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Date : 20220907


Dossier : IMM-6627-21

Référence : 2022 CF 1267

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2022

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

JOHN ADEWALE ADEYEMI

HANNAH OLAJUMOKE

AYANFEOLUWA OYINKANSOLA ADEYEMI

AFIJINFOLUWA ADELANI ADEYEMI

OBATOUNSEBEBE OLUWANIFISE ADEYEMI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs sont membres d’une famille Nigérienne dont la demande d’asile au Canada leur a été refusée. Le demandeur principal, père de cette famille, a subséquemment tenté sans succès de se qualifier sous la Politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente pour certains demandeurs d’asile qui travaillent dans le secteur de la santé durant la pandémie de COVID-19.

[2] Cette demande lui a été refusée au motif qu’il ne rencontrait pas l’un des critères d’éligibilité prévu à la politique, soit celui d’avoir travaillé dans le secteur de la santé au moins 120 heures entre le 13 mars 2020 et le 14 août 2020 — cette dernière date étant celle où le gouvernement a fait l’annonce de son intention d’instaurer la politique.

[3] Les demandeurs admettent que le demandeur principal ne rencontrait pas ce premier critère mais ils plaident qu’il n’avait pas à le faire puisque les critères d’éligibilité sont disjonctifs et non cumulatifs; il lui suffisait de démontrer qu’il avait travaillé dans le secteur de la santé pendant au moins six mois à temps plein avant le 31 août 2021. Ils sont donc d’avis que la décision de l’Agent d’immigration est déraisonnable puisqu’elle se fonde sur une interprétation erronée de la politique.

[4] Pour les motifs qui suivent, je rejette leur demande.

II. Analyse

[5] La politique en cause dans cette affaire a été adoptée en marge de la pandémie de COVID-19 qui a fait son entrée en scène au Canada en mars 2020. Elle a été annoncée par le gouvernement le 14 août 2020, est entrée en vigueur en décembre 2020 et l’est demeurée jusqu’au 31 août 2021. On y décrit la contribution extraordinaire des demandeurs d’asile qui ont travaillé dans le secteur de la santé depuis le début de la pandémie, souvent au risque de leur santé, voire de leur vie. Elle s’applique aux demandeurs d’asile déboutés ou en attente d’une décision qui rencontrent les conditions d’éligibilité qui y sont énumérées, et elle leur offre, de façon exceptionnelle, le statut de résident permanent.

[6] La portion des Conditions (critères d’éligibilité) pour les demandeurs principaux qui nous intéresse se lit comme suit :

A) L’étranger :

A) The foreign national:

[…]

[…]

4. A travaillé au Canada dans une ou plusieurs professions désignées (voir l’annexe A) où l’étranger offrait des soins directs aux patients dans un hôpital, un établissement de soins de longue durée ou un foyer avec services public ou privé, ou encore pour un organisme où l’étranger offrait des services de soins de santé aux aînés à domicile ou en établissement ou aux personnes handicapées dans des résidences privées :

4. Worked in Canada in one or more designated occupations (see Annex A) providing direct patient care in a hospital, public or private long-term care home or assisted living facility, or for an organization/agency providing home or residential health care services to seniors and persons with disabilities in private homes:

a. pendant au moins 120 heures (équivalant à 4 semaines à temps plein) entre le 13 mars 2020 (date de publication des conseils aux voyageurs canadiens) et le 14 août 2020 (date de l’annonce de la politique d’intérêt public);

a. for a minimum of 120 hours (equivalent to 4 weeks full-time) between March 13, 2020 (the date when Canadian travel advisories were issued) and August 14, 2020 (the date the public policy was announced; and,

b. pendant au moins 6 mois à temps plein (30 heures par semaine) ou 750 heures (s’il s’agissait d’un emploi à temps partiel) d’expérience au total (acquise au plus tard le 31 août 2021);

b. for a minimum of 6 months full-time (30 hours per week) or 750 hours (if working part-time) total experience (obtained no later than August 31, 2021); and,

c. pour plus de précision, les périodes de travail dans une profession désignée doivent être payées sauf si le demandeur effectuait un stage considéré comme une partie essentielle d’un programme de niveau postsecondaire ou d’une formation professionnelle dans le cadre d’un emploi dans une des professions désignées ou si le demandeur a effectué un stage dans une des professions désignées requis par un ordre professionnel.

c. for greater certainty, periods of work in a designated occupation must be paid unless the applicant was doing an internship that is considered an essential part of a post‑secondary study program or vocational training program in one of the designated occupations, or an internship performed as part of a professional order requirement in one of the designated occupations.

[…]

[…]

[7] Tel qu’indiqué plus haut, les demandeurs plaident que les critères que l’on retrouve aux alinéas 4a et 4b sont disjonctifs et qu’il suffit d’en rencontrer un seul; soit un demandeur démontre qu’il a travaillé au moins 120 heures au cours de la première période, soit il démontre qu’il a travaillé 6 mois au cours de la seconde période (pour les demandeurs, celle-ci débute à la fin de la première période, soit le 14 août 2020).

[8] Je ne suis pas d’accord. Si la version française de ce texte peut laisser le lecteur perplexe, la version anglaise ne souffre d’aucune ambigüité; l’utilisation de la conjonction de coordination et (and) indique clairement que les conditions qui y sont énumérées sont cumulatives et non disjonctives. Je suis d’avis que l’interprétation de l’Agent d’immigration était non seulement raisonnable, mais qu’elle était correcte.

