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Date : 20220906


Dossiers : IMM-1136-21

IMM-6201-20

Référence : 2022 CF 1260

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Favel

Dossier : IMM-1136-21

ENTRE :

ANNA FRIESEN HARDER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-6201-20

ET ENTRE :

ABRAM FRIESEN HAMM

MARGARETHA HARDER GIESBRECHT

MARIA FRIESEN HARDER

PETER FRIESEN HARDER

MARGARETHA FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, HEINRICH FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM

JACOBO FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, SUSANA FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, EVA FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Abram Friesen Hamm [le demandeur principal] est citoyen du Mexique et père de neuf enfants. Le demandeur principal, son épouse et leurs sept plus jeunes enfants sont les demandeurs dans le dossier IMM-6201-20. La fille aînée du demandeur principal, Anna Friesen Hamm [Mme Hamm], aussi citoyenne du Mexique, avait initialement été incluse à titre de personne à charge dans le dossier IMM-6201-20. Puisqu’elle n’est plus une personne à charge, elle est la demanderesse dans le dossier IMM-1136-21 [collectivement, les demandeurs]. En août 2019, les demandeurs ont présenté conjointement une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le 1er septembre 2020, un agent principal [l’agent] a rejeté la demande après avoir conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier la levée des exigences habituelles applicables en matière de résidence permanente [les décisions contestées]. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire des décisions contestées.

[2] Pour les motifs qui suivent, les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.

II. Le contexte

[3] Les demandeurs sont arrivés au Canada le 19 juillet 2013 en tant que visiteurs. Leur statut de visiteur a expiré en novembre 2013, et ils vivent au Canada sans statut depuis lors.

[4] Les grands-parents et la sœur du demandeur principal sont des citoyens canadiens. Le demandeur principal a déposé une demande de preuve de citoyenneté canadienne après que sa famille et lui furent arrivés au Canada, mais cette demande a été rejetée le 8 juin 2016. Le père du demandeur principal est décédé avant que son fils puisse obtenir sa citoyenneté lorsqu’il était plus jeune.

[5] Avant de venir au Canada, les demandeurs vivaient dans une colonie mennonite à Zacatecus, au Mexique. Dans leurs affidavits, le demandeur principal et Mme Hamm ont indiqué que les demandeurs avaient quitté le Mexique parce qu’ils craignaient [traduction] « les gangs, les armes à feu, les enlèvements et la violence ». Ils ont expliqué qu’ils avaient été témoins d’actes criminels au Mexique et qu’à plus d’une occasion, un des demandeurs avait été menacé avec une arme à feu. Ils ont ajouté qu’ils avaient souvent manqué de nourriture au Mexique et qu’ils se retrouveraient vraisemblablement en situation d’itinérance s’ils devaient y retourner.

[6] Au Canada, les enfants mineurs fréquentent une école chrétienne privée. Selon le demandeur principal, si sa famille était renvoyée au Mexique, son épouse et lui ne pourraient se permettre d’envoyer que deux de leurs enfants à l’école.

[7] Les demandeurs ont présenté conjointement une demande d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] le 18 juillet 2019. Peu après, le 6 août 2019, ils ont présenté conjointement une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le même agent a examiné et rejeté les deux demandes. Les demandeurs n’ont pas contesté la décision relative à l’ERAR.

[8] La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs reposait sur leur établissement au Canada, sur l’intérêt supérieur des enfants et sur les difficultés auxquelles la famille serait exposée si elle était renvoyée au Mexique. À l’appui de cette demande, les demandeurs ont présenté de nombreuses lettres rédigées à la main. L’agent a rendu, à l’égard de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, deux décisions distinctes, dont les motifs sont identiques.

III. Les décisions

[9] D’abord, l’agent s’est penché sur l’établissement des demandeurs au Canada. Il a conclu qu’il n’y avait que peu de renseignements concernant les antécédents professionnels des demandeurs ou la façon dont le demandeur principal subvenait aux besoins de sa famille. Il a souligné que les demandeurs n’avaient pas obtenu de permis de travail avant le 14 novembre 2019. Il a accordé très peu de poids au travail agricole réalisé à compter de 2019.

