuge intérieur (PRI). Ils estiment que l’agent [traduction] « était tenu de rendre sa propre décision eu égard aux faits et de ne pas se fonder, même partiellement, sur ce qu’avait conclu la Section de la protection des réfugiés ».

[42] Cette affirmation n’est aucunement fondée. Les demandeurs, notamment, ne présentent aucune source pour étayer cette affirmation, laquelle repose uniquement sur une interprétation inédite du paragraphe 25(1.3). De plus, je ne suis pas convaincu que la disposition puisse être interprétée comme empêchant un agent chargé de l’examen d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de tenir compte d’une conclusion de PRI tirée par la SPR (ou la SAR). En outre, je constate que l’agent appréciait seulement les arguments des demandeurs sur les difficultés et sur le risque : à ce compte, ils n’ont aucune raison de se plaindre.

[43] Les demandeurs soutiennent en outre que l’agent a énoncé incorrectement le critère relatif aux difficultés comme [traduction] « visant à permettre une mesure d’exception en réponse à un ensemble particulier de circonstances qui ne sont pas prévues. [Non souligné dans l’original.] » Ils estiment que cela contrevient à la conclusion énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, selon laquelle le décideur ne doit tenir compte que des « difficultés inhabituelles, injustes ou indues ». La Cour suprême a statué dans l’arrêt Kanthasamy ce qui suit :

[99] [...] Le paragraphe 25(1) ne précise pas la période pendant laquelle il doit y avoir considérations d’ordre humanitaire; et il ne requiert pas non plus que l’existence de celles‐ci ne soit envisagée que vis‐à‐vis du demandeur. Ce paragraphe exige seulement du décideur qu’il se penche sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire relatives au demandeur. Il est formulé en termes généraux parce qu’il est impossible de prévoir toutes les situations où il pourrait être approprié d’accorder une dispense à une personne désireuse d’entrer au Canada ou d’y demeurer. Une approche plus globale s’impose donc.

[44] À la lumière de ce qui précède, les demandeurs affirment que l’appréciation de leur demande était déraisonnable parce que l’agent a limité son analyse à des circonstances « qui [ne sont pas prévues ». [Non souligné dans l’original.]

[45] Cette affirmation n’est aucunement fondée. Avec égards, les demandeurs citent incorrectement ce que l’agent a écrit. Ils omettent de citer la phrase entière, qui est la suivante : [TRADUCTION] « 20. Le recours au paragraphe 25(1) de la LIPR n’a pas pour but de compenser la différence de niveau de vie, mais plutôt de permettre une mesure d’exception en réponse à un ensemble particulier de circonstances qui ne sont pas prévues par la LIPR et où des motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures ». [Non souligné dans l’original.] Placés après la conclusion de l’agent, comme il se devait (et comme aurait dû le faire l’avocat des demandeurs dans ses observations), les mots [traduction] « qui ne sont pas prévues par la LIPR » répondent entièrement aux observations des demandeurs.

[46] De plus, le défendeur mentionne l’arrêt Kanthasamy dans lequel la Cour suprême du Canada confirme ce principe, soit que l’article 25 a été promulgué afin de conférer au Ministre le pouvoir « de déroger aux dispositions de la Loi et d’octroyer le statut de résident permanent, ou de lever l’ensemble ou une partie des critères et obligations applicables, pour des motifs humanitaires ou si l’intérêt public le justifie ». Comme le confirme l’extrait qui suit de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) était donc perçu comme une exception souple et sensible à l’application habituelle de la Loi ou, pour reprendre les termes employés par Janet Scott, un pouvoir discrétionnaire permettant « de mitiger la sévérité de la loi selon le cas ». Il n’est pas nécessaire d’examiner à nouveau une question confirmée de façon définitive aussi récemment par le plus haut tribunal du pays :

[19] Le résumé législatif du projet de loi C‐11, le projet de loi qui a conduit à l’adoption de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, explique que l’art. 25 « maintiendrait l’importante latitude dont jouit le Ministre de déroger aux dispositions de la Loi et d’octroyer le statut de résident permanent, ou de lever l’ensemble ou une partie des critères et obligations applicables, pour des motifs humanitaires ou si l’intérêt public le justifie » : (Bibliothèque du Parlement, « Projet de loi C‐11 : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés », Résumé législatif LS‐397F, par Jay Sinha et Margaret Young, 26 mars 2001, p. 12 (note en bas de page omise); Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2013] 2 RCS 559, par. 41. Comme le pouvoir de même nature dont il s’inspire, le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le par. 25(1) se veut donc une exception souple et sensible à l’application habituelle de la Loi ou, pour reprendre les termes employés par Janet Scott, un pouvoir discrétionnaire permettant « de mitiger la sévérité de la loi selon le cas ».

[Non souligné dans l’original.]

[47] De plus, je fais remarquer que l’agent ne s’est pas fondé uniquement sur la ville proposée comme PRI par la SPR. L’agent a aussi souligné l’absence d’éléments de preuve objectifs eu égard aux difficultés que les demandeurs ont énumérées dans leur exposé circonstancié et leur incapacité de compter sur un soutien social à leur retour en Colombie. La décision de l’agent était raisonnable à cet égard.

VIII. Conclusion

[48] En toute déférence, j’estime que la décision faisant l’objet du contrôle est justifiée, transparente et intelligible et elle est étayée par le dossier et par les contraintes juridiques, conformément à l’arrêt Vavilov. Le contrôle judiciaire doit donc être rejeté.

IX. Question à certifier

[49] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐3010‐21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐3010‐21

 

INTITULÉ :

FABIAN ANDRES ALFEREZ MONSALVE, GINNA FERNANDA CABALLERO JOVEN, MARTIN ALFEREZ CABALLERO (MINEUR), JULIETA ALFEREZ CABALLERO (MINEURE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 2 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Terry S. Guerriero

POUR LES DEMANDEURS

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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