[9] Cette interprétation s’explique également par le contexte et par le moment où la politique a été adoptée. L’annonce en est faite à la fin de la première vague de la pandémie alors que personne ne peut évidemment prédire la suite des choses. Elle est adoptée en décembre 2020, en plein cœur de la seconde vague; à nouveau, bien malin celui qui pouvait prédire quand cette pandémie serait derrière nous.

[10] Il est logique que la politique vise d’abord à récompenser ceux qui n’ont pas hésité à plonger tête première et à aider leurs prochains, donc ceux qui ont travaillé au cours de la première vague sans même savoir que ce faisant, ils étaient susceptibles d’en tirer un avantage. D’où l’importance de la première condition.

[11] En décembre 2020, la deuxième vague fait rage et il est important de conserver les ressources dans les systèmes de santé à travers le pays; d’où l’importance de la seconde condition.

[12] Selon les demandeurs, la lettre de refus de l’Agent d’immigration confirme leur interprétation selon laquelle les conditions sont disjonctives. Cette lettre est en anglais puisque le demandeur a fait sa demande en anglais. Voici comment l’Agent s’exprime :

You are not eligible under the new temporary public policy, because:

[X] you did not work in Canada in one or more designated occupations providing direct patient care in a hospital, public or private long-term care home or assisted living facility, or for an organization/agency providing home or residential health care services to seniors and persons with disabilities in private homes :

Ÿ for a minimum of 120 hours (equivalent to 4 weeks full-time) between March 13, 2020 and August 14, 2020;

or

Ÿ for a minimum of 6 months full-time (30 hours per week) or 750 hours (if working part-time) total experience (obtained no later than August 31, 2021);

[13] Il est important de noter que la première condition est surlignée en jaune dans la version qui se trouve au Dossier certifié du tribunal; ceci est important et j’y reviendrai plus loin.

[14] Pour les demandeurs, l’utilisation de la conjonction de coordination ou (or) confirme le caractère disjonctif des conditions.

[15] Je ne suis pas d’accord. Puisque cette portion de la lettre de refus est formulée à la forme négative, l’utilisation du « ou » s’impose. Cela signifie que le refus est dû au fait que le demandeur ne rencontre pas l’une ou l’autre des conditions (et non les deux). Il est bien connu que les Agents d’immigration utilisent des lettres standards dans ce type de dossiers et que les notes qui se trouvent au dossier font partie de sa décision. L’agent aurait pu cocher laquelle (lesquelles) des conditions n’étai(en)t rencontré(e)s, mais il a plutôt choisi de la surlignée en jaune. Ce faisant, l’Agent précise que son refus est fondé sur le défaut de rencontrer la première condition et que partant, il ne considère pas les conditions comme étant disjonctives.

[16] Tel que promis, je reviens à l’emphase mise sur la première condition par l’Agent d’immigration. Dans leur Dossier des demandeurs, les demandeurs ont déposé une différente version de la lettre de refus. Voici comment se présente l’extrait cité plus haut dans cette version :

You are not eligible under the new temporary public policy, because:

[X] you did not work in Canada in one or more designated occupations providing direct patient care in a hospital, public or private long-term care home or assisted living facility, or for an organization/agency providing home or residential health care services to seniors and persons with disabilities in private homes:

for a minimum of 120 hours (equivalent to 4 weeks full-time) between March 13, 2020 and August 14, 2020;

or

for a minimum of 6 months full-time (30 hours per week) or 750 hours (if working part-time) total experience (obtained no later than August 31, 2021);

(À nouveau, la portion ombragée est plutôt surlignée en jaune dans la version des demandeurs)

[17] L’emphase est mise sue les deux conditions, laissant maintenant entendre qu’aucune d’elle n’est rencontrée et qu’elles pourraient être cumulatives.

[18] La Cour dispose de la version électronique du Dossier des demandeurs, laquelle permet de voir l’identité de la personne ayant altéré le document après son émission. Il semble que ce soit le procureur des demandeurs.

[19] Altérer un document qui se trouve au Dossier certifié du tribunal est un geste grave qui doit être dénoncé.

[20] Cela dit, les demandeurs reproduisent également cette portion de la lettre de décision dans leur mémoire, cette fois sans aucune emphase. Il y manque à nouveau un élément important, soit celui par lequel l’Agent d’immigration précise le motif de son refus : le fait de ne pas rencontrer la première des deux conditions.

[21] Ceci démontre que les demandeurs — ou à tout le moins leur procureur — ont bien compris que pour l’agent, les critères étaient disjonctifs.

III. Conclusion

[22] Puisque je suis d’avis que l’Agent d’immigration a correctement interprété et appliqué la politique d’intérêt publique en cause dans cette affaire, et que son interprétation est conforme à son esprit et aux objectifs visés par le gouvernement, l’intervention de la Cour n’est pas requise. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification et je suis d’avis que cette affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans IMM-6627-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée;

  3. Aucun dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6627-21

 

INTITULÉ :

JOHN ADEWALE ADEYEMI, HANNAH OLAJUMOKE, AYANFEOLUWA OYINKANSOLA ADEYEMI, AFIJINFOLUWA ADELANI ADEYEMI, OBATOUNSEBEBE OLUWANIFISE ADEYEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 août 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

François Kasenda Kabemba

 

Pour les demandeurs

 

Geneviève Tremblay-Tardif

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Francois K. Law Office

Ottawa (ON)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa, (ON)

 

Pour le défendeur

 

 

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