[10] L’agent a pris acte du fait que l’épouse du demandeur principal, Margaretha, était une femme au foyer, qu’elle faisait du bénévolat et qu’elle cousait pour les plus démunis durant ses temps libres. Il a accordé un faible poids favorable aux activités bénévoles de Margaretha ainsi qu’aux amitiés des demandeurs. Il a aussi accordé un certain poids favorable au fait que les cinq plus jeunes des demandeurs allaient à l’école et qu’ils avaient tissé des liens au Canada.

[11] L’agent a souligné que les demandeurs n’avaient pas de dossiers criminels, mais qu’ils n’avaient pas renouvelé leur statut au Canada. Par conséquent, il a réduit quelque peu le poids accordé à leur établissement.

[12] L’agent s’est ensuite penché sur les risques auxquels les demandeurs seraient exposés et sur la situation défavorable au Mexique. Il n’y avait que peu d’éléments de preuve concernant les finances et les actifs des demandeurs, et ces derniers n’avaient pas établi qu’ils n’auraient pas les moyens de se loger temporairement en attendant de trouver un emploi et un endroit où s’installer de façon permanente.

[13] Ensuite, l’agent a analysé l’allégation des demandeurs selon laquelle ils subiraient des difficultés psychologiques en raison de la criminalité et de la violence au Mexique. Il a souligné que les demandeurs avaient peut-être été victimes de vol en 2013, mais que personne n’était à leurs trousses au Mexique au moment de leur départ. Il a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que les demandeurs seraient victimes d’actes criminels dans le futur. Il a fait remarquer que peu de renseignements avaient été fournis au sujet du rôle de la police ou du caractère inapproprié de sa réponse. Par conséquent, il a jugé que les craintes éprouvées par les demandeurs quant à la criminalité ne leur occasionneraient que de faibles difficultés.

[14] L’agent a aussi examiné l’allégation des demandeurs selon laquelle ils se retrouveraient en situation d’itinérance s’ils étaient renvoyés au Mexique, mais il a conclu qu’il n’y avait que peu d’éléments de preuve concernant leurs finances. Il a jugé que la preuve ne suffisait pas à établir que les demandeurs n’auraient pas les moyens de se loger temporairement au Mexique. Il a ajouté que les demandeurs avaient vécu dans des colonies mennonites au Canada et au Mexique et que rien n’indiquait qu’ils ne pourraient pas compter sur la communauté mennonite du Mexique ou sur les membres de leur famille élargie pour obtenir des ressources, un logement ou du soutien. De plus, il a fait observer que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils avaient vendu leur ancienne propriété au Mexique.

[15] Enfin, l’agent s’est penché sur l’intérêt supérieur des cinq enfants mineurs. Il a souligné qu’ils fréquentaient tous une école privée et qu’ils avaient tissé des liens au Canada. Peu de détails avaient été fournis concernant leurs expériences et leurs relations au Canada, mais l’agent a jugé probable que les enfants aient des amis et de la famille au pays et qu’ils participent aux activités de l’école et de la communauté. Il a conclu que le fait d’être séparés de leurs camarades et de ne plus participer à leurs activités parascolaires causerait aux enfants de faibles difficultés.

[16] L’agent a examiné l’affirmation des demandeurs selon laquelle seuls deux des enfants pourraient poursuivre leurs études au Mexique en raison des frais scolaires. Après avoir réalisé une recherche sur le système d’éducation mexicain auprès de sources publiques, il a appris que le gouvernement du Mexique avait mis en œuvre, en 2012, une loi qui rendait les études secondaires obligatoires pour tous les étudiants. Il a reconnu que des éléments de preuve indiquaient que cette loi n’était pas appliquée de la même façon partout, plus particulièrement dans les régions rurales. Il a aussi reconnu que, compte tenu du profil mennonite des demandeurs et du fait qu’ils retourneraient probablement dans une région rurale, les possibilités qui s’offriraient aux enfants les plus âgés en matière d’éducation risquaient d’être limitées. Cependant, il a jugé que peu de renseignements indiquaient que les enfants les plus âgés s’étaient vu refuser l’accès à l’éducation au Mexique et que rien n’indiquait non plus qu’ils poursuivaient leurs études au Canada. Il a conclu que le système d’éducation mexicain n’aurait, dans le pire des cas, qu’une faible incidence négative sur l’intérêt supérieur des enfants.

[17] L’agent a pris acte des préoccupations des parents quant à la sécurité de leurs enfants et il a reconnu que la situation générale au Mexique était défavorable pour certains. Toutefois, il a jugé que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre la preuve sur la situation générale et leur situation personnelle, et que peu d’éléments de preuve indiquaient qu’ils avaient souffert de la pauvreté, d’inégalités fondées sur le sexe ou de la criminalité. Il a conclu que peu d’éléments portaient à croire que les demandeurs avaient vécu de mauvaises expériences avec les systèmes d’éducation ou de soins de santé mexicains par le passé, surtout compte tenu du fait qu’ils vivaient dans une colonie mennonite.

[18] Dans l’ensemble, l’agent a conclu que les demandeurs avaient démontré un faible degré d’établissement. Il a aussi conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas l’octroi d’une dispense, puisque la preuve ne suffisait pas à établir qu’un renvoi du Canada aurait une incidence négative sur leur bien-être ou leur développement. Après avoir examiné la situation dans le pays, il a conclu que les demandeurs ne subiraient pas de difficultés exceptionnelles compte tenu de ce qui suit : les antécédents professionnels du demandeur principal ne donnaient pas à penser que la situation des demandeurs changerait de façon drastique s’ils devaient retourner au Mexique; les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils ne pourraient pas réintégrer la colonie mennonite au Mexique; les demandeurs n’avaient pas établi que leur profil faisait en sorte qu’ils étaient exposés à un risque plus grand que celui auquel est exposée la population en général. L’agent a souligné qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant les finances des demandeurs, et il a conclu qu’il était peu probable que leurs conditions de travail et de logement changent de façon importante s’ils devaient vivre au Mexique plutôt qu’au Canada. Pour ces motifs, il a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[19] Selon les observations des parties, la seule question en litige est de savoir si les décisions sont raisonnables. Les sous-questions peuvent être formulées ainsi :

  1. L’agent a-t-il apprécié raisonnablement les difficultés auxquelles les demandeurs seraient exposés s’ils étaient renvoyés au Mexique?

  2. L’agent a-t-il apprécié raisonnablement l’intérêt supérieur des enfants?

  3. L’agent a-t-il apprécié raisonnablement l’établissement des demandeurs au Canada?

[20] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], aux para 42-44).

[21] La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure « exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui mérite [...] une déférence considérable de la part de la Cour » et qui donne lieu à une « gamme plus vaste d’issues possibles acceptables » (Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 aux para 17-18, citant Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335 au para 30 et Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108 au para 13). Le défendeur affirme qu’un décideur ne devrait pas être astreint à une norme de perfection. Une cour de révision doit se demander si la décision s’inscrit dans un éventail d’issues raisonnables, et non si elle en serait arrivée à la même conclusion (Vavilov, aux para 83, 86-87, 99, 145).

V. Analyse

A. L’agent a-t-il apprécié raisonnablement les difficultés auxquelles les demandeurs seraient exposés s’ils étaient renvoyés au Mexique?

(1) La position des demandeurs

[22] L’agent n’a pas appliqué le bon critère juridique au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. L’examen des considérations d’ordre humanitaire n’est pas censé remplacer une appréciation des risques énoncés aux articles 96 ou 97 de la LIPR ou en constituer une nouvelle. Le paragraphe 25(1) n’exige pas qu’un demandeur établisse qu’il sera personnellement exposé à un risque plus grand que celui auquel est exposée la population en général (Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1269 [Shah] au para 73; Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129 [Diabate] au para 32; Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714 au para 4). Il doit seulement établir qu’il sera vraisemblablement touché par la situation défavorable dans le pays (Kanthasamy, aux para 53-56; Damian c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2019 CF 1158 [Damian] aux para 29-31).

[23] L’agent a exigé des demandeurs qu’ils présentent une preuve directe montrant qu’ils subiraient personnellement des difficultés précises (p. ex., accès inadéquat à l’éducation, discrimination, risques). De même, bien que l’agent ait reconnu que les demandeurs avaient été victimes d’actes criminels, il a, à tort, exigé d’eux qu’ils identifient l’agresseur, qu’ils établissent le motif et qu’ils démontrent que leur profil faisait en sorte qu’ils étaient exposés à un risque plus grand que celui auquel est exposée la population en général. Les demandeurs ont présenté une preuve montrant qu’ils subiraient vraisemblablement des difficultés en raison de la situation défavorable dans le pays.

(2) La position du défendeur

[24] L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés. Le processus d’examen des considérations d’ordre humanitaire n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Kanthasamy, aux para 23, 25). Dans les circonstances, l’agent a raisonnablement apprécié toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes et il a conclu que les demandeurs n’étaient pas admissibles à une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[25] L’analyse des difficultés faite par l’agent était raisonnable. Selon les décisions postérieures à l’arrêt Kanthasamy, un agent chargé d’examiner une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire peut, au moment d’analyser les difficultés, se demander en quoi la situation générale dans le pays peut toucher un demandeur en particulier. Bien qu’il soit inadmissible pour un agent de se demander si un demandeur « subir[a] un plus grand degré de discrimination que d’autres », il peut tout de même examiner l’ampleur et la nature des difficultés que subira le demandeur ainsi que la relation entre celles-ci et la situation générale qui règne dans le pays (Arsu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 617 aux para 16-17).

[26] Les décisions tenaient compte des observations des demandeurs et elles indiquaient que l’agent avait appliqué le bon critère et qu’il avait procédé à une appréciation [traduction] « prospective » (Caleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1018 aux para 23). L’agent a pris en considération le vol qui s’était produit en 2013, mais il a finalement conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que les demandeurs seraient de nouveau pris pour cibles dans le futur. Il a aussi pris en considération la situation particulière des demandeurs, soulignant que ceux-ci avaient vécu dans une colonie mennonite au Mexique. Il a raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils ne pourraient pas compter sur le soutien de la communauté mennonite ou de leur famille élargie.

(3) Conclusion

[27] Je suis d’avis que l’analyse des difficultés faite par l’agent est raisonnable. Il ressort des décisions dans leur ensemble que l’agent a appliqué le bon critère, c’est-à-dire qu’il s’est demandé si les demandeurs seraient vraisemblablement touchés par la situation défavorable au Mexique s’ils étaient renvoyés dans ce pays (Kanthasamy, au para 56).

[28] Premièrement, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent a commis une erreur en exigeant une preuve personnalisée. Un demandeur qui sollicite une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire n’a pas à présenter de preuve directe démontrant qu’il a été ou qu’il sera touché par la situation défavorable dans le pays (Kanthasamy, aux para 54-56). Cependant, pour démontrer qu’il serait vraisemblablement touché par la situation défavorable dans le pays, un demandeur doit établir un lien entre la preuve générale et sa situation personnelle (Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1111 [Gutierrez] au para 18). En l’espèce, l’agent a raisonnablement exigé des demandeurs qu’ils démontrent qu’ils seraient susceptibles de subir personnellement des difficultés, comme un accès inadéquat à l’éducation, de la discrimination et des risques.

[29] Deuxièmement, je ne suis pas non plus d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent a exigé d’eux qu’ils démontrent qu’ils seraient plus susceptibles que les autres personnes au Mexique. Je reconnais que le langage employé par l’agent est semblable à celui employé dans les décisions citées par les demandeurs (Diabate, au para 32; Shah, au para 70; Damian, au para 29; Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 [Miyir] au para 29). Dans toutes ces décisions, les agents chargés d’examiner des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire ont déraisonnablement exigé que les demandeurs démontrent qu’ils devraient affronter des circonstances qui n’étaient pas celles que devait affronter le reste de la population dans leur pays d’origine. En l’espèce, l’agent a conclu que [traduction] « les demandeurs [n’avaient] pas établi que leur profil faisait en sorte qu’ils seraient plus susceptibles que la population en général d’être victimes de vol ».

[30] Je conviens avec les demandeurs qu’à première vue, cette déclaration semble intégrer des principes qui ne sont pertinents qu’au titre de l’article 97 de la LIPR. Cependant, un contrôle judiciaire ne devrait pas être « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur », et les décisions ne doivent pas être jugées au regard d’une norme de perfection (Vavilov, aux para 91, 102, 104). La question pertinente que la Cour doit se poser est celle de savoir si, en substance, l’agent a écarté ou minimisé les difficultés auxquelles les demandeurs pourraient être confrontés au Mexique, parce que d’autres personnes sont confrontées à des difficultés semblables ou pires (Arsu, au para 17; Damian, au para 31; Obodoruku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 224 [Obodoruku] au para 27).

[31] Dans la décision Damian, la Cour a conclu que l’agent avait expressément écarté les préoccupations de Mme Damian relatives à la violence en Colombie, parce que les répercussions toucheraient également d’autres personnes dans ce pays (au para 31). De même, dans la décision Miyir, l’agent a complètement écarté les observations des demanderesses selon lesquelles elles seraient confrontées à des difficultés, soulignant plutôt que la plupart des femmes à Djibouti étaient exposées à de la discrimination (aux para 29, 32). La présente affaire se distingue des affaires Damian ou Miyir; en l’espèce, l’agent a examiné les difficultés auxquelles seraient confrontés les demandeurs en tenant compte de la situation qui leur est propre.

[32] La présente affaire s’apparente plutôt à l’affaire Obodoruku, dans laquelle les demanderesses ont reproché à l’agent d’avoir déclaré [traduction] « [qu’]il n’y avait pas suffisamment de renseignements à l’appui de l’affirmation selon laquelle les demanderesses seraient plus susceptibles d’être ciblées que les autres femmes dans la région où elles retourneraient » (au para 26) [non souligné dans l’original]. Le juge Little a examiné le fond de la décision dans son ensemble et il a conclu que, malgré sa déclaration, l’agent n’avait pas élevé « la norme juridique » applicable ni minimisé les difficultés auxquelles les demanderesses seraient exposées « parce que d’autres femmes se trouvent aussi dans la même situation » (au para 27).

[33] De même, en l’espèce, l’essentiel de l’analyse des difficultés faite par l’agent tenait correctement compte de la situation propre aux demandeurs et de la question de savoir s’ils seraient vraisemblablement touchés par la situation défavorable dans le pays. En substance, l’analyse des difficultés faite par l’agent ne se concentrait pas sur les difficultés que subit la population en général au Mexique, et l’agent n’a pas non plus écarté, pour ce motif, les difficultés auxquelles les demandeurs pourraient être exposés. Je conviens avec le défendeur que l’agent a raisonnablement examiné la situation particulière des demandeurs et « la relation entre [celle-ci] et la preuve de la situation générale dans le pays » (Arsu, au para 16).

[34] L’analyse des difficultés faite par l’agent « [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov, au para 86, citant Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

B. L’agent a-t-il apprécié raisonnablement l’intérêt supérieur des enfants?

(1) La position des demandeurs

[35] L’agent n’a pas énoncé l’intérêt supérieur des enfants et il ne s’est pas demandé s’il était dans l’intérêt de ceux-ci de rester au Canada avec leurs parents. Il a commis l’erreur de limiter l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants à l’application du critère des difficultés en se demandant si le fait de vivre au Mexique aurait des répercussions néfastes sur les enfants plutôt qu’en se demandant ce qui était dans l’intérêt supérieur de ceux-ci. Cette erreur rend la décision déraisonnable (Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295 au para 21; Patousia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 876 aux para 53-56).

[36] De plus, l’agent a, à tort, reproché aux demandeurs de ne pas avoir présenté une preuve suffisante pour démontrer que les enfants avaient déjà souffert de la pauvreté, qu’ils avaient été incapables d’avoir accès à l’éducation et aux soins de santé ou qu’ils avaient été victimes d’inégalités fondées sur le sexe ou d’actes criminels. Pour se montrer vigilant et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, un agent doit apprécier la situation générale dans le pays dans la mesure où elle s’applique à l’enfant (Gaona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1083 [Gaona] au para 10; Blas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 629 [Blas] aux para 59, 62). Comme l’agent n’a pas examiné correctement cet aspect dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, on ne peut pas vraiment savoir si ce facteur aurait pu se voir accorder davantage de poids ni s’il a été apprécié correctement par rapport aux autres facteurs soulevés dans la présente demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

(2) La position du défendeur

[37] L’agent a raisonnablement apprécié l’intérêt supérieur des enfants et, conformément à l’arrêt Kanthasamy, il l’a examiné en tenant compte de la preuve sur la situation dans le pays (aux para 33-41). Il n’existe pas de « formule magique » pour réaliser une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Un agent doit se montrer « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant, mais une fois cela fait, il revient à l’agent de déterminer le poids à accorder à cet intérêt (Kanguatjivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 327 au para 56; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 aux para 5-7).

[38] En l’espèce, l’agent a reconnu que les enfants mineurs avaient tissé des liens au Canada et que leur renvoi entraînerait certaines difficultés. Après avoir examiné l’ensemble de la situation, l’agent a raisonnablement conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne suffisait pas à justifier l’octroi d’une dispense.

(3) Conclusion

[39] Je conviens avec le défendeur qu’il n’existe pas de formule magique pour réaliser une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme l’a souligné le juge Diner dans la décision Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 [Zlotosz], le « cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant demeure largement inchangé depuis l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, en ce sens que le critère juridique revient à se demander si l’agent a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant [...] » (au para 24).

[40] En l’espèce, l’agent a commencé son analyse de l’intérêt supérieur des enfants en soulignant que la preuve présentée par les demandeurs ne suffisait pas à démontrer [traduction] « les répercussions néfastes sur le bien-être ou le développement des enfants que pourrait avoir le départ des demandeurs du Canada ». De plus, il a déclaré qu’il n’y avait que [traduction] « peu de renseignements » concernant [traduction] « les expériences [des enfants] ou la profondeur de leurs relations avec des résidents canadiens ». De même, il a souligné qu’il n’y avait que peu ou pas de renseignements concernant les expériences passées des enfants en matière d’éducation au Mexique.

[41] Il incombait aux demandeurs de présenter à l’agent « suffisamment » d’éléments de preuve à l’appui de leur demande de dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (Daniels c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 463 au para 32). Si l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve », un décideur est tout de même limité par la preuve dont il dispose (Kanthasamy, au para 39).

[42] Les demandeurs soutiennent que l’agent a analysé l’intérêt supérieur des enfants sous l’angle des difficultés. La Cour s’est penchée sur le même argument dans la décision Zlotosz, affaire dans laquelle les demandeurs avaient, eux aussi, présenté peu d’éléments de preuve. Le juge Diner a rejeté cet argument et a déclaré qu’une appréciation des difficultés pouvait faire partie d’une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et que le fait que l’agent ait tenu compte de ce facteur ne signifiait pas qu’il avait analysé l’intérêt supérieur sous l’angle des difficultés (aux para 21-22).

[43] En effet, on ne peut reprocher à l’agent d’avoir tenu compte des difficultés au moment d’analyser l’intérêt supérieur des enfants si les demandeurs avaient fait valoir que les enfants seraient exposés à des difficultés (Vitorio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 177 aux para 18-19). Les demandeurs soutiennent que l’agent disposait d’éléments de preuve concernant les faits suivants et que ces éléments démontraient qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de rester au Canada :

  • les membres de la famille ont été témoins et victimes de nombreux actes criminels;

  • les taux d’enlèvements, de violence et de criminalité enregistrés au Mexique sont élevés;

  • il n’existe au Mexique aucune structure efficace d’application de la loi qui pourrait offrir une certaine protection;

  • la famille a vécu des difficultés financières au Mexique;

  • les enfants sont attachés au Canada et souhaitent y rester;

  • la crainte qu’ont les enfants de retourner au Mexique les amène à faire des cauchemars et occasionne au plus jeune d’importants maux de tête et d’estomac;

  • les enfants poursuivent leurs études et fréquentent l’école du dimanche;

  • les possibilités qui s’offriraient aux enfants en matière d’éducation au Mexique sont limitées.

[44] À mon avis, la plupart de ces faits ont trait aux difficultés auxquelles les enfants pourraient être exposés s’ils étaient renvoyés au Mexique. Par conséquent, en tenant compte des difficultés, l’agent répondait simplement aux observations des demandeurs.

[45] Les demandeurs soutiennent aussi que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve sur la situation générale dans le pays, laquelle s’applique aux enfants. Je ne suis pas de cet avis. Contrairement aux agents dans les affaires Gaona (au para 10) et Blas (au para 65), en l’espèce, l’agent a expressément renvoyé à la preuve sur la situation générale dans le pays dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, soulignant une fois de plus le caractère insuffisant de la preuve :

[traduction]

J’ai examiné les documents sur la situation générale dans le pays par rapport à l’intérêt supérieur des enfants. Je reconnais que les parents s’inquiètent de la sécurité de leurs enfants et que, de façon générale, la situation au Mexique est défavorable pour certains. Par exemple, des rapports font état de cas de violence envers les enfants et d’exploitation sexuelle de mineurs. Néanmoins, dans le cadre d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, il incombe aux demandeurs d’établir un lien entre la preuve sur la situation générale et leur situation personnelle ou celle de leurs enfants. Peu d’éléments de preuve me donnent à penser que l’un ou l’autre des parents, ou les membres de leur famille, ont souffert de pauvreté ou ont été victimes d’inégalités fondées sur le sexe ou d’actes criminels. De plus, peu d’éléments de preuve donnent à penser qu’ils ont vécu de mauvaises expériences avec les systèmes d’éducation ou de soins de santé lorsqu’ils vivaient au Mexique, compte tenu du contexte de la communauté mennonite dans laquelle ils vivaient.

[46] Il était loisible à l’agent de conclure que la preuve n’était pas suffisante et que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre leur situation personnelle et la situation générale dans le pays (Gutierrez, au para 18). Je conclus que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent n’était pas déraisonnable.

C. L’agent a-t-il apprécié raisonnablement l’établissement des demandeurs au Canada?

(1) La position des demandeurs

[47] L’agent n’a pas appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy, plus particulièrement l’approche résumée dans l’arrêt Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338 [Chirwa], qui met l’accent sur l’empathie et la compassion. Il s’est déraisonnablement appuyé sur le fait que les demandeurs n’avaient pas de statut, qu’ils travaillaient sans autorisation et qu’ils avaient tardé à présenter leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ce faisant, il a minimisé les facteurs favorables soulevés dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs. L’objet général de l’article 25 de la LIPR est de traiter des gens qui n’ont pas de statut (Benyk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 950 aux para 14-15). L’agent était tenu d’apprécier la nature de la non‑conformité ainsi que sa pertinence avant de lui accorder du poids (Garcia Balarezo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 841 [Balarezo] au para 47).

[48] De plus, l’agent a commis une erreur dans son appréciation de l’établissement des demandeurs en accordant peu de poids à certains éléments de preuve sans donner d’explications. Par exemple, il savait que les grands-parents du demandeur principal étaient des citoyens canadiens et que la sœur de celui-ci avait obtenu la citoyenneté canadienne grâce à sa famille. Il disposait aussi d’éléments de preuve portant que Margaretha cousait pour les plus démunis. De plus, les enfants avaient écrit des lettres dans lesquelles ils exprimaient leur désir de rester au Canada, et la preuve montrait leurs réalisations scolaires. Enfin, les demandeurs avaient fourni la preuve des amitiés qu’ils avaient nouées au Canada.

[49] Le simple énoncé d’une conclusion par l’agent ne correspond pas à l’approche résumée dans l’arrêt Chirwa et ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité. Il ne convient pas qu’une cour de révision élabore ses propres motifs pour combler les lacunes fondamentales que contient la décision de l’agent (Vavilov, au para 96). Il ne suffit pas qu’une décision soit justifiable. Les motifs doivent montrer que la décision est aussi justifiée (Vavilov, aux para 86-87). Compte tenu des conséquences qu’un renvoi au Mexique pourrait avoir sur les demandeurs, il incombait à l’agent de fournir des motifs clairs expliquant le peu de poids accordé à la preuve.

(2) La position du défendeur

[50] L’appréciation faite par l’agent de l’établissement des demandeurs était raisonnable et conforme à l’arrêt Chirwa. Il appartient aux agents d’examiner et d’apprécier tous les facteurs, y compris l’établissement, ce que l’agent a fait en l’espèce. L’agent a expressément traité des considérations d’ordre humanitaire invoquées par les demandeurs, y compris le travail agricole, les amitiés et les liens tissés au Canada, et il leur a accordé un poids favorable. Cependant, il a aussi conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve concernant les antécédents professionnels, que les renseignements concernant les activités communautaires étaient vagues et que les demandeurs avaient volontairement fait fi des lois canadiennes en matière d’immigration.

[51] Les demandeurs qui invoquent des considérations d’ordre humanitaire doivent faire la preuve « de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances qui sont de nature exceptionnelle, par rapport à d’autres personnes qui demandent la résidence permanente depuis le Canada ou l’étranger » (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 aux para 18-21). La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs s’appuyait principalement sur leur souhait de rester au Canada, où les possibilités sociales et économiques sont meilleures. Si ce motif suffisait à justifier l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, pratiquement toutes les demandes présentées à ce titre seraient accueillies, créant ainsi un régime d’immigration parallèle.

(3) Conclusion

[52] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire que l’agent s’est indûment concentré sur le fait qu’ils n’avaient pas de statut, qu’ils travaillaient sans autorisation et qu’ils avaient tardé à présenter leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Même si l’article 25 de la LIPR a pour objet d’accorder une dispense aux personnes qui n’ont pas de statut en matière d’immigration (Benyk, au para 14), les commentaires de l’agent n’étaient pas au cœur de son analyse et n’en constituaient pas l’objet exclusif (Diabate, au para 31; Balarezo, au para 47). L’agent a plutôt apprécié ces facteurs défavorables par rapport au travail agricole réalisé par les demandeurs, tout en soulignant le caractère vague de la preuve liée aux antécédents professionnels et aux finances de la famille. Par conséquent, l’agent a raisonnablement conclu qu’un faible poids devait être accordé au travail agricole réalisé par les demandeurs.

[53] Je ne suis pas non plus d’accord avec les demandeurs pour dire que les motifs de l’agent ne traduisent pas une approche empreinte d’empathie et de compassion. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a adopté l’approche résumée dans l’arrêt Chirwa, qui exige des agents chargés d’examiner des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire qu’ils déterminent « s’il existe des faits en l’espèce de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne, dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial » (Kolade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1513 au para 8). L’agent a expressément reconnu tous les facteurs qui jouaient en faveur de l’établissement des demandeurs. Il s’est montré sensible à la situation des demandeurs, mais il a simplement conclu que les « malheurs » de ceux-ci ne justifiaient pas « l’octroi d’un redressement spécial ».

[54] Enfin, les demandeurs affirment que les décisions sont déraisonnables, puisque l’agent n’a accordé que [traduction] « peu de poids » aux facteurs d’établissement favorables sans fournir d’explications. À mon avis, les demandeurs prient la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle d’une cour de révision (Vavilov, au para 125). De plus, l’agent a le pouvoir discrétionnaire de décider du poids à accorder à l’établissement des demandeurs (Chisholm c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 480 aux para 18-19). Je ne suis pas d’avis que les agents chargés d’examiner des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire ont l’obligation d’expliquer pourquoi certains éléments de preuve se voient accorder un poids « faible » ou « modéré » plutôt qu’un poids « important ». Une telle obligation imposerait un fardeau excessif aux décideurs administratifs. L’agent a tenu compte des observations des demandeurs, il a examiné les éléments de preuve pertinents en lien avec leur établissement et il a accordé, de façon claire, un certain poids aux éléments de preuve.

[55] Je ne suis pas d’avis que l’approche de l’agent est dénuée de justification, de transparence ou d’intelligibilité (Vavilov, au para 99).

VI. Conclusion

[56] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-1136-21 et IMM-6201-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1136-21

 

INTITULÉ :

ANNA FRIESEN HARDER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET DOSSIER :

IMM-6201-20

INTITULÉ :

ABRAM FRIESEN HAMM, MARGARETHA HARDER GIESBRECHT MARIA FRIESEN HARDER, PETER FRIESEN HARDER, MARGARETHA FRIESEN HARDER REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, HEINRICH FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, JACOBO FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉ PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, SUSANA FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM, EVA FRIESEN HARDER, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE ABRAM FRIESEN HAMM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 6 septembre 2022

COMPARUTIONS :

Jennifer C. Luu

Pour les demandeurs

 

Alex Kam

